Intervention de Pierre Souvet

Réunion du mercredi 18 novembre 2020 à 17h00
Commission d'enquête sur l'évaluation des politiques publiques de santé environnementale

Pierre Souvet, président de l'Association santé environnement France (ASEF) :

Comment faire une politique publique ou de recherche sans données épidémiologiques territoriales ?

Sur 29 pays, 21 pays ont des registres complets et les huit qui n'en ont pas progressent, notamment le Portugal et les Pays-Bas. Il faut disposer de ces données pour réduire les inégalités de santé. Ces données ne doivent pas être seulement départementales, mais territoriales. Nous parlons beaucoup des régions et des départements pour les compétences mais le problème est différent entre la zone de l'Étang de Berre et la zone de La Ciotat. Il faut vraiment cibler les territoires qui ont des spécificités. Cela ne me gênerait pas que les départements des Basses-Alpes et des Hautes-Alpes aient le même registre puisqu'ils ont à peu près les mêmes caractéristiques. Il faut une vision territoriale qui tienne compte des spécificités des territoires. Toutefois, sans données, l'action n'est pas possible.

Prenons l'exemple de la qualité de l'air. D'après Santé publique France, les particules fines causent 48 000 morts et ce sont maintenant les ultrafines qui poseront problème car elles pénètrent encore plus, sont encore plus inflammatoires et touchent notamment le cerveau. Il existe d'ailleurs un lien entre la pollution de l'air et la maladie d'Alzheimer. D'après la Société européenne de cardiologie, la qualité de l'air est liée à 67 000 morts.

Le débat porte aussi sur les normes. Cela ne me gêne pas de faire des normes, en les élargissant à certains hydrocarbures aromatiques. La valeur réglementaire sur les particules fines inférieures à 2,5 micromètres en France est actuellement de 25 microgrammes par mètre cube. Aux États-Unis, la norme est depuis un certain temps à 12 microgrammes par mètre cube et au Canada, la norme est à 10 microgrammes avec un objectif à 8,8 microgrammes. La valeur de qualité retenue par l'OMS est 10 microgrammes par mètre cube.

Nous disons 25 microgrammes en France parce que nous ne sommes pas capables de faire plus. C'est le même phénomène que lors de la création des « métabolites non pertinents » dans l'eau potable. Voici un an et demi, il a été décidé de créer des métabolites non pertinents, qui sont en effet moins agressifs que les métabolites pertinents puisqu'ils ne gardent qu'une activité pesticide inférieure à 50 % de celle de la molécule mère. L'industrie voulait multiplier par 90 le taux autorisé dans l'eau potable de ces métabolites non pertinents. L'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) a répondu qu'ils sont en effet moins pesticides mais que nous ne pouvons pas répondre sur l'effet perturbateur endocrinien et « l'effet cocktail » par manque d'études. Le Gouvernement a alors, par l'intermédiaire des agences régionales de santé (ARS), multiplié par 9 le taux autorisé dans l'eau potable de ces métabolites, en plus des métabolites classiques. J'en ai compris la raison : avec le changement climatique, les captages risquent d'être insuffisants et la concentration de pesticides et de métabolites de pesticides risque d'être trop élevée.

Il faut lutter contre ces idées qui nous ont paru assez incroyables. Nous ne sommes que des bénévoles et perdre autant d'énergie avec de telles décisions de prospective est difficile pour nous.

Est-il possible de réduire la pollution en agissant ? À Tokyo, le diesel a été interdit en ville en 2000. Cette interdiction diminue le nombre de particules. Il faut toutefois une vision globale car le problème ne concerne pas que le trafic mais aussi les feux de cheminée, les épandages agricoles. La création de particules fines secondaires peut être fortement réduite en épandant au bon moment. Nous avons vu pendant le covid que la réduction des particules fines n'a pas été extrêmement importante du fait des particules secondaires liées aux épandages. Il faut aussi savoir que la composition des particules joue. Celles issues du trafic sont extrêmement toxiques et classées cancérogènes à cause des hydrocarbures aromatiques.

Tokyo a interdit le diesel en 2000 et Osaka en 2006. Tokyo a ainsi diminué les particules fines de 44 %. Les oxydes d'azote n'ont pas beaucoup baissé. Les chiffres de mortalité sont incroyables. La mortalité toutes causes confondues a diminué de 6 %, la mortalité cardiovasculaire de 11 %, la mortalité par infarctus de 10 %, la mortalité par accident vasculaire cérébral de 6,2 %, la mortalité par maladie pulmonaire de 22 %, la mortalité par cancer du poumon de 4,9 %. Ces chiffres ne comptent que les morts et nous constatons donc une diminution colossale en termes d'évènements. Ainsi, agir fermement marche ! En ce qui concerne le covid, nous savons maintenant qu'il existe un lien entre la mortalité et la pollution de l'air.

De nombreuses substances sont susceptibles de favoriser l'obésité, le diabète et les maladies cardiovasculaires, en particulier en modifiant la lipogenèse. L'expérience a été faite avec des souris qui, dès le cinquième jour après la naissance, ont été nourries toutes de la même façon, ont fait la même quantité d'exercice physique mais certaines ont reçu du distilbène qui est une molécule très proche du bisphénol A. Ces souris sont devenues obèses car la maturation des adipocytes a été différente. Dans cette étude, il a aussi été testé de faire des injections prénatales de distilbène et le résultat a été le même. Pour vous faire comprendre la complexité du problème, il faut savoir que les souris qui subissaient en prénatal l'injection d'une grosse dose naissaient plus maigres que les autres et devenaient obèses ensuite. Celles qui recevaient une petite dose pendant la grossesse naissaient plus grosses et devenaient plus grosses. L'influence des perturbateurs endocriniens est frappante dans cet exemple.

Les normes réglementaires ne sont plus adaptées du tout. Cela ne me gêne pas que des normes existent sur l'air mais c'est beaucoup plus compliqué avec les produits chimiques. Je vous ai déjà parlé des effets en fonction de la dose mais nous ne mangeons pas que du bisphénol. Nous absorbons des centaines de produits chimiques et nous sommes tous contaminés comme le montre l'étude Esteban en France.

Ne jetons malgré tout pas toutes les normes et voyons la qualité de l'air intérieur avec les étiquettes A+ des produits. Nous prenons en compte en France environ 10 composés organiques volatils (COV) tandis que la Belgique en prend en compte plus de 200. Il faut donc élargir notre liste et, pour l'air extérieur, il faut même élargir notre norme aux hydrocarbures. L'étiquetage des émissions des produits dans l'air intérieur doit être plus solide : aucun contrôle n'est fait de la véracité des déclarations des industriels sur l'étiquetage. Ceci favorise les tricheurs et défavorise les vertueux, ce qui est tout de même un comble ! Il faut faire des contrôles comme c'est le cas en Belgique avec des contrôles inopinés, indépendants. Une étude de l'Institut national de la consommation avait montré que, sur 20 peintures à l'eau étiquetées A+, trois dépassaient la valeur A+ après trois jours dont une de plus de 8 fois et 6 peintures sur 20 ne valaient pas A+ après 28 jours.

Nous en avons beaucoup parlé dans les groupes de travail du PNSE 4 et nous avons dit qu'il fallait contrôler. Cette demande a disparu dans la dernière version du PNSE 4 rendue publique voici un mois. Il faut des moyens de contrôle et des sanctions évidemment.

Je fais la même remarque pour les nanoparticules. Aux États généraux de l'alimentation, la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) a fait dix-huit contrôles pour savoir si l'affichage nano obligatoire sur les produits cosmétiques était correct. Dix-sept produits sur dix-huit contenaient des nanoparticules mais ne l'affichaient pas. Le cadre réglementaire a donc son utilité mais nous pouvons être plus « agressifs » pour la protection de la santé.

S'agissant de la formation, j'ai repris les actions des PNSE 1, 2, 3 et 4. Dans le PNSE 1, il était prévu d'intégrer la dimension santé-environnement dans la formation initiale. Dans le PNSE 2, il est dit que le développement d'une formation initiale et la formation continue permettront de former les spécialistes. Dans le PNSE 3, il n'est plus prévu de former, mais d'analyser les programmes de formation. L'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) et le Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) ont bien montré que les formations restent tout à fait sporadiques, avec par exemple à Strasbourg une excellente formation pour 25 étudiants. Dans le PNSE 4, il est écrit que les universités et écoles seront incitées à organiser des formations. Comment voulez-vous informer et former la population si les premiers relais ne sont pas eux-mêmes formés ? Il faut former les personnels de santé et tous les acteurs locaux, tels que les aménageurs, les architectes, les urbanistes.

Depuis le premier PNSE en 2004, il ne s'est quasiment rien passé, à part quelques actions de personnes particulièrement engagées qui ont essayé de faire connaître le problème, comme notre association avec les unions régionales des professionnels de santé (URPS) par exemple.

Ainsi, j'ai fait une formation à 21 internes et je leur ai demandé à la fin s'ils avaient trouvé cette soirée intéressante. Ils ont tous répondu affirmativement. Sur les 21 internes, 15 avaient déjà été sensibilisés aux perturbateurs endocriniens par les journaux en particulier, mais un seul a jugé suffisante sa formation initiale sur le sujet. Seuls trois se jugeaient capables de conseiller correctement leurs patients sur les perturbateurs endocriniens.

L'Association nationale des étudiants en médecine de France (ANEMF), l'Association nationale des étudiants en pharmacie de France (ANEPF) et l'Intersyndicale des internes en médecine générale (INSNAR-IMG) nous ont demandé de les sensibiliser au sujet. Il est tout de même incroyable que les étudiants s'adressent à une association qui a peu de moyens pour les sensibiliser. C'est dire le manque criant de formation. Il faut arriver à créer des modules de formation à l'université.

Le gros défaut du PNSE 4 est l'absence d'agenda pour les outils. Nous sommes prêts à concevoir le référentiel avec les autorités savantes compétentes et à créer les outils pour que ces modules de formation puissent être introduits dès la rentrée 2022 pour tous les professionnels de santé.

La gouvernance est un problème majeur, particulièrement pour moi qui paie mon transport pour Paris à chaque Groupe santé-environnement (GSE). Je ne sais même pas, Mme la présidente, si vos frais de transport sont pris en charge, puisque ces frais n'existent pas !

Grâce à notre alliance avec les vétérinaires, nous avons eu un entretien avec les conseillers du ministre de l'Agriculture. Le ministère de l'Agriculture doit évidemment faire partie de la gouvernance car tout est transversal en santé-environnement. Il faut institutionnaliser cette transversalité, peut-être par un Parlement santé-environnement.

Personnellement, je changerais le nom du PNSE et je l'appellerais le plan stratégique national santé-environnement. Il faudrait être capable, grâce à ce Parlement, de vérifier tous les plans sectoriels. Il est incroyable que le PNSE 4 ne contienne rien sur les pesticides, sur les perturbateurs endocriniens. Ce plan stratégique et ce Parlement doivent permettre de vérifier que tout est cohérent dans les plans sectoriels. Il existe souvent des redites, des manques de complémentarité.

Nous voulions une action massive chez les environ 800 000 familles qui, chaque année, ont un enfant, ce qui concerne donc environ 3 millions de personnes, afin que soit organisée une sensibilisation à la santé-environnement pendant la grossesse. Le PNSE 4 propose des visites d'une sage-femme après la grossesse. Cela existe déjà avec une visite d'environ 45 minutes pendant laquelle la sage-femme regarde si des moisissures sont présentes dans le logement, interroge sur l'alimentation du bébé, l'allaitement… Cette visite est payée 45 euros, avec 5 à 10 euros de frais de déplacement. Je pense qu'il serait mieux d'avoir une visite plus tôt, en pré-conceptionnel ou pendant la grossesse.

Il existe une consultation de prévention des sages-femmes, d'environ 45 minutes, payée 30 euros. Pour introduire l'aspect santé-environnement, pour lequel les sages-femmes sont très motivées, il devient compliqué de tout aborder en 45 minutes et de ne pas mieux valoriser. Il faut donc élargir cette consultation, la rendre obligatoire, car nombre de personnes, notamment celles en difficulté sociale, soit n'acceptent pas que la sage-femme vienne chez eux après l'accouchement, soit ne se présentent pas à cette consultation de prévention. Il faut donc que les sages-femmes soient mieux formées, que la consultation soit obligatoire et revalorisée et que cet aspect santé environnement soit introduit.

Il faut des indicateurs ce qui est compliqué car, sur beaucoup de sujets comme l'obésité ou le cancer, il faut travailler à long terme. Remarquez toutefois que la pollution de l'air peut être étudiée à court terme. Il n'a fallu que six ans à Tokyo pour réduire drastiquement la mortalité.

Il faut une évaluation annuelle. Pourquoi attendre que l'IGAS et le CGEDD soient missionnés quatre ans après ? Tous les ans, ce Parlement peut se saisir de la question et étudier où nous en sommes. Le ministère de l'Agriculture ne savait par exemple même pas qu'il était pilote de l'une des actions du PNSE 3 ! Ce Parlement aurait pour mission de voir ce qui a été fait, d'inciter ceux qui ne bougent pas à le faire et de coordonner les actions.

S'agissant de la gouvernance territoriale, il faut prendre des territoires qui ont suffisamment de poids pour agir. Il faut qu'ils aient des données, des indicateurs sanitaires, environnementaux et sociaux. Il ne faut pas oublier le social car ces problèmes se cumulent en général. Enfin, si la compétence est aux territoires, il faut qu'ils soient obligés d'agir et ne se défaussent pas sur l'ARS.

En attendant que vous fassiez changer la loi, les contrats locaux de santé existent et il faut introduire les diagnostics et les plans dedans. En donnant une formation et des données à ceux qui connaissent le terrain, ils peuvent agir ce qui apporte des bénéfices sanitaires, environnementaux, financiers et d'attractivité des territoires. Ce dernier point fera extrêmement plaisir aux responsables des territoires.

Enfin, nous avons édité des guides sur la façon de protéger les patients de la contamination chimique et des perturbateurs endocriniens.

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