Intervention de Jean-François Guégan

Réunion du jeudi 19 novembre 2020 à 15h30
Commission d'enquête sur l'évaluation des politiques publiques de santé environnementale

Jean-François Guégan, directeur de recherche à l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (INRAE) :

Depuis trente ans, avec l'essor fantastique de la biologie moléculaire en particulier, nous avons beaucoup favorisé la spécialisation, voire l'hyperspécialisation. Nous manquons de généralistes, de gens qui ont un bon degré de compétence dans une discipline, mais sont aussi capables de broder, de faire des liens avec d'autres disciplines. Nous le retrouvons avec la difficulté d'évaluer ces personnes qui ont un esprit plus généraliste, qui sont souvent plus inventifs et créatifs. Le premier pas est de remédier à ceci en favorisant la démarche généraliste dans les universités et les grandes écoles.

Je m'intéresse beaucoup à l'épistémologie et la philosophie des sciences. Je fais aujourd'hui une différence entre un intellectuel et un chercheur. Nous avons de nombreux chercheurs mais beaucoup moins d'intellectuels. L'histoire n'intéresse pas. Malheureusement, pour avoir enseigné l'épistémologie des sciences à Montpellier, les premiers cours supprimés dans les universités françaises sont l'histoire des sciences et la philosophie des sciences, alors que le besoin de ces enseignements est très important.

Il faut certes des spécialistes, mais il faut aussi des généralistes, des gens capables d'interpréter ce que dit un spécialiste d'une discipline et de voir les ponts, les jonctions à faire avec un autre spécialiste d'une autre discipline. Cela demande de la curiosité. Je pense que les spécialistes vivent dans un cocon confortable, parce qu'ils côtoient les leurs, mais ne vont pas, ou très peu, au contact d'autres disciplines. Personnellement, mon monde est d'aller au contact d'économistes, de spécialistes de sciences politiques, de gens qui sont différents de moi.

Par exemple, dans une spécialité comme l'immunologie, les progrès récents faits dans le monde anglo-saxon concernent l'immunologie computationnelle, c'est-à-dire l'immunologie numérique. Nous avons des difficultés avec des systèmes que nous croyions simples et qui sont finalement extrêmement complexes, comme le système immunitaire. La seule solution pour étudier ces systèmes complexes est de passer par l'immunologie numérique, c'est-à-dire en utilisant les statistiques et l'intelligence artificielle.

Il nous manque des gens capables de faire des synthèses, d'intégrer et des formations qui apprennent à le faire. En France, je pense que des gens capables de faire des synthèses sont présents dans les grandes écoles, mais l'Université s'est à mon avis beaucoup trop spécialisée. Il faut réfléchir rapidement à des formations beaucoup plus transversales, qui permettraient de reconstruire ces liens entre les disciplines. Il faut aussi travailler sur l'évaluation de la recherche et l'évaluation des chercheurs. Je ne peux pas me plaindre puisque j'ai le plus haut grade de la fonction publique pour un chercheur et j'ai toujours eu de très bonnes évaluations, mais les évaluations restent toujours très difficiles parce que les gens ne savent pas où mettre un chercheur comme moi : suis-je biostatisticien, épidémiologiste ? Je prétends être les deux.

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