Intervention de Philippe Lacoste

Réunion du jeudi 19 novembre 2020 à 17h30
Commission d'enquête sur l'évaluation des politiques publiques de santé environnementale

Philippe Lacoste, directeur du développement durable à la direction générale de la mondialisation de la culture, de l'enseignement et du développement international (ministère de l'Europe et des Affaires étrangères) :

Je tiens d'abord à vous remercier d'avoir demandé à m'entendre. En effet, comme directeur du développement durable, mon travail quotidien consiste à favoriser les approches transversales ou, au moins, croisées, qui ne se produisent pas naturellement en raison de la spécialisation des politiques et des organisations. Il va de soi que le sujet « santé et environnement » m'intéresse et m'encourage.

Je travaille dans le domaine de la défense de l'environnement, ma spécialité, depuis une vingtaine d'années. Je constate que la situation a beaucoup évolué. À titre d'exemple, je me souviens de la conférence des parties (COP) de la convention sur la biodiversité, qui s'est déroulée en Corée en 2014, et qui affichait le slogan « Un seul monde, une seule santé ».

Je me souviens également de la COP 21. À l'époque, j'étais le numéro deux de l'équipe de négociation française et j'ai collaboré à de longues séances de travail avec l'OMS, qui considérait le changement climatique comme un problème de santé publique, en raison non seulement de l'augmentation de la température et des grandes vagues de chaleur qu'elle induit, mais également de la modification des vecteurs de maladies. Ces problématiques intéressaient l'OMS au plus haut point. Elle a dorénavant d'autres préoccupations, mais à l'époque, un service de l'OMS était dédié aux changements climatiques.

Je pense que je peux apporter aux travaux de la commission un éclairage sur le droit international, notamment en matière d'environnement. De façon caricaturale, mais je l'espère, pédagogique et simple, je dirais que lorsqu'on est amené à s'intéresser à la gestion des biens communs internationaux – l'atmosphère, un fleuve qui traverse plusieurs pays, les océans –, on se heurte très rapidement au principe de souveraineté nationale. Il n'existe aucune juridiction internationale, aucun mécanisme coercitif, qui permettraient d'éviter, par exemple, des phénomènes de passagers clandestins. Dès lors, il convient de s'accommoder de grandes déclarations, d'engagements basés sur le volontariat des États. Finalement, la seule arme dont disposent ceux qui souhaitent faire évoluer la situation réside dans la communication. Dans ce cadre, nous réalisons un suivi des engagements pris, nous étudions le niveau des engagements réalisés et nous pointons les bons et les mauvais élèves. Aussi caricaturale soit-elle, cette présentation illustre bien les contraintes imposées par le droit international dans ces domaines qui comportent des enjeux globaux. Bien sûr, cette difficulté peut être levée par le biais d'un transfert de compétences. À titre d'exemple, l'Union européenne dispose de moyens coercitifs pour encourager la mise en œuvre d'actions. En effet, dans certaines circonstances, les États peuvent être condamnés. Il me semblait utile à vos travaux de vous indiquer les limites du droit international.

Votre première question porte sur la portée de ces grandes déclarations internationales relatives à la santé environnementale, notamment celles de l'OMS. Nous pouvons citer la conférence d'Alma-Ata de 1978 et la charte d'Ottawa de 1986. Ces déclarations ont d'abord eu le mérite d'identifier les facteurs environnementaux à prendre en compte afin d'assurer la santé des populations. Elles ont également conduit à lancer un certain nombre de stratégies liées à la santé et à l'environnement. Ces stratégies sont initiées au niveau international et proposent des objectifs ambitieux. Ensuite, elles sont déclinées aux niveaux régional et national. Ces conférences donnent naissance aux plans nationaux Santé et environnement (par exemple la conférence de Budapest de 2004). La France déploie son quatrième plan Santé et environnement. Ces plans définissent des objectifs et proposent des actions concrètes à mener sur chaque territoire.

Les grandes conférences ont également le mérite de lancer des initiatives spécifiques à certaines zones géographiques susceptibles d'être confrontées à des problématiques particulières. Je pense notamment aux petits États insulaires qui sont, non seulement très vulnérables aux changements climatiques, mais également isolés. L'OMS leur est particulièrement attentive et ils ont fait l'objet d'une nouvelle stratégie en 2017.

Votre seconde question sous-entend qu'on donne beaucoup d'importance au changement climatique, qu'une large communication est diffusée relativement aux travaux de la Conférence annuelle des parties, mais qu'on n'identifie pas très bien la santé environnementale dans cette visibilité internationale et dans l'intérêt que semble exprimer la communauté internationale. Cette impression que vous exprimez n'est pas tout à fait exacte. En effet, un des premiers accords internationaux faisant le lien entre santé humaine et protection de l'environnement est la convention de Vienne relative à la protection de la couche d'ozone qui s'est tenue en 1985. Je vous en épargnerai l'historique, mais une des principales conséquences de la dégradation de la couche d'ozone a consisté en une augmentation du nombre de cancers de la peau. J'oserai dire, un peu cyniquement, que cette convention constitue un des rares succès de la diplomatie environnementale puisque, via le protocole de Montréal, elle a fait en sorte que la fabrication des substances identifiées (gaz utilisés dans les aérosols et dans les dispositifs de réfrigération) soit arrêtée. Ces produits ne sont dorénavant plus fabriqués et la couche d'ozone est en cours de reconstitution. Ces conventions représentent des instruments à participation universelle. La convention de Vienne a été signée sept ans avant la convention-cadre des Nations unies relative aux changements climatiques et les autres grandes conventions issues de la conférence dite « du Sommet de la terre ».

D'autres outils, d'autres conventions internationales permettent de lutter contre les contaminations identifiées à l'échelle mondiale. La convention de Stockholm traitait des polluants organiques persistants (POPS), ces composés chimiques qui s'accumulent dans les sols au cours de la chaîne alimentaire et ont des conséquences sur la santé humaine. La convention vise à réduire leur fabrication et leur utilisation.

La convention de Minamata sur le mercure est récente et très emblématique. Les rejets d'une industrie pétrochimique dans la baie de Minamata au Japon avaient causé de très nombreux dégâts pour la santé des populations et c'est la raison pour laquelle la convention porte le nom de cette baie. Elle vise à limiter l'utilisation du mercure, métal très toxique et elle est en phase de mise en œuvre.

Certains outils internationaux traitent également la question des mouvements transfrontaliers des polluants ou des déchets dangereux. Dans ce cadre, il convient de retenir deux conventions célèbres. La convention de Bâle vise le transport des déchets dangereux. La convention de Rotterdam pose le principe d'un consentement préalable, c'est-à-dire qu'un pays qui ne se sent pas en mesure de recueillir des déchets ou des produits dangereux, parce qu'il ne dispose pas de la capacité de les traiter, est en droit de les refuser.

Cinq accords multilatéraux majeurs ont donc été conclus en vingt-cinq ans. Ce constat montre l'appétence croissante des États pour la réduction des impacts négatifs des pollutions chimiques sur la santé.

Pour quelle raison la convention sur le climat paraît-elle tout écraser ? Je pense que ce constat relève de son universalité. En effet, si les accidents industriels sont localisés, les changements climatiques sont universels. Je pense également qu'intervient la notion d'urgence de l'action, largement reprise dans la presse, qui insiste sur le fait que plus on tarde à agir, plus on diminue les chances d'obtenir des résultats. C'est pourquoi cette convention prime sur les autres, notamment dans les médias. Par ailleurs, contrairement aux autres conventions, la convention sur le climat se réunit chaque année. Pour autant, elle reprend des principes déjà édictés par les autres, notamment le principe selon lequel toute décision doit être basée sur la science. Dans ce cadre, le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) a largement communiqué relativement aux enjeux de la lutte contre les changements climatiques. La France essaie de promouvoir leurs propositions au niveau international, notamment dans le domaine des pollutions chimiques. Nous disposons de données, mais elles ne font pas l'objet de rapports périodiques aussi largement diffusés que les rapports du GIEC. Cette interface entre la politique et la science a été considérée comme un succès important de la convention sur les changements climatiques. Il en est de même d'ailleurs pour la convention sur la biodiversité qui dispose également d'un conseil et d'une interface qui publiera ses rapports. Nous proposons qu'une telle instance soit créée dans le domaine de la santé et de l'environnement, ce qui contribuerait à faire remonter cette problématique au rang des priorités.

Vous nous avez interrogés sur l'intérêt porté par la France dans le domaine des océans et de la mer. Les conventions liées au droit de la mer sont un peu plus tardives que les grandes conventions relatives à l'environnement. Le droit de la mer a surtout traité de l'exploitation du milieu marin, à savoir la détermination des zones de compétence des États et des zones de compétence universelle. En effet, la haute mer étant « res nullius », c'est-à-dire qu'elle n'appartient à personne, la question de l'utilisation des ressources halieutiques et du fond marin a donné lieu à de nombreux travaux et continue à faire l'objet de coopérations et de discussions internationales. Nous travaillons actuellement sur une convention liée à la haute mer et nous progressons sur la question de la pollution par les plastiques : un continent formé de déchets qui dérive, les microparticules de plastique que l'on retrouve non seulement dans les poissons que nous consommons, mais également dans l'eau, etc. La France tente de promouvoir ces sujets via un projet de convention internationale. Les cheminements sont toujours un peu longs, mais nous progressons, en insistant sur la prévention. En effet, moins nous produirons de déchets, moins nombreux seront les plastiques répandus à traiter.

Une de vos questions portait sur les modalités de détermination de la position de la France dans les négociations. Sur ces sujets précisément, la compétence est essentiellement communautaire européenne. Nous menons un travail piloté par les services du Premier ministre afin de coordonner les positions des différents ministères. Lorsque notre position est arrêtée, nous la défendons à Bruxelles. Lorsque la position européenne est définie, l'État membre qui assure la présidence défend notre point de vue lors des discussions et il est assisté de la Commission européenne. Le processus est long, mais il permet de travailler sur des sujets intéressants tels que la révision du règlement REACH qui prévoit de classer les produits chimiques en fonction de leur dangerosité, de leurs modalités d'accès à l'espace de l'Union européenne, etc. Ces questions font l'objet de débats entre ministères, avec le ministère de la Transition écologique, notamment, mais également avec le ministère de l'Industrie. Le ministère des Affaires étrangères apporte alors un éclairage quant aux positions internationales et les possibilités qui s'offrent à la France de se situer sur cet échiquier. Ensuite, les positions sont défendues au cours des conférences des parties et des rencontres qui ont lieu lors de ces conventions. Nous accompagnons les négociations par des contacts bilatéraux.

Au sein de l'Union européenne, nous travaillons sur ces questions de santé environnementale avec des pays partenaires, avec lesquels nous approfondissons davantage les sujets, notamment l'Allemagne et les Pays-Bas, pays très attentifs aux questions d'interface environnement/santé.

Nous rencontrons néanmoins une difficulté structurelle, à savoir que la diversité des sujets que nous sommes amenés à traiter est telle que ce ne sont pas toujours les mêmes ministres qui les portent. En Allemagne, le ministre de la Santé porte exclusivement l'ensemble de ces sujets. Dans la pandémie actuelle, il est l'unique interlocuteur compétent en matière de politique de prévention, tests, vaccins, etc. Dans ce pays, il n'existe donc aucune procédure d'arbitrage interministérielle, contrairement au dispositif français. Dès lors, le ministre de la santé allemand peut être amené à défendre une position différente de celle du ministre de l'Environnement. Il ne nous appartient pas de juger l'organisation politique de nos pays partenaires, mais force est de constater que cette multiplicité d'interlocuteurs génère des difficultés.

Nous avons également beaucoup travaillé sur le concept « Une santé » (« One Health »). Il consiste à réaliser un rapprochement de l'OMS, organisation centrale compétente, de l'Organisation mondiale de la santé animale (OIE), organisation internationale en charge des épizooties, du programme des Nations Unies pour l'environnement (PNUE), les organisations qui s'occupent d'alimentation. Ces rapprochements permettent de traiter de la santé humaine, de la santé des écosystèmes (animaux et humains compris) au sein des mêmes structures et de se rendre compte que tout est lié.

Vous nous avez interrogés quant aux initiatives européennes et internationales qui sont amenées à traiter des sujets de santé environnementale de première actualité (pollution de l'air, exposition aux perturbateurs endocriniens, facteurs environnementaux, maladies chroniques, etc.). Nous travaillons par « grands milieux » tels que, à titre d'exemple, la pollution des cours d'eau. Au ministère des Affaires étrangères, nous étudions les cours d'eau transfrontaliers et nous tentons de conclure des conventions internationales qui, au-delà de la navigation, traitent également des rejets identifiés le long du cours. Une de nos plus anciennes conventions concerne le Rhin. En effet, les rejets des usines de potasse d'Alsace ont causé des soucis à nos amis néerlandais, par exemple. En revanche, nous ne sommes pas parvenus à signer un accord sur le Rhône, faute d'une convergence de point de vue avec nos amis suisses concernant ce fleuve et le lac Léman. Quoi qu'il en soit, ces outils conventionnels nous permettent de traiter des sujets dans une dynamique de coopération et sans mécanisme de sanction.

De la même manière, il existe de nombreuses conventions relatives aux mers régionales (Méditerranée, mer du Nord) qui traitent des questions de rejets, industriels ou d'assainissement.

La qualité de l'air est un sujet régional. Depuis le phénomène des « pluies acides », qui avait conduit à la disparition de massifs forestiers, le sujet a été un peu oublié. Il a été traité dans une approche européenne et a abouti à la réduction de polluants, tels que le dioxyde de soufre, les oxydes d'azote, les composés organiques volatils et ammoniacs. Le processus est bien rodé : d'abord, on établit une liste restreinte sur laquelle l'ensemble des pays s'accorde, puis on l'élargit. Peu à peu, les émissions de gaz et de particules qui sont à l'origine de nombreux problèmes respiratoires diminuent.

La raison pour laquelle la lutte contre la dégradation de la couche d'ozone a été un succès rapide, alors que dans d'autres domaines, nous progressons plus lentement, réside dans une identification rapide de produits de substitution, d'autres molécules qui permettaient non seulement de répondre aux besoins, notamment industriels, mais également de réduire la pollution.

De la même manière, s'agissant de la pollution au mercure de Minamata, les Japonais sont parvenus à découvrir un catalyseur de substitution au mercure, ce qui a permis d'enrayer cette pollution, mais les recherches ont duré une vingtaine d'années.

En dialoguant avec les chercheurs et les industriels, il est parfois possible d'identifier des procédés industriels moins polluants ou de diminuer significativement leurs effets néfastes sur l'environnement et donc, sur la santé.

Nous menons actuellement des études relatives à la pollution plastique et nous nourrissons l'ambition d'obtenir un accord global quant à la réduction de ces déchets, dont l'élimination s'avère très complexe. Nous travaillons non seulement sur le cycle de vie des produits dans une démarche écoresponsable, mais également sur des traitements qui permettent de récupérer ces produits, de les transformer ou de les enfouir.

La réduction des pollutions chimiques demeure prégnante. Elle se décline en deux axes : la réduction de la production et la gestion des stocks. Il convient de ne pas oublier qu'en Afrique, les pesticides et les produits phytosanitaires ont permis la « révolution verte », c'est-à-dire l'augmentation des rendements, qui a conduit à éviter la grande famine prévue. En revanche, souvent, l'utilisation de ses produits ne répond pas aux normes des fabricants, faute de formation des utilisateurs : trop fortes concentrations, usage de produits périmés, etc. La gestion des stocks existants et le transport des déchets sont complexes à maîtriser, notamment dans les pays en développement, qui constatent l'intérêt immédiat de l'utilisation de ces produits sans mesurer leurs effets à plus long terme sur l'environnement et sur la santé des populations.

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