Mme la présidente, Mme la rapporteure, Mmes et MM. les députés, c'est avec grand plaisir et beaucoup d'intérêt que je réponds aujourd'hui à votre commission d'enquête sur l'évaluation des politiques publiques en santé-environnement.
Notre environnement est un déterminant majeur de notre santé. En tant que directeur général de la santé, ma mission quotidienne est de protéger la santé de nos concitoyens. De plus en plus, ils s'interrogent, à juste titre, sur les relations entre leur environnement et leur santé. Les accidents récents de la cathédrale Notre-Dame de Paris ou de l'usine Lubrizol, les clusters de cancers pédiatriques ou les investigations menées autour des cas d'agénésies transverses des membres supérieurs le montrent.
La crise de la Covid-19, qui m'occupe quotidiennement depuis maintenant dix mois, en est également l'exemple. Elle nous réinterroge sur un principe fondamental, peut-être oublié de nos sociétés occidentales, le lien étroit entre notre santé, la santé animale et la santé de l'environnement, le concept de « santé globale ».
Depuis plus d'un demi-siècle, le dispositif réglementaire consacré à la santé-environnement s'est considérablement renforcé, tant au niveau national qu'européen, garantissant une meilleure protection de l'homme et de l'environnement. Ainsi, la consécration du principe de précaution dans la Constitution française est une force. Ce principe garantit la protection de la santé de chacune et chacun, dans un domaine encore empreint de nombreuses incertitudes. Nous portons cette politique avec le ministère de la Transition écologique, ceux de l'Agriculture, de la Recherche, du Travail, de la Consommation, de l'Éducation nationale, et j'en oublie, afin de réduire les impacts négatifs de l'environnement sur notre santé et, de façon parallèle, promouvoir un environnement favorable à la santé.
La sous-direction de la prévention des risques liés à l'environnement et à l'alimentation, des facteurs extérieurs qui vont agir sur notre exposome, est depuis longtemps une sous-direction majeure de la direction générale de la santé. Elle est dotée d'une cinquantaine d'agents, dont les profils sont atypiques pour une administration centrale puisqu'il s'agit principalement d'ingénieurs du génie sanitaire, médecins, pharmaciens et agents administratifs.
Les sujets quotidiens du ministère chargé de la Santé, dont ceux de la direction générale de la santé, sont aussi l'offre de soins, le financement du système de santé, la sécurité sanitaire et les produits de santé au sens large, la lutte contre le tabagisme, l'alcool, les addictions, les enjeux de santé mentale, mais aussi la gestion des crises sanitaires. La santé-environnement est probablement le domaine pour lequel les attentes sociétales sont de plus en plus fortes. Nous le constatons très nettement de la part de nos concitoyens, des médias, des élus, ce qui est tout à fait légitime.
Cette sous-direction existe depuis une vingtaine d'années. Ses champs d'intervention sont extrêmement variés : la qualité sanitaire des eaux, notamment les eaux de consommation, les environnements intérieurs, qui peuvent être plus dangereux que l'environnement extérieur. Nous sommes attentifs aux sujets de la pollution par l'amiante, du radon, un risque naturel, mais réel, qui entraîne une morbi-mortalité significative en France, du plomb, sur lequel nous avons heureusement réalisé de grands progrès ces dernières années. Nous traitons également des sujets comme l'habitat insalubre, important pour nos concitoyens.
Parmi les environnements extérieurs, la préoccupation majeure est celle de la qualité de l'air que nous respirons et, plus largement, de toutes les substances chimiques et les agents physiques. Je citerai en particulier les interrogations sur les perturbateurs endocriniens, sur l'impact de la 5G, l'usage des pesticides au quotidien dans l'environnement de nombre de nos communes, et, plus largement, l'alimentation et la nutrition.
Je voudrais aussi insister sur un autre point fort : l'existence d'un vivier très important de compétences en santé-environnement dans les agences régionales de santé (ARS) et dans les délégations territoriales. Il s'agit également d'ingénieurs, de médecins, de pharmaciens, mais aussi de techniciens sanitaires. Je crois que plusieurs des personnes que vous avez déjà auditionnées ont salué la compétence technique de ces personnels. Je la salue aussi.
Les sujets de santé-environnement sont très complexes et les ARS doivent continuer à exercer leurs missions pour garantir la sécurité sanitaire des populations et promouvoir des environnements et des comportements individuels et collectifs favorables à la santé, tout au long de la vie.
Leurs missions, qui sont régaliennes, concernent la sécurité sanitaire des eaux, la lutte contre l'habitat insalubre, la lutte anti-vectorielle, qui deviendra un sujet majeur dans les prochaines années puisque nous avons de plus en plus de vecteurs sur le territoire métropolitain. Ces missions sont fondamentales. Si la qualité microbiologique, bactériologique des eaux s'est considérablement améliorée ces dernières années, la présence croissante de substances chimiques ou de leurs produits de dégradation nécessite de poursuivre le contrôle sanitaire et les investigations, avec une technicité très importante.
De même, l'habitat insalubre est une des causes des inégalités de santé en France, contre lesquelles la DGS et moi-même luttons. Les inégalités de santé, sociales, géographiques et d'accès à l'information en santé sont des facteurs explicatifs de morbidité et de mortalité tout à fait significatifs en France. Ce constat est encore plus criant avec la Covid.
Enfin, avec les effets du changement climatique, l'emprise des espèces nuisibles, vecteurs de maladies, est de plus en plus forte. Cette extension des vecteurs sur le territoire métropolitain se déroule du Sud vers le Nord, de façon rapide.
Toutes ces compétences sont essentielles pour accompagner les collectivités locales. Les maires sont des interlocuteurs privilégiés des inquiétudes des populations, des associations. Ces compétences doivent aider les collectivités à s'approprier les enjeux de santé-environnement et à bâtir, de manière coordonnée avec les ARS, des programmes d'action au plus proche des territoires et des populations les plus vulnérables, qui tiennent compte des spécificités de ces territoires. Des difficultés liées à l'histoire ou à la géographie font que ces problèmes de santé-environnement sont différents. Il faut donc être compétent, capable d'être au plus près du terrain et des élus. De plus, ce sont souvent les populations les plus vulnérables qui sont les plus exposées aux difficultés environnementales, en raison de l'habitat, de la proximité d'une zone à haut risque. Cette situation peut et doit donc s'affiner avec un dialogue permanent entre l'ARS, ses délégations territoriales et l'ensemble des élus des territoires.
Le troisième point concerne deux grandes agences d'expertise, sous tutelle du ministère de la Santé, l'Anses et Santé publique France pour l'évaluation des risques sanitaires liés à notre environnement, à notre alimentation, et plus globalement, pour la surveillance de la santé des populations, la veille et la recherche. Je vous recommande également Geodes, un site d'accès grand public qui permet, à un échelon territorial, de connaître les pathologies. Vous pouvez regarder le nombre de cancers du poumon, de cas Covid, les pathologies multiples chroniques.
Il est très important d'aller vers la transparence. Les associations, la population générale et les élus doivent connaître les spécificités de santé de leur territoire, afin d'alerter ou de rassurer, sur le fait, par exemple, qu'il n'y a pas plus de cas de cancers du sein, du poumon ou de la thyroïde chez les hommes et les femmes de leur territoire. J'ai cette volonté que tout soit transparent, que les acteurs s'emparent des questions de santé à l'échelle des territoires et que les populations aient accès à cette information. C'est important pour « embarquer » les populations dans des enjeux d'aménagement de leur environnement et de changement de comportements, car elles ont besoin de savoir exactement quel est leur état de santé. L'Anses et Santé publique France ont un rôle de veille, mais surtout un rôle de partage de l'information pour susciter des efforts de recherche de la part des acteurs académiques ou « du terrain ».
Ces deux grandes agences sont reconnues au niveau européen et international pour leurs compétences et leur organisation. Elles possèdent aussi un comité de déontologie et de prévention des conflits d'intérêts. Il est fondamental que les experts qui se positionnent soient dénués de conflits d'intérêts, compte tenu de l'ensemble des controverses qui sont suscitées à la fois par la complexité des sujets et par les incertitudes multiples dans le champ de la santé environnementale.
Par ailleurs, Santé publique France dispose d'une représentation territoriale, la cellule d'intervention en région (Cire), qui est un atout majeur dans la gestion des situations locales, en appui des ARS. Ces cellules investiguent sur le terrain, par exemple les clusters de cas de cancers pédiatriques. Les agénésies transverses des membres supérieurs en ont bénéficié. Les Cire interviennent également dans les investigations des nombreux sites et sols pollués par des activités industrielles anciennes ou des activités minières, qui sont arrêtées depuis des décennies, mais dont nous gardons malheureusement l'empreinte géographique et territoriale. Elles analysent les conséquences sanitaires pour la population qui vit à proximité.
Nous avons aussi la chance d'avoir un Haut conseil de la santé publique (HCSP), qui montre tous les jours, y compris les week-ends, sa puissance d'action et de réaction face à la crise de la Covid-19. Je crois l'avoir déjà saisi près de cent fois sur des sujets techniques cette année. Le Haut conseil joue un rôle essentiel dans l'analyse des risques évalués par les agences d'expertise. Il apporte aussi des recommandations de gestion sur lesquelles reposent nos décisions, ainsi qu'un appui pour l'orientation et l'évaluation des politiques publiques. En santé-environnement, l'expertise repose sur la commission risques liés à l'environnement. Tous les travaux et avis spécialisés du Haut conseil sont en ligne pour l'ensemble des acteurs et le grand public.
Je n'oublie pas d'autres agences ou autorités indépendantes, qui jouent un rôle majeur en appui à la politique en santé-environnement. La Haute autorité de santé (HAS) s'est beaucoup positionnée sur des enjeux environnementaux, l'Institut national du cancer, qui est en train de rédiger sa stratégie décennale, est très attentif au rôle de l'environnement dans l'évolution des cancers. Étudier, dans les dix prochaines années, les liens entre l'exposome et la survenue de cancers, chez les enfants, les femmes, mais aussi dans la survenue de cancers rares, sera probablement une priorité de l'Institut. Les expositions environnementales peuvent donner des cancers particuliers. La recherche actuelle porte sur les cancers du cerveau, des cancers survenus in utero ou des cancers liés à une exposition à des perturbateurs endocriniens. L'Institut est très mobilisé sur ces sujets, ce qui est aussi le cas d'acteurs opérateurs spécifiques que sont l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) ou l'Institut de Radioprotection et de Sûreté nucléaire (IRSN). Sur notre territoire, nous avons beaucoup de sites naturellement ou industriellement contaminés. Il est très important d'avoir accès à ces informations et à ces expertises.
Enfin, il faut de la coordination. Tous les mercredis matin, je préside une réunion mise en place en 1997 par Bernard Kouchner lorsqu'il était ministre. Elle réunit tous les acteurs de la sécurité sanitaire en France, toutes les agences que j'ai citées, ainsi que les directions de l'administration centrale telles que la direction générale de la prévention des risques (DGPR), la direction générale de l'alimentation (DGAL), la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC). L'idée est que tous ces acteurs reçoivent la même information au même moment pour avoir une coopération et une richesse d'expertise sur des sujets qui peuvent être extrêmement complexes. Cette réunion doit nous permettre d'œuvrer efficacement, de façon collégiale, pour protéger la santé des populations. Elle est l'occasion de faire le point sur tous les sujets. Les urgences peuvent être traitées à un autre moment et plus rapidement. Nous avons ainsi un partage efficace de l'information.
Je voudrais également souligner le dynamisme des parties prenantes. Nous avons la chance d'avoir en France de nombreuses associations de défense des consommateurs ou de l'environnement, très structurées et très bien informées. Nous avons des organisations professionnelles, des acteurs économiques, des personnalités qualifiées. Je voudrais citer un exemple de réussite française, l'étiquetage nutritionnel Nutriscore, qui nous est envié à l'extérieur et qui rencontre un très vif succès chez les consommateurs. Il s'agit d'un très bon exemple de l'adhésion possible de l'ensemble des parties prenantes.
Le Nutriscore est parti d'une expertise française liée à une recherche. Cette création progressive a entraîné l'adhésion de Santé publique France, des acteurs de l'industrie et du grand public, a beaucoup intéressé l'OMS et d'autres pays proches de nous. Ils considèrent que participe de l'éducation sanitaire des Français, la démarche de savoir ce qu'ils mangent et s'ils sont face à un produit de bonne qualité nutritionnelle ou pas, grâce à cette simplicité du Nutriscore, basé sur des codes couleurs. Même un enfant peut comprendre qu'il vaut mieux utiliser un code couleur vert qu'un code couleur rouge. On sait d'ailleurs que les enfants interviennent dans le choix des produits en ayant parfaitement compris ce que voulait dire le Nutriscore. Nous avons donc un effet pédagogique, mais aussi un effet positif concurrentiel. Les industriels préfèrent avoir un Nutriscore de bonne qualité qu'un Nutriscore dégradé. Ils font donc des efforts dans la présentation de leurs produits. Nous sommes dans un cercle vertueux de l'adhésion des parties prenantes.
S'agissant de la santé-environnement, toutes ces parties prenantes avec lesquelles nous échangeons régulièrement sont réunies au sein du groupe santé-environnement (GSE), que vous présidez, Mme la présidente. Je connais leur attachement et le vôtre à contribuer à l'élaboration et à l'évolution des politiques en santé-environnement.
La récente convention citoyenne sur le climat doit aussi conduire à nous interroger sur l'organisation du débat public autour des sujets de santé-environnement, débat auquel je suis très attaché, ainsi que sur la possible évolution de la gouvernance du plan national santé-environnement, en lien notamment avec le Conseil économique, social et environnemental (CESE).
En revanche, des évolutions sont possibles en raison des points faibles, voire des difficultés. Le premier enjeu concerne la partie interministérielle. J'ai évoqué la présence d'un vivier de compétences en santé-environnement au sein du ministère de la Santé, une grande force pour assumer les fonctions régaliennes de sécurité sanitaire et dans les champs de compétences de la DGS, la promotion de la santé, l'éducation en santé, mais aussi la prévention. Pour les jeunes générations, nous devons construire un environnement favorable à la santé, tous ensemble et avec elles, dans une approche positive plutôt qu'une approche qui ne ferait qu'alerter sur les risques.
Les leviers d'action sont nombreux, dans les transports, où nous constatons depuis quelques mois l'explosion de l'utilisation du vélo, l'aménagement des territoires, enjeu fondamental pour les élus de proximité, l'agriculture, l'enseignement, la formation. Les jeunes générations d'agriculteurs demandent à être impliquées dans les environnements favorables à la santé et à leur santé, puisqu'ils sont directement exposés. Ces points relèvent de compétences de nombreux ministères, beaucoup plus largement que de celui de la Santé. Le comité interministériel pour la santé (CIS), présidé par le Premier ministre, a justement pour vocation d'impulser la santé dans toutes les politiques publiques.
Pour ces raisons, il était prévu de présenter les mesures phares du plan national santé-environnement 4 (PNSE 4) lors du comité interministériel pour la santé, programmé mi-mars 2020. Malheureusement, la Covid est venue bouleverser l'agenda du Gouvernement, cette présentation étant prévue juste après l'instauration du premier confinement, particulièrement strict. Il n'était donc pas possible de tenir cette réunion, mais ces sujets restent d'actualité. J'imagine que le Premier ministre voudra réunir cette instance dès lors que la situation se sera améliorée.
S'agissant de la santé-environnement et de l'élaboration du PNSE 4, je me réjouis de la forte présence des autres ministères. Je pense cependant toujours que nous pouvons faire mieux, notamment en décloisonnant, puisqu'il s'agit d'un enjeu transversal à l'ensemble des actions publiques. Nous devons éviter les « silos » pour que l'approche soit la plus intégrée possible et que toutes les démarches, toutes les politiques respectives et respectables, soient coordonnées. C'est une réalité au niveau national, mais aussi dans les régions et dans les territoires. Le développement en cours du principe « une seule santé », initié dans le projet de PNSE 4, ira vers un décloisonnement de ces politiques, qui est attendu par nos concitoyens. Dans la mise en œuvre du suivi du PNSE 4, une évolution en ce sens serait à envisager.
Par ailleurs, la DGS met régulièrement des outils techniques à disposition des ARS. Nous transmettons des instructions sur la recherche de métabolites de pesticides dans l'eau, sur le radon dans les habitations, en particulier dans les zones les plus touchées. Nous avons besoin d'accompagner les agences dans la déclinaison de dispositifs réglementaires souvent très techniques. Je tiens toutefois à rappeler qu'elles sont autonomes. La responsabilité d'utiliser les outils que nous leur fournissons leur incombe.
Dans un domaine où nous avons une expertise de haut niveau et des enjeux complexes, nous aurions à gagner à mutualiser les compétences. J'y suis attentif, car ce serait mentir que d'affirmer que toutes les compétences sont partout, ce qui n'est pas techniquement réalisable. En revanche, avec les élus et les organisations, nous pourrions mutualiser des outils et des compétences entre ARS. Par exemple, si un expert des perturbateurs endocriniens se trouve en Occitanie et peut aider à expertiser une situation très pointue en Nouvelle-Aquitaine, je ne vois pas pourquoi nous nous en priverions, d'autant que l'expertise en région est souvent très riche. De même, lors de nombreuses investigations de terrain, certaines ARS ont mis en place des dispositifs d'information de la population et de mobilisation d'une expertise. Ils pourraient être judicieusement partagés avec d'autres territoires si l'expérience a été une réussite pouvant servir à d'autres problématiques proches.
Cette mutualisation est un enjeu majeur pour les prochaines années parce que nous devons améliorer notre capacité à réagir vite, efficacement et de manière homogène entre territoires. Or, actuellement, tous ne sont pas dotés des mêmes expertises, certains étant plus isolés ou faisant face à des difficultés spécifiques.
La culture de la santé-environnement dans les territoires me semble devoir être consolidée par des moyens de sensibilisation et de formation. Le PNSE le prévoit, notamment pour la formation des élus et des agents des collectivités locales. Cette tâche est difficile au regard du nombre important d'acteurs impliqués, souvent avec de petits moyens, et de la diversité du sujet. Il existe toutefois de très nombreux sites officiels d'information institutionnelle, sur des sujets majeurs tels que l'amiante, le radon, la qualité de l'eau de consommation, la chlordécone aux Antilles.
Dans le cadre du PNSE et de la stratégie nationale sur les perturbateurs endocriniens, nous avons récemment créé un site, porté par Santé publique France et l'Anses, consacré aux bons gestes quotidiens au cours des 1 000 premiers jours de l'enfant. Il s'agit d'un site grand public, qui donne des conseils adaptés, de la grossesse jusqu'aux deux ans de l'enfant. Cette période est la plus à risque d'exposition environnementale, d'accidents de santé. Ce type de site mériterait davantage de publicité auprès des élus et associations pour qu'ils participent aussi à modifier l'environnement.
Nous avons également utilisé un site de co-construction pour les maladies à tiques et le signalement de l'ambroisie. Le grand public participe à l'enrichissement de l'information en signalant par exemple qu'une commune est touchée par l'ambroisie ou des problèmes de vecteurs. Nous pouvons ainsi diffuser des messages de prévention validés et les bons gestes à adopter, ce qui permet de partager une information de qualité et de lutter contre la désinformation.
Nous pouvons également améliorer la mesure de l'efficacité des politiques, en santé-environnement et sur l'économie de la santé. L'évaluation du coût sanitaire et social de certains facteurs environnementaux existe déjà, notamment en ce qui concerne l'impact de l'air. La pollution de l'air est une cause très méconnue de morbi-mortalité. Je crois que les Français ne sauraient pas répondre à la question de l'impact de la pollution de l'air sur la santé alors qu'il est majeur. L'information est également disponible sur les perturbateurs endocriniens ou l'ambroisie. En revanche, l'impact d'une politique en santé-environnement sur le changement des comportements est rarement mesuré, ni même les économies potentielles de santé. Nous pointons toujours les risques, alors que les avantages sont réels. Déclarer qu'une politique en santé-environnement peut faire économiser des consultations et des dépenses de santé beaucoup plus lourdes lorsqu'il s'agit de cancer est une approche que nous n'avons pas.
Pourtant, nos voisins anglo-saxons peuvent démontrer qu'une politique efficace permet d'économiser des dépenses majeures dans les deux, cinq ou dix ans. Notre approche budgétaire annuelle freine les enjeux de santé publique parce que souvent, en santé, le retour sur investissement n'apparaît pas immédiatement. Je pense préférable de favoriser un investissement à moyen et long terme. Les pays scandinaves ont par exemple obtenu un pacte national sur ces enjeux. Ils acceptent qu'un investissement en santé ou qui favorise les bons comportements entraîne une diminution de 10 %, 20 % ou 30 % des cancers hormono-dépendants ou liés à une pollution à un horizon de dix, quinze ou vingt ans.
Ces données seront d'autant plus utiles demain pour justifier l'intérêt du financement en santé-environnement et mobiliser les politiques autres que la santé. La modification des transports implique des financements considérables, qui engendreront des retours sur investissement plus tard, grâce au passage de transports polluants vers des transports non polluants. De même, dans la lutte contre le réchauffement climatique, nous savons que nos villes doivent complètement changer. La végétalisation des voiries, des toitures est probablement une solution pour lutter contre les îlots de chaleur. Or, il s'agit d'aménagements extrêmement lourds financièrement, de dizaines de milliards d'euros, mais dont le retour sur investissement sera considérable. Nous aurons beaucoup moins de morbi-mortalité à la suite des canicules, qui ne manqueront pas de se succéder.
Le financement et l'évaluation médico-économique de l'action me paraissent donc fondamentaux, d'autant que les recherches interventionnelles interdisciplinaires sont nombreuses. J'appelle de mes vœux des recherches décloisonnées, faisant appel à toute l'expertise française. En France, nous avons la chance d'avoir trois alliances extrêmement riches : l'Alliance nationale pour les sciences de la vie et de la santé (Aviesan), qui réunit le CNRS, l'Inserm, le CEA ou l'Institut Pasteur ; l'Alliance nationale de recherche pour l'environnement (AllEnvi), totalement dédiée aux sciences de l'environnement et des milieux ; l'alliance Athéna, pour les sciences sociales et humaines, qui réunit des sociologues, des psychologues et des spécialistes des comportements. Ces derniers peuvent nous aider à comprendre pourquoi nos concitoyens adoptent ou non certains comportements.
La communication est également un défi à relever. Je suis un fervent partisan de la transparence et de la pédagogie. Je suis persuadé que nos concitoyens sont parfaitement matures dès lors qu'ils sont informés. Ils l'ont démontré à plusieurs reprises. J'ai présidé un « colloque du futur » aux Antilles, sur la chlordécone. Il était présenté comme un véritable défi, avec des menaces sur l'ordre public et une inquiétude quant à de possibles manifestations. Finalement, il s'est très bien déroulé, malgré de fortes tensions initiales parce que les populations en veulent à leurs élus et au préfet. Plus le débat s'est poursuivi, plus la discussion s'est révélée riche et positive.
Nous devons sortir du débat très ancien entre scientifiques et décideurs. Deux grands acteurs s'y sont ajoutés, la population et les médias. Cette ouverture nous oblige à adopter un discours différent, beaucoup plus ouvert et tolérant, qui ne reste pas technocratique ou scientifique. Nous devons être prêts à entendre la controverse, les questions d'une maman angoissée ou d'un papa énervé. Je suis persuadé que ce modèle est celui de demain.
Pour l'avoir vécu avec des parents d'enfants victimes de cancers pédiatriques, ce qui nécessite beaucoup de psychologie et d'empathie, mais aussi pour avoir suivi les quelques familles concernées par les agénésies transverses du membre supérieur, tous m'ont remercié de l'écoute et de la communication, car ils ne souhaitent pas aller jusqu'au contentieux. Ces familles veulent comprendre ce qui s'est passé, que l'on montre que nous avons compris le signal et que nous l'étudions.
Très souvent, les situations s'enveniment et deviennent polémiques, parce que les collectivités locales, le préfet ou l'ARS n'ont pas réussi à mettre en place une instance de débat et de communication auprès des administrés. Quand le maire instaure ce débat, que les experts se déplacent, que l'ARS écoute, le sujet devient plus apaisé.
Cet enjeu de soutien rapide de l'ARS est essentiel dans des territoires qui ont des problèmes spécifiques, notamment ceux contaminés par des sites industriels ou miniers. Il est primordial de compter aussi sur la mobilisation de l'Anses ou de Santé publique France pour élucider les liens éventuels entre l'environnement et la santé, en associant très tôt les organismes de recherche et en aidant les élus à mettre en place des messages de prévention adaptés, malgré les incertitudes. Il faut éviter de laisser la défiance s'installer, sans réponse et sans écoute. Il faut chercher le consensus des différents acteurs de recherche, du Haut conseil de santé publique ou de la Haute autorité de santé, que nous avions mobilisés sur des expertises en toxicologie, avec des sociétés savantes.
La santé-environnement est l'affaire de tous. Chacun peut agir à son niveau pour un environnement favorable à la santé. Il suffit de peu pour améliorer très nettement cet environnement. C'est pour cette raison que nous avons souhaité que le PNSE 4 soit un plan opérationnel, accessible et utile aux citoyens, élus, professionnels de santé, chercheurs.
Les attentes citoyennes sont au cœur du plan, notamment les inquiétudes telles que les nuisances sonores. La DGS est mobilisée sur le bruit de voisinage, notamment l'utilisation de sons amplifiés. Le plan reprend les inquiétudes autour de la 5G, des nanos, de l'augmentation des nuisibles tels que les moustiques ou les punaises de lit, de la qualité de l'air intérieur, en particulier dans les établissements sensibles qui accueillent les tout-petits. Nous devons aussi mener d'importants travaux avec les enceintes ferroviaires. Vous aurez noté ceux qui ont été lancés sur les transports en commun souterrains. Nous nous concentrons également sur l'utilisation des produits chimiques dans la vie quotidienne, dont les biocides et les désinfectants.
En outre, les jeunes sont une population à protéger, à motiver et à impliquer puisqu'ils seront les élus de demain. Ils sont concernés par différentes actions comme celles du service national universel, qui comprend des modules « environnement », le service civique, qui aide souvent dans des actions de protection de l'environnement, et le service sanitaire des étudiants en santé. Avec ce dernier, notre objectif est de transmettre des messages sur la santé environnementale puisque, dans leur formation initiale et continue, nos professionnels de santé ne reçoivent pas forcément d'informations sur l'impact de l'environnement sur la santé.
Des enjeux territoriaux sont portés par des élus et font aussi partie des actions du plan, notamment la problématique des sites et sols pollués. Des outils simples d'utilisation permettent de connaître la qualité de l'environnement à proximité de chez soi. Il s'agit d'une forte demande. Si vous déménagez, que vous achetez une maison ou que vous vous installez dans une commune, vous avez envie de connaître les problématiques de santé, de savoir s'il y a des sources de pollution, quelle est la qualité de l'air à proximité. Les familles veulent être informées des enjeux spécifiques de pollution de l'air, de l'eau ou du terrain pour adopter rapidement les bons gestes quotidiens. Nous avons d'ailleurs noté, pour certains sites et sols pollués très connus du territoire national, un enjeu de transmission d'informations. Les familles qui y sont installées depuis de nombreuses générations connaissent parfaitement les sites et comment se comporter, alors que ceux qui arrivent n'ont pas connaissance des bonnes pratiques et des gestes à respecter pour ne pas mettre en danger leur santé.
En tant qu'universitaire, je constate qu'un autre enjeu majeur porte sur la recherche. Les chercheurs se verront allouer des moyens plus conséquents. Vous débattez aussi en ce moment de la loi de programmation pluriannuelle pour la recherche. Nous avons convaincu le ministère de la Recherche de consacrer beaucoup d'efforts de recherche aux liens complexes entre notre santé et des expositions multiples, itératives, chroniques à des facteurs exogènes, mais aussi à caractériser l'exposome. Nous avons énormément de progrès à faire et d'innovations à apporter. La France peut être l'un des pays les plus engagés dans ce domaine. Les Français sont tout à fait prêts à participer de manière proactive à ce type de recherche, en étant même impliqués dans des suivis de longue durée.
Cette caractérisation de l'exposition à un niveau individuel peut encore beaucoup progresser. Nous avons probablement des innovations majeures à mettre en place pour caractériser l'exposition chronique d'une femme enceinte ou d'un enfant. L'exposition collective à des produits chimiques, des pesticides à l'échelle d'une commune, d'un canton ou d'un département est un sujet intéressant pour les industriels comme pour le développement de nouvelles technologies. Les enjeux sont d'ordre intellectuel et scientifique, mais nous pourrions aussi avancer vers de la recherche et développement, voire des brevets.