Ce sont des questions à la fois techniques et immenses. Les zoonoses sont une préoccupation majeure. Dans les émergences qui ne manqueront pas de se succéder, il s'agit d'un enjeu majeur pour les prochaines décennies. Deux tiers des émergences seront probablement des zoonoses.
Elles sont nées de l'interface entre la faune, la flore et l'homme. Nous sommes de plus en plus confrontés au milieu sauvage, que nous démolissons en traversant une forêt ancienne. La promiscuité entre l'homme et l'animal peut être intense dans certaines zones, avec une étroite surveillance. Cela peut être le cas en Asie, mais aussi en France, où une région comme la Bretagne fait l'objet de plans de surveillance particuliers, en raison de la présence de nombreux élevages intensifs auprès des populations humaines.
Ce point est emblématique de l'approche One Health. Pour travailler correctement, il faut associer les agronomes et les vétérinaires. Ce fonctionnement ne fait pas du tout partie de l'ADN des professionnels de santé. Je suis conscient que le fait qu'un médecin parle à un vétérinaire n'est pas une pratique classique, mais elle est fondamentale. Les vétérinaires et les agronomes sont d'excellents professionnels, et ils ont des connaissances que n'ont pas les professionnels en santé humaine. Le fait de décloisonner et d'échanger sur les connaissances est essentiel. Si la présidente nous soutient dans le PNSE, nous souhaitons promouvoir cette approche intégrant la recherche, l'environnement, le champ agricole et la connaissance de la faune sauvage, car celle-ci a un impact considérable sur la santé humaine.
Vous noterez d'ailleurs que s'agissant de la Covid, nous n'avons toujours pas compris d'où venait le virus. Nous savons que le réservoir initial est très probablement celui de la chauve-souris. On a retrouvé un virus très proche sur cet animal, voilà plusieurs années. En revanche, le virus ne se transmet pas directement de la chauve-souris à l'homme. Il manque donc un maillon que personne n'a réussi à démontrer.
La surveillance des élevages est très stricte en France. Nous travaillons en étroite collaboration avec la direction générale de l'alimentation (DGAL). Vous avez totalement raison quant aux animaux de compagnie : nous sommes face à un vide complet. Les Français adorent leurs animaux de compagnie. Vous pensez peut-être aux chats et aux chiens, mais je pense aussi à des animaux moins classiques tels que les nouveaux animaux de compagnie, qui introduisent beaucoup de pathogènes.
Nous sommes dans un enjeu de milieu familial très proche, puisque les gens ont souvent ces animaux dans leur salon, leur chambre à coucher ou leur cuisine. Là encore, il y a probablement de l'éducation à la santé à faire sur les risques de contaminer son animal de compagnie ou d'être contaminé par lui. Les deux existent. Cela a été démontré avec des pathogènes très classiques, que ce soit le staphylocoque ou la Covid, que l'on peut transmettre et récupérer de son chat.
De nombreux travaux sont en cours sur la Covid pour en tirer toutes les leçons. Il y a plusieurs missions de l'inspection générale interministérielle du secteur social (IGAS), deux commissions d'enquête portées par les parlementaires, une commission indépendante confiée par le Président de la République au docteur Didier Pittet, un expert suisse, pour avoir une approche internationale. Je propose qu'une fois que nous aurons toutes les conclusions de ces commissions d'enquête, de ces retours d'expérience ministériels, interministériels, de terrain, nous en tirions toutes les leçons pour le PNSE. Il s'agit d'une approche de santé environnementale que de se dire qu'un virus peut émerger, paralyser le monde entier, alors qu'il est probablement d'origine animale et que personne ne l'a détecté à temps et n'a démontré qu'il pouvait être à très fort risque pathogène pour l'homme.
Vous avez cité la maladie de Lyme, qui est mon sujet de recherche. Elle est très emblématique d'une approche de type zoonose. Elle concerne les accès aux tiques, qui ne se trouvent pas en pleine forêt, mais dans votre jardin, au plus proche de votre perron. Les gens les ramènent soit sur eux-mêmes, soit sur leurs animaux de compagnie. La recherche de tiques, qui est maintenant systématique dans les pays scandinaves, n'est pas du tout une habitude française. Quand les Suédois partent en pique-nique, l'activité au retour consiste à regarder si les enfants ou les compagnons ramènent des tiques. Il s'agit d'une démarche totalement culturelle, parfaitement intégrée après une promenade en forêt, ce qui n'est pas encore le cas des Français.
Dans le partage des traditions, les agriculteurs qui connaissent très bien les tiques et les générations qui y ont été exposées savent qu'il faut mettre des bottes, les pantalons dans les bottes, des chemises longues ou blanches. C'est ainsi que l'on évite les tiques. Or, aujourd'hui, les urbains en particulier vont pique-niquer en tongs et en shorts, ce qui les expose aux tiques et à la maladie de Lyme.
Tout cela fait partie de la prévention, de l'éducation et de la recherche. Nous avons monté de nombreux programmes de recherche avec l'école vétérinaire de Maisons-Alfort, des analyses sur les tiques, sur les chiens, sur les tiques des bovins et des équins. Ce n'est que par une approche globale de formation interdisciplinaire, de surveillance renforcée de la faune sauvage et des liens avec la santé humaine, d'un usage raisonné des biocides et des désinfectants, que nous limiterons les impacts de la faune et de la flore sur l'environnement et la santé humaine. Nous devons très nettement renforcer les recherches sur les émergences puisque les zoonoses vont nous menacer, dans les prochaines années, de façon encore plus importante, avec le réchauffement climatique, la démographie galopante et ces contacts de plus en plus étroits entre la faune sauvage et l'homme.