Mme La Présidente, Mme la rapporteure, MM. et Mmes les Députés, je vous remercie de cette invitation pour vous exposer les réflexions sur mon travail de toxicologue. Je vous remercie aussi pour cette introduction. Je dirige actuellement une équipe en toxicologie qui travaille sur les liens entre les expositions aux polluants et l'incidence sur les cancers. Nous développons à la fois des approches sur les modèles cellulaires animaux, mais aussi en épidémiologie moléculaire sur les cohortes d'agriculteurs. Cela fait seize ans que j'exerce ce métier et je souhaitais également déclarer que je n'avais aucun conflit d'intérêts.
Je vais commencer mon exposé sur les liens cancer/environnement par une injonction d'Horace et d'Emmanuel Kant : « Sapere aude » qui signifie « Ose savoir ». Il est souvent dit que les politiques ont parfois du mal à tout saisir dans leur dialogue avec les scientifiques. Je vais donc essayer d'être la plus claire possible. Le fait de m'avoir conviée à cette audition signifie que vous êtes dans la disposition d'oser savoir et d'oser connaître. Je vous en remercie.
Tout d'abord, je vais commencer par des bases qui me semblent essentielles, c'est-à-dire vous rappeler les missions de la santé publique. Elles sont peut-être déjà claires pour vous, mais il me paraît essentiel de partir de cette base. La santé publique est la science et l'art de prévenir les maladies, de prolonger la vie, de promouvoir la santé et les capacités physiques à travers les efforts coordonnés de la communauté pour l'assainissement de l'environnement, l'objet final étant de permettre à chaque individu de jouir de son droit inné à la santé et à la longévité. Cette définition vient de Charles-Edouard Winslow et date de 1920. Après un siècle, je pense que nous devons garder cette définition réellement en perspective tout au long de notre entretien et des auditions que vous avez pu conduire.
Mon métier, en tant que toxicologue et biologiste, s'intègre essentiellement dans la mission de santé publique. Mon travail est de définir si certains polluants chimiques sont cancérogènes et quels sont les mécanismes qui peuvent être mobilisés. Une substance cancérogène favorise la cancérogenèse, c'est-à-dire la formation du cancer. Je travaille en cancérogenèse environnementale. Notre communauté fait face à des contraintes puisqu'il existe plus de 85 000 produits chimiques de synthèse qui sont d'ores et déjà commercialisés. Par ailleurs, 1 000 nouvelles molécules sortent tous les ans. À ce jour, nous estimons que nous ignorons la toxicité d'environ 80 % de ces molécules, en raison tout simplement du débit considérable. Il est extrêmement compliqué de traiter toutes ces informations et cela prend du temps.
La prédiction en toxicologie passe par des études scientifiques dites empiriques, c'est-à-dire que nous conduisons des expériences. Nous utilisons pour cela des modèles cellulaires, des modèles animaux et essayons, à partir des données biologiques obtenues dans des conditions contrôlées d'exposition, de concentration et avec un pouvoir statistique que nous pouvons contrôler, de déterminer, de prédire les effets chez l'être humain dans toute la complexité que cela peut représenter, si nous parvenons à mimer des expositions au niveau céphale dans les périodes infantiles, adolescentes, à l'âge adulte, chez les personnes âgées et également chez les hommes et femmes.
Les limites de la toxicologie résident dans le fait que nous ne pouvons pas expérimenter sur l'humain. Nous serons donc obligés de réaliser des extrapolations sur les modèles que nous utilisons afin de prédire pour l'humain. C'est une science purement biologique et expérimentale.
Que sait-on sur la santé environnementale ? Le sujet a été largement abordé dans l'ouvrage de Rachel Carson, Le printemps silencieux, qui est le premier ouvrage décrivant les liens entre la santé environnementale et l'exposition aux substances chimiques et en particulier les pesticides. Les liens entre perturbateurs endocriniens et cancer sont pour la première fois décrits dans les années soixante. Alors que dans les années soixante il existait déjà des données fortes sur le sujet, nous pouvons nous demander pourquoi des doutes ou des controverses persistent sur le fait qu'il y ait vraiment des causes environnementales au cancer.
Des historiens des sciences parviennent à l'expliquer. Par exemple, dans son ouvrage, Mathias Girel a identifié le fait que, dans les années soixante-dix, les recherches ont été massivement orientées vers la génétique, c'est-à-dire déterminer les causes génétiques du cancer. Ces orientations passent par des incitations intellectuelles, des effets de mode et tout ce qui nous incite à rechercher les causes génétiques du cancer, mais également par l'orientation financière.
Les chercheurs ont besoin d'argent et de nouvelles technologies. La recherche sur la génétique, au départ relativement modeste, a été ultraperformante. Les connaissances dans les années soixante-dix ont augmenté et ont orienté la compréhension de nombreuses maladies au travers du spectre de la génétique. En revanche, en creux, elles ont généré – c'est ce que décrit Mathias Girel – une création d'ignorance sur certains terrains, et notamment le terrain des liens entre cancer et environnement.
Ce retard entre facteurs exogènes pouvant conduire au cancer et facteurs endogènes génétiques est toujours présent. En d'autres termes, les programmes lancés actuellement sur l'exposome, pour parvenir à décrire ce que subit l'être humain tout au long de sa vie et qui peuvent expliquer la survenue de maladies chroniques, sont des choses positives, mais l'exposome aurait pu être une ambition portée dans les années soixante-dix. Cela n'a pas été le cas, ce que nous pouvons regretter.
Il faut également replacer cela dans un autre contexte historique, notamment l'essor des industries chimiques à cette époque. Cette recherche orientée vers les causes génétiques a arrangé de nombreux lobbies comme cela a été décrit, notamment pour l'industrie du tabac. La science se pratique donc dans des contextes plus globaux qui peuvent expliquer que nous disposions de savoirs à un moment donné et nous trouvions également face à des lacunes et des ignorances.
Je vais vous parler plus précisément de mes connaissances, notamment de la cancérogenèse environnementale et des premières données dont nous disposons. Tout d'abord, le premier cancer qui a été décrit au niveau professionnel est dû à une cause environnementale. Il s'agit du cancer du scrotum, décrit en 1775 par Percivall Pott. Ce cancer touchait les enfants ramoneurs en Angleterre. Nous avons pu identifier, plus tard, par des études de toxicologie que la présence d'hydrocarbures aromatiques polycycliques dans la suie était à l'origine de ces cancers.
Les mécanismes qui étaient impliqués ont alors été définis. Sur la double hélice d'ADN, la cellule jaune est un métabolite de l'hydrocarbures qui parvient à s'intercaler dans l'ADN. Ce mécanisme a été le premier mécanisme identifié comme prouvant une substance chimique cause d'un cancer. De même, le modèle génétique démontre que le composé modifie le gène – il est donc génotoxique – et cette modification de gènes entraîne le cancer. Il s'agit de la mutagenèse. La substance est ensuite classée cancérogène. Certains hydrocarbures sont classés cancérogènes de type 1 avec le mécanisme associé de la génotoxicité. Pourtant, tous les travaux que j'ai pu conduire en thèse à Rennes puis ultérieurement à Toulouse ou en collaboration à Paris ont pu démontrer que cet hydrocarbure pouvait également être cancérogène par de nombreux autres mécanismes.
Je vais donc vous décrire mon cœur de métier. Nous cherchons à savoir comment une substance peut causer le cancer. À gauche se trouve une photographie d'une cellule cancéreuse et à droite se trouve la roue présentant toutes les caractéristiques qui font qu'une cellule sera cancéreuse. Vous trouvez en bleu l'instabilité génomique, c'est-à-dire un cancer qui perturbe les gènes. Toutefois, une dizaine d'autres mécanismes sont également impliqués, tout aussi importants, et sont considérés en biologie du cancer comme étant des critères forts.
Au quotidien, nous réalisons des techniques de biologie cellulaire en temps réel pour tester des effets à faible dose de substances chimiques. Nous utilisons une technique qui filme les cellules en temps réel. Force est de constater que les cellules bougent et prolifèrent. Quand un composé induit un cancer, il favorise cette prolifération ou induit de la résistance à la mort. Il s'agit de cellules de foie qui sont exposées à des hydrocarbures. En réalité, nous étudions tous ces phénomènes, ces choses vivantes, en utilisant les meilleures technologies disponibles, c'est-à-dire des technologies sensibles en temps réel qui exigent des équipements assez chers et de l'investissement, mais qui permettent de faire face au défi actuel de la toxicologie, dans le sens où nous devons travailler sur des faibles doses, tester « l'effet cocktail », tester l'effet perturbateur endocrinien et tester l'effet chronique. Tout cela nécessite du temps.
Nous travaillons pour savoir comment une cellule cancéreuse va être capable de pousser, donc de survivre sans qu'elle ne soit accrochée à n'importe quel tissu. Elles peuvent acquérir cette caractéristique lorsqu'elles sont exposées pendant plusieurs semaines à des pesticides. À droite se trouve une image focale à fluorescence qui permet d'observer en bleu l'ADN et en vert le réseau mitochondrial. J'approfondis les mécanismes afin de vous montrer la finesse de ces approches. Nous observerons alors comment la mitochondrie, qui est une usine énergétique cellulaire, est modifiée. Nous voyons leur activité perturbée par des substances chimiques, ce qui permet de mener des études assez fines.
Ces images sont réalisées par les deux doctorantes actuelles qui travaillent sur la capacité des cellules. À gauche se trouvent des cellules coliques qui sont bien attachées toutes ensemble et qui communiquent bien. En rouge, nous voyons comme une toile de tente avec des piquets et des arceaux. Les cellules sont alors bien à leur place. Lorsqu'elles sont exposées pendant trois semaines à certains pesticides, les cellules se désolidarisent comme si elles enlevaient les piquets des tentes. Elles changent complètement de formes. En fait, elles vont bouger et migrer. Ces phénomènes sont associés dans le cancer à des métastases. Tous ces éléments sont des paramètres que nous mesurons et qui présentent le défaut de ne pas être au débit, c'est-à-dire qu'il faut prendre énormément de photographies, compter les cellules et les observer. Ce sont des choses difficilement standardisables, mais qui apportent des éléments forts sur les mécanismes de cancérogenèse.
Je vais maintenant aborder la problématique qui me concerne, à savoir les pesticides inhibiteurs du succinate déshydrogénase, dits SDHI, qui, lorsque nous les avons découverts, sont synthétisés et vendus pour leur propriété de bloquer cet enzyme qui se situe dans les mitochondries. Ils sont dessinés pour bloquer le métabolisme énergétique et sont des fongicides. Au départ, ce sont des champignons, mais nous retrouvons cette fonction universelle dans toutes les cellules. Lorsque cet enzyme mitochondrial est bloqué dans les cellules humaines, nous savons que cela agit sur la reprogrammation métabolique – le métabolisme génétique va donc être modifié –, mais également sur des modifications épigénétiques. Il ne s'agit pas ici des modifications des séquences de l'ADN, mais de son repliement. En réalité, au lieu d'être dépliable avec une séquence non modifiée, l'exposition aux SDHI surenroule l'ADN et ne permet pas aux protéines d'être exprimées.
Ces paramètres peuvent être responsables des cancers, mais également de neuropathies ou d'altérations du développement. Ils sont donc impliqués dans énormément de processus. Lorsque nous avons été surpris de constater que des substances vendues pour bloquer le succinate déshydrogénase avaient été autorisées, nous nous sommes aperçus que ces critères de reprogrammation métabolique ou de modification épigénétique n'étaient pas pris en compte dans la réglementation. J'ai donc commencé à passer de la chercheuse qui fait des études et qui prend des photographies en imagerie à la question de savoir pourquoi cette recherche fondamentale ne conduisait pas à nous protéger d'une exposition à des substances qui, d'après nos hypothèses scientifiques, peuvent représenter des dangers réels.
Afin de vous expliquer le fossé qui peut exister, je vais comparer les différentes façons qu'ont les scientifiques et certaines agences de classer les substances cancérogènes. Tout d'abord, je vous propose d'aborder le procédé du CIRC (Centre international de la recherche sur le cancer), qui est sous l'égide de l'OMS. Cette agence n'est pas réglementaire et ne régule pas les substances. En revanche, elle a pour mission de santé publique d'identifier les substances cancérogènes et d'évaluer les causes environnementales des cancers humains. Sa méthode de travail est fondée sur l'analyse de la littérature scientifique pour évaluer le danger et le risque. Pour définir la différence, le danger est l'effet toxique que peut présenter une substance et le risque dépend du danger combiné à la probabilité d'être exposé.
Le CIRC classe les substances en fonction du niveau de preuve dont nous disposons dans la littérature scientifique. Il se base uniquement sur la littérature scientifique et les données que nous pouvons réinterpréter. Il a donc établi un classement :
– Groupe 1 : cancérogène pour l'humain ;
– Groupe 2A : probablement cancérogène pour l'humain ;
– Groupe 2B : cancérogène possible pour l'humain.
Ce n'est pas lorsqu'une molécule est classée cancérogène 2B qu'elle est moins cancérigène que le groupe 1. Cela signifie que le niveau de preuve n'est pas suffisant dans l'état actuel des connaissances pour permettre un tel classement.
À ce jour, certains pesticides sont classés groupe 1 comme l'arsenic, la dioxine, le lindane et le pentachlorophénol. Certains sont classés groupe 2A comme le glyphosate ou le DDT. À ce jour, le travail du CIRC n'est pas à la hauteur. Un nombre trop important de substances sont actives : sur 1 421 substances actives, 428 sont autorisées en Europe et seule une soixante de substances a été évaluée par le CIRC.
Nous allons désormais observer comment se situe la toxicologie environnementale par rapport à la toxicologie clinique, c'est-à-dire la toxicologie menée pour autoriser les médicaments. Lors de la mise sur le marché d'un médicament, ce dernier a été approuvé et le test toxicologique a été réalisé auparavant, c'est-à-dire que, d'une part, l'efficacité du médicament a été validée et, d'autre part, il a été évalué qu'il ne présentait pas d'effets secondaires. Une phase d'essai clinique, donc d'expérimentation humaine, est réalisée avant l'autorisation de mise sur le marché. Nous avons donc tout de même une idée de l'effet de la molécule sur l'être humain avant sa mise sur le marché.
En revanche, concernant la toxicologie environnementale, jusqu'en 1976, les substances étaient faiblement régulées. Plus de 62 000 molécules sont entrées directement sur le marché sans évaluation toxicologique au préalable. Pour les nouveaux produits qui souhaitent entrer dans le circuit, les industriels doivent produire un dossier pour faire une demande d'autorisation de mise sur le marché et ce dossier contient des tests toxicologiques qui sont exigés suivant des lignes directrices répondant à un certain nombre de critères. Nous parlons alors de tests toxicologiques normés.
Tout cela est pris en charge par des agences réglementaires que sont l'agence américaine EPA (United States Environmental Protection Agency), l'EFSA (Autorité européenne de sécurité des aliments European Food Safety Authorithy ) et, en France, l'Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail) délivre ces autorisations. Ces tests toxicologiques réalisés avant la mise sur le marché sont donc à la charge des industriels. Ils doivent réaliser eux-mêmes les expériences ou faire appel à des prestataires. Ensuite, lors de la mise sur le marché, l'exposition à ces substances est donc généralisée, contrairement aux médicaments qui sont donnés à des personnes en particulier selon des conditions précises. Dans le premier cas, nous ne maîtrisons plus du tout les niveaux d'exposition des substances autorisées.
J'interviens après, c'est-à-dire post-exposition, pour mener des études toxicologiques en tant que chercheur dans la recherche publique et pour mener des tests en recherche fondamentale. Ce sont donc des tests qui ne correspondent pas à ce qui est exigé avant l'autorisation de mise sur le marché. Nous réalisons des études beaucoup plus poussées avec un débit moins bon. Puis, nous agissons post-exposition, nous subissons donc toujours une certaine pression, puisque les gens sont exposés pendant que nous réalisons nos études. C'est un aspect qu'il faut gérer éthiquement parlant.
Finalement, ces études fondamentales, dont les résultats doivent prouver la toxicité, selon des tests sophistiqués, sont à la charge des pouvoirs publics, de fonctionnaires ou de l'État. Dans tous les cas, ce n'est pas à la charge des industriels.
Comment les agences réglementaires évaluent-elles et donnent-elles les autorisations de mise sur le marché ? Elles évaluent le risque en prenant en compte le danger et la probabilité d'être exposé et leur matériel est basé sur la littérature scientifique. Souvent, lorsque nous autorisons un nouveau produit, il y a peu de littérature scientifique. En revanche, énormément de données sont fournies par les industriels. L'accès à ces données et leur transparence ne sont toutefois pas aisés. Nous ne pouvons pas toujours avoir accès aux données brutes et vérifier que les études ont été conduites selon de bonnes dispositions. Il n'y a par ailleurs pas toutes ces étapes de reviewing qui est subie par la littérature scientifique, lors de la publication d'un article ou d'une étude de recherche.
Les critères mis en place pour le cancer répondent à des lignes directrices et des critères de cancérogénicité fixés par l'OCDE. Le critère CMR signifie cancérogène mutagène ou reprotoxique et répond à une batterie de tests à fournir. L'industriel doit donc démontrer que la substance qu'il souhaite autoriser n'est ni cancérogène, ni mutagène, ni reprotoxique. Pour la cancérogénicité, le test le plus mis en avant est la génotoxicité et tous les autres paramètres que je vous ai présentés ne sont pas présents.
La classification CMR est extrêmement importante puisqu'une fois la substance classée cancérogène, le produit ne peut pas être autorisé. S'il est déjà autorisé, il est interdit, retiré du marché ou abandonné. S'agissant de la cancérogénicité – j'entends beaucoup de débats sur les pesticides pour savoir s'ils sont cancérogènes ou non – la classification CMR est très importante, puisqu'elle est une forme de principe de précaution, c'est-à-dire qu'aucun seuil d'exposition à ces substances n'est toléré. Les hydrocarbures dont je vous ai parlé tout à l'heure sont classés CMR et la règle est de ne pas s'exposer à ces substances chimiques. Aucune dose n'est tolérée. Par exemple, si nous trouvons des hydrocarbures dans les couches et si elles sont CMR, nous ne devons plus être exposés à ces couches. Il s'agit d'un principe de précaution extrêmement fort.
Concernant les pesticides, les évaluations conduites à l'EFSA, ne prennent pas en compte un certain nombre de paramètres qui peuvent créer des controverses, à savoir l'évaluation de la cancérogénicité en présence des adjuvants, donc des formulations complètes, les effets perturbateurs endocriniens et faibles doses qui ne sont pas toujours correctement évalués, les « effets cocktail ». Les dossiers réglementaires sont constitués molécule après molécule. Nous autorisons donc les substances actives indépendamment et non en prenant en compte « l'effet cocktail » qui peut se retrouver lorsque nous traitons une pomme trente-six fois et qu'une dizaine de résidus sont retrouvés. Cet « effet cocktail » n'est pas du tout évalué.
Par ailleurs, les fenêtres d'exposition ne sont pas prises en compte de même que les effets à long terme, lorsque l'individu est exposé pendant la grossesse et la survenue de maladie comme les cancers trente ans plus tard. Parvenir à relier la survenue de maladies chroniques tardives à une exposition de la mère pendant la grossesse est très compliqué. Ces dossiers réglementaires ne sont pas du tout évalués, ce qui pose un certain nombre de problèmes.
Pour ma part, je me suis intéressée aux SDHI en observant la manière dont ils avaient été évalués dans les dossiers d'autorisation de mise sur le marché. En ce qui concerne la cancérogénicité, nous constatons que huit SDHI sur les douze autorisés sont capables d'induire chez les rongeurs des cancers de la thyroïde, du foie, du poumon, de l'utérus et des cancers ovariens. Pourtant, ces produits sont autorisés. En tant que toxicologue, lorsque je mène des études dans mon laboratoire et que j'obtiens des résultats positifs pour les tumeurs, je ne les classe pas non cancérogènes et je ne les autorise pas. Pour moi, ils sont classés cancérogènes.
En revanche, ils ne sont pas génotoxiques. Par conséquent, la réglementation autorise que les cancérogènes non génotoxiques soient mis sur le marché. La présence de ces tumeurs chez les rongeurs est justifiée par un argumentaire basé sur des mécanismes d'action qui peuvent être activés chez certains modèles de rongeurs et qui vont être jugés non pertinents pour l'humain. En d'autres termes, il est décidé qu'ils ne sont pas génotoxiques, qu'il y a des tumeurs, mais qu'ils peuvent être autorisés avec un seuil d'acceptabilité. Ceci est une façon de contourner la classification CMR et d'autoriser des cancérogènes. En tant que scientifique, ce sont des choses qui m'interpellent, c'est pourquoi mes collègues et moi y travaillons.
Afin de conclure sur ces aspects, de nombreux mécanismes de cancérogénicité et de toxicité ne sont pas pris en compte lors des autorisations de mise sur le marché. Certaines données de cancérogénicité chez les rongeurs peuvent être jugées non pertinentes pour l'humain. Ainsi, les cadres réglementaires ne répondent pas aux standards de la science. De plus, ces différences d'appréciation entre les scientifiques et les régulateurs du CIRC créent des divergences et des controverses dont vous avez pu entendre parler.
Je vais vous parler désormais de ce que nous savons sur les liens entre cancer et pesticides. Je pense que vous avez déjà effectué des auditions sur le sujet. Je vais vous apporter des éléments en épidémiologie. Il existe toutefois énormément de travaux sur le sujet. En outre, vous disposez peut-être déjà du rapport AGRICAN.