Commission d'enquête sur l'évaluation des politiques publiques de santé environnementale

Réunion du mercredi 25 novembre 2020 à 16h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • cancer
  • cancérogène
  • chimique
  • dose
  • exposition
  • substance
  • toxicologie
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La réunion

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L'audition débute à seize heures.

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Nous recevons Mme Laurence Huc, chercheuse en toxicologie à l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (INRAE). Vous avez réalisé votre thèse en toxicologie moléculaire et cellulaire à l'INSERM. Vous dirigez actuellement l'équipe de recherche contaminants et stress cellulaire de l'unité mixte de recherche de toxicologie alimentaire Toxalim de l'INRAE. Vos recherches portent plus particulièrement sur la connaissance des effets à long terme en santé humaine et animale de différents toxiques, en particulier les effets des expositions chroniques de contaminant à faible dose éventuellement sous forme de mélange et lors des phases critiques de développement des organismes néonatal ou périnatal.

(Mme Laurence Huc prête serment)

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Laurence Huc, chercheuse en toxicologie à l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (INRAE)

Mme La Présidente, Mme la rapporteure, MM. et Mmes les Députés, je vous remercie de cette invitation pour vous exposer les réflexions sur mon travail de toxicologue. Je vous remercie aussi pour cette introduction. Je dirige actuellement une équipe en toxicologie qui travaille sur les liens entre les expositions aux polluants et l'incidence sur les cancers. Nous développons à la fois des approches sur les modèles cellulaires animaux, mais aussi en épidémiologie moléculaire sur les cohortes d'agriculteurs. Cela fait seize ans que j'exerce ce métier et je souhaitais également déclarer que je n'avais aucun conflit d'intérêts.

Je vais commencer mon exposé sur les liens cancer/environnement par une injonction d'Horace et d'Emmanuel Kant : « Sapere aude » qui signifie « Ose savoir ». Il est souvent dit que les politiques ont parfois du mal à tout saisir dans leur dialogue avec les scientifiques. Je vais donc essayer d'être la plus claire possible. Le fait de m'avoir conviée à cette audition signifie que vous êtes dans la disposition d'oser savoir et d'oser connaître. Je vous en remercie.

Tout d'abord, je vais commencer par des bases qui me semblent essentielles, c'est-à-dire vous rappeler les missions de la santé publique. Elles sont peut-être déjà claires pour vous, mais il me paraît essentiel de partir de cette base. La santé publique est la science et l'art de prévenir les maladies, de prolonger la vie, de promouvoir la santé et les capacités physiques à travers les efforts coordonnés de la communauté pour l'assainissement de l'environnement, l'objet final étant de permettre à chaque individu de jouir de son droit inné à la santé et à la longévité. Cette définition vient de Charles-Edouard Winslow et date de 1920. Après un siècle, je pense que nous devons garder cette définition réellement en perspective tout au long de notre entretien et des auditions que vous avez pu conduire.

Mon métier, en tant que toxicologue et biologiste, s'intègre essentiellement dans la mission de santé publique. Mon travail est de définir si certains polluants chimiques sont cancérogènes et quels sont les mécanismes qui peuvent être mobilisés. Une substance cancérogène favorise la cancérogenèse, c'est-à-dire la formation du cancer. Je travaille en cancérogenèse environnementale. Notre communauté fait face à des contraintes puisqu'il existe plus de 85 000 produits chimiques de synthèse qui sont d'ores et déjà commercialisés. Par ailleurs, 1 000 nouvelles molécules sortent tous les ans. À ce jour, nous estimons que nous ignorons la toxicité d'environ 80 % de ces molécules, en raison tout simplement du débit considérable. Il est extrêmement compliqué de traiter toutes ces informations et cela prend du temps.

La prédiction en toxicologie passe par des études scientifiques dites empiriques, c'est-à-dire que nous conduisons des expériences. Nous utilisons pour cela des modèles cellulaires, des modèles animaux et essayons, à partir des données biologiques obtenues dans des conditions contrôlées d'exposition, de concentration et avec un pouvoir statistique que nous pouvons contrôler, de déterminer, de prédire les effets chez l'être humain dans toute la complexité que cela peut représenter, si nous parvenons à mimer des expositions au niveau céphale dans les périodes infantiles, adolescentes, à l'âge adulte, chez les personnes âgées et également chez les hommes et femmes.

Les limites de la toxicologie résident dans le fait que nous ne pouvons pas expérimenter sur l'humain. Nous serons donc obligés de réaliser des extrapolations sur les modèles que nous utilisons afin de prédire pour l'humain. C'est une science purement biologique et expérimentale.

Que sait-on sur la santé environnementale ? Le sujet a été largement abordé dans l'ouvrage de Rachel Carson, Le printemps silencieux, qui est le premier ouvrage décrivant les liens entre la santé environnementale et l'exposition aux substances chimiques et en particulier les pesticides. Les liens entre perturbateurs endocriniens et cancer sont pour la première fois décrits dans les années soixante. Alors que dans les années soixante il existait déjà des données fortes sur le sujet, nous pouvons nous demander pourquoi des doutes ou des controverses persistent sur le fait qu'il y ait vraiment des causes environnementales au cancer.

Des historiens des sciences parviennent à l'expliquer. Par exemple, dans son ouvrage, Mathias Girel a identifié le fait que, dans les années soixante-dix, les recherches ont été massivement orientées vers la génétique, c'est-à-dire déterminer les causes génétiques du cancer. Ces orientations passent par des incitations intellectuelles, des effets de mode et tout ce qui nous incite à rechercher les causes génétiques du cancer, mais également par l'orientation financière.

Les chercheurs ont besoin d'argent et de nouvelles technologies. La recherche sur la génétique, au départ relativement modeste, a été ultraperformante. Les connaissances dans les années soixante-dix ont augmenté et ont orienté la compréhension de nombreuses maladies au travers du spectre de la génétique. En revanche, en creux, elles ont généré – c'est ce que décrit Mathias Girel – une création d'ignorance sur certains terrains, et notamment le terrain des liens entre cancer et environnement.

Ce retard entre facteurs exogènes pouvant conduire au cancer et facteurs endogènes génétiques est toujours présent. En d'autres termes, les programmes lancés actuellement sur l'exposome, pour parvenir à décrire ce que subit l'être humain tout au long de sa vie et qui peuvent expliquer la survenue de maladies chroniques, sont des choses positives, mais l'exposome aurait pu être une ambition portée dans les années soixante-dix. Cela n'a pas été le cas, ce que nous pouvons regretter.

Il faut également replacer cela dans un autre contexte historique, notamment l'essor des industries chimiques à cette époque. Cette recherche orientée vers les causes génétiques a arrangé de nombreux lobbies comme cela a été décrit, notamment pour l'industrie du tabac. La science se pratique donc dans des contextes plus globaux qui peuvent expliquer que nous disposions de savoirs à un moment donné et nous trouvions également face à des lacunes et des ignorances.

Je vais vous parler plus précisément de mes connaissances, notamment de la cancérogenèse environnementale et des premières données dont nous disposons. Tout d'abord, le premier cancer qui a été décrit au niveau professionnel est dû à une cause environnementale. Il s'agit du cancer du scrotum, décrit en 1775 par Percivall Pott. Ce cancer touchait les enfants ramoneurs en Angleterre. Nous avons pu identifier, plus tard, par des études de toxicologie que la présence d'hydrocarbures aromatiques polycycliques dans la suie était à l'origine de ces cancers.

Les mécanismes qui étaient impliqués ont alors été définis. Sur la double hélice d'ADN, la cellule jaune est un métabolite de l'hydrocarbures qui parvient à s'intercaler dans l'ADN. Ce mécanisme a été le premier mécanisme identifié comme prouvant une substance chimique cause d'un cancer. De même, le modèle génétique démontre que le composé modifie le gène – il est donc génotoxique – et cette modification de gènes entraîne le cancer. Il s'agit de la mutagenèse. La substance est ensuite classée cancérogène. Certains hydrocarbures sont classés cancérogènes de type 1 avec le mécanisme associé de la génotoxicité. Pourtant, tous les travaux que j'ai pu conduire en thèse à Rennes puis ultérieurement à Toulouse ou en collaboration à Paris ont pu démontrer que cet hydrocarbure pouvait également être cancérogène par de nombreux autres mécanismes.

Je vais donc vous décrire mon cœur de métier. Nous cherchons à savoir comment une substance peut causer le cancer. À gauche se trouve une photographie d'une cellule cancéreuse et à droite se trouve la roue présentant toutes les caractéristiques qui font qu'une cellule sera cancéreuse. Vous trouvez en bleu l'instabilité génomique, c'est-à-dire un cancer qui perturbe les gènes. Toutefois, une dizaine d'autres mécanismes sont également impliqués, tout aussi importants, et sont considérés en biologie du cancer comme étant des critères forts.

Au quotidien, nous réalisons des techniques de biologie cellulaire en temps réel pour tester des effets à faible dose de substances chimiques. Nous utilisons une technique qui filme les cellules en temps réel. Force est de constater que les cellules bougent et prolifèrent. Quand un composé induit un cancer, il favorise cette prolifération ou induit de la résistance à la mort. Il s'agit de cellules de foie qui sont exposées à des hydrocarbures. En réalité, nous étudions tous ces phénomènes, ces choses vivantes, en utilisant les meilleures technologies disponibles, c'est-à-dire des technologies sensibles en temps réel qui exigent des équipements assez chers et de l'investissement, mais qui permettent de faire face au défi actuel de la toxicologie, dans le sens où nous devons travailler sur des faibles doses, tester « l'effet cocktail », tester l'effet perturbateur endocrinien et tester l'effet chronique. Tout cela nécessite du temps.

Nous travaillons pour savoir comment une cellule cancéreuse va être capable de pousser, donc de survivre sans qu'elle ne soit accrochée à n'importe quel tissu. Elles peuvent acquérir cette caractéristique lorsqu'elles sont exposées pendant plusieurs semaines à des pesticides. À droite se trouve une image focale à fluorescence qui permet d'observer en bleu l'ADN et en vert le réseau mitochondrial. J'approfondis les mécanismes afin de vous montrer la finesse de ces approches. Nous observerons alors comment la mitochondrie, qui est une usine énergétique cellulaire, est modifiée. Nous voyons leur activité perturbée par des substances chimiques, ce qui permet de mener des études assez fines.

Ces images sont réalisées par les deux doctorantes actuelles qui travaillent sur la capacité des cellules. À gauche se trouvent des cellules coliques qui sont bien attachées toutes ensemble et qui communiquent bien. En rouge, nous voyons comme une toile de tente avec des piquets et des arceaux. Les cellules sont alors bien à leur place. Lorsqu'elles sont exposées pendant trois semaines à certains pesticides, les cellules se désolidarisent comme si elles enlevaient les piquets des tentes. Elles changent complètement de formes. En fait, elles vont bouger et migrer. Ces phénomènes sont associés dans le cancer à des métastases. Tous ces éléments sont des paramètres que nous mesurons et qui présentent le défaut de ne pas être au débit, c'est-à-dire qu'il faut prendre énormément de photographies, compter les cellules et les observer. Ce sont des choses difficilement standardisables, mais qui apportent des éléments forts sur les mécanismes de cancérogenèse.

Je vais maintenant aborder la problématique qui me concerne, à savoir les pesticides inhibiteurs du succinate déshydrogénase, dits SDHI, qui, lorsque nous les avons découverts, sont synthétisés et vendus pour leur propriété de bloquer cet enzyme qui se situe dans les mitochondries. Ils sont dessinés pour bloquer le métabolisme énergétique et sont des fongicides. Au départ, ce sont des champignons, mais nous retrouvons cette fonction universelle dans toutes les cellules. Lorsque cet enzyme mitochondrial est bloqué dans les cellules humaines, nous savons que cela agit sur la reprogrammation métabolique – le métabolisme génétique va donc être modifié –, mais également sur des modifications épigénétiques. Il ne s'agit pas ici des modifications des séquences de l'ADN, mais de son repliement. En réalité, au lieu d'être dépliable avec une séquence non modifiée, l'exposition aux SDHI surenroule l'ADN et ne permet pas aux protéines d'être exprimées.

Ces paramètres peuvent être responsables des cancers, mais également de neuropathies ou d'altérations du développement. Ils sont donc impliqués dans énormément de processus. Lorsque nous avons été surpris de constater que des substances vendues pour bloquer le succinate déshydrogénase avaient été autorisées, nous nous sommes aperçus que ces critères de reprogrammation métabolique ou de modification épigénétique n'étaient pas pris en compte dans la réglementation. J'ai donc commencé à passer de la chercheuse qui fait des études et qui prend des photographies en imagerie à la question de savoir pourquoi cette recherche fondamentale ne conduisait pas à nous protéger d'une exposition à des substances qui, d'après nos hypothèses scientifiques, peuvent représenter des dangers réels.

Afin de vous expliquer le fossé qui peut exister, je vais comparer les différentes façons qu'ont les scientifiques et certaines agences de classer les substances cancérogènes. Tout d'abord, je vous propose d'aborder le procédé du CIRC (Centre international de la recherche sur le cancer), qui est sous l'égide de l'OMS. Cette agence n'est pas réglementaire et ne régule pas les substances. En revanche, elle a pour mission de santé publique d'identifier les substances cancérogènes et d'évaluer les causes environnementales des cancers humains. Sa méthode de travail est fondée sur l'analyse de la littérature scientifique pour évaluer le danger et le risque. Pour définir la différence, le danger est l'effet toxique que peut présenter une substance et le risque dépend du danger combiné à la probabilité d'être exposé.

Le CIRC classe les substances en fonction du niveau de preuve dont nous disposons dans la littérature scientifique. Il se base uniquement sur la littérature scientifique et les données que nous pouvons réinterpréter. Il a donc établi un classement :

– Groupe 1 : cancérogène pour l'humain ;

– Groupe 2A : probablement cancérogène pour l'humain ;

– Groupe 2B : cancérogène possible pour l'humain.

Ce n'est pas lorsqu'une molécule est classée cancérogène 2B qu'elle est moins cancérigène que le groupe 1. Cela signifie que le niveau de preuve n'est pas suffisant dans l'état actuel des connaissances pour permettre un tel classement.

À ce jour, certains pesticides sont classés groupe 1 comme l'arsenic, la dioxine, le lindane et le pentachlorophénol. Certains sont classés groupe 2A comme le glyphosate ou le DDT. À ce jour, le travail du CIRC n'est pas à la hauteur. Un nombre trop important de substances sont actives : sur 1 421 substances actives, 428 sont autorisées en Europe et seule une soixante de substances a été évaluée par le CIRC.

Nous allons désormais observer comment se situe la toxicologie environnementale par rapport à la toxicologie clinique, c'est-à-dire la toxicologie menée pour autoriser les médicaments. Lors de la mise sur le marché d'un médicament, ce dernier a été approuvé et le test toxicologique a été réalisé auparavant, c'est-à-dire que, d'une part, l'efficacité du médicament a été validée et, d'autre part, il a été évalué qu'il ne présentait pas d'effets secondaires. Une phase d'essai clinique, donc d'expérimentation humaine, est réalisée avant l'autorisation de mise sur le marché. Nous avons donc tout de même une idée de l'effet de la molécule sur l'être humain avant sa mise sur le marché.

En revanche, concernant la toxicologie environnementale, jusqu'en 1976, les substances étaient faiblement régulées. Plus de 62 000 molécules sont entrées directement sur le marché sans évaluation toxicologique au préalable. Pour les nouveaux produits qui souhaitent entrer dans le circuit, les industriels doivent produire un dossier pour faire une demande d'autorisation de mise sur le marché et ce dossier contient des tests toxicologiques qui sont exigés suivant des lignes directrices répondant à un certain nombre de critères. Nous parlons alors de tests toxicologiques normés.

Tout cela est pris en charge par des agences réglementaires que sont l'agence américaine EPA (United States Environmental Protection Agency), l'EFSA (Autorité européenne de sécurité des aliments European Food Safety Authorithy ) et, en France, l'Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail) délivre ces autorisations. Ces tests toxicologiques réalisés avant la mise sur le marché sont donc à la charge des industriels. Ils doivent réaliser eux-mêmes les expériences ou faire appel à des prestataires. Ensuite, lors de la mise sur le marché, l'exposition à ces substances est donc généralisée, contrairement aux médicaments qui sont donnés à des personnes en particulier selon des conditions précises. Dans le premier cas, nous ne maîtrisons plus du tout les niveaux d'exposition des substances autorisées.

J'interviens après, c'est-à-dire post-exposition, pour mener des études toxicologiques en tant que chercheur dans la recherche publique et pour mener des tests en recherche fondamentale. Ce sont donc des tests qui ne correspondent pas à ce qui est exigé avant l'autorisation de mise sur le marché. Nous réalisons des études beaucoup plus poussées avec un débit moins bon. Puis, nous agissons post-exposition, nous subissons donc toujours une certaine pression, puisque les gens sont exposés pendant que nous réalisons nos études. C'est un aspect qu'il faut gérer éthiquement parlant.

Finalement, ces études fondamentales, dont les résultats doivent prouver la toxicité, selon des tests sophistiqués, sont à la charge des pouvoirs publics, de fonctionnaires ou de l'État. Dans tous les cas, ce n'est pas à la charge des industriels.

Comment les agences réglementaires évaluent-elles et donnent-elles les autorisations de mise sur le marché ? Elles évaluent le risque en prenant en compte le danger et la probabilité d'être exposé et leur matériel est basé sur la littérature scientifique. Souvent, lorsque nous autorisons un nouveau produit, il y a peu de littérature scientifique. En revanche, énormément de données sont fournies par les industriels. L'accès à ces données et leur transparence ne sont toutefois pas aisés. Nous ne pouvons pas toujours avoir accès aux données brutes et vérifier que les études ont été conduites selon de bonnes dispositions. Il n'y a par ailleurs pas toutes ces étapes de reviewing qui est subie par la littérature scientifique, lors de la publication d'un article ou d'une étude de recherche.

Les critères mis en place pour le cancer répondent à des lignes directrices et des critères de cancérogénicité fixés par l'OCDE. Le critère CMR signifie cancérogène mutagène ou reprotoxique et répond à une batterie de tests à fournir. L'industriel doit donc démontrer que la substance qu'il souhaite autoriser n'est ni cancérogène, ni mutagène, ni reprotoxique. Pour la cancérogénicité, le test le plus mis en avant est la génotoxicité et tous les autres paramètres que je vous ai présentés ne sont pas présents.

La classification CMR est extrêmement importante puisqu'une fois la substance classée cancérogène, le produit ne peut pas être autorisé. S'il est déjà autorisé, il est interdit, retiré du marché ou abandonné. S'agissant de la cancérogénicité – j'entends beaucoup de débats sur les pesticides pour savoir s'ils sont cancérogènes ou non – la classification CMR est très importante, puisqu'elle est une forme de principe de précaution, c'est-à-dire qu'aucun seuil d'exposition à ces substances n'est toléré. Les hydrocarbures dont je vous ai parlé tout à l'heure sont classés CMR et la règle est de ne pas s'exposer à ces substances chimiques. Aucune dose n'est tolérée. Par exemple, si nous trouvons des hydrocarbures dans les couches et si elles sont CMR, nous ne devons plus être exposés à ces couches. Il s'agit d'un principe de précaution extrêmement fort.

Concernant les pesticides, les évaluations conduites à l'EFSA, ne prennent pas en compte un certain nombre de paramètres qui peuvent créer des controverses, à savoir l'évaluation de la cancérogénicité en présence des adjuvants, donc des formulations complètes, les effets perturbateurs endocriniens et faibles doses qui ne sont pas toujours correctement évalués, les « effets cocktail ». Les dossiers réglementaires sont constitués molécule après molécule. Nous autorisons donc les substances actives indépendamment et non en prenant en compte « l'effet cocktail » qui peut se retrouver lorsque nous traitons une pomme trente-six fois et qu'une dizaine de résidus sont retrouvés. Cet « effet cocktail » n'est pas du tout évalué.

Par ailleurs, les fenêtres d'exposition ne sont pas prises en compte de même que les effets à long terme, lorsque l'individu est exposé pendant la grossesse et la survenue de maladie comme les cancers trente ans plus tard. Parvenir à relier la survenue de maladies chroniques tardives à une exposition de la mère pendant la grossesse est très compliqué. Ces dossiers réglementaires ne sont pas du tout évalués, ce qui pose un certain nombre de problèmes.

Pour ma part, je me suis intéressée aux SDHI en observant la manière dont ils avaient été évalués dans les dossiers d'autorisation de mise sur le marché. En ce qui concerne la cancérogénicité, nous constatons que huit SDHI sur les douze autorisés sont capables d'induire chez les rongeurs des cancers de la thyroïde, du foie, du poumon, de l'utérus et des cancers ovariens. Pourtant, ces produits sont autorisés. En tant que toxicologue, lorsque je mène des études dans mon laboratoire et que j'obtiens des résultats positifs pour les tumeurs, je ne les classe pas non cancérogènes et je ne les autorise pas. Pour moi, ils sont classés cancérogènes.

En revanche, ils ne sont pas génotoxiques. Par conséquent, la réglementation autorise que les cancérogènes non génotoxiques soient mis sur le marché. La présence de ces tumeurs chez les rongeurs est justifiée par un argumentaire basé sur des mécanismes d'action qui peuvent être activés chez certains modèles de rongeurs et qui vont être jugés non pertinents pour l'humain. En d'autres termes, il est décidé qu'ils ne sont pas génotoxiques, qu'il y a des tumeurs, mais qu'ils peuvent être autorisés avec un seuil d'acceptabilité. Ceci est une façon de contourner la classification CMR et d'autoriser des cancérogènes. En tant que scientifique, ce sont des choses qui m'interpellent, c'est pourquoi mes collègues et moi y travaillons.

Afin de conclure sur ces aspects, de nombreux mécanismes de cancérogénicité et de toxicité ne sont pas pris en compte lors des autorisations de mise sur le marché. Certaines données de cancérogénicité chez les rongeurs peuvent être jugées non pertinentes pour l'humain. Ainsi, les cadres réglementaires ne répondent pas aux standards de la science. De plus, ces différences d'appréciation entre les scientifiques et les régulateurs du CIRC créent des divergences et des controverses dont vous avez pu entendre parler.

Je vais vous parler désormais de ce que nous savons sur les liens entre cancer et pesticides. Je pense que vous avez déjà effectué des auditions sur le sujet. Je vais vous apporter des éléments en épidémiologie. Il existe toutefois énormément de travaux sur le sujet. En outre, vous disposez peut-être déjà du rapport AGRICAN.

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Nous avons auditionné Rémy Slama, auteur de l'ouvrage Le mal du dehors.

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Laurence Huc, chercheuse en toxicologie à l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (INRAE)

Mme le Dr Béatrice Fervers, cancérologue à Lyon, a également écrit le livre Cancer, quels risques ? et a beaucoup travaillé sur les expositions professionnelles et la survenue des cancers des testicules chez les agriculteurs. En épidémiologie, nous commençons à accumuler des données sur le cancer et les pesticides. L'expertise Inserm devrait également arriver début 2021. Les cohortes d'AGRICAN et les cohortes américaines montrent qu'il existe des présomptions très fortes pour les cancers de la prostate et les lymphomes, mais également des présomptions moins élevées pour le cerveau, les leucémies, les mélanomes, les cancers du côlon, de la vessie, des ovaires et les cancers du sein. Les cancers du sang sont par ailleurs reconnus en France comme des maladies professionnelles.

Il existe également d'autres présomptions quant à l'exposition de la population générale, notamment pour la proximité résidentielle avec un risque augmenté de cancers, de méningiomes et de cancers du sein. Concernant les cancers pédiatriques, il y a des présomptions très fortes pour les leucémies aiguës et les tumeurs du système nerveux central avec différents types d'exposition : les expositions professionnelles et domestiques chez la mère pendant la grossesse, les expositions domestiques pendant l'enfance et les expositions résidentielles pendant la grossesse. Dans certains cas, il existe une exposition professionnelle du père pendant la période préconceptuelle. Les données sont ici assez fortes de même que l'expertise collective Inserm de 2013. Je ne pense pas que nous soyons revenus sur ce sujet. Malheureusement, de nouveaux types de cancer émergent tels que les lymphomes et les tumeurs embryonnaires.

En tant que toxicologue, lorsque je vois ces données épidémiologiques s'accumuler, je me demande jusqu'à quand les professionnels ou la population générale vont continuer à être exposés à ces substances. Je reprends une citation des historiens par rapport au positionnement de l'épidémiologie en termes de décision publique. L'épidémiologie sert surtout à constater l'échec des gouvernements, de l'industrie et de la société à contrôler les produits chimiques cancérogènes introduits des décennies auparavant. Les cancers professionnels des agriculteurs sont des maladies entièrement évitables. Le fait d'autoriser les produits en les conditionnant par des équipements de protection individuelle ne paraît pas efficace. Je ne sais pas si vous avez eu l'occasion de travailler sur des recherches en ergonomie. L'efficacité des équipements de protection individuelle – les combinaisons – a également été remise en cause. La protection collective qui pourrait interdire certains produits par rapport à l'autorisation de certains produits sous condition de bonnes pratiques agricoles et d'utilisation des EPI ne me paraît pas satisfaisante au regard des données épidémiologiques qui s'accumulent.

De plus, l'épidémiologie arrivera à bout de souffle pour certains pesticides, par exemple, le glyphosate, car nous ne trouverons plus de population contrôle à qui comparer les populations exposées. Tout le monde est exposé au glyphosate. Nous ne pourrons donc même plus établir des statistiques et comparer. L'épidémiologie doit vraiment être mise en lien avec la toxicologie qui réalise des expériences en laboratoire dans un but de prévention. À un moment, nous devons arrêter de compter les victimes et les morts.

Ensuite, en tant que scientifique qui fait des recherches bibliographiques, comment la science est-elle pratiquée et quels savoirs pouvons-nous mobiliser pour la décision publique ? En réalité, le contexte scientifique m'a énormément surprise, car dès lors que nous travaillons sur des pesticides, nous retrouvons ce que nous appelons la capture de la science, c'est-à-dire que les scientifiques, les toxicologues auront tendance à modifier leurs pratiques de laboratoire en les calant sur les normes réglementaires. J'ai déjà entendu les critiques suivantes : « Laurence, ce n'est pas en modifiant les métabolismes énergétiques que tu pourras expliquer un effet cancérogène. Il faut que tu regardes absolument si c'est génotoxique ». Et j'ai beau avoir des résultats négatifs en génotoxicité, certains me diront que ce n'est pas cancérogène. Ceci est extrêmement gênant dans la pratique et les standards scientifiques.

En d'autres termes, le manque d'exigence épistémique en toxicologie fait que nous serons « embobinés » par des personnes affirmant que ce n'est pas si positif ou si cancérogène, ce qui pose énormément de problèmes. De nombreux ouvrages portent sur le fait que la science est capturée par le réglementaire. Ceci est fortement décrit par Robert Proctor pour l'industrie du tabac et les marchands de doute. Il est à noter que tout cela produit des savoirs inconfortables qui ont du mal à être gérés. Par ailleurs, la capture réglementaire consiste à avoir de fortes influences auprès des régulateurs et sur la réglementation afin que les produits cancérigènes soient tout de même autorisés, ce qui est absolument gênant.

La présence de conflits d'intérêts est également décrite dans de nombreux ouvrages : La production du doute de Mathias Girel ou Pesticides. Comment ignorer ce que l'on sait ? de Jean-Noël Jouzel. « Comment expliquer l'accumulation de données d'épidémiologistes qui attestent d'une surincidence des maladies chroniques et pourquoi les résultats aussi inquiétants constituent si peu de répercussions sur les autorisations de mise en vente des pesticides ? » Son analyse est passionnante. Nous commençons à avoir des données sur le sujet.

Les travaux d'Henri Boullier sur les toxiques légaux traitent également de substances toxiques validées et autorisées. Nous commençons donc à avoir du recul sur toutes ces questions et cette production de doute. En tant que toxicologue, lorsque j'encadre les thèses, force m'est de constater que la littérature scientifique en soi n'est plus fiable. Ma thésarde travaille sur le mélange de pesticides et je l'invite à regarder s'il existe des conflits d'intérêts, si la façon de produire les données est bonne, à observer de quel journal scientifique il s'agit, car certains journaux ne pratiquent pas bien le reviewing.

Nous pouvons lire également que l'effet perturbateur endocrinien présente encore des doutes. Les travaux de Theo Colborn, quant à eux, datent de 1996 et décrivent les perturbations endocriniennes. Nous ne pouvons plus dire aujourd'hui qu'il y a une controverse sur les perturbateurs endocriniens. La science académique l'admet pleinement. Pourquoi n'est-ce toujours pas pris en compte au niveau réglementaire ? Ceci est vraiment dérangeant. Lorsque j'ai commencé à me rapprocher des historiens et sociologues pour comprendre cette pratique de la science, tout le monde m'a raconté la même histoire, à savoir « ton histoire sur les SDHI me rappelle telle histoire sur l'amiante ».

De même, les travaux d'Annie Thebaud-Mony portent par exemple sur le plomb, le nucléaire. Puis, Nathalie Jas raconte comment gérer le risque en pollution. De même, La société du risque, d'Ulrich Beck décrit comment gérer le risque nucléaire. En réalité, la science, cette production de doute et ce cercle vicieux sont des histoires qui se répètent et nous n'en tirons aucune solution, ce qui m'effraie.

Je souhaitais ensuite apporter d'autres éléments à votre connaissance. Nous parlons du cancer en santé environnementale pour les êtres humains, mais la faune est également soumise à la cancérogenèse chimique. Des travaux ont été conduits sur les lions des mers, des poissons et des bélugas et trouvent des incidences de cancer augmentées par la présence de pesticides et de perturbateurs endocriniens dans l'environnement. En réalité, toutes les chaînes trophiques sont contaminées et traiter la santé environnementale doit aller bien au-delà du cancer humain uniquement.

D'autres aspects me paraissent importants. Lorsque nous classifions ou pas une substance cancérogène, qui en tire le bénéfice ? Autoriser des produits qui sont cancérogènes bénéficie à des puissants, des bénéfices privés. Dans le cas des pesticides, cela s'inscrit dans un modèle agricole choisi, auquel les agriculteurs sont parfois condamnés, pour obtenir de meilleurs rendements et diminuer les coûts de production. Toutefois, cela s'inscrit également dans un contexte plus global de choix de vie et de mode de vie avec une alimentation bon marché.

Des externalités ne sont pas mises à la charge des vendeurs de pesticides, mais se répercutent sur la société. Ces externalités et impacts sont quasiment inévaluables en termes d'effondrement de la biodiversité, mais également en termes de coût des soins pour les cancers et de coût des recherches en santé publique, c'est-à-dire ce que je coûte pour avoir la preuve de la cancérogénicité après exposition. Il me revient de trouver la preuve de la cancérogénicité du produit alors que ce devrait être à la charge des industriels. Les externalités impactent directement la qualité de vie. Si nous tolérons d'autoriser des produits cancérogènes, nous courons le risque que des personnes soient victimes d'un cancer. Par conséquent, nous tolérons un nombre de cancers au nom des bénéfices privés liés à l'utilisation de ces substances.

Ce facteur est extrêmement important à prendre en compte. Le cancer et le cancer environnemental amplifient les inégalités sociales puisque les personnes, les travailleurs et les populations défavorisées sont plus susceptibles à la fois aux microbes, mais également aux polluants chimiques. Il est également à noter que les personnes qui ont des cancers d'origine chimique vont être plus résistantes aux traitements. Ces données proviennent des personnels cliniques qui travaillent dans les hôpitaux et qui expliquent qu'à un stade équivalent de cancer diagnostiqué, un agriculteur sera plus difficile à traiter et sera plus résistant aux chimiothérapies qu'une personne de la population générale. Cela pose donc réellement des problèmes en ce qui concerne les populations de travailleurs et les populations défavorisées. Des recherches doivent absolument être conduites sur le sujet. D'une part, il faut arrêter l'exposition et, d'autre part, arrêter le traitement, car nous nous trouvons dans des impasses et des enjeux de santé publique forts. Les cancers professionnels sont tous des cancers évitables.

En outre, ces populations cumulent des mauvaises conditions de vie et des mauvaises conditions de travail. Par conséquent, nous amplifions les inégalités sociales, les inégalités de santé, les inégalités de vie et, au final, je me demande où se trouve la santé publique dans la pratique de telles politiques. Ces choses sont extrêmement préoccupantes.

Je tenais également à signaler que la recherche de santé environnementale chez les populations défavorisées et les travailleurs était très peu pratiquée. Je travaille depuis récemment pour mettre en place des études de recherche clinique toxicologique avec des groupements d'intérêt scientifique sur les cancers d'origine professionnelle (GISCOP) qui sont en partie mis en place par Annie Thébaud-Mony. En réalité, elle s'attache à regrouper ces cancers professionnels, au niveau local, au sein de différents territoires, mais ces actions sont trop rares et doivent être encouragées et mises en avant, car énormément de populations sont touchées et ne sont pas observées, ce qui pose réellement des problèmes. Le cancer environnemental crée et entretient toutes ces inégalités sociales.

Je voulais terminer en réfléchissant sur la manière de sortir du cercle vicieux. Comme vous avez pu le constater, le cancer est un processus complexe multicausal qui suscite toujours des controverses. Nous exigeons toujours plus de preuves pour être vraiment sûrs, et souvent basées sur l'épidémiologie. Nous allons attendre qu'il y ait plus de victimes humaines pour prendre une décision. Souvent, des facteurs de confusion seront introduits et des corrélations obtenues, mais pas de liens de causalité forts. En d'autres termes, nous recherchons la causalité du cancer, ce qui n'aboutit à aucune conclusion ni décision.

D'une part, la communauté scientifique devrait réfléchir à ce qui serait un principe d'humilité. Je suis scientifique par vocation : pour moi, c'est une discipline qui permet d'accéder à la vérité, de pouvoir soigner les cancers, les prévenir, etc. Or il faut savoir que nous ne pourrons pas tout démontrer et que nous n'atteignons pas la preuve absolue. Lorsque nous sommes formés à l'université – à l'Ecole normale supérieure dans mon cas –, nous pensons que nous serons tout-puissants. En réalité, dans ce contexte de santé environnementale, il faut admettre que nous aurons toujours des incertitudes. En tant que scientifiques, nous ne pouvons pas tenir un discours indiquant que « nous ne sommes pas sûrs ». Dans une discipline impliquée dans la santé publique, il faut prendre des décisions. Ce principe d'humilité aiderait à mettre en place le principe de précaution lorsque nous discutons avec les décideurs en affirmant que nous avons des doutes, mais que nous aurons toujours autant de doutes dans vingt ans. Par conséquent, prenons les mesures pour agir en conséquence.

En conclusion, concernant la production de connaissances, la recherche académique travaille, mais la production de connaissances par les firmes peut également produire des doutes. Dans différentes organisations, notamment certaines sociétés savantes, des infiltrations et des interpénétrabilités existent entre la toxicologie fondamentale et la toxicologie réglementaire. Il sera donc impossible d'obtenir des certitudes scientifiques dans ce domaine. Le critère de cancérogénicité, quant à lui, présente un fossé entre la biologie fondamentale et la toxicologie réglementaire qui nous conduit dans des impasses. Par conséquent, je constate que l'ensemble du système n'est absolument pas en faveur de la protection de la santé et de la biodiversité.

S'agissant des produits SDHI, j'ai monté un projet pluridisciplinaire pour essayer de traiter cet usage de façon globale et de manière holistique. L'ambition est de ne pas laisser la toxicologue toute seule donner de mauvaises nouvelles et de replacer le tout dans un contexte à la fois de santé et d'usage agricole, de réglementation, d'écologie et de protection des écosystèmes. Nous essayons de travailler ensemble pour générer des savoirs pluridisciplinaires et communs qui peuvent permettre à la fois d'améliorer les connaissances sur le cadre réglementaire, de proposer des améliorations et de pouvoir aider et de servir d'appui à l'expertise et à la décision publique.

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Nous vous avons écouté avec beaucoup d'intérêt : vos propos sont très édifiants, je dirais même, « décoiffants ». Vous restituez le processus de connaissance dans un continuum tout d'abord historique. Vous dîtes que la science se pratique dans des contextes globaux qui favorisent tantôt un type de recherche plutôt qu'un autre et inversement en fonction de l'évolution des rapports de force intellectuels, d'approches ou de méthodologie.

Un politique n'est pas forcément un scientifique – ce n'est d'ailleurs pas sa vocation et tous ne le sont en tout cas pas – et il se tourne forcément vers la parole scientifique, quand il s'agit de prendre des décisions sur ces problématiques de santé environnementale. Vous venez de démonter une espèce de certitude aveugle que nous pourrions avoir dans toutes les certitudes scientifiques qui concernent les problématiques de santé environnementale. Ceci est d'autant plus dissonant que cela fait suite à des auditions au cours desquelles les personnes que nous avons entendues affichent visiblement des certitudes. Cela donne à penser et nous ne savons plus trop qui a raison ou pas.

Vous venez de nous expliquer que c'était une question d'approche méthodologique et d'évolution de la toxicologie. Nous avons entendu qu'il y avait une véritable évolution dans la toxicologie. Nous avons entendu, lors d'une audition, qu'il fallait refondre l'évaluation toxicologique. J'aimerais savoir ce que vous en pensez. J'ai hâte d'entendre vos propositions, car j'ai le sentiment que vous nous avez laissé au bord d'un gouffre et nous ne savons pas comment faire avec ce que vous venez de nous présenter.

Comment définissez-vous la dangerosité d'un produit ? La dose fait-elle encore le poison ? Nous avons bien vu que non. Dans quel sens pourrions-nous faire évoluer le débat en toxicologie ? Est-ce suffisamment contradictoire ? Comment pouvons-nous faire pour que cela évolue davantage ? Il y a urgence à ce que vous nous rassuriez, non pas dans le sens du déni d'une réalité, mais afin d'avancer.

Enfin, vous avez beaucoup parlé des SDHI et vous n'avez pas parlé du glyphosate. J'ai cru comprendre que ces derniers temps, la cancérogénicité du glyphosate était de nouveau remise en question et que Bayer avait obtenu de nouvelles études sur la cancérogénéité du glyphosate au niveau européen. Nous avons l'impression qu'il s'agit du rocher décisif. Lorsque nous croyons tenir une vérité, elle dégringole aussi vite. Je vous remercie de vos propositions.

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Laurence Huc, chercheuse en toxicologie à l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (INRAE)

Je n'aurais pas de solution immédiate pour la refonte de la toxicologie. Il est vrai que plusieurs réformes sont à entreprendre. La difficulté que je vois – et je n'ai pas de réponse – est que les perturbateurs endocriniens ou les effets faibles doses font que le principe suivant lequel la dose fait le poison ne tient plus depuis trente ans. Tout le système réglementaire est basé sur ce système et cette vérité : nous tolérons des doses seuils en estimant que lorsque nous sommes en dessous, cela ne présente pas de risque et au-dessus cela en présente. Dès lors, toute la base de l'évaluation du danger et du risque doit être revue. Pour cette raison, ce sont des terrains de controverse, de production de doute et du fait que nous ne sommes pas sûrs, car cela ébranle le château de cartes. Certaines substances, comme les CMR (cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques), sont des substances auxquelles nous ne devons pas du tout être exposés. Ce sont donc des substances qui ne devraient pas être autorisées et qui devraient être interdites sur cette base.

Pour les effets perturbateurs endocriniens, c'est le cas. Il n'existe pas de dose en dessous de laquelle nous pouvons être protégés. Par ailleurs, les déclinaisons des effets faibles doses ne sont pas des perturbateurs endocriniens, mais des perturbateurs métaboliques que constituent par exemple les SDHI. Pour l'instant, nous n'avons pas trop de données sur le fait de savoir s'il existe également des effets faible dose. De ce que nous savons sur les maladies mitochondriales, même des inhibitions partielles de certaines fonctions mitochondriales conduisent, vingt ans après, à l'émergence de certaines maladies. Ici encore, le concept de « la dose fait le poison » ne fonctionnerait pas. Cela signifie qu'il n'y aurait plus de substance autorisée. Au niveau des pesticides, il n'en resterait plus beaucoup.

Les tests réalisés dans les dossiers d'autorisation de mise sur le marché, des travaux réalisés en 2011/2012, démontrent que sur 300 pesticides, 220 sont cancérogènes chez le rongeur et sont tout de même autorisés. Dès lors que ces substances ne sont pas génotoxiques, mais sont probablement des perturbateurs endocriniens ou des perturbateurs métaboliques, elles sont autorisées avec des doses tolérables. À mon sens, énormément de substances donnent des résultats positifs chez les rongeurs et ne sont pas prises en compte, ce qui suscite de l'inquiétude. Il est certain qu'une révolution de la réglementation semble nécessaire si nous prenons réellement en compte les nouveaux mécanismes identifiés par les progrès de la biologie. « La dose fait le poison » date tout de même de la Renaissance.

Le glyphosate est un cas extrêmement complexe. Dans la toxicologie, il n'existe pas pire en termes de tricherie et de conflits d'intérêts. Je ne crois plus personne – je ne conduis pas d'étude sur cette substance – et il est très dur de se fier à la science disponible. Bien évidemment, des équipes de haute qualité ont publié des articles de qualité, mais la compétition au niveau de la littérature scientifique, dans des journaux pas toujours scrupuleux, génère du doute. Les sociologues des sciences le reconnaissent. De nouvelles études sont peut-être controversées. D'autres mécanismes sont mis en avant pour le glyphosate, comme ses capacités à induire des modifications épigénétiques et à être perturbateur endocrinien, selon des études solides qui sont préoccupantes. Pour le moment, ces deux critères ne conduisent pas à l'interdiction de la substance.

Pour cette raison, le débat persiste sur la dangerosité du glyphosate pour lequel nous commençons à avoir des certitudes sur les rongeurs avec des résultats de cancérogénicité positifs. De plus, au niveau épidémiologie, des méta-analyses sont tout de même de plus en plus solides et ont relié l'incidence des lymphomes endocriniens à certaines leucémies. Je pense qu'il faut arrêter de les contester et les prendre comme telles. Ce qui m'inquiète, c'est que depuis les années 70, son usage a été multiplié par cent. Par conséquent, en épidémiologie, tous les ravages ne sont peut-être pas encore mesurables, car cette augmentation de l'usage n'a peut-être pas encore conduit à la surincidence de l'exposition. Toutefois, nous ne parlons que d'un seul pesticide, mais cela cache bien d'autres pesticides tout aussi toxiques et peut-être plus cancérogènes. L'orientation du débat sur le glyphosate en protège également beaucoup d'autres.

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Mme, ceci est passionnant. Je suis à l'initiative de cette commission d'enquête. J'ai pu remarquer concrètement beaucoup de choses que vous citez parce que j'ai fait partie d'un comité de suivi d'un cluster de cancers pédiatriques à Sainte-Pazanne en Loire-Atlantique, ce qui a motivé ma volonté de demander cette commission d'enquête. Vous confortez toutes les observations que moi-même et d'autres élus avons pu faire et bien sûr les associations. Un grand merci. Vous répondez aux attentes de nombreuses personnes impactées par les maladies chroniques.

Ce que vous venez de dire est important. Vous venez de démontrer que la toxicologie est majeure dans la recherche préventive et curative. Que pensez-vous des cas de cancer pédiatrique et des nombreuses questions posées par diverses associations et du manque de moyens des ARS par exemple et de Santé publique France ? Que pensez-vous de l'importance des laboratoires privés dans la santé environnementale et du manque de recherche publique ? À l'occasion des travaux du comité de suivi des clusters, j'ai remarqué que nous fonctionnions en vases clos, ce qui était vraiment préoccupant. Vous l'avez d'ailleurs souligné et bien expliqué.

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Laurence Huc, chercheuse en toxicologie à l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (INRAE)

Les cancers pédiatriques sont en effet préoccupants. En tant que toxicologues, nous avons été contactés par le cluster de la plaine d'Aunis, en Charente. Nous avons en effet été confrontés aux questions de ces associations de parents qui ont également bénéficié de l'appui local en Charente-Maritime pour effectuer des études environnementales. Nous avons été sollicités au stade des études menées par la Ligue contre le cancer pour observer le niveau de la pollution dans l'air. Ils ont retrouvé des pesticides et des polluants organiques persistants. Nous avons donc été sollicités afin de connaître notre avis sur ce qui a pu causer les cancers et la manière dont il est possible d'avoir plus de preuves.

En discutant avec eux, je me suis aperçu qu'ici encore, la charge de la preuve était demandée aux parents et aux associations. Je me suis demandé comment cela pouvait leur incomber. Et la détresse qui existe autour de cela ! Je me suis dit qu'il n'était pas possible de laisser les gens aussi isolés. Le système de santé publique ne fonctionne pas, lorsque la première chose consiste à commander une étude épidémiologique pour observer s'il y a une sur-incidence. Il y a en effet plus de cancers, mais nous n'avons pas assez de cas pour établir une significativité statistique. Tout d'abord, je trouve indécent de tenir de tels propos en tant que scientifique. De plus, l'étude épidémiologique est effectuée et rien ne se passe. Au niveau des territoires, les pouvoirs publics devraient en être saisis. Il ne devrait pas revenir à une association de demander à contrôler l'air, l'eau et le sol. Ces veilles devraient être systématisées dans toutes les zones.

Je suis également préoccupée, car les cancers pédiatriques, en l'occurrence des leucémies, sont probablement dus à une exposition au cours de la grossesse. Il aurait donc fallu avoir l'état chimique de l'environnement il y a quinze ans. Or, il n'y avait pas de mesures à cette époque. Au niveau du laboratoire, nous avons donc essayé de voir si les composés retrouvés – car il n'existe aucune publication à ce sujet – pouvaient transformer les cellules afin d'apporter des preuves mécanistiques qui prendront deux ou trois ans. En attendant de reconnaître, de prendre des mesures pour prévenir, de remonter sur la gestion des parcelles, la gestion des traitements et la gestion de l'usine pétrochimique à proximité, ces acteurs ne font rien et continuent. Je vous donne ma position de toxicologue.

Je serai ravie qu'au niveau de la toxicologie et des territoires nous soyons mobilisables rapidement et qu'il existe une pérennisation de cette veille pour l'évaluation de l'exposome. Toutefois, il faut aussi prévenir. La proximité résidentielle des zones agricoles n'est pas du tout suffisante et est illusoire. Un réaménagement territorial est donc à faire sur l'implantation des usines et des industries, ce qui dépend beaucoup des territoires et des gouvernances de santé publique. Je pense qu'il est très important d'arriver à déployer cela.

De même, les registres des cancers ne couvrent pas toutes les zones en France. Des médecins m'ont indiqué qu'ils avaient une cartographie des cancers. Par exemple, en Occitanie, il y a plus de gliomes. Le caractère régional de certains types de cancer montre bien qu'il y a une incidence environnementale directe. Nous devrions pouvoir mobiliser au niveau local des systèmes de santé publique de prévention qui soient plus efficaces et mettre tous les acteurs ensemble.

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En ce qui concerne les cocktails, votre méthode permet d'analyser une substance, mais en réalité il s'agit souvent d'un ensemble de substances qui peuvent interagir entre elles, augmenter leur effet ou le diminuer. Vous nous avez expliqué qu'il y avait 80 000 substances chimiques, soit un nombre considérable, et dont peu d'entre elles étaient connues. Comment améliorer les connaissances sur ces substances et sur ces mélanges ?

Par ailleurs, vous indiquez qu'il n'y a plus de relation, qu'il faut oublier l'histoire de la dose et de l'effet. Dans un premier temps, cela me marque un peu, car j'ai appris par cœur en tant que pharmacien les doses létales pour chaque substance, des plus courantes à d'autres, ainsi que les doses liées à une imprégnation chronique. Vous dîtes que lorsqu'une substance est cancérogène, quelle que soit la dose, il faut l'éviter, que ce soit un verre de vin ou une cigarette ou que sais-je ? Quelle que soit la dose, elle est toxique et mutagène.

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Laurence Huc, chercheuse en toxicologie à l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (INRAE)

S'agissant des « effets cocktail », nous sommes évidemment exposés à des combinaisons infinies de cocktails. Mon équipe de recherche a deux approches. Nous étudions les SDHI de façon ciblée parce qu'ils ont un mécanisme particulier, mais nous considérons également que l'évaluation d'une substance chimique seule n'a pas de sens, c'est pourquoi nous regardons à l'instant T à quoi nous sommes exposés en prenant ce mélange et en évaluant globalement la cancérogénicité de ce mélange. Nous avons effectué cela sur la base d'études menées par l'Anses qui ont identifié différents cocktails types selon les catégories, en l'occurrence l'alimentation. Les personnes qui mangent beaucoup de fruits et de légumes comportaient une sélection de pesticides phares. Nous avons donc pris ce mélange qui comprend dix pesticides et le traitons en tant que tel en réalisant des tests. Il y a tellement de substances actives que nous ne savions pas par où commencer.

Lorsque nous avons été sollicités par les parents pour le cluster de la plaine d'Aunis, étant donné que des dosages avaient été effectués, nous avons décidé de réaliser les études sur les cocktails auxquels les personnes ont été exposées. Nous ne traitons donc plus par substance chimique, mais prenons le mélange, car le cocktail produit quelque chose de complètement différent. Je donne souvent l'exemple du mojito. Les ingrédients séparés ont chacun son goût et un mojito est un mojito. Nous ne prenons donc pas les substances individuelles, car cela n'apporte pas suffisamment de connaissances. Toutefois, selon l'endroit où nous vivons, il y a énormément de cocktails. Nous essayons d'aborder cette approche.

Concernant la dose réponse, vous avez raison sur le fait que les substances s'accumulent, car les substances chimiques ont des propriétés lipophiles, c'est-à-dire que nous les stockons. L'effet faible dose est réel et existe. Concernant les substances qui miment des hormones – la dose létale du Bisphénol A peut monter à des concentrations énormes – l'effet critique est-il la mort du rongeur ou les perturbations endocriniennes et les malformations développées ? Nous devons déterminer ce qu'est pour nous la toxicité, c'est-à-dire l'impact toxique que nous souhaitons mesurer. Dans ce cas, les études de toxicité menées chez les rongeurs consisteront, par exemple, à exposer des rates en gestation et nous observerons l'impact de génération en génération. L'effet critique sera peut-être le développement cérébral du petit plus que le côté toxique et létal pour la rate gestante.

Pour l'alcool, il est certain que les effets doses réponses sont extrêmement forts et évidents en cas de toxicité aiguë, mais l'alcool peut être cancérogène par sa chronicité en en prenant régulièrement. Les recommandations ne prévoient pas plus de deux verres par jour. L'alcool est cancérogène à long terme sur des mécanismes différents de la toxicité aiguë, l'état d'ébriété, le coma, etc. Ce sont des choses que nous appréhendons et qu'il faut évaluer.

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Vous avez indiqué que nous ne pourrions pas tout démontrer et rappelé le principe d'humilité. Nous sommes dans cette impossibilité scientifique qui nous est opposée à nous autres politiques quand il s'agit d'effectuer des choix politiques. Nous ne pouvons pas tout démontrer, car, comme vous venez de l'indiquer, il n'y a pas de liens de causalité suffisamment rapides et directs pour que la démonstration soit flagrante. Ce sont des nuisances qui évoluent à bas bruit et il faut parfois une génération, voire deux ou trois, puisque nous savons qu'il existe également des effets intergénérationnels.

Vous commenciez à évoquer plusieurs réformes à entreprendre. Je serais curieuse de savoir comment, nous autres politiques, qui vous écoutons avec beaucoup d'intérêt, pourrions opposer un argumentaire à ceux qui menacent de représailles judiciaires ceux qui voudraient arrêter de recourir à cette fuite en avant chimique. Nous avons reçu des représentants de deux organismes : UIPP et France Chimie. J'aimerais savoir si vous faites une différence entre la sobriété chimique, qui laisse entendre que nous ne pourrons pas ne pas recourir à la chimie et la chimie dite propre telle qu'elle est présentée et argumentée par les producteurs de produits chimiques.

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Laurence Huc, chercheuse en toxicologie à l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (INRAE)

Ce qui m'interpelle dans les arguments qui peuvent être avancés, c'est l'évaluation du bénéfice/risque. En santé environnementale, dans l'évaluation de ce rapport – auquel vous avez été confrontés en tant que députés lorsqu'il a fallu réintroduire les néonicotinoïdes – nous ne devrions pas, déontologiquement, être confrontés à cela si le système nous protégeait mieux. Si nous pouvions sortir de cette analyse bénéfice/risque et passer plutôt dans le cobénéfice, exprimé par Isabelle Singer et non le coût/bénéfice. Je pense qu'il faut changer tout le système. Il faut préserver les espèces vivantes et préserver l'humain avant tout en agissant et en pensant de cette manière.

Malheureusement, la chimie a conduit à de nombreux ravages, ce qui impacte notre santé. Des enjeux plus globaux doivent être pris en compte. L'effondrement de la biodiversité nous impacte également en termes de santé environnementale. La chimie verte correspond, selon moi, à du greenwashing. En réalité, ils essayent de faire de la chimie propre, mais qui estime qu'elle est propre ? Sont-ce eux ou les citoyens ? Je pose la question. Ces alternatives ne permettent pas de changer en profondeur le système.

À l'INRAE, je travaille plutôt sur les aspects alimentation et agriculture et nous convenons qu'il faut maintenant sortir de l'usage des pesticides vers une transition agro-technologique. Ce sont des politiques qui s'accompagnent, qui se mettent en place et que nous n'allons pas gérer seuls. Il faut donc faire bouger tout un réseau, ensemble et en harmonie. J'ai par ailleurs regardé ce qui se trouvait dans le green deal. Selon moi, il s'agit uniquement de solutionnisme court-termiste. J'ai peu d'espoir et ne suis pas certaine que les nouvelles molécules chimiques vertes puissent nous sortir de ce cercle vicieux.

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Différentes substances existent à l'état naturel. Il nous a été dit qu'il n'y avait pas de risque, car tout est, à la base, physique et chimique.

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Laurence Huc, chercheuse en toxicologie à l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (INRAE)

Ils doivent tout de même les transformer. Je ne suis pas toxicologue chimiste, mais je travaille sur les hydrocarbures aromatiques polycycliques auxquels homo sapiens est exposé depuis sa naissance. Depuis les années 50, le nombre de molécules chimiques de synthèse a explosé et nous constatons, au niveau cellulaire, qu'il n'y a pas de phénomène adaptatif. Il est évident que nous nous défendons moins bien contre les nouvelles molécules. Par conséquent, lorsque de nouvelles molécules sont générées, l'espèce n'évolue pas avec son environnement.

Or, nous avons tout de même accéléré les changements environnementaux de l'espèce humaine, c'est pourquoi ceci est plus visible sur les écosystèmes, car leur vie et leur reproduction sont plus courtes et plus rapides. Les effets sur la biodiversité sont plus forts, mais cela présage de mauvaises choses pour l'humain. L'OMS n'est pas du tout optimiste sur l'incidence des maladies chroniques, l'incidence des cancers et prévoit dans trente ans une augmentation de plus de 60 %. Les données existent sur le sujet et il faut faire quelque chose.

Le problème est de savoir qui définit la sobriété. À partir de combien sommes-nous sobres ? Chacun a sa propre appréciation. Ces règles du jeu ne doivent pas être fixées par des acteurs privés. Ce sont des choix sociétaux qui doivent être effectués.

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Que pensez-vous de la transition écologique actuelle ? Que pensez-vous du PNSE4 ?

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Laurence Huc, chercheuse en toxicologie à l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (INRAE)

La transition écologique est fortement portée par mon institut de recherche. J'aspire au fait que les partenaires santé soient plus impliqués afin de ne pas laisser les agronomes la mettre en place seuls. Nous développons des approches disciplinaires et j'essaie de l'appliquer dans mon projet en travaillant avec des agronomes et des économistes. Si nous passons à des interdictions de substances, nous devons sortir de ce système dans lequel il faut substituer une substance chimique par une autre. Une mesure agroécologique de la chimie doit se trouver en face. Nous parviendrons à nous en sortir de cette manière.

La toxicologie et l'écotoxicologie peuvent apporter leur aide. Je pense que nous devons accélérer cette démarche. Au regard des ambitions du programme Ecophyto, malheureusement si nous avions pris la transition agroécologique en 2012, lors du Grenelle de l'environnement, huit ans de réalisation auraient déjà été permis. Huit ans d'exposition de personnes et d'écosystèmes représentent pourtant beaucoup.

Je m'excuse par ailleurs, car je n'ai pas eu le temps de lire le PNSE4. Je pourrais néanmoins vous transmettre une critique sur ce sujet si vous le souhaitez.

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Nous vous remercions de cet exposé qui a le mérite d'être extrêmement clair même s'il est passablement déroutant, car nous nous rendons compte de l'étendue du problème et de la nécessité, nous politiques, de nous informer davantage afin de pouvoir mieux nous positionner. Je vous remercie pour votre liberté d'expression et de défendre la cause du vivant sous toutes ses formes. Nous avons besoin de gens comme vous qui soient convaincus et convaincants.

L'audition s'achève à dix-sept heures trente.