Intervention de Laurence Huc

Réunion du mercredi 25 novembre 2020 à 16h00
Commission d'enquête sur l'évaluation des politiques publiques de santé environnementale

Laurence Huc, chercheuse en toxicologie à l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (INRAE) :

Je n'aurais pas de solution immédiate pour la refonte de la toxicologie. Il est vrai que plusieurs réformes sont à entreprendre. La difficulté que je vois – et je n'ai pas de réponse – est que les perturbateurs endocriniens ou les effets faibles doses font que le principe suivant lequel la dose fait le poison ne tient plus depuis trente ans. Tout le système réglementaire est basé sur ce système et cette vérité : nous tolérons des doses seuils en estimant que lorsque nous sommes en dessous, cela ne présente pas de risque et au-dessus cela en présente. Dès lors, toute la base de l'évaluation du danger et du risque doit être revue. Pour cette raison, ce sont des terrains de controverse, de production de doute et du fait que nous ne sommes pas sûrs, car cela ébranle le château de cartes. Certaines substances, comme les CMR (cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques), sont des substances auxquelles nous ne devons pas du tout être exposés. Ce sont donc des substances qui ne devraient pas être autorisées et qui devraient être interdites sur cette base.

Pour les effets perturbateurs endocriniens, c'est le cas. Il n'existe pas de dose en dessous de laquelle nous pouvons être protégés. Par ailleurs, les déclinaisons des effets faibles doses ne sont pas des perturbateurs endocriniens, mais des perturbateurs métaboliques que constituent par exemple les SDHI. Pour l'instant, nous n'avons pas trop de données sur le fait de savoir s'il existe également des effets faible dose. De ce que nous savons sur les maladies mitochondriales, même des inhibitions partielles de certaines fonctions mitochondriales conduisent, vingt ans après, à l'émergence de certaines maladies. Ici encore, le concept de « la dose fait le poison » ne fonctionnerait pas. Cela signifie qu'il n'y aurait plus de substance autorisée. Au niveau des pesticides, il n'en resterait plus beaucoup.

Les tests réalisés dans les dossiers d'autorisation de mise sur le marché, des travaux réalisés en 2011/2012, démontrent que sur 300 pesticides, 220 sont cancérogènes chez le rongeur et sont tout de même autorisés. Dès lors que ces substances ne sont pas génotoxiques, mais sont probablement des perturbateurs endocriniens ou des perturbateurs métaboliques, elles sont autorisées avec des doses tolérables. À mon sens, énormément de substances donnent des résultats positifs chez les rongeurs et ne sont pas prises en compte, ce qui suscite de l'inquiétude. Il est certain qu'une révolution de la réglementation semble nécessaire si nous prenons réellement en compte les nouveaux mécanismes identifiés par les progrès de la biologie. « La dose fait le poison » date tout de même de la Renaissance.

Le glyphosate est un cas extrêmement complexe. Dans la toxicologie, il n'existe pas pire en termes de tricherie et de conflits d'intérêts. Je ne crois plus personne – je ne conduis pas d'étude sur cette substance – et il est très dur de se fier à la science disponible. Bien évidemment, des équipes de haute qualité ont publié des articles de qualité, mais la compétition au niveau de la littérature scientifique, dans des journaux pas toujours scrupuleux, génère du doute. Les sociologues des sciences le reconnaissent. De nouvelles études sont peut-être controversées. D'autres mécanismes sont mis en avant pour le glyphosate, comme ses capacités à induire des modifications épigénétiques et à être perturbateur endocrinien, selon des études solides qui sont préoccupantes. Pour le moment, ces deux critères ne conduisent pas à l'interdiction de la substance.

Pour cette raison, le débat persiste sur la dangerosité du glyphosate pour lequel nous commençons à avoir des certitudes sur les rongeurs avec des résultats de cancérogénicité positifs. De plus, au niveau épidémiologie, des méta-analyses sont tout de même de plus en plus solides et ont relié l'incidence des lymphomes endocriniens à certaines leucémies. Je pense qu'il faut arrêter de les contester et les prendre comme telles. Ce qui m'inquiète, c'est que depuis les années 70, son usage a été multiplié par cent. Par conséquent, en épidémiologie, tous les ravages ne sont peut-être pas encore mesurables, car cette augmentation de l'usage n'a peut-être pas encore conduit à la surincidence de l'exposition. Toutefois, nous ne parlons que d'un seul pesticide, mais cela cache bien d'autres pesticides tout aussi toxiques et peut-être plus cancérogènes. L'orientation du débat sur le glyphosate en protège également beaucoup d'autres.

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