Intervention de Sandrine Josso

Réunion du mercredi 16 décembre 2020 à 14h00
Commission d'enquête sur l'évaluation des politiques publiques de santé environnementale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSandrine Josso, rapporteure :

Chers collègues, comme vous le savez, j'ai été à l'initiative de cette commission d'enquête sur une question qui constitue, selon moi, la préoccupation fondamentale de notre temps. À la fin du parcours, je tiens à vous remercier tous d'avoir participé à ces travaux et enrichi les débats, alors même que la période automnale est très chargée à l'Assemblée nationale. Je souhaite partager avec vous les principaux constats auxquels je suis parvenue et vous présenter les propositions que j'ai retenues pour que la France se dote enfin d'une politique efficace en matière de santé environnementale.

La grande majorité de nos concitoyens a conscience que la dégradation de la santé environnementale affecte l'ensemble du biosystème : les santés humaine, animale et végétale sont interdépendantes. Or les outils de politique publique dont nous disposons ne sont pas à la hauteur des attentes. De nombreuses personnes auditionnées nous ont rappelé le coût faramineux – en termes de vies humaines, mais aussi pour les finances publiques – de notre inaction dans ce domaine depuis des décennies.

Selon l'Organisation mondiale de la santé (OMS), 12 à 13 millions de décès dans le monde, soit 23 % de la mortalité globale, sont liés à une cause environnementale – en premier lieu la pollution de l'air, en second lieu la qualité de l'eau. L'Agence européenne de l'environnement, dans un rapport récent s'appuyant sur les études de l'OMS, en estime la proportion en Europe à 13 %, soit 630 000 décès. Selon la commission d'enquête du Sénat sur le coût économique et financier de la pollution de l'air, le coût global de cette pollution, au regard de ses conséquences économiques, environnementales et sanitaires, s'élève à plus de 100 milliards par an, dont 20 milliards pour le seul air intérieur.

Plusieurs scientifiques auditionnés l'ont expliqué, la santé environnementale demeure une matière sujette à des difficultés conceptuelles, marquée par des désaccords de principe et de méthode. Aux incertitudes qui peuvent exister en épidémiologie quant à la compréhension des causes des maladies, s'ajoutent en effet les défis propres à la toxicologie et à l'écotoxicologie, ainsi que la complexité technique et logistique de la mesure de l'environnement. C'est pourquoi je propose tout d'abord de progresser dans la connaissance, et de développer des programmes de recherche intégrant des approches méthodologiques relevant des sciences humaines et sociales, centrés sur les « effets cocktails » et les conséquences des expositions multiples à faible dose – c'est la proposition no 1.

Il me semble également nécessaire de renforcer l'effort de recherche prévu dans la loi de programmation afférente, afin d'établir les causes environnementales à travers l'étude de l'exposome – c'est la proposition no 2.

Les actions menées depuis le début du XXIe siècle, si elles ont enregistré certains succès dans des domaines ciblés, ont montré les limites de la mise en œuvre d'une politique de santé environnementale à l'échelle nationale. De l'avis général, la planification en matière de santé environnementale est un échec avéré. Le plan national santé environnement (PNSE), notamment, apparaît ineffectif, en partie du fait d'une absence de volonté politique de le soutenir et de le faire progresser, alors même que ses enjeux sont essentiels pour notre avenir commun. Un plan soutenu par une véritable volonté politique, comme cela a été le cas pour le plan cancer, peut avoir des résultats tout à fait impressionnants. J'ai également été frappée, à ce propos, par la quasi-unanimité des personnes que nous avons entendues. Il faut donc repenser la place de la santé environnementale dans l'organisation de l'action publique.

Pour une approche transversale, je vous propose en particulier de tenir annuellement une conférence nationale de santé environnementale, rassemblant les acteurs du domaine – c'est la proposition no 3 –, et de cesser de considérer la santé environnementale comme une politique publique ciblée, pour l'imposer comme une dimension obligatoire de toutes les autres politiques menées – c'est la proposition no 6. De la même manière que notre pays a adopté, il y a quelques années, une démarche de la « santé partout », il faut vraiment réfléchir en termes de la « santé environnementale partout ».

Au niveau sectoriel, le traitement de plusieurs pathologies doit être revu pour prendre pleinement en considération les facteurs environnementaux incriminés dans leur développement, et trouver de nouvelles solutions pour leur prévention.

Il en va ainsi de l'obésité, maladie qui affecte plus de 8 millions de nos concitoyens et dont le traitement reste centré sur le comportement nutritionnel et l'activité physique. Ce n'est pas suffisant. Je propose donc de transformer la feuille de route Obésité en une stratégie nationale de prévention, incluant le traitement des facteurs environnementaux, en particulier les perturbateurs endocriniens – c'est la proposition no 4.

Quant aux cancers pédiatriques, il est essentiel de les placer au cœur de la prochaine stratégie décennale de lutte contre le cancer, en cours d'élaboration – c'est la proposition no 5. En tant que députés, il est de notre devoir d'alerter le Gouvernement à ce propos.

Dans le cadre de la révision du règlement européen concernant l'enregistrement, l'évaluation, l'autorisation des substances chimiques et les restrictions applicables à ces substances (REACH), il nous faut également convaincre les ministres chargés de ce dossier de la nécessité d'intégrer les effets des perturbateurs endocriniens parmi les toxicités prises en compte dans l'examen des produits – c'est la proposition no 9.

Par ailleurs, comme le recommandaient nos collègues Claire Pitollat et Laurianne Rossi, nous devons soutenir la mise en place d'un « toxi-score » permettant d'évaluer les produits de consommation en fonction des produits reprotoxiques et cancérogènes, ou encore des perturbateurs endocriniens qu'ils contiennent – c'est la proposition no 23.

Dans le domaine des produits chimiques, il me semble enfin indispensable de renforcer les obligations des professionnels en matière de transfert des informations aux agences évaluatrices – c'est la proposition no 10.

En ce qui concerne l'architecture de la politique de santé environnementale, nous devons inverser la logique actuelle, inefficace. Les initiatives locales, qui sont les mieux à même de répondre aux inquiétudes de la population, doivent être favorisées. Pour recueillir, diffuser et faire connaître les données de santé environnementale, je propose de mettre en place des réseaux régionaux et interrégionaux, coordonnés au niveau national, avec le concours, notamment, des observatoires régionaux de santé et des observatoires régionaux de la biodiversité.

Face à l'urgence de la question et aux situations parfois dramatiques auxquelles font face les populations – je pense en particulier aux communes frappées par des clusters de maladies affectant les enfants, qu'il s'agisse de cancers ou de malformations –, chaque territoire doit désormais s'engager dans un effort de prévention et d'amélioration de la santé environnementale. Je propose donc de rendre obligatoire la signature de contrats locaux de santé par les établissements publics de coopération intercommunale – c'est la proposition no 13.

Au niveau régional, deux innovations doivent être mises en œuvre. Les conseils économiques, sociaux et environnementaux régionaux (Ceser) doivent devenir le relais de référence des préoccupations de la société civile en matière de santé environnementale – c'est la proposition no 14. Il faut également favoriser le rapprochement entre les observatoires régionaux de santé et les observatoires de la biodiversité au sein d'observatoires régionaux de la santé environnementale, qui pourraient être mis à la disposition des Ceser – c'est la proposition no 15. Certaines instances existent mais ne sont pas actives : il importe de faire en sorte qu'elles le deviennent et qu'elles travaillent les unes avec les autres.

Sur le terrain, le rôle des professionnels de santé est central. Or leur formation en matière de santé environnementale est pour le moins lacunaire. La marge de progression est donc très importante, à plusieurs égards. Je propose ainsi d'accorder une plus grande place dans le cursus médical à l'étude des facteurs environnementaux émergents en la rendant obligatoire dans la formation continue – c'est la proposition no 17.

S'agissant plus précisément de l'obésité, la connaissance de ses causes environnementales doit être mieux appréhendée pour améliorer la prévention et le traitement de cette maladie. En dépit de son augmentation colossale au cours des trente dernières années, qui en fait, selon moi, une véritable épidémie, aucune évolution notable n'a eu lieu dans la formation des professionnels qui sont amenés à s'en charger. Il me paraît donc nécessaire de créer un diplôme de médecin obésitologue qui permette une prise en charge au long cours par un médecin spécialiste des personnes souffrant de cette pathologie – c'est la proposition no 19.

Enfin, en tant qu'élus, nous devons nous-mêmes progresser dans notre connaissance des enjeux de la santé environnementale pour pouvoir dialoguer avec la population et diffuser des informations en la matière. Le rôle des maires est particulièrement important quand il s'agit de faire face aux inquiétudes de la population, de soutenir celle-ci et de l'accompagner : ils sont parmi les rares autorités publiques à continuer de jouir de la confiance des citoyens. Je propose donc de développer des outils, notamment numériques, afin de renforcer l'information de tous les élus et leur capacité à communiquer en matière de risques environnementaux et sanitaires – c'est la proposition no 22.

Voilà, mes chers collègues, brièvement résumé, le contenu des analyses et propositions que vous trouverez dans le rapport.

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