La réunion débute à quatorze heures.
Chers collègues, nous arrivons au terme des travaux de notre commission d'enquête relative à l'évaluation des politiques publiques de santé environnementale.
Deux points sont inscrits à notre ordre du jour : la restitution des travaux de la commission d'enquête et le vote pour autoriser la publication du rapport.
La rapporteure, Mme Sandrine Josso, va nous présenter une synthèse des travaux de la commission d'enquête, ainsi que les propositions qui figurent dans son rapport. Je vous donnerai ensuite la parole pour lui poser des questions ou formuler des observations.
Ceux d'entre vous qui souhaiteraient apporter une contribution écrite au rapport ont la possibilité d'envoyer leur texte au secrétariat de la commission jusqu'au 23 décembre. Cet après-midi, nous voterons uniquement sur le rapport en lui-même, mais le document final qui sera mis en ligne sur le site de l'Assemblée nationale comprendra également ces contributions, dont la mienne.
Chers collègues, comme vous le savez, j'ai été à l'initiative de cette commission d'enquête sur une question qui constitue, selon moi, la préoccupation fondamentale de notre temps. À la fin du parcours, je tiens à vous remercier tous d'avoir participé à ces travaux et enrichi les débats, alors même que la période automnale est très chargée à l'Assemblée nationale. Je souhaite partager avec vous les principaux constats auxquels je suis parvenue et vous présenter les propositions que j'ai retenues pour que la France se dote enfin d'une politique efficace en matière de santé environnementale.
La grande majorité de nos concitoyens a conscience que la dégradation de la santé environnementale affecte l'ensemble du biosystème : les santés humaine, animale et végétale sont interdépendantes. Or les outils de politique publique dont nous disposons ne sont pas à la hauteur des attentes. De nombreuses personnes auditionnées nous ont rappelé le coût faramineux – en termes de vies humaines, mais aussi pour les finances publiques – de notre inaction dans ce domaine depuis des décennies.
Selon l'Organisation mondiale de la santé (OMS), 12 à 13 millions de décès dans le monde, soit 23 % de la mortalité globale, sont liés à une cause environnementale – en premier lieu la pollution de l'air, en second lieu la qualité de l'eau. L'Agence européenne de l'environnement, dans un rapport récent s'appuyant sur les études de l'OMS, en estime la proportion en Europe à 13 %, soit 630 000 décès. Selon la commission d'enquête du Sénat sur le coût économique et financier de la pollution de l'air, le coût global de cette pollution, au regard de ses conséquences économiques, environnementales et sanitaires, s'élève à plus de 100 milliards par an, dont 20 milliards pour le seul air intérieur.
Plusieurs scientifiques auditionnés l'ont expliqué, la santé environnementale demeure une matière sujette à des difficultés conceptuelles, marquée par des désaccords de principe et de méthode. Aux incertitudes qui peuvent exister en épidémiologie quant à la compréhension des causes des maladies, s'ajoutent en effet les défis propres à la toxicologie et à l'écotoxicologie, ainsi que la complexité technique et logistique de la mesure de l'environnement. C'est pourquoi je propose tout d'abord de progresser dans la connaissance, et de développer des programmes de recherche intégrant des approches méthodologiques relevant des sciences humaines et sociales, centrés sur les « effets cocktails » et les conséquences des expositions multiples à faible dose – c'est la proposition no 1.
Il me semble également nécessaire de renforcer l'effort de recherche prévu dans la loi de programmation afférente, afin d'établir les causes environnementales à travers l'étude de l'exposome – c'est la proposition no 2.
Les actions menées depuis le début du XXIe siècle, si elles ont enregistré certains succès dans des domaines ciblés, ont montré les limites de la mise en œuvre d'une politique de santé environnementale à l'échelle nationale. De l'avis général, la planification en matière de santé environnementale est un échec avéré. Le plan national santé environnement (PNSE), notamment, apparaît ineffectif, en partie du fait d'une absence de volonté politique de le soutenir et de le faire progresser, alors même que ses enjeux sont essentiels pour notre avenir commun. Un plan soutenu par une véritable volonté politique, comme cela a été le cas pour le plan cancer, peut avoir des résultats tout à fait impressionnants. J'ai également été frappée, à ce propos, par la quasi-unanimité des personnes que nous avons entendues. Il faut donc repenser la place de la santé environnementale dans l'organisation de l'action publique.
Pour une approche transversale, je vous propose en particulier de tenir annuellement une conférence nationale de santé environnementale, rassemblant les acteurs du domaine – c'est la proposition no 3 –, et de cesser de considérer la santé environnementale comme une politique publique ciblée, pour l'imposer comme une dimension obligatoire de toutes les autres politiques menées – c'est la proposition no 6. De la même manière que notre pays a adopté, il y a quelques années, une démarche de la « santé partout », il faut vraiment réfléchir en termes de la « santé environnementale partout ».
Au niveau sectoriel, le traitement de plusieurs pathologies doit être revu pour prendre pleinement en considération les facteurs environnementaux incriminés dans leur développement, et trouver de nouvelles solutions pour leur prévention.
Il en va ainsi de l'obésité, maladie qui affecte plus de 8 millions de nos concitoyens et dont le traitement reste centré sur le comportement nutritionnel et l'activité physique. Ce n'est pas suffisant. Je propose donc de transformer la feuille de route Obésité en une stratégie nationale de prévention, incluant le traitement des facteurs environnementaux, en particulier les perturbateurs endocriniens – c'est la proposition no 4.
Quant aux cancers pédiatriques, il est essentiel de les placer au cœur de la prochaine stratégie décennale de lutte contre le cancer, en cours d'élaboration – c'est la proposition no 5. En tant que députés, il est de notre devoir d'alerter le Gouvernement à ce propos.
Dans le cadre de la révision du règlement européen concernant l'enregistrement, l'évaluation, l'autorisation des substances chimiques et les restrictions applicables à ces substances (REACH), il nous faut également convaincre les ministres chargés de ce dossier de la nécessité d'intégrer les effets des perturbateurs endocriniens parmi les toxicités prises en compte dans l'examen des produits – c'est la proposition no 9.
Par ailleurs, comme le recommandaient nos collègues Claire Pitollat et Laurianne Rossi, nous devons soutenir la mise en place d'un « toxi-score » permettant d'évaluer les produits de consommation en fonction des produits reprotoxiques et cancérogènes, ou encore des perturbateurs endocriniens qu'ils contiennent – c'est la proposition no 23.
Dans le domaine des produits chimiques, il me semble enfin indispensable de renforcer les obligations des professionnels en matière de transfert des informations aux agences évaluatrices – c'est la proposition no 10.
En ce qui concerne l'architecture de la politique de santé environnementale, nous devons inverser la logique actuelle, inefficace. Les initiatives locales, qui sont les mieux à même de répondre aux inquiétudes de la population, doivent être favorisées. Pour recueillir, diffuser et faire connaître les données de santé environnementale, je propose de mettre en place des réseaux régionaux et interrégionaux, coordonnés au niveau national, avec le concours, notamment, des observatoires régionaux de santé et des observatoires régionaux de la biodiversité.
Face à l'urgence de la question et aux situations parfois dramatiques auxquelles font face les populations – je pense en particulier aux communes frappées par des clusters de maladies affectant les enfants, qu'il s'agisse de cancers ou de malformations –, chaque territoire doit désormais s'engager dans un effort de prévention et d'amélioration de la santé environnementale. Je propose donc de rendre obligatoire la signature de contrats locaux de santé par les établissements publics de coopération intercommunale – c'est la proposition no 13.
Au niveau régional, deux innovations doivent être mises en œuvre. Les conseils économiques, sociaux et environnementaux régionaux (Ceser) doivent devenir le relais de référence des préoccupations de la société civile en matière de santé environnementale – c'est la proposition no 14. Il faut également favoriser le rapprochement entre les observatoires régionaux de santé et les observatoires de la biodiversité au sein d'observatoires régionaux de la santé environnementale, qui pourraient être mis à la disposition des Ceser – c'est la proposition no 15. Certaines instances existent mais ne sont pas actives : il importe de faire en sorte qu'elles le deviennent et qu'elles travaillent les unes avec les autres.
Sur le terrain, le rôle des professionnels de santé est central. Or leur formation en matière de santé environnementale est pour le moins lacunaire. La marge de progression est donc très importante, à plusieurs égards. Je propose ainsi d'accorder une plus grande place dans le cursus médical à l'étude des facteurs environnementaux émergents en la rendant obligatoire dans la formation continue – c'est la proposition no 17.
S'agissant plus précisément de l'obésité, la connaissance de ses causes environnementales doit être mieux appréhendée pour améliorer la prévention et le traitement de cette maladie. En dépit de son augmentation colossale au cours des trente dernières années, qui en fait, selon moi, une véritable épidémie, aucune évolution notable n'a eu lieu dans la formation des professionnels qui sont amenés à s'en charger. Il me paraît donc nécessaire de créer un diplôme de médecin obésitologue qui permette une prise en charge au long cours par un médecin spécialiste des personnes souffrant de cette pathologie – c'est la proposition no 19.
Enfin, en tant qu'élus, nous devons nous-mêmes progresser dans notre connaissance des enjeux de la santé environnementale pour pouvoir dialoguer avec la population et diffuser des informations en la matière. Le rôle des maires est particulièrement important quand il s'agit de faire face aux inquiétudes de la population, de soutenir celle-ci et de l'accompagner : ils sont parmi les rares autorités publiques à continuer de jouir de la confiance des citoyens. Je propose donc de développer des outils, notamment numériques, afin de renforcer l'information de tous les élus et leur capacité à communiquer en matière de risques environnementaux et sanitaires – c'est la proposition no 22.
Voilà, mes chers collègues, brièvement résumé, le contenu des analyses et propositions que vous trouverez dans le rapport.
Merci, madame la rapporteure, pour cet exposé synthétique de vos propositions. Nous sommes agréablement surpris compte tenu du déroulement des auditions et des hésitations qui ont marqué le début de nos travaux, tant le champ était immense. Je vous félicite : vous avez fait preuve de persévérance et d'intelligence. Nous sommes fiers de vous.
À l'issue d'une commission d'enquête comme celle-ci, se pose, comme chaque fois, cette question pratique : qu'adviendra-t-il de ses conclusions ? En dehors de l'enthousiasme de nos collègues parlementaires, que vous saurez entretenir, avez-vous senti, lors des auditions, notamment celle de la ministre de la transition écologique, le souhait que certaines des propositions trouvent place en 2021 dans un véhicule législatif, par exemple le projet de loi faisant suite à la Convention citoyenne pour le climat ? Y aura-t-il, à tout le moins, des inflexions politiques par la voie réglementaire ou des évolutions budgétaires ?
Je vous sais très engagé sur ces questions, monsieur Potier ; vos propos sont donc très rassurants. La santé environnementale est un enjeu transpartisan. Comme vous l'avez dit, certains véhicules législatifs nous permettront peut-être d'intégrer des propositions par voie d'amendement.
Pour faire suite à cette commission d'enquête, je propose de créer un groupe de travail, une sorte de comité de pilotage ayant pour objectif de déterminer la stratégie à venir. Nos propositions ne doivent pas rester lettre morte : il faut qu'elles se traduisent en actions. Nous devons nous mettre d'accord sur certaines priorités, au regard des textes qui nous seront soumis. Je serai à l'écoute des propositions de chacun allant dans ce sens. Je crois à l'intelligence collective ; ce sujet doit nous rassembler. Du reste, nos concitoyens nous attendent sur ces questions.
Je vous adresse de vives félicitations, madame la rapporteure, pour le travail que vous avez accompli. Les circonstances n'étaient pas simples : on aurait pu craindre que les auditions soient entravées par la crise sanitaire. Or elles se sont révélées d'une grande richesse. J'y ai trouvé beaucoup d'informations utiles, pertinentes et susceptibles de donner des idées. Je vous remercie également pour le rapport que vous nous présentez. Il résume bien le travail effectué et contient un certain nombre de propositions.
Toutefois, je voudrais évoquer un point qui n'y est pas suffisamment mis en relief, à savoir l'évaluation du troisième plan national santé-environnement. Vous avez, tout comme moi, lu les critiques formulées aussi bien par l'inspection générale des affaires sociales (IGAS) que par le conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD). L'un et l'autre considèrent que ce plan a été défaillant : sur les 110 actions envisagées, beaucoup n'ont été mises en œuvre que de façon très relative. Autrement dit, les réalisations ne sont pas à la hauteur des attentes. Selon l'IGAS, « très peu » des actions « visent à diminuer l'exposition aux facteurs nocifs ». Le CGEDD remarque que la plupart d'entre elles n'ont pas été opérationnelles. En dépit des recommandations du Haut Conseil de la santé publique, aucun indicateur sur les effets concernant la santé n'a été défini et aucune des actions n'a fait l'objet d'un chiffrage financier.
Nous sommes donc au milieu du gué. Cela m'amène à faire une réflexion qui dépasse le cadre de notre commission d'enquête : c'est un travers très fréquent dans notre pays que d'avoir beaucoup de plans, mais aucun d'entre eux n'atteint les objectifs fixés. J'ai vu se multiplier les plans cancer ou autres plans relatifs aux transplantations d'organes ; on est toujours déçu au moment où s'achève la période définie. Cela signifie que les ambitions sont tellement excessives qu'elles sont inatteignables, mais aussi – et surtout – que nous ne nous donnons pas les moyens de les réaliser. Du fait qu'il n'y a pas d'évaluation au jour le jour, au bout de quelques années, on ne peut que déplorer l'écart entre ce qui était programmé et ce qui a été accompli, et l'on dit qu'on fera mieux la prochaine fois. Mais ce ne sera pas vrai, à moins de mettre en place un système permettant de lister chaque mois les avancées, et surtout de comprendre pourquoi on ne parvient pas à atteindre les objectifs. Si je devais donc émettre un vœu, ce serait que le quatrième plan national santé environnement soit assorti d'obligations de résultat beaucoup plus fortes.
Il est vrai, monsieur Touraine, que vous avez une longue expérience. J'accorde toujours beaucoup d'importance à cette expérience, et à sa transmission.
Des informations précises sur le travail d'inspection figurent en annexe du rapport. Nous n'avions pas à refaire ce travail.
Votre remarque sur la méthodologie qui doit changer est très intéressante. C'est aussi pourquoi nous devons organiser une continuité à cette commission d'enquête, et piloter un vrai groupe stratégique à des fins d'action et d'efficience. Nous sommes tout à fait d'accord.
Je me joins aux félicitations de mes collègues concernant les travaux et le fort intérêt du sujet, notamment dans le contexte de cette crise sanitaire.
Le contrôle et l'évaluation est également un sujet qui m'est cher. Il devrait d'ailleurs l'être de plus en plus au sein de notre assemblée, puisque c'est une mission fondamentale des députés. Le comité de pilotage que vous envisagez, madame la rapporteure, renvoie aux échanges que nous avions eus lors de notre première rencontre sur la façon de circonscrire ce vaste sujet de la santé environnementale ainsi que sur son pilotage et sa gouvernance. On a vu la multiplicité des plans pas forcément aboutis ; l'évaluation pas forcément conduite ; la difficulté d'application par l'ensemble des gouvernances ministérielles d'une politique transversale.
Il est régulièrement pointé que, dans notre politique de prévention, pilotage et gouvernance sont une faille à laquelle il faudrait vraiment remédier. Avez-vous eu des retours s'agissant de la nécessité d'imposer partout et à tous la politique de santé environnementale, et de la conduire de façon plus coordonnée, en déterminant des priorités, au lieu que chacun élabore son bout de plan ? En avez-vous tenu compte dans vos propositions ? Quelles réflexions et analyses pourriez-vous partager avec nous ?
Je me souviens très bien de votre intervention, très pertinente, au tout début de nos travaux. Elle m'avait fait réfléchir, et j'ai continué à poser des questions à ce sujet lors des auditions. C'est de là qu'est née la proposition d'une conférence nationale annuelle, avec tous les représentants, dont les collectivités et les services déconcentrés, ainsi que les associations. Il y a vraiment une nécessité d'ouverture. J'ai moi-même fait partie d'un comité de suivi sur un cluster de cancers dans mon territoire ; je me suis trouvée devant un laboratoire qui ne fonctionnait pas ; on faisait de l'entre-soi, sans parvenir à une vraie stratégie d'action.
Vous avez tout à fait raison, et je mettrai un point d'honneur à intégrer ce sujet dans le suivi des résultats de cette commission d'enquête. Je vous invite à partager tous les exemples qui fonctionnent, que vous avez pu observer. Je vous remercie d'avoir soulevé ce point majeur.
Les collègues ont déjà souligné la qualité du travail : le document est vraiment remarquable et les éloges sont largement mérités.
S'agissant de la proposition n° 1, ne pensez-vous pas, comme moi, qu'il faudrait donner une dimension européenne au volet recherche ? J'ai eu un peu de mal à distinguer cette proposition de la proposition n° 8, qui en dehors de la référence à l'exposome, porte également sur la nécessité d'accroître l'effort de recherche. Je me demande s'il n'y aurait pas lieu de les reformuler.
Une remarque – constructive – sur la proposition n° 6 : il me semble que la notion de transversalité, le mot même, manque dans la manière de considérer la santé environnementale.
Nous avions discuté des propositions nos 17 et 18 lorsque j'ai été auditionné par la commission d'enquête en qualité de président du Conseil national de l'air. Je partage entièrement ces propositions relatives à la formation, en me demandant toutefois s'il ne faudrait pas mentionner explicitement la formation initiale des médecins à côté de la formation continue. Cela peut paraître évident, mais mieux vaudrait l'écrire clairement – j'ai vu trop de choses dans l'université où je travaillais avant d'être député. Que pensez-vous de rendre obligatoires ces formations ?
S'agissant de la proposition n° 20, pourriez-vous donner un exemple concret de ce que vous entendez par « revitaliser les métiers » ? Cette idée est très intéressante ; j'aimerais voir comment on peut la mettre en œuvre.
En tant que président du Conseil national de l'air, je participerais volontiers à un groupe de travail sur le toxi-score, qui fait l'objet de la proposition n° 23. Pensez-vous travailler avec l'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA, European Food Safety Authority ) et l'Agence européenne des produits chimiques (ECHA, European Chemicals Agency ) ? D'ailleurs, je vous proposerais bien volontiers de participer à une des séances du Conseil national de l'air ; ses membres seront ravis d'aborder notamment la question de l'exposome, sur laquelle nous travaillons, tant pour l'air intérieur qu'extérieur.
Enfin, j'ai été surpris, gêné même, de lire que, pendant les auditions, vous n'avez pas été en mesure de poser les questions avec « la liberté habituellement accordée au rapporteur d'une commission d'enquête » ou encore que « certaines des institutions qui structurent le paysage de la santé environnementale en France n'ont pas pu être interrogées par votre rapporteure ». Au sein de l'Assemblée nationale, on ne devrait pas pouvoir lire de tels propos – peut-être n'ai-je pas bien compris. Pouvez-vous citer quelques-unes de ces institutions qui n'ont pas pu être interrogées, afin que nous puissions nous rendre compte de ce qui manque dans le rapport ?
Je n'ai pas pu auditionner certaines institutions, notamment en lien avec le Groupe Santé Environnement, simplement parce que la présidente de la commission d'enquête préside ce groupe.
Il faut à tout prix travailler avec les instances européennes. Je l'ai éprouvé dans mon territoire, en participant au comité de suivi des cancers pédiatriques. Nous faisions très souvent référence à l'Europe pour noter que, malheureusement, il n'y avait pas de travail conjoint opérationnel, sur de nombreux sujets. Le rapport de Laurianne Rossi et Claire Pitollat a d'ailleurs confirmé cette nécessité d'être davantage en lien avec nos homologues européens, dans tous les domaines qui concernent la santé environnementale, ainsi qu'avec les administrations européennes. Ce point est très pertinent.
Votre invitation me touche beaucoup, car vous engagez des actions au sein du Comité national de l'air. On le sait, un nombre très élevé de décès est lié à la pollution de l'air – on parle de 48 000 décès, jusqu'à 67 000. J'accède à votre proposition : travaillons tous ensemble sur ces sujets. Nous avons la chance que la commission d'enquête compte de nombreux collègues ayant travaillé sur des sujets en lien avec la santé environnementale et l'alimentation, par exemple sur les nitrites. Je m'appuierai évidemment sur les travaux et sur la bonne volonté de tous.
S'agissant de votre remarque sur les propositions liées à la recherche, la première se situe sur un plan plus global. Elle vise à inclure dans les études les aspects sociétaux et comportementaux de la santé environnementale, qui, souvent, ne sont pas pris en considération. Ainsi, les registres des personnes atteintes de cancers n'intègrent pas la modélisation des activités et des comportements des citoyens. Quand ceux-ci déménagent, par exemple, d'un territoire à un autre, cela fausse les données. Ce n'est qu'un des aspects ; il y en a de nombreux autres. Il faut vraiment être très global dans notre façon de voir les choses.
Quant à l'exposome, il a été très bien expliqué par les toxicologues que nous avons auditionnés. C'est un sujet majeur dans de nombreux domaines – l'agriculture, mais aussi d'autres donnant lieu à beaucoup d'innovation. En France, on a tendance à être trop conservateur et à ignorer tous les champs d'innovation. Or des choses très intéressantes se passent dans de nombreux domaines. À propos du microbiote, par exemple, des travaux très intéressants prouvent que les bactéries de nos intestins peuvent agir pour notre protection et renforcer notre résistance aux attaques des perturbateurs endocriniens. Tout est lié.
C'est aussi pour cela que j'ai voulu redéfinir la santé environnementale comme l'impact de l'homme sur l'environnement et les conséquences sur sa santé, en incluant la faune et la flore. La santé environnementale peut être abstraite pour nos concitoyens ; il faut expliquer de manière très simple ce qui doit être un nouveau paradigme. Nombreux sont ceux qui l'ont dit, nous avons eu trop tendance à cloisonner, à séparer santé et environnement – l'intitulé du plan national santé-environnement en est l'illustration. Décloisonnons donc, changeons de paradigme ; mettons en place une méthode beaucoup plus efficace, qui nous fasse passer de la réflexion à l'action. Ce que l'on vit aujourd'hui avec la covid-19 doit nous amener à réfléchir à une politique plus préventive et efficace. Les personnes touchées sont certes âgées, mais d'autres le sont en raison de facteurs de comorbidité – hypertension, diabète ou surpoids.
Votre expérience en matière de formation est très intéressante. Il y a évidemment des actions à mener au niveau de la formation de base ; la formation continue n'est pas la seule solution. Nous sommes bien d'accord sur ce sujet. Dans la formation des ingénieurs agronomes, par exemple, la notion de santé environnementale fait défaut. De fait, la formation est très importante dès le départ de tous ces cursus.
En tant que présidente du Groupe Santé Environnement, je me serais fait un plaisir d'accepter votre invitation, Mme la rapporteure, si j'en avais reçu une. J'aurais pu demander à un vice-président de me remplacer pour venir répondre à toutes vos questions.
Déontologiquement, nous ne pouvions pas le faire. Cela étant, les auditions se sont bien passées et nous avons pu entendre de nombreuses personnes qui avaient beaucoup à nous dire. En tout cas, cela ne nous a pas empêchés de mener à bien la rédaction de notre rapport. Nous ne nous arrêterons pas à cela. Soyons tous sereins.
Je suis d'accord pour que nous restions tous sereins mais, dans ce cas, pourquoi l'avoir mentionné ?
Je remercie Mme la rapporteure d'avoir pris l'initiative de ce travail, mais aussi toutes les personnes auditionnées, dont les idées et propositions sont fidèlement transcrites dans ce rapport d'une grande qualité. Je salue l'engagement de notre rapporteure et son souci de démocratiser un sujet extrêmement complexe. C'est, en effet, le premier enjeu. Ainsi, les propositions relatives au Ceser sont intéressantes, car les citoyens doivent pouvoir trouver un interlocuteur pour aborder ce sujet, source d'angoisses et objet de fantasmes. Ils n'ont aujourd'hui, en face d'eux, que les interlocuteurs traditionnels – autorités scientifiques, politiques ou publiques. Souvent délégitimés, leurs réponses le sont tout autant, ce qui sème la suspicion. Nous tournons dans un cercle vicieux où l'on n'arrive plus à informer, dialoguer, questionner. Cette proposition est le point de départ d'une vaste réflexion : comment, dans une société de défiance envers les autorités traditionnelles, engager un dialogue raisonnable, qui permette de progresser dans ce domaine fondamental qu'est la santé de nos concitoyens ?
Concernant la recherche scientifique, la chercheure en psychologie que je fus dans une autre vie peut témoigner de l'importance de se préoccuper tout autant des représentations et des comportements, d'une part, que de la santé et de l'environnement, d'autre part. L'exemple de la prévention routière pourrait l'illustrer. Malheureusement, les sections du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) sont organisées en « silos » et il faudrait engager un vaste chantier pour favoriser la pluridisciplinarité. L'enjeu de la santé environnementale pourrait être le moteur qui nous pousse à engager le combat pour obtenir des équipes et des programmes de recherche pluridisciplinaires. C'est une lutte fondamentale que nous devons mener pour vaincre la défiance. Aucune action publique ne sera efficace si nos concitoyens ne comprennent pas les enjeux de la santé environnementale et si nous ne sommes pas capables de lever leurs blocages, en termes de représentation comme de comportement.
Pour ce qui est, par ailleurs, de l'évaluation, beaucoup de gens plaident pour un renforcement des moyens du Parlement. Le combat que nous menons pourrait aller dans ce sens mais nous pourrions aussi œuvrer pour une évaluation climatique des lois – à laquelle je réfléchis avec d'autres collègues –, qui intègre la dimension de la santé environnementale. Je me demande dans quelle mesure nous pourrions intégrer, dans le prochain projet de loi relatif au climat, l'évaluation des conséquences sociales, économiques et environnementales des mesures prévues mais aussi leurs effets sur la santé. Plus généralement, comment prendre de bonnes habitudes et adopter de nouveaux réflexes pour changer nos méthodes d'évaluation ?
Enfin, comment intégrer les acteurs de la biodiversité dans l'équation ? J'ai rencontré ce matin le président de l'Office français de la biodiversité. Si l'environnement peut être à l'origine de problèmes de santé, n'oublions pas que l'on peut trouver dans la nature les solutions pour améliorer la santé et la qualité de vie. La France accueillera l'année prochaine le Congrès mondial de la nature. L'Union internationale pour la conservation de la nature a centré ses actions autour de la recherche de solutions fondées sur la nature. Il est important de faire preuve de créativité et de comprendre qu'en investissant dans la protection de la nature, on investit aussi pour la santé. C'est une piste de travail plus optimiste.
La proposition n° 7 répond à vos attentes du point de vue budgétaire. J'ai bien noté que votre région souffrait d'un taux supérieur à la moyenne de maladies liées à la pollution de l'air. Nous devrons faire preuve de vigilance, car beaucoup reste à faire dans ce domaine.
Concernant l'évaluation, de prochains textes nous permettront de prévoir certaines mesures. Profitons-en.
Quant à la proposition n° 1, c'est vrai, il faut ouvrir les fenêtres, aérer, pour envisager la situation de manière très globale. C'est ainsi que je proposerai au prochain groupe de travail de procéder. Je compte sur les propositions qui remonteront du terrain pour insuffler de l'énergie et enrichir notre réflexion.
Rappelons, au passage, que tous les commissaires de cette commission peuvent participer au travail collectif en transmettant une contribution personnelle.
Merci beaucoup, madame la rapporteure, pour le très important travail que vous avez réalisé. La proposition n° 23, relative au toxi-score, s'inscrit dans la réflexion qui mène toujours à la façon de responsabiliser le consommateur, de le rendre « consomm'acteur. Nous avons déjà mis en place le système d'étiquetage nutri-score. Nous travaillons à la création d'un « score carbone ». Ne pourrions-nous mener une réflexion globale sur l'ensemble de ces sujets, qui se rejoignent ?
Votre remarque est très pertinente et elle a été formulée à plusieurs reprises, notamment par Claire Pitollat et Lauriane Rossi dans leur rapport. Je suis d'ailleurs très intéressée par leurs contributions et leur retour d'expérience, car il est nécessaire de renforcer la transparence des informations.
Je salue très sincèrement l'immense travail accompli. Vous avez procédé à un nombre considérable d'auditions mais, surtout vous avez réussi à synthétiser des sujets complexes pour en tirer des propositions remarquables, susceptibles de répondre aux enjeux majeurs que vous avez dégagés. Bravo pour votre travail ! À titre plus personnel, je vous remercie pour l'attention que vous avez portée aux travaux de la mission d'information sur les perturbateurs endocriniens présents dans les contenants en plastique pour l'alimentaire, les cosmétiques et les produits pharmaceutiques, dont j'étais co-rapporteure avec Claire Pitollat. Vous nous avez fait l'honneur de nous auditionner et nous retrouvons dans votre rapport quelques-unes de nos propositions, en particulier le toxi-score, ce qui nous touche tout particulièrement. C'est aussi la preuve que les travaux réalisés par le Parlement, aussi bien à l'Assemblée nationale qu'au Sénat, continuent à vivre et à alimenter les travaux suivants, ce qui est très important.
Pour ce qui est de la gouvernance, je salue les propositions et je partage entièrement le constat que vous dressez. Il est très difficile de dégager des priorités et de coordonner les actions à mener en raison de la multiplicité d'acteurs et de plans. C'est l'un des écueils majeurs de la politique en santé environnementale, que l'on retrouve dans toutes les politiques publiques que l'on souhaite décliner, qu'il s'agisse de la recherche, des politiques de prévention et d'évaluation et, bien entendu, du principe de précaution qui se trouve au bout de la chaîne et que nous pourrions être amenés à poser. Le diagnostic est extrêmement clair.
Un autre problème découle de cette situation : l'absence fréquente d'une recommandation nationale claire et opposable. Vous le dites vous-même, la plupart des plans n'ont pas de valeur contraignante. C'est un problème qui me conduit à vous alerter au sujet de l'une de vos propositions de déléguer à l'échelle locale la prise en charge de ce sujet. Autant les territoires, régions et départements peuvent jouer un rôle crucial dans le recueil de données et la surveillance – à cet égard, la création d'observatoires régionaux est une excellente idée –, autant les préconisations et recommandations en matière de santé environnementale ne devraient être émises que par une autorité nationale ou, du moins, un organisme capable de les formuler. Les collectivités, qui se retrouvent totalement démunies, ont besoin d'être guidées et accompagnées. Certaines agences régionales de santé le font. Elles ont ainsi pu être d'une aide précieuse lorsqu'il s'agissait de trouver des substituts au plastique. Il n'empêche qu'en déléguant au niveau régional le soin de formuler des recommandations, nous prendrions le risque de creuser les inégalités entre les régions.
Je salue, par ailleurs, à mon tour, votre souci des usagers, des citoyens. Votre proposition de solliciter le CESE et le Ceser est excellente. Rappelons que la plupart des scandales ont éclaté parce que des citoyens, constitués en collectifs ou en associations, les avaient portés sur la place publique ou auprès des élus. C'est ainsi un petit collectif de parents d'élèves qui a permis de prendre des mesures pour réduire l'utilisation du plastique dans les cantines scolaires. Il a pris, aujourd'hui, une envergure nationale et accomplit un travail remarquable. La liste de tous les sujets sur lesquels nos concitoyens sont intervenus serait longue à dresser.
Quant au toxi-score, il correspond à l'une des propositions que nous avions formulées dans notre rapport d'information sur les perturbateurs endocriniens. Partant de la classification de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) des perturbateurs endocriniens en trois catégories – « avérés », « présumés » et « suspectés » –, nous avons imaginé, sur le modèle du nutri-score, un pictogramme informant le consommateur du degré de toxicité du produit qu'il achète. Cet étiquetage ne serait efficace qu'à condition que le secteur industriel soit totalement transparent sur les substances utilisées. Au niveau européen, le règlement REACH, en cours de révision, devrait être beaucoup plus strict et soumettre les industriels, non plus à un simple régime déclaratif, mais à une exigence de complète transparence sur les substances utilisées, quitte à en interdire certaines au nom du principe de précaution. Ce n'est pas le cas aujourd'hui. Une fois cette garantie de transparence obtenue, le pictogramme pourra voir le jour. Bien sûr, le nombre de pictogrammes va finir par être élevé et je ne suis pas certaine qu'il y ait suffisamment de places, sur certains produits, pour le nutri-score, le toxi-score, le score carbone, sans parler du logo dédié au recyclage ou au retraitement des déchets. Nous devrons rationnaliser l'étiquetage, en espérant que les industriels soient le plus vertueux possible, car l'objectif du toxi-score est d'éradiquer la présence de ces substances toxiques dans les contenants et les contenus.
En tout cas, nous porterons haut et fort le rapport que vous présentez aujourd'hui.
Dans la mesure où vous aviez rédigé un excellent rapport, nous nous devions de continuer à cheminer avec vous.
Pour ce qui est de la gouvernance, les auditions ont mis en évidence un défaut d'ascendance manifeste entre les territoires et le national. Les territoires ont la volonté de s'emparer des sujets de santé environnementale. Malheureusement, les observatoires régionaux de santé ou de biodiversité ne sont pas suffisamment mobilisés. Nous avons les outils mais il manque l'action et la coordination. Nous devons donc conforter ces structures et les remobiliser pour améliorer leur crédibilité.
Afin de renforcer l'ascendance, nous avons voulu regrouper, au niveau national, sous le terme de conférence nationale, des représentants des territoires, des collectivités et des services déconcentrés, des associations ainsi que toutes les personnes de la société civile qui contribuent à cette action, qu'il s'agisse de toxicologues ou d'autres spécialistes. Il est important que les différents acteurs aient un lieu où se retrouver, échanger, partager et définir un plan d'action.
La commission d'enquête autorise sa publication.
La réunion s'achève à quinze heures cinq.