Intervention de Pascal Roger

Réunion du jeudi 18 avril 2019 à 11h30
Commission d'enquête sur l'impact économique, industriel et environnemental des énergies renouvelables, sur la transparence des financements et sur l'acceptabilité sociale des politiques de transition énergétique

Pascal Roger, président de la Fédération des services énergie environnement (FEDENE) :

Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, merci de nous écouter sur ce sujet important pour nous. Si vous le permettez, je n'aborderai pas toutes les questions que vous avez listées, préférant mettre l'accent sur la partie finale de votre questionnaire, avant de revenir peut-être ensuite sur certaines questions.

J'ai prévu de faire une intervention liminaire en trois points. Je rappellerai, d'abord, les domaines de compétence et de contribution de la FEDENE au regard des sujets que vous avez évoqués, mettant ainsi en perspective des messages que nous portons sur ces sujets depuis plusieurs années. J'indiquerai, ensuite, quels éléments nous tirons de ce moment charnière de préparation de la nouvelle programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) en réponse aux questions qui intéressent la commission d'enquête. Enfin, je ferai un focus sur la composante économique et financière, aspect clé de la problématique de la transition énergétique qui provoque un certain nombre de difficultés.

Les adhérents de la FEDENE sont des entreprises de services qui assemblent des solutions, montent des projets pour lesquels elles doivent trouver un équilibre financier. De ce fait, elles ont une compétence particulière en matière de conditions économiques, financières, contractuelles, commerciales et techniques de nature à permettre l'émergence de projets contribuant à la transition énergétique.

Nos domaines de compétence et de légitimité couvrent deux grands domaines : les économies d'énergie dans les bâtiments et la chaleur renouvelable et de récupération. Nous ne sommes pas compétents en matière de production électrique, à l'exception de la cogénération. Nous n'avons pas d'avis autorisé sur les questions relatives aux problématiques énergétiques électriques, mais nous sommes amenés à nous interroger sur la cohérence d'ensemble des dispositifs.

Puisque vous avez rappelé que nous sommes une filiale de deux grands groupes, je préciserai que plus de la moitié de nos entreprises adhérentes ont moins de dix salariés. Les grandes sociétés qui appartiennent à ces grands groupes faisaient partie de la FEDENE bien avant d'être filiales de groupes énergétiques. La FEDENE s'inscrit dans un développement logique, car ces grands producteurs d'énergie considèrent la partie services comme un développement naturel de leurs activités. C'est dans ce contexte qu'ils ont rejoint, au travers d'acquisitions ou de fusions, les sociétés que vous avez mentionnées dans votre introduction.

Sur les sujets que vous avez évoqués, nous avons formalisé un certain nombre de d'analyses et de contributions avec les moyens limités qui sont ceux d'une petite fédération. Nous ne réalisons pas des analyses macroéconomiques fouillées, nous reprenons les chiffres qui nous sont fournis pour les mettre en perspective et réaliser des calculs de coin de table. Veuillez nous excuser si nous réfléchissons sur des ordres de grandeurs plutôt que sur des chiffres précis. Nous nous appuyons sur les données publiées par Datalab, l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME), la direction générale de l'énergie et du climat (DGEC), c'est-à-dire les grands acteurs du domaine.

Nous avons publié, il y a un peu plus de trois ans, un livre blanc qui reprend beaucoup des sujets abordés aujourd'hui. Nous y invitions clairement à considérer la photographie du domaine de l'énergie en termes de consommation finale, à savoir qu'un peu de moins de la moitié est représenté par la chaleur, un peu moins d'un tiers par les carburants et un peu plus de 25 % par les usages spécifiques de l'électricité. Que l'importance accordée à ces sujets soit inversement proportionnelle à leur volume ne manque pas de nous interpeller depuis de nombreuses années.

Nous appelions aussi l'attention sur l'aspect économique. Pour voir des projets se réaliser, il faut en trouver les moyens économiques. Cela s'applique de façon générale aux études réalisées dans notre pays. Beaucoup de scenarios sont construits sans prévoir un euro. Cela est en train de changer. J'y reviendrai dans mes commentaires sur la PPE. Nous l'avons vu encore récemment, la prise en compte de la dimension économique est importante. J'y reviendrai.

Dans ce contexte, nous produisons régulièrement des contributions. Dans le livre blanc, donc, nous avons formulé des propositions d'actions concrètes, par segment de marché et par domaine d'activité. Dans le cadre de la préparation de la PPE, nous avons rédigé, dans les « cahiers d'acteurs », d'importants documents de synthèse, formatés sur quatre pages. Nous avons également contribué à la création du Club de la chaleur renouvelable. Face au constat que le sujet de la chaleur, dont le potentiel très important portait, à l'époque, la majorité des objectifs EnR de la France, était, sinon oublié, du moins insuffisamment soutenu, nous avons jugé utile que tous les acteurs de la filière parlent d'une voix commune. À la fin de l'année dernière, nous avons organisé une semaine de la chaleur renouvelable. Nous continuons à prendre des initiatives dans ce domaine afin de faire connaître les éléments constitutifs de cette filière et en quoi elle constitue une véritable opportunité.

Ces analyses et ces conclusions étaient partagées par nombre d'autres acteurs. Je citerai la Cour des comptes, dans son rapport d'avril 2018, la direction générale du Trésor (DGT), dans un rapport de juin 2018 relatif à l'allocation des ressources, et le rapport de l'équipe du Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD), sur les systèmes d'aide au développement de la chaleur, publié à la même époque. Plus récemment, dans le cadre des réactions à la PPE, le Conseil national de la transition écologique (CNTE) et le Conseil économique, social et environnemental (CESE) ont lancé des messages identiques à ceux que nous portons depuis plusieurs années.

Ces messages étaient les suivants. Les deux grands leviers de la transition énergétique sont les économies d'énergie et le verdissement des énergies. Par rapport à l'objectif de la PPE de 8 millions de tonnes d'équivalent pétrole (TEP), la chaleur en représentait 4,9, soit 60 %. À l'époque, nous étions déjà en retard sur ces deux grands leviers au regard des engagements internationaux de notre pays et de nos engagements nationaux. Il y avait globalement un manque de cohérence dans l'allocation des soutiens financiers pour l'ensemble de ces politiques publiques. Cela reste malheureusement d'actualité.

Dans ce moment charnière, nous faisons un point d'avancement après cinq ans avant le démarrage d'une nouvelle période. Nous notons avec satisfaction dans les pages introductives de la nouvelle PPE qu'une inflexion est enfin donnée dans le sens que nous souhaitions et qui a malheureusement révélé son actualité dans les mouvements sociaux récents. Les deux grandes priorités affirmées sont la décarbonation et la maîtrise des coûts collectifs. En effet, des pistes visent à prioriser les économies d'énergies les plus carbonées et à substituer aux énergies fossiles des énergies décarbonées. Cela signifie concrètement que l'accent doit être mis sur la chaleur et les transports, dont les sources d'énergie sont carbonées, l'électricité en France étant, comme chacun le sait, décarbonée à plus de 90 %.

Le second nouveau point important est la maîtrise des coûts collectifs, non seulement pour les collectivités, les clients individuels et le pouvoir d'achat des ménages, mais également pour la compétitivité des entreprises, sujet majeur qui figure enfin en première ligne. On voit resurgir assez logiquement la chaleur renouvelable et la rénovation des bâtiments, non en fonction du discours traditionnel sur la rénovation globale en label bâtiments basse consommation (BBC), mais en prenant appui sur les leviers technologiques et comportementaux, leviers les plus économiquement efficients. C'était l'une de propositions de la FEDENE, via le Syndicat national de l'exploitation climatique et de la maintenance (SNEC), spécialisé dans ce domaine.

Les moyens d'atteindre ces grands objectifs environnementaux et économiques sont ceux que nous préconisons depuis un certain temps : le développement de la chaleur renouvelable et de récupération, et une démarche séquencée de rénovation énergétique déclinée par segments. Le paradoxe, voire la dichotomie, de cette PPE est la contradiction entre cette inflexion « politique » et la déclinaison chiffrée, un grand écart qui s'explique par la lourdeur et la difficulté de l'exercice. Une inflexion a été donnée à la fin de l'année dernière, à la suite des événements intervenus, mais on ne refait pas un exercice comme celui de la PPE d'un claquement de doigts. Au vu de la réaction de la DGEC, l'exercice n'est pas conclu, et nous estimons qu'il nécessite des aménagements bien plus importants que ceux aujourd'hui envisagés.

La déclinaison chiffrée révèle un scénario très fortement électrique. Je le répète, les deux grands objectifs sont la décarbonation et la maîtrise des coûts collectifs. Or aujourd'hui ces éléments n'émergent pas naturellement de la réflexion. Par suite des retards accumulés dans les deux actions, entre 2015 et aujourd'hui, les courbes ont été recalées. Dans cette programmation, on constate une translation homothétique des objectifs : dans une première période de cinq ans, sont proposés des efforts atteignables, l'accélération des efforts devant s'opérer dans la seconde période, c'est-à-dire dans seulement cinq ans. Nous pensons qu'on devrait agir à plus court terme pour recoller aux objectifs.

La contribution électrique aux EnR, qui représentait un gros tiers des objectifs de la première PPE, en représente aujourd'hui plus de la moitié. En valeur absolue, les objectifs pour la chaleur renouvelable sont sensiblement modifiés. L'électricité renouvelable rattrape le retard et devient un vecteur important d'orientation, ce qui n'est pas évident à la première lecture du document. La contribution de la partie « transports » aux EnR, est bien plus faible, puisqu'elle passe de 13 % ou 14 % à 7 %.

Le sujet étant la décarbonation, nous nous attendions à trouver une analyse carbone. Or, on ne trouve pas de chiffres globaux ni d'évaluation de la part carbone liée à la production électrique. Ce sujet suscite pourtant des discussions techniques sur les coefficients primaires d'énergie et sur les facteurs d'émissions. Pour mesurer le contenu carbone de l'électricité, il convient de prendre en compte la saisonnalité. Les chiffres publiés à ce sujet révèlent des émissions de carbone d'environ 210 grammes de CO2 par kilowattheure (KWh) en hiver, incluant la partie chauffage, contre une moyenne annuelle de 80 grammes. Le regard diffère quand on examine les sujets sous l'angle de la décarbonation.

Concernant les économies d'énergie, il est question de milliers de logements, alors qu'il nous semblerait plus simple de parler de térawatts-heures économisés. Cela ne serait pas sans conséquences sur le déploiement des plans d'action concrets.

À ce jour, une grosse partie de la PPE n'est pas financée. Elle avait été construite sur la base d'une trajectoire carbone aujourd'hui suspendue dans le cadre de la contribution climat énergie (CCE). Cette valeur carbone qui était reflétée au travers d'une taxe continue d'impacter les deux leviers. Elle impacte de façon évidente la chaleur renouvelable et de récupération, puisqu'elle entre en concurrence directe avec le prix des énergies fossiles, et de façon indirecte tous les projets d'économies d'énergie, puisque la première source de financement des investissements d'économies d'énergie est la valeur même des économies d'énergie. Si elle ne progresse pas, sa valeur est moindre et les équilibres économiques des projets d'économies d'énergie sont bouleversés.

Le dernier point est d'ordre psychologique. L'anticipation sur l'évolution future des coûts est un élément important dans la prise de décision de nos clients, collectivités, personnes physiques ou industriels. Dans les énergies fossiles, le scénario est devenu flat, alors qu'il y a quelques années, nous étions dans un scénario haussier, à cause des fameux pics gaziers et pétroliers, qui ne sont plus d'actualité ou qui ne le sont plus de la même façon. La suspension de cette trajectoire n'offre plus de perspective d'accroissement de prix de ces énergies, ce qui représente un frein pour les clients qui anticipent les évolutions. Les questionnements sur les moyens alloués sont partagés par les rapports du CESE et du CNTE que j'évoquais tout à l'heure.

J'en viens aux aspects économiques et financiers, élément majeur dans le domaine de la chaleur renouvelable. Tous les projets de chaleur renouvelable sont en compétition avec des projets d'énergies fossiles. Ce que j'ai dit sur le coût relatif des uns et des autres et l'anticipation d'une perspective de croissance représente des leviers essentiels. Au sujet de l'arrêt de la contribution climat énergie, nous avons réalisé un graphique que nous tenons à votre disposition. Nous sommes partis d'un prix du gaz pour un ménage ayant un niveau moyen de consommation. En 2014, le prix de base de la molécule D3, c'est-à-dire pour les clients qui consomment plus de 50 mégawattheures (MWh), était d'environ 60 euros, plus 1 euro de taxe intérieure de consommation sur le gaz naturel (TICGN). En 2018, par suite du fameux décrochage du prix des énergies fossiles, ce prix est passé à 48 euros. Dans la première partie de cette phase, la contribution climat énergie comptait pour 8 euros le MWh, de sorte qu'on est passé de 61 à 56 euros. Ainsi, les solutions de chaleur renouvelable sont aujourd'hui 5 euros moins compétitives qu'elles ne l'étaient en 2014. C'est le cas depuis 2015 et 2016. Depuis cette époque, nous appelons l'attention des pouvoirs publics sur un déficit de compétitivité non compensé. Quand les pouvoirs publics ne répondent à cette question qu'au travers du doublement du fonds chaleur, ils ne disent pas comment rétablir un niveau de compétitivité suffisant pour les projets de chaleur renouvelable.

Il en est de même pour les projets d'économies d'énergie, mais le temps me manque pour aborder le sujet dans mon exposé liminaire.

Enfin, l'équilibre économique est une condition indispensable à l'émergence des projets, et il faut s'inscrire dans une perspective dynamique. Les projets d'économies d'énergie, comme les projets de chaleur renouvelable, sont des leviers de croissance verte. Notre loi est intitulée « loi de transition énergétique pour la croissance verte », ce qui sous-entend d'injecter de l'argent dans l'économie. Chaque fois qu'on réalisera un projet d'économie d'énergie ou de chaleur verte, on remplacera des importations d'énergies fossiles par des investissements, la mobilisation de ressources locales comme la biomasse, le solaire ou la géothermie, et la création d'emplois.

La politique actuelle est strictement budgétaire et statique. Nous passons notre temps à regarder les ressources du budget de l'État. Il faut s'inscrire dans une perspective dynamique. Il vaudrait la peine de faire des calculs. J'ai le sentiment que les moyens injectés dans les projets de chaleur renouvelable ou d'économies d'énergie, à travers les emplois induits et la TVA qui en découle, produiront un retour sur investissement à une échéance que je ne sais pas mesurer mais qui ne doit pas être très longue. On pourrait donc envisager de s'engager dans cette logique. Mme Parly, aujourd'hui ministre des armées, rappelait que tout euro injecté dans la dépense militaire a des retombées économiques. C'est sans doute le cas.

Je vous remercie de votre attention, tout en ayant conscience d'avoir été parfois un peu rapide, voire caricatural.

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