Intervention de Patrice Cahart

Réunion du jeudi 16 mai 2019 à 9h00
Commission d'enquête sur l'impact économique, industriel et environnemental des énergies renouvelables, sur la transparence des financements et sur l'acceptabilité sociale des politiques de transition énergétique

Patrice Cahart :

Merci, M. le président. Je vais essayer de traiter deux questions fondamentales.

La première est de savoir s'il est raisonnable, durant la période nous séparant de l'année 2035, de sacrifier près d'un tiers de notre potentiel nucléaire et de la production correspondante et de le remplacer par du renouvelable. Ma réponse est négative. L'Assemblée nationale va bientôt avoir à discuter d'un projet de loi « énergie », dont la disposition principale consiste à déplacer l'échéance de 2025 à 2035 ; pour autant, le contenu même de l'échéance n'est pas modifié, puisqu'il s'agirait toujours de sacrifier un tiers du potentiel nucléaire, alors qu'il pourrait durer et produire encore longtemps. Mes amis et moi avons réalisé un chiffrage, qui figure dans le dossier que je vous ai remis tout à l'heure en plusieurs exemplaires. Nous avons tout d'abord estimé la puissance renouvelable qui serait nécessaire pour atteindre l'objectif fixé à l'horizon 2035. Les données utilisées sont celles de la Programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), que nous avons extrapolées jusqu'en 2035. Nous avons ensuite multiplié les puissances nécessaires ainsi obtenues par les coûts unitaires de chaque type d'équipement fournis par l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Adème) dans un rapport de 2016. Nous avons ajouté à ceci le coût d'adaptation du réseau de transport et de distribution, qui devra être très largement modifié dans le cas d'un développement massif du recours aux énergies renouvelables. L'autre jour devant vous, le président du Réseau de transport d'électricité (RTE), M. Brottes, a indiqué que l'aménagement du réseau coûtait, uniquement pour les EnR, 4,3 milliards d'euros par an, ce qui est monumental. Nous avons repris ce chiffre et l'avons multiplié par les 17 années qui restent à courir jusqu'à 2035. Le résultat de ces calculs s'établit à 184 milliards d'euros, qui correspond au coût du développement des EnR nécessaires pour remplacer une partie du nucléaire.

À ce coût, nous opposons une alternative qui consisterait tout simplement à prolonger la vie des centrales nucléaires. Aux États-Unis, les centrales utilisent la même technique que celles du parc français et sont prolongées de façon systématique jusqu'à l'âge de 60 ans. Il est même question d'allonger leur durée d'utilisation à 80 ans. Nous nous sommes appuyés pour faire notre calcul sur des données de la Cour des comptes, qui a évalué les dépenses de sécurité, qualifiées de « grand carénage », nécessaires à cette prolongation des centrales nucléaires. Le chiffre obtenu sur 17 ans est de 25 milliards d'euros.

La soustraction entre les deux chiffres obtenus, à savoir 184 milliards d'euros d'un côté et 25 milliards d'euros de l'autre, donne un résultat de 159 milliards d'euros, correspondant au surcoût net des EnR sur la période 2019 – 2035. Pour mémoire, s'ajouterait à ces 159 milliards d'euros l'incidence des décisions déjà prises en faveur des énergies renouvelables mais non encore exécutées fin 2017, que la Cour des comptes a chiffrée à 121 milliards d'euros, à la charge des consommateurs français.

Les chiffres obtenus sont considérables. Il est clair que si l'on dépense de tels montants, il ne restera plus de ressources suffisantes pour financer les autres actions en faveur du climat qui, elles, sont véritablement utiles, dans le domaine des transports ou de l'isolation des bâtiments. Ce surcoût de 159 milliards d'euros serait une perte sèche pour la collectivité des Français : ceci ne présenterait aucun avantage pour l'économie. D'habitude, tout investissement prévu correspond en contrepartie à une production : or il n'existe ici aucune production nouvelle, puisque l'évaluation est effectuée à production constante. Il s'agira donc de 159 milliards d'euros perdus, sans aucun retour sur investissement, ni aucun profit pour le climat, contrairement à ce qu'une partie du public continue de croire : notre énergie électrique est en effet déjà décarbonée au maximum et il n'existe quasiment plus de sources fossiles. Il n'est pas envisageable de descendre sous le seuil actuel, dans la mesure où il est nécessaire de maintenir un minimum d'énergie pilotable, afin de pallier la très grande intermittence de l'éolien et, accessoirement, du photovoltaïque.

Il nous paraîtrait ainsi tout à fait déraisonnable d'adopter cette loi « énergie », avec l'échéance à 2035.

La deuxième question fondamentale à laquelle nous nous sommes intéressées est la suivante : à supposer que les objections que je viens de vous présenter ne convainquent pas et que l'on souhaite tout de même opérer la substitution entre une partie du nucléaire et des EnR, est-il raisonnable, parmi les énergies renouvelables, de mettre l'accent sur l'éolien, notamment terrestre ? Les EnR sont très diverses et présentent des avantages et des inconvénients qui varient de l'une à l'autre. L'éolien, surtout terrestre, est de loin la forme d'énergie renouvelable qui comporte le plus d'inconvénients. Il s'agit d'une forme d'énergie particulièrement agressive : actuellement les éoliennes terrestres implantées couramment dans nos campagnes mesurent 180 mètres de haut, soit 60 % de la hauteur de la Tour Eiffel. Un projet à l'étude dans l'Yonne concerne même des installations de 240 mètres de haut. Nous avons procédé à une évaluation, que vous retrouverez dans le dossier, qui montre que si la loi « énergie » qui va vous être proposée est adoptée et exécutée, toutes les zones rurales de France se trouveront à moins de six kilomètres d'une grande éolienne, ce qui induirait une transformation majeure du paysage français. Nous avons choisi cette distance de six kilomètres car elle correspond au rayon d'affichage des enquêtes publiques, dans lequel les communes et les particuliers doivent être consultés. Ce périmètre est d'ailleurs très insuffisant compte tenu de la croissance en hauteur des éoliennes et devrait être au moins de dix kilomètres maintenant ; nous l'avons néanmoins retenu puisqu'il s'agit encore actuellement du chiffre officiel.

Ceci conduit à considérer de préférence d'autres énergies renouvelables, en premier lieu le photovoltaïque, qui présente certains inconvénients, mais est beaucoup moins agressif que l'éolien terrestre car il ne se voit pas de loin et coûte nettement moins cher. Vous trouverez ainsi dans le dossier la copie d'un communiqué du ministre François de Rugy de novembre 2018 expliquant que sur les seize appels d'offres lancés mettant en concurrence l'éolien terrestre et le photovoltaïque, dans neuf régions y compris des régions peu ensoleillées comme les Hauts-de-France, le photovoltaïque a été déclaré vainqueur dans 100 % des cas par rapport à l'éolien terrestre, car nettement moins cher. Après un tel communiqué, les personnes informées s'attendaient à l'arrêt complet des opérations d'éolien terrestre dans l'ensemble du territoire français : pourquoi continuer alors que cette énergie est excessivement chère, très agressive et qu'il existe de multiples possibilités pour développer le photovoltaïque dans notre pays, notamment dans sa moitié sud ? Or contre toute attente, les programmes éoliens se poursuivent comme si de rien n'était. Ceci est absolument sidérant. Je crois en effet que le photovoltaïque a vocation à remplacer très largement, voire complètement, l'éolien terrestre dans les programmes.

Il convient également de considérer d'autres sources d'énergie comme la géothermie en faible profondeur, qu'il est possible de mettre en œuvre dans la quasi-totalité de la France, dans la mesure où il suffit de disposer d'une nappe phréatique.

Je tiens également à mettre l'accent sur une forme d'énergie que j'aime beaucoup, qui consiste en la récupération de la chaleur des égouts. Ce procédé ne présente aucun inconvénient d'ordre esthétique. Une expérience prometteuse avait été menée notamment dans un quartier de Nanterre, qui était chauffé par ce moyen. Hélas, pour des raisons que je n'ai pas comprises, les pouvoirs publics ne se sont pas du tout intéressés à cette forme d'énergie, si bien que le promoteur a rencontré des ennuis financiers. Actuellement, il semble donc que cette filière prometteuse soit stoppée.

Ma conclusion est qu'il est urgent d'arrêter toutes les aides publiques apportées à l'éolien. Ceci concerne essentiellement l'éolien terrestre, l'éolien maritime appelant davantage de discussions, dans la mesure où son développement s'accompagne d'un espoir de création d'emplois en France, ce qui n'est pas le cas de l'éolien terrestre. La Grande-Bretagne, l'Espagne et le Québec ont déjà pris la décision de cesser toute aide à l'éolien terrestre et ne s'en portent pas plus mal. Vous trouverez dans le dossier un article du journal Les Echos concernant trois parcs éoliens récents qui vont être réalisés en mer allemande sans aucune aide. Si des parcs ancrés en mer peuvent être réalisés sans aide, ceci semble a fortiori possible pour des groupes éoliens terrestres, dont l'installation et l'entretien sont moins coûteux. Tout ceci plaide pour un arrêt immédiat de toutes aides à l'éolien, au moins terrestre.

Merci de votre attention.

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