L'audition débute à neuf heures cinq.
Chers collègues, nous consacrons les auditions de cette matinée à la dimension économique de l'électricité éolienne. Notre objectif est d'entendre des points de vue différents et d'aller au fond des choses, au regard de polémiques qui ont agité les médias. Nous allons ainsi, à ma demande, procéder de façon originale par rapport à nos précédentes auditions.
Durant la première heure, nous entendrons M. Patrice Cahart, inspecteur des finances honoraire, membre du Groupe indépendant de réflexion sur l'énergie, et deux membres du collectif d'experts « Energie et vérité », M. Arnaud Casalis, professionnel de l'analyse des comptes des sociétés et M. Jean-Louis Butré, qui s'est déjà exprimé à plusieurs reprises devant le groupe d'étude sur les filières industrielles énergétiques, que j'ai le plaisir de présider.
Durant la deuxième heure d'audition, nous accueillerons les représentants de France énergie éolienne (FEE), M. Olivier Pérot, président, et M. Charles Lhermitte, vice-président.
Le troisième temps de cette matinée sera consacré à une audition commune, qui nous permettra de poser des questions complémentaires et aux deux camps en présence d'y répondre et d'échanger des arguments.
Je vous propose, M. Cahart, de prendre la parole pour une présentation de dix minutes axée sur la comparaison du coût des énergies renouvelables (EnR) et du nucléaire. M. Casalis pourra ensuite, pendant dix minutes également, présenter son exposé sur l'analyse de l'utilisation des fonds publics par leurs bénéficiaires. M. Butré interviendra enfin pendant cinq minutes, afin de compléter les propos des précédents orateurs. Nous vous poserons ensuite des questions.
Avant de vous céder la parole, je vais vous demander, conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite par conséquent à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
(MM. Cahart, Casalis et Butré prêtent serment)
Merci, M. le président. Je vais essayer de traiter deux questions fondamentales.
La première est de savoir s'il est raisonnable, durant la période nous séparant de l'année 2035, de sacrifier près d'un tiers de notre potentiel nucléaire et de la production correspondante et de le remplacer par du renouvelable. Ma réponse est négative. L'Assemblée nationale va bientôt avoir à discuter d'un projet de loi « énergie », dont la disposition principale consiste à déplacer l'échéance de 2025 à 2035 ; pour autant, le contenu même de l'échéance n'est pas modifié, puisqu'il s'agirait toujours de sacrifier un tiers du potentiel nucléaire, alors qu'il pourrait durer et produire encore longtemps. Mes amis et moi avons réalisé un chiffrage, qui figure dans le dossier que je vous ai remis tout à l'heure en plusieurs exemplaires. Nous avons tout d'abord estimé la puissance renouvelable qui serait nécessaire pour atteindre l'objectif fixé à l'horizon 2035. Les données utilisées sont celles de la Programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), que nous avons extrapolées jusqu'en 2035. Nous avons ensuite multiplié les puissances nécessaires ainsi obtenues par les coûts unitaires de chaque type d'équipement fournis par l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Adème) dans un rapport de 2016. Nous avons ajouté à ceci le coût d'adaptation du réseau de transport et de distribution, qui devra être très largement modifié dans le cas d'un développement massif du recours aux énergies renouvelables. L'autre jour devant vous, le président du Réseau de transport d'électricité (RTE), M. Brottes, a indiqué que l'aménagement du réseau coûtait, uniquement pour les EnR, 4,3 milliards d'euros par an, ce qui est monumental. Nous avons repris ce chiffre et l'avons multiplié par les 17 années qui restent à courir jusqu'à 2035. Le résultat de ces calculs s'établit à 184 milliards d'euros, qui correspond au coût du développement des EnR nécessaires pour remplacer une partie du nucléaire.
À ce coût, nous opposons une alternative qui consisterait tout simplement à prolonger la vie des centrales nucléaires. Aux États-Unis, les centrales utilisent la même technique que celles du parc français et sont prolongées de façon systématique jusqu'à l'âge de 60 ans. Il est même question d'allonger leur durée d'utilisation à 80 ans. Nous nous sommes appuyés pour faire notre calcul sur des données de la Cour des comptes, qui a évalué les dépenses de sécurité, qualifiées de « grand carénage », nécessaires à cette prolongation des centrales nucléaires. Le chiffre obtenu sur 17 ans est de 25 milliards d'euros.
La soustraction entre les deux chiffres obtenus, à savoir 184 milliards d'euros d'un côté et 25 milliards d'euros de l'autre, donne un résultat de 159 milliards d'euros, correspondant au surcoût net des EnR sur la période 2019 – 2035. Pour mémoire, s'ajouterait à ces 159 milliards d'euros l'incidence des décisions déjà prises en faveur des énergies renouvelables mais non encore exécutées fin 2017, que la Cour des comptes a chiffrée à 121 milliards d'euros, à la charge des consommateurs français.
Les chiffres obtenus sont considérables. Il est clair que si l'on dépense de tels montants, il ne restera plus de ressources suffisantes pour financer les autres actions en faveur du climat qui, elles, sont véritablement utiles, dans le domaine des transports ou de l'isolation des bâtiments. Ce surcoût de 159 milliards d'euros serait une perte sèche pour la collectivité des Français : ceci ne présenterait aucun avantage pour l'économie. D'habitude, tout investissement prévu correspond en contrepartie à une production : or il n'existe ici aucune production nouvelle, puisque l'évaluation est effectuée à production constante. Il s'agira donc de 159 milliards d'euros perdus, sans aucun retour sur investissement, ni aucun profit pour le climat, contrairement à ce qu'une partie du public continue de croire : notre énergie électrique est en effet déjà décarbonée au maximum et il n'existe quasiment plus de sources fossiles. Il n'est pas envisageable de descendre sous le seuil actuel, dans la mesure où il est nécessaire de maintenir un minimum d'énergie pilotable, afin de pallier la très grande intermittence de l'éolien et, accessoirement, du photovoltaïque.
Il nous paraîtrait ainsi tout à fait déraisonnable d'adopter cette loi « énergie », avec l'échéance à 2035.
La deuxième question fondamentale à laquelle nous nous sommes intéressées est la suivante : à supposer que les objections que je viens de vous présenter ne convainquent pas et que l'on souhaite tout de même opérer la substitution entre une partie du nucléaire et des EnR, est-il raisonnable, parmi les énergies renouvelables, de mettre l'accent sur l'éolien, notamment terrestre ? Les EnR sont très diverses et présentent des avantages et des inconvénients qui varient de l'une à l'autre. L'éolien, surtout terrestre, est de loin la forme d'énergie renouvelable qui comporte le plus d'inconvénients. Il s'agit d'une forme d'énergie particulièrement agressive : actuellement les éoliennes terrestres implantées couramment dans nos campagnes mesurent 180 mètres de haut, soit 60 % de la hauteur de la Tour Eiffel. Un projet à l'étude dans l'Yonne concerne même des installations de 240 mètres de haut. Nous avons procédé à une évaluation, que vous retrouverez dans le dossier, qui montre que si la loi « énergie » qui va vous être proposée est adoptée et exécutée, toutes les zones rurales de France se trouveront à moins de six kilomètres d'une grande éolienne, ce qui induirait une transformation majeure du paysage français. Nous avons choisi cette distance de six kilomètres car elle correspond au rayon d'affichage des enquêtes publiques, dans lequel les communes et les particuliers doivent être consultés. Ce périmètre est d'ailleurs très insuffisant compte tenu de la croissance en hauteur des éoliennes et devrait être au moins de dix kilomètres maintenant ; nous l'avons néanmoins retenu puisqu'il s'agit encore actuellement du chiffre officiel.
Ceci conduit à considérer de préférence d'autres énergies renouvelables, en premier lieu le photovoltaïque, qui présente certains inconvénients, mais est beaucoup moins agressif que l'éolien terrestre car il ne se voit pas de loin et coûte nettement moins cher. Vous trouverez ainsi dans le dossier la copie d'un communiqué du ministre François de Rugy de novembre 2018 expliquant que sur les seize appels d'offres lancés mettant en concurrence l'éolien terrestre et le photovoltaïque, dans neuf régions y compris des régions peu ensoleillées comme les Hauts-de-France, le photovoltaïque a été déclaré vainqueur dans 100 % des cas par rapport à l'éolien terrestre, car nettement moins cher. Après un tel communiqué, les personnes informées s'attendaient à l'arrêt complet des opérations d'éolien terrestre dans l'ensemble du territoire français : pourquoi continuer alors que cette énergie est excessivement chère, très agressive et qu'il existe de multiples possibilités pour développer le photovoltaïque dans notre pays, notamment dans sa moitié sud ? Or contre toute attente, les programmes éoliens se poursuivent comme si de rien n'était. Ceci est absolument sidérant. Je crois en effet que le photovoltaïque a vocation à remplacer très largement, voire complètement, l'éolien terrestre dans les programmes.
Il convient également de considérer d'autres sources d'énergie comme la géothermie en faible profondeur, qu'il est possible de mettre en œuvre dans la quasi-totalité de la France, dans la mesure où il suffit de disposer d'une nappe phréatique.
Je tiens également à mettre l'accent sur une forme d'énergie que j'aime beaucoup, qui consiste en la récupération de la chaleur des égouts. Ce procédé ne présente aucun inconvénient d'ordre esthétique. Une expérience prometteuse avait été menée notamment dans un quartier de Nanterre, qui était chauffé par ce moyen. Hélas, pour des raisons que je n'ai pas comprises, les pouvoirs publics ne se sont pas du tout intéressés à cette forme d'énergie, si bien que le promoteur a rencontré des ennuis financiers. Actuellement, il semble donc que cette filière prometteuse soit stoppée.
Ma conclusion est qu'il est urgent d'arrêter toutes les aides publiques apportées à l'éolien. Ceci concerne essentiellement l'éolien terrestre, l'éolien maritime appelant davantage de discussions, dans la mesure où son développement s'accompagne d'un espoir de création d'emplois en France, ce qui n'est pas le cas de l'éolien terrestre. La Grande-Bretagne, l'Espagne et le Québec ont déjà pris la décision de cesser toute aide à l'éolien terrestre et ne s'en portent pas plus mal. Vous trouverez dans le dossier un article du journal Les Echos concernant trois parcs éoliens récents qui vont être réalisés en mer allemande sans aucune aide. Si des parcs ancrés en mer peuvent être réalisés sans aide, ceci semble a fortiori possible pour des groupes éoliens terrestres, dont l'installation et l'entretien sont moins coûteux. Tout ceci plaide pour un arrêt immédiat de toutes aides à l'éolien, au moins terrestre.
Merci de votre attention.
L'expérience que je vais vous présenter résulte des demandes formulées localement par les associations. Il existe en effet un millier d'associations regroupant des riverains qui subissent les nuisances des éoliennes. Les promoteurs des projets éoliens vantent à ces populations l'intérêt de l'énergie éolienne terrestre, grâce notamment à des prospectus produits à grands frais, dont le contenu témoigne de nombreux mensonges par omission. Les habitants sont donc forcés à subir les conséquences d'un dispositif dont on leur explique qu'il va aider des entreprises en voie de démarrage et contribuer à sauver la planète.
Cette situation a suscité de nombreuses questions et nous avons cherché à savoir qui étaient les promoteurs et quelles étaient leurs motivations pour implanter ces projets, lesquels ne sont à l'évidence pas bénéfiques pour la population locale.
Nous allons essayer de percer rapidement ces mystères, en rappelant tout d'abord quelques ordres de grandeur. Ainsi en 2016, la Cour des comptes a souligné que sur les 5,3 milliards d'euros de dépenses alloués aux EnR, seuls 10 % étaient affectés aux énergies thermiques et 90 % aux énergies électriques. Ces engagements, pris à compter de 2018 jusqu'à l'échéance des contrats, se retrouvent dans la somme absolument énorme de 121 milliards d'euros évoquée précédemment par M. Cahart. 94 % des charges prévisionnelles en matière d'EnR sont d'ores et déjà engagées. La plupart des fonds affectés à ces énergies électriques concernent l'éolien terrestre. Ceci montre, par rapport aux ordres de grandeur que nous venons de situer, que ces fonds sont alloués prioritairement à des énergies intermittentes, dont on connaît le caractère difficile à exploiter dans la mesure où l'électricité ne parvient pas au point de service où moment où ceci est souhaité. Il faut donc absorber une électricité dont la probabilité d'arriver au point de service est d'environ 6 %. Il s'agit donc d'une très mauvaise électricité, qui ne devrait de ce fait pas valoir très cher. Elle concentre pourtant l'essentiel des moyens financiers. Je vous rappelle que l'éolien terrestre représente 1,5 % seulement de l'énergie totale consommée en France et 4,5 % de l'énergie électrique, alors que l'on nous présente la situation sous un jour bien plus avantageux, pour des raisons évidemment liées aux intérêts qu'ont les promoteurs à développer cette activité.
Les sommes considérables que nous venons d'évoquer sont en fait limitées à une affectation extrêmement réduite, pour un bénéfice collectif totalement négligeable. Il est évident, comme le soulignait M. Cahart, que si l'on affectait les mêmes sommes à des économies d'énergie dans des bâtiments notamment ou dans l'aménagement du transport, l'effet de démultiplication de ces fonds serait sans commune mesure avec ce gâchis financier lié à l'utilisation de ces montants pour les seules énergies éoliennes.
Ceci nous a conduits à nous interroger sur la destination des sommes en jeu : pourquoi les promoteurs sont-ils si motivés par la récolte de fonds financiers issus des éoliennes ? Nous avons choisi d'aborder cette question par le biais de quelques exemples.
Le premier concerne une personne physique, en l'occurrence M. Moratoglou, qui a vendu sa société à EDF Energies renouvelables et a, à titre personnel, gagné environ 1 milliard d'euros par le dispositif des aides d'État que nous connaissons. Cette somme frappe l'imagination. Il est toujours surprenant de constater que l'on aide des entreprises à démarrer et qu'à la sortie ceci se traduit par le fait qu'une personne physique récolte une telle somme et aille la placer au Luxembourg pour dégager des financements pour de nouvelles opérations.
J'ai par ailleurs eu la chance de travailler sur le cas de la société EOLE-RES, devenue aujourd'hui Renewable Energy Systems (RES), filiale française d'un groupe anglais basé à Guernesey, détenu par la famille de Sir McAlpine, dont on ne connaît pas très bien les tenants et les aboutissants. Il apparaît assez clairement que tout ce qui concerne l'éolien terrestre, mais aussi peut-être l'éolien au sens plus large du terme, termine de toute façon un jour ou l'autre dans un paradis fiscal. Nous sommes ici dans le cas de Guernesey. Cette opération est intéressante car elle met en évidence les mécanismes par lesquels une société peut se constituer en ayant contracté sur des projets industriels éoliens. Il existait dans le Midi de la France une petite société nommée RES, qui disposait de 500 000 euros de capital initial. En 2008, cette société a été valorisée 245 millions d'euros et des fonds ont ainsi pu être apportés à une nouvelle société intermédiaire, qui a été constituée avec un capital de 45 millions d'euros, simplement par apport du fonds de commerce déjà établi en ayant souscrit des contrats avec des collectivités locales. Cet exemple illustre le fait qu'il est possible de s'enrichir de façon massive simplement en souscrivant des contrats avec des collectivités locales. Les 200 millions d'euros restant après l'affectation des 45 millions d'euros au capital de la nouvelle société ont été gardés pour être ensuite distribués aux actionnaires et ont bénéficié en France du régime fiscal de faveur appliqué aux apports de ce type. La rentabilité de la société était de 23,8 millions d'euros en 2017, tandis que le capital social n'était que de 10,8 millions d'euros. Le rendement de cette société est donc de 220 % du capital social. À titre de comparaison, je vous rappelle que le Livret A est rémunéré à un taux de 0,75 %. Ceci signifie que cette société bénéficie d'un niveau de rémunération 293 fois supérieur à celui d'un Livret A. Ceci montre clairement que l'énergie éolienne terrestre est exploitée à des fins essentiellement financières, avec des rendements absolument incroyables. Ce profit est égal par ailleurs, le montant déposé en moyenne sur les livrets d'épargne en France étant de 4 500 euros, à 700 000 fois cette valeur moyenne. Cette société a par la suite réitéré le même type d'opération, les 40 millions d'euros de valorisation de la nouvelle société ayant permis à leur tour de faire des appels sur les marchés financiers, ce qui a rapporté à la société holding quelque 300 millions de livres de placements financiers, auxquels elle peut garantir sur les marchés financiers 8,4 % de rendement annuel pendant vingt ans. Ce sont les contribuables qui paient et l'argent va, par défiscalisation, à l'étranger, où il contribue à nourrir encore de la spéculation financière internationale. Voici le schéma général.
Il s'agit d'un sujet très grave, avec des enjeux en termes de démocratie. Le juge sicilien Giovanni Falcone indiquait ainsi la chose suivante : « Suis l'argent et tu trouveras la mafia ». Le procureur anti-mafia Roberto Scarpinato déclarait quant à lui : « Après le gaz, la mafia s'est intéressée à l'énergie éolienne et photovoltaïque et nous avons découvert qu'il y avait même eu des accords passés entre la mafia italienne et la mafia russe pour pouvoir contrôler ce secteur de l'énergie qui est stratégique. Il y a bien un risque que des fonds européens, des fonds publics, finissent dans les poches de la mafia. C'est arrivé en Italie. Vous allez le connaître également chez vous ».
Au moment où le gouvernement accélère dans la voie d'un développement mal maîtrisé des EnR, en dehors de tout contrôle, y compris parlementaire, comme le souligne le rapport de la Cour des comptes, la question est vraiment de savoir si nous voulons un monde de l'énergie qui soit un monde mafieux.
Je suis ravi d'être ici, à la fois en tant que membre du collectif d'experts « Energie et vérité » et président de la Fédération environnement durable, qui regroupe près de 1 400 associations représentant entre 40 000 et 50 000 personnes de la France entière qui subissent ou vont être confrontés à l'installation de parcs éoliens.
Je tiens à vous rappeler, M. Butré, que cette audition est consacrée aux aspects économiques et financiers de l'éolien. La question de l'acceptabilité sociale fera probablement l'objet d'auditions spécifiques. Il est important de bien séparer les sujets.
D'où vient l'argent investi dans l'éolien ? Il provient des factures d'électricité des Français, par le biais notamment de la contribution au service public de l'électricité (CSPE). Tous les calculs montrent que les factures d'électricité devraient globalement doubler. Pourquoi continue-t-on, dans ce contexte, à implanter des éoliennes ? Comme me l'ont signalé les représentants de la Commission de régulation de l'énergie (CRE), où j'ai été auditionné à plusieurs reprises, les prix de rachat de cette électricité sont actuellement totalement anormaux, pour ne pas dire scandaleux. Ceci dure depuis 2001. Je puis comprendre que, lorsque l'on souhaite favoriser le développement d'une industrie, il soit envisagé de lui donner un « coup de pouce » au démarrage. Mais ce système est aujourd'hui en vigueur depuis près de 19 ans et l'argent qui le finance est prélevé sur la facture énergétique des Français. Je vous rappelle que l'on estime entre 8 et 10 millions le nombre de personnes qui ont en France des difficultés à s'éclairer, se chauffer et circuler.
On observe en outre l'existence dans ce système d'anomalies incroyables. Je pense notamment à la règle dite « des six mâts », dont les promoteurs ont réussi à obtenir le maintien grâce à leurs actions de lobbying. Ainsi, lorsque les parcs implantés comptent jusqu'à six mâts, ils continuent à bénéficier des anciens tarifs et lorsqu'ils en comptent plus de six, des appels d'offres sont lancés. Les promoteurs contournent ceci en implantant plusieurs parcs de six mâts. Ces multiples anomalies sont dues au fait que les promoteurs éoliens profitent depuis 2001, d'une façon ou d'une autre, du système mis en place par le gouvernement. Ils ont tout d'abord pénétré dans le dispositif par le biais de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie. Je rappelle par exemple que Jean-Louis Bal, ancien directeur de l'Adème, est devenu président du Syndicat des énergies renouvelables, après André Antolini. Ceci est ensuite remonté via le ministère de l'environnement, si bien que toutes les lois votées depuis lors sont en faveur des promoteurs éoliens. Les sommes dont ils disposent peuvent être une source légitime d'inquiétude.
Je demande simplement aujourd'hui aux parlementaires de jouer leur rôle d'élus nationaux indépendants d'un lobby qui a actuellement tous les pouvoirs, au point que les dernières décisions prises par le ministère de l'environnement suite aux propositions du secrétaire d'État Sébastien Lecornu consistent, face à la résistance opposée par de nombreux riverains à l'implantation d'éoliennes – je rappelle que 70 % des projets sont aujourd'hui attaqués –, à prendre des arrêtés supprimant l'échelon des tribunaux administratifs, afin d'empêcher les citoyens de se défendre. Ceci est absolument inqualifiable.
L'éolien terrestre bénéficie actuellement de tarifs, de niveaux de rentabilité et de droits hallucinants, pour un résultat qui n'est pas à la hauteur. Je vous invite à lire la dernière édition du magazine allemand Der Spiegel, qui consacre à ce sujet un dossier de 17 pages, dans lequel il est démontré que l'éolien est un incroyable fiasco : les Allemands ont implanté tellement d'éoliennes que soit l'électricité produite ne sert à rien car elle est disponible à un moment où ils n'en ont pas besoin, soit les besoins ne peuvent être couverts par manque de vent. La collecte pose également problème, dans la mesure où les éoliennes sont essentiellement situées dans le nord du pays, tandis que l'industrie est plutôt localisée dans le sud. Ceci nécessite donc de tirer des lignes à haute tension, dont les citoyens ne veulent pas. L'éolien est donc, économiquement et structurellement, un problème majeur que l'on est en train d'installer en France.
Vous avez indiqué que 70 % des projets étaient attaqués et souligné que la population était très fortement opposée à ces implantations. Considérez-vous que l'on puisse déduire de ce pourcentage de pourvois que 70 % de la population est opposée au développement de l'éolien ?
On comprend aisément que les personnes qui résident en ville et auxquelles on répète inlassablement, par un matraquage publicitaire hallucinant, que l'éolien va sauver la planète en limitant les émissions de CO2 et permettre de produire de l'électricité gratuite puisque le vent ne coûte rien n'ont aucune raison de s'opposer aux éoliennes. De loin, les éoliennes semblent plutôt sympathiques.
Vous affirmez donc que les habitants des communes rurales résidant près des éoliennes s'y opposeraient, tandis que les citadins y seraient favorables ?
Absolument. Les communes rurales françaises sont indéniablement les premières atteintes.
J'ai sous les yeux une enquête réalisée en 2018 auprès de populations habitant à moins de cinq kilomètres d'éoliennes, qui indique que 91 % des personnes interrogées estiment ces sujets importants et que 80 % d'entre elles ont une bonne image de l'éolienne. Les jeunes sont quant à eux 84 % à en avoir une très bonne image. Il semble donc que plus les gens sont près des mâts, plus ils y sont favorables.
Pouvez-vous, M. Butré, indiquer à Mme la rapporteure la source dont vous tirez ce chiffre de 70 % ?
Nous voyons passer les projets à partir du moment où une demande de permis a été déposée et observons le nombre considérable d'associations qui se créent et attaquent ces permis. Aujourd'hui, 70 % d'entre eux sont contestés.
Ce n'est pas ce que dit cette enquête, ni ce que constatent les maires de villes concernées. J'ai l'impression que plus on est proche du mât de l'éolienne, plus l'émotion est forte, dans le sens soit d'une adhésion importante, soit d'un rejet fort. Il suffit en outre d'une personne pour déposer un recours.
Il s'agit là du résultat du marketing sauvage que mènent les entreprises du secteur éolien, qui investissent des milliards d'euros en communication. À partir du moment où l'on éprouve le besoin de convaincre, il n'est pas difficile, moyennant finances, de diligenter des études et de trouver des spécialistes qui tiendront le discours qui vous arrange. Je suis pour ma part confronté tous les jours à des personnes en détresse, qui viennent par exemple de découvrir qu'un parc éolien risquait d'être construit près de chez elles et se désolent parce que le bien immobilier qu'elles viennent d'acquérir dans la zone concernée va perdre de ce fait 30 % de sa valeur.
Je suis au regret de vous dire, M. Butré, que ceci ne concerne pas le sujet de l'audition d'aujourd'hui, que nous souhaitons consacrer exclusivement aux aspects économiques du secteur éolien.
Ce sujet suscite assurément des réactions très émotionnelles. Je répète par ailleurs qu'il suffit d'une personne opposée à une éolienne pour déposer un recours contre un projet.
Je répondrai à cette question dans le cadre de l'audition consacrée à l'acceptabilité sociale des éoliennes, si vous m'y conviez.
Nous avons bien compris votre aversion vis-à-vis de l'éolien. Je souhaiterais revenir dans le champ de l'économie et notamment de l'acceptabilité du coût de l'énergie par les citoyens français. L'État a initié une PPE, dans laquelle les sommes engagées sont deux fois plus nombreuses actuellement sur le solaire que sur l'éolien.
Aujourd'hui, le coût fixé par le dispositif d'Accès régulé à l'électricité nucléaire historique (ARENH) est de 42 euros le mégawattheure, tandis que le coût du marché est actuellement aux alentours de 50 à 52 euros. Les offres de contrat passées avec l'État sur les énergies renouvelables permettent de calculer la différence entre le coût du contrat, de l'ordre de 50 à 55 euros pour le solaire et 60 à 65 euros pour l'éolien, et le coût du marché et l'État finance le delta. Si toutefois le coût du marché devient supérieur à celui du contrat, alors le producteur reverse de l'argent à l'État.
Aujourd'hui, la PPE est fixée pour 2028 avec un coût de 56 euros le mégawattheure. Sachant que l'on est déjà aujourd'hui à 52 euros, il y a de fortes chances, au vu des tendances, que ce chiffre de 56 euros soit dépassé.
Vous avez affirmé que l'entretien et la prolongation du parc nucléaire coûteraient moins cher que de développer les EnR. Or les chiffres dont je dispose concernant le nucléaire estiment entre 100 et 200 milliards d'euros les dépenses nécessaires pour maintenir et faire évoluer le parc. Il m'a par ailleurs été confirmé qu'avec un coût actuel de 42 euros le mégawattheure, l'électricité vendue ne permettait pas de couvrir les coûts requis pour le maintien et le développement du parc nucléaire actuellement. Dans une logique purement économique, le développement des énergies renouvelables ne serait-il pas une garantie de pouvoir maintenir un coût acceptable pour la population au niveau de l'énergie ? Il faut savoir que la Cour des comptes estime que le coût de rachat concernant l'électricité nucléaire devrait être de 60 euros le mégawattheure. Certaines études estiment même qu'il faudrait monter jusqu'à 80 euros.
J'aurais souhaité vous entendre sur ce sujet, dans la logique de diversification. Je ne remets absolument pas en cause le nucléaire, qui constitue une colonne vertébrale dont nous avons besoin. Le développement des EnR nous permettrait aussi de maintenir ce coût ainsi que son acceptabilité au niveau de la population.
Concernant le nucléaire, vous trouverez le détail de notre chiffrage dans le dossier que nous vous avons remis. En résumé, nous avons pris le chiffre relatif au coût du grand carénage nécessaire pour prolonger la vie des centrales donné par la Cour des comptes, dont on ne peut douter du sérieux, qui est de 4,16 milliards d'euros par an. Nous avons actualisé ce chiffre à 5 milliards d'euros par an. Il ne faut toutefois en retenir qu'un petit tiers, dans la mesure où la programmation actuelle prévoit que deux tiers du potentiel nucléaire soient reconduits. Le débat porte donc sur un tiers de 5 milliards d'euros. Si l'on considère cette dépense sur une durée de 17 ans, on aboutit au chiffre de 25 milliards d'euros, ce qui est très modeste comparé aux 184 milliards d'euros que coûteraient les EnR pour produire la même quantité d'électricité durant la même période.
Je souhaiterais vraiment savoir d'où vient le chiffre de 184 milliards d'euros que vous avancez concernant le coût des EnR. Les sommes engagées actuellement sont en effet de l'ordre de 95 milliards d'euros, avec 30 milliards d'euros envisagés jusqu'en 2028, dans l'hypothèse où l'on resterait à un coût du marché à 56 euros le mégawattheure jusqu'à cette date, ce qui est peu probable au vu des tendances. Le chiffre global se situerait donc vraisemblablement entre 100 et 120 milliards d'euros.
Nous ne parlons pas de la même chose. Le chiffre de 184 milliards d'euros correspond au coût de l'investissement nécessaire pour que les EnR produisent la quantité d'électricité attendue. Nous n'avons pas considéré seulement le coût des éoliennes et des centrales photovoltaïques, mais aussi celui lié au réseau. Je vous invite à consulter le dossier fourni. Je puis par ailleurs tout à fait, si vous le souhaitez, vous envoyer par voie électronique la note comportant le chiffrage détaillé.
Il y a quelques semaines encore, j'ignorais l'existence de votre association. Vous vous êtes manifestés auprès de nous et nous avez adressé plusieurs dossiers, que j'ai lus au fur et à mesure qu'ils nous parvenaient. J'ai ainsi compris assez vite l'objet de votre collectif. Je souhaiterais savoir comment est née votre association. En entendant l'exposé de M. Cahart, je me suis demandé si vous étiez des anti-éolien ou des pro-nucléaire.
J'ai par ailleurs essayé de situer ceci par rapport à notre problème national : est-il normal que notre approvisionnement énergétique soit quasiment dépendant du nucléaire ? Je suis gêné par le fait que vous restiez sur une situation du passé et que vous n'essayiez pas d'entrer dans une vision véritablement prospective, tenant compte des enjeux de demain. Notre pays possède une originalité qui a peut-être été intéressante, mais est également risquée et pose un certain nombre de problèmes. Je vous entends dire qu'il est possible de conserver des centrales en fonctionnement pendant 60 ou 80 ans : pourquoi pas 100 ans bientôt ? J'ignore si tout ceci est très sérieux, d'autant que de nombreux débats sur la gestion des déchets nucléaires et la déconstruction de ces sites existent aujourd'hui. Je suis élu breton et nous sommes encore en train d'essayer de nous débarrasser de la pauvre petite centrale de Brennilis. Je suis loin de penser que l'équilibre se trouvera dans des positions aussi sectaires que celles que vous et d'autres défendez.
J'ai néanmoins été intéressé par les chiffres que vous nous avez communiqués et qu'il conviendra toutefois pour certains de vérifier. Je souhaiterais savoir comment s'est constituée votre association et quelle est votre indépendance, aux uns et aux autres, vis-à-vis du secteur nucléaire notamment.
Il n'y a pas d'association : nous sommes simplement un collectif de chercheurs libres et bénévoles. Nous ne faisons que coopérer ensemble et n'avons aucun lien ni avec EDF, ni avec le groupe de pression nucléaire. Nous ne faisons que constater, au vu des chiffres que je vous ai indiqués précédemment, qu'il est beaucoup plus raisonnable de prolonger les centrales que de développer les EnR. Les Américains, qui ne sont tout de même pas fous, procèdent de la sorte et prolongent massivement l'utilisation de leurs centrales jusqu'à 60 ans : pourquoi ne ferions-nous pas de même ?
Permettez-moi par ailleurs de vous faire part d'un double éclairage personnel expliquant ma présence devant vous aujourd'hui : je suis tout d'abord inspecteur général des finances de formation et de ce fait sensibilisé à la lutte contre les gaspillages. Étant retraité, je poursuis cette démarche et constate, dans le domaine de l'éolien terrestre notamment, l'existence d'un gaspillage phénoménal, ce qui explique ma mobilisation. Je suis en outre vice-président d'une association de monuments historiques, nommée « La demeure historique », reconnue d'utilité publique, qui regroupe 3 000 monuments privés. Or nous constatons actuellement dans ce cadre que les éoliennes, qui perturbent les perspectives, sont l'ennemi numéro un des monuments historiques. Tout ceci explique que je sois ici aujourd'hui.
Je pense qu'il ne faut pas opposer nucléaire et énergies renouvelables. Je suis issu d'un territoire où les deux coexistent, puisqu'il compte 104 éoliennes, bientôt 50 supplémentaires, et une centrale nucléaire dont l'acceptabilité par les riverains est assez satisfaisante.
Concernant la règle des six mâts avec les anciens et les nouveaux tarifs, on s'aperçoit aujourd'hui que les éoliennes ont été installées sur le territoire pour des raisons d'acceptabilité sociale, mais aussi peut-être économique. Si jamais demain le but est de relier l'ensemble de ces parcs, quelle règle va s'appliquer ?
Ma deuxième question est la suivante : en termes d'acceptabilité économique des éoliennes, quel est, depuis 19 ans, l'intérêt qu'en retirent les collectivités et les propriétaires fonciers ?
Je me suis toujours demandé pour quelle raison les promoteurs éoliens n'achètent pas les terrains, mais les louent. Il faut savoir que la location d'un terrain pour y installer une éolienne est de l'ordre de 8 000 à 12 000 euros, selon les zones et la résistance. Il apparaît que les éoliennes implantées en France proviennent toutes d'Allemagne ou du Danemark et nous avons été effarés de la quantité de matériaux, dont 2 500 tonnes de béton, que ceci nécessitait. Ce sont au total 35 millions de tonnes de béton qui vont arriver dans nos champs. S'y ajoutent les mâts, les nacelles, les pales confectionnées en plastiques spéciaux très difficilement recyclables. Si l'on empilait les pales de 55 mètres des 15 000 éoliennes, on obtiendrait la distance entre Paris et Moscou. Ceci soulève la question de la gestion des matériaux en fin de cycle de vie de l'éolienne. On nous rétorque généralement que les promoteurs provisionnent dans cette perspective à hauteur de 50 000 euros par éolienne : or lorsque l'on sait qu'il s'agit le plus souvent de sociétés sans capital, qui risquent de faire faillite, on est en droit de s'interroger. Permettez-moi de m'adresser à vous en tant qu'ancien directeur d'usine du groupe Rhône-Poulenc et de sites Seveso : comment retraiter, recycler tous ces matériaux ? D'une part on ne sait pas faire, d'autre part ceci implique des sommes gigantesques. Que vont faire les promoteurs, sociétés sans capital, au bout de vingt ans ? Ils vont laisser la machine sur le terrain. Qui va payer ? Qui va recycler ? Les derniers chiffres dont je dispose indiquent que l'on sait actuellement recycler environ 16 % des matériaux composant une éolienne. C'est ainsi que certaines pales finissent leur course dans des décharges africaines. Une autre technique consiste, lorsque l'éolienne vieillit, à la vendre à des pays du tiers-monde, qui s'en débrouilleront. On entend souvent parler de repowering : que fait-on, dans ce cas, de l'ancienne éolienne ? Du point de vue économique, le système est beaucoup plus complexe qu'on ne le pense.
Comment les parcs éoliens sont-ils, économiquement, acceptés aujourd'hui sur le territoire ? Quel est l'intérêt pour les propriétaires fonciers, pour les collectivités ? Quels sont les arguments des promoteurs pour « vendre » leurs projets ?
L'argent achète tout. Ces promoteurs sont en train de prendre le contrôle du territoire. Si vous allez voir actuellement un agriculteur et lui proposez qu'il vous loue, pour 10 000 à 12 000 euros par an, une parcelle de terrain pour y installer une éolienne, il signe forcément. De même, les communes rurales sont confrontées aujourd'hui à un appauvrissement : si vous faites miroiter aux municipalités la perception d'une taxe, tout en leur disant qu'elles vont contribuer en plus à sauver la planète, alors les conseils municipaux votent l'implantation.
Vous êtes donc en train de nous expliquer que les éoliennes permettent de compenser une partie des baisses de dotation auxquelles les communes sont confrontées depuis une dizaine d'années, ainsi que les baisses de revenus des agriculteurs.
La carte de la pauvreté en France est à peu près superposable à celle de l'implantation des éoliennes. Lorsqu'un promoteur signe un contrat et investit 3 000 euros, de façon purement symbolique d'ailleurs puisqu'un euro d'investissement suffit, il peut obtenir à la fin, pour un mégawatt installé, un rendement évalué entre 0,4 et 4,1 millions d'euros de dividende sur la durée de vie de l'éolienne. Le simple fait de signer des contrats rapporte des sommes fabuleuses, que le promoteur utilise à sa guise. Il peut en garder une partie pour lui et aller voir des propriétaires terriens et quelques élus, qui seront a priori favorables au projet, sans voir les conséquences dommageables pour leur commune, sachant qu'une fois l'éolienne implantée, plus personne ne voudra vivre dans cette commune. Il faut savoir en outre que l'industrie éolienne n'apporte pas d'emplois. Contrairement à ce que prétendent les promoteurs, l'emploi lié aux énergies renouvelable est une véritable Bérézina. La France n'a connu que des échecs sur les grands projets champions annoncés, qui ne se sont traduits que par du gâchis d'argent public. Je pense notamment aux cas d'Alstom ou d'Aréva, qui se sont terminés dans les conditions que l'on connaît, avec des licenciements massifs. On subventionne en revanche l'emploi à l'étranger : la société Vestas devait par exemple licencier en 2012 quelque 2 500 salariés, mais l'État, par ses contrats et l'acquisition de matériel, a permis à cette entreprise, trois ans plus tard, de dégager un milliard d'euros de trésorerie.
Concernant le calcul du coût, vous nous avez expliqué le chiffre de 184 milliards d'euros nécessaires pour les EnR, que vous avez comparé à la somme de 25 milliards d'euros obtenue à partir des données fournies par la Cour des comptes relativement à la prolongation des centrales nucléaires. Pourquoi ne pas avoir pris également un chiffre de la Cour des comptes en matière de coût des énergies renouvelables ? N'a-t-elle produit aucune étude sur le sujet ou n'étiez-vous pas d'accord avec le chiffrage proposé ?
Je n'ai pas trouvé dans les nombreuses et excellentes publications de la Cour des comptes de chiffrage récent du coût des renouvelables. Il faut dire que notre estimation est toute récente, puisque nous avons attendu l'annonce du projet de loi « Energie », qui précisait les intentions et l'horizon 2035. Nous savons depuis peu qu'il faudrait installer suffisamment d'éoliennes et de capteurs photovoltaïques pour remplacer 21/71ème de la production nucléaire. Nos estimations sont basées sur des chiffres publics, issus notamment du projet de décret de programmation pour l'éolien, qui donne une progression en investissement pour le photovoltaïque et l'éolien. Dans la mesure où la programmation s'arrête en 2028, nous avons extrapolé jusqu'en 2035. Concernant le coût unitaire des éoliennes, tant terrestres que maritimes, et des installations photovoltaïques, nous avons repris les chiffres produits par l'ADEME dans son rapport de 2016.
Un mégawatt dans l'éolien coûte 1,5 million d'euros. Ce chiffre est admis par tout le monde.
Avez-vous considéré le coût de construction ou le coût de subventionnement de l'éolienne ?
Il s'agit du coût d'investissement, qui sera supporté par la collectivité des consommateurs et des contribuables.
Le coût de subventionnement de l'éolienne peut varier. Si je suis le raisonnement de M. Butré, implanter des parcs de six éoliennes ou de cent éoliennes est différent, puisque les règles de subventionnement ne sont pas les mêmes selon la taille des parcs. Comment pouvez-vous par conséquent effectuer un chiffrage sans fourchette, alors que vous ignorez la structuration toponymique des parcs ?
Nous n'avons pas calculé le coût de subventionnement, mais d'investissement, étant entendu que ce dernier sera inévitablement reporté en totalité sur la collectivité des consommateurs et des contribuables.
L'argent est emprunté aux banques et les emprunts sont remboursés par les promoteurs éoliens de deux manières, à savoir grâce au courant qu'ils parviennent à vendre et aux compléments de rémunérations versés.
En réalité, le chiffre de 184 milliards d'euros que vous mentionnez n'est pas uniquement budgétaire, mais composé d'une partie de coût budgétaire et d'une partie de coût prélevé sur la facture d'électricité, c'est-à-dire économique et financier.
Parfaitement, il s'agit du coût pour la collectivité, aussi bien État que particuliers.
L'hypothèse sous-jacente de votre calcul est que, comme ces entreprises ne disposent pas de fonds propres et sont essentiellement, si je reprends votre argument, des sociétés dont la capacité de déploiement est liée au fort niveau de subvention dont elles bénéficient, le coût des éoliennes va être supporté par le contribuable ou le consommateur. Lorsque vous considérez le coût comparé de prolongation du parc nucléaire, s'agissant d'une entreprise publique qui le paie sur ses fonds propres, il s'agit d'un coût principalement budgétaire.
Il se retrouve aussi forcément dans les tarifs de l'électricité et est donc aussi à la charge des consommateurs, si bien que ces deux coûts sont comparables.
Vous avez également indiqué que le photovoltaïque serait plus compétitif que l'éolien terrestre. Ne pensez-vous pas que dans le domaine de la consommation d'espace, le solaire occuperait plus de place que l'éolien ?
L'éolien occupe une place énorme, puisqu'il accapare l'espace en hauteur. Le photovoltaïque peut, selon qu'il est installé sur les toits ou pas, prendre plus ou moins de place. Mais la place ne manque pas : il serait par exemple envisageable de couvrir les grands causses de panneaux photovoltaïques.
Je n'ai pas étudié précisément la question, mais je pense que l'on pourrait très bien couvrir le causse du Larzac d'installations photovoltaïques.
Je souhaiterais, M. Casalis, revenir sur l'exemple chiffré que vous nous avez donné. Si j'ai bien compris, le groupe RES, avec 500 000 euros de capital de départ avait été valorisé de 245 millions d'euros parce que les contrats ont été signés avec les collectivités locales. Pourriez-vous préciser par quel mécanisme ?
La mécanique de l'éolien terrestre est la suivante : lorsqu'un promoteur signe un contrat, il sait que le dispositif des tarifs garantis et la durée de garantie de 15, 20 ou 25 ans vont lui assurer une rente quasi certaine, qui peut aller jusqu'à 4 millions d'euros de dividende potentiel dans la durée. Le seul fait de signer permet de garantir un revenu futur considérable, que le promoteur peut utiliser comme il le souhaite. Ceci rejoint le principe du fonds de commerce, lequel n'est que l'actualisation des flux financiers futurs.
Concernant l'entreprise RES, vous avez indiqué que 45 millions d'euros étaient de nouveau affectés au capital d'une société : pourriez-vous préciser ?
La société, qui avait 500 000 euros de capital au départ, a été valorisée, grâce aux techniques que je viens d'exposer, pour un montant de 245 millions d'euros, qui correspondent à l'ensemble des revenus attendus sur la période. Sur cette somme, la société a décidé d'affecter 45 millions d'euros au capital de la nouvelle société.
On peut imaginer, si l'on se réfère aux techniques financières habituelles, que ceci va permettre de constituer une société facialement plus riche que la première, présentant une assise financière beaucoup plus forte, donc d'avoir, par effet de levier, une capacité d'emprunt démultipliée auprès des banques.
Peut-on véritablement reprocher à une entreprise de valoriser un gain ? Ceci est plus transparent de se valoriser à 45 millions d'euros que de continuer à prétendre que l'on est une société à 500 000 euros de capital.
Elle aurait aussi pu valoriser les 245 millions d'euros. Mais au fond, le sujet n'est pas là, mais dans le fait qu'un investissement de quelques euros peut permettre de faire fortune. On compte actuellement en France quelque 106 opérateurs, qui font fortune sur la base d'un système qui fonctionne aux dépens du contribuable et du consommateur, donc de l'État, mais aussi des autres filières. En effet, l'argent affecté à ces dividendes, qui sont tous exportés dans des paradis fiscaux et qui enrichissent les marchés financiers internationaux, est de l'argent que les Français vont verser pendant vingt ans et qui ne sera pas investi dans des filières utiles en France.
Vous pensez donc que EDF Energies nouvelles envoie les dividendes qu'elle tire de l'éolien dans des paradis fiscaux ?
EDF Energies nouvelles est peut-être un cas à part. Je ne l'ai pas étudié en détail.
Vous avez évoqué la mafia : disposez-vous d'éléments permettant d'affirmer que la mafia, italienne ou russe, profite du système français ?
Je suis allé à Palerme en 2009 ou 2010 avec le président Giscard d'Estaing, au moment où l'Italie était très inquiète car la Camorra achetait des terrains pour y installer des éoliennes. J'avais alors présenté la situation en France, le but étant d'aider les Italiens à faire le ménage dans leur système. Ce congrès, intitulé « Landscape under attack », avait conduit le gouvernement italien et les juges à mener une grande enquête, qui s'est traduite par l'emprisonnement de plusieurs personnalités, dont le président du syndicat italien des énergies renouvelables. Des alertes internationales avaient alors été lancées pour attirer l'attention sur ce risque : beaucoup d'argent circule dans le domaine de l'éolien et il est évident que ceci peut donner lieu à du blanchiment d'argent et de la fuite de capitaux vers des paradis fiscaux. Nous ne sommes ni des juges, ni des enquêteurs : nous faisons simplement part de constatations. Un article paru récemment dans Les Echos évoque ce même système mafieux.
Auparavant, il fallait implanter au minimum cinq mâts ; ceci a été supprimé. Mais le seuil des six mâts pour les appels d'offres a été maintenu.
Vous faites erreur : le seuil pour les appels d'offres a été abaissé en 2018 à cinq mâts et 18 mégawatts.
Le questionnement concernant la manière dont l'argent est investi peut s'appliquer à de nombreux autres domaines et n'est pas propre à l'éolien. Il ne me semble pas possible d'affirmer que le secteur des énergies renouvelables est aujourd'hui aux mains de réseaux mafieux.
Je n'ai en outre pas compris votre démarche relativement au chiffre de 184 milliards d'euros que vous avancez. Vous indiquez que ceci sera à la charge du consommateur ; or il en va de même pour le nucléaire. J'aurais pour ma part souhaité connaître le coût réel, en termes de subventions publiques. Quelle est la part des subventions dans ces 184 milliards d'euros ?
Nous nous sommes intéressés au poids que ceci allait représenter pour l'ensemble de la collectivité, incluant l'État et les consommateurs. Le partage entre les subventions et les sommes restant à la charge des particuliers n'est pas facile à établir. Nous avons donc préféré raisonner de manière globale.
Je me suis déjà expliqué à ce propos : nous nous sommes appuyés sur les sommes figurant dans les rapports de la Cour des comptes, que nous avons arrondis à 5 milliards d'euros par an. Nous avons ensuite considéré un petit tiers de ces 5 milliards, correspondant au remplacement potentiel d'un tiers de la production du parc nucléaire par des renouvelables. Les deux autres tiers ne sont pas remis en cause, quoi qu'il arrive.
Vous avez indiqué que le chiffre correspondant aux EnR avait été obtenu en ajoutant tous les coûts de l'ensemble de la filière, jusqu'en 2035. Or concernant le nucléaire, vous n'incluez dans les coûts que le coût d'un tiers du grand carénage. Vous comparez ainsi des éléments qui ne sont pas exactement de même nature. Si l'on considérait l'ensemble des investissements réalisés depuis que le nucléaire existe en France et que l'on compare le chiffre obtenu à celui correspondant aux montants investis dans le développement des EnR, et plus particulièrement des éoliennes, depuis qu'elles existent en France, je pense que l'on n'arriverait pas exactement aux mêmes chiffres.
Vous avez par ailleurs indiqué que l'on ne savait pas recycler les éoliennes. Or certaines entreprises en France sont aujourd'hui en train de se développer dans ce domaine et de créer des emplois.
Si le recyclage des éoliennes vous semble constituer un problème majeur, que dire par ailleurs des déchets nucléaires enterrés dans le sol, que l'on ne sait pas recycler ?
Les deux chiffres sont rigoureusement comparables : ce sont dans les deux cas les chiffres correspondant aux investissements sur la période allant de 2019 à 2035. Nous n'avons effectué nos calculs qu'à partir d'un tiers du coût du grand carénage car nous sommes face à une alternative à deux branches : soit l'on développe un programme d'EnR qui va coûter 184 milliards d'euros en investissements nouveaux, soit on prolonge les centrales avec 25 milliards d'euros de carénage pour obtenir la même quantité d'électricité. Les deux autres tiers du grand carénage ne sont pas en cause.
Il me semble également important de tenir compte du fait que l'éolien est une énergie intermittente. Ceci suppose donc de disposer de la capacité de continuer à produire de l'électricité lorsqu'il n'y a pas de vent. Les Allemands utilisent pour ce faire des centrales à charbon. Ceci pose aussi le problème du réseau.
Concernant le recyclage, tout est envisageable ; il s'agit avant tout d'une question d'argent. Qui va payer ? Prenez le cas d'un agriculteur qui a loué du terrain pendant vingt ans à 10 000 euros l'année pour que l'on y installe une éolienne : les 200 000 euros ainsi gagnés sont ridicules comparés aux sommes nécessaires pour traiter le béton et les additifs, le mât, les pales. Aujourd'hui, la Fédération environnement durable attaque l'État français pour non-prise en compte de ce recyclage.
Il est souvent question, lorsque l'on évoque le nucléaire, de questions de sécurité et de risques, en lien notamment avec les déchets : régler totalement ceci supposerait que l'éolien soit capable de remplacer intégralement le nucléaire. Ainsi, les problèmes liés à la production de déchets nucléaires seraient résolus. Mais à partir du moment où l'on conserve une part de nucléaire, qu'elle soit de 50 % ou de 100 % ne change rien. Il s'agit d'une question que nous aurons à traiter, quoi qu'il arrive.
Je voudrais m'excuser vis-à-vis de vous, M. Cahart, et des collègues présents : je viens de vérifier et il apparaît en effet que depuis 2017 l'arrêté de la CRE fixe le seuil pour les appels d'offres non pas à cinq mais à six mâts. Je précise que les parcs jusqu'à six mâts correspondent à l'accès au tarif guichet, qui est à 74 euros par mégawatt, alors que les tarifs par appels d'offres sont à 60 ou 65 euros par mégawatt.
Je confirme par ailleurs que l'on voit actuellement sur le territoire de très nombreux projets se situant hors de l'appel d'offres, c'est-à-dire à cinq ou six mâts, quitte à ce que le même promoteur conduise simultanément plusieurs projets de ce type sur un département.
L'audition s'achève à dix heures trente.
Membres présents ou excusés
Commission d'enquête sur l'impact économique, industriel et environnemental des énergies renouvelables, sur la transparence des financements et sur l'acceptabilité sociale des politiques de transition énergétique
Réunion du jeudi 16 mai 2019 à 9 heures
Présents. - M. Julien Aubert, M. Xavier Batut, Mme Laure de La Raudière, Mme Marjolaine Meynier-Millefert, M. Hervé Pellois, M. Vincent Thiébaut
Excusés. - M. Christophe Bouillon, M. Vincent Descoeur, M. François-Michel Lambert, Mme Laurence Maillart-Méhaignerie, M. Didier Quentin