Intervention de Anne Lapierre

Réunion du jeudi 16 mai 2019 à 14h30
Commission d'enquête sur l'impact économique, industriel et environnemental des énergies renouvelables, sur la transparence des financements et sur l'acceptabilité sociale des politiques de transition énergétique

Anne Lapierre, avocate associée au bureau de Paris du cabinet Norton Rose Fulbright :

Monsieur le président, madame la rapporteure, je suis une avocate spécialisée dans le secteur de l'énergie, avec deux casquettes.

J'exerce en France, au Maroc et en Afrique subsaharienne une activité propre d'accompagnement de développement et de financement de projets énergétiques. Le développement consiste en l'assistance à la sécurité du foncier, des autorisations, à négocier des contrats de construction. Le financement consiste ensuite à trouver les moyens pour construire ces actifs et à s'assurer qu'ils soient opérés pendant plusieurs dizaines d'années.

J'ai également le plaisir d'avoir un rôle de management de la pratique énergie mondialement. Le cabinet Norton Rose Fulbright, fortement spécialisé dans le secteur de l'énergie, compte 56 bureaux dans le monde. Pour la pratique énergie elle-même, il compte environ mille avocats spécialisés dans le monde. Cela me donne, je crois, une vision assez bonne des pratiques à l'étranger. Nous y reviendrons, si vous le souhaitez.

S'agissant du marché français, je me présente devant vous animée de trois convictions.

La première, et cela correspond à l'objet même de votre commission d'enquête, c'est que la subvention est nécessaire - je le dis en tant qu'expert chargé du financement de projets. Elle est nécessaire, parce que dans le secteur de l'énergie, les prix sont extrêmement volatils, et la méthode actuellement retenue pour financer ce développement est celle du « financement de projet sans recours ». Elle n'est pas spécifique aux énergies renouvelables. Très bordée et proche de ce qui a été mis en œuvre pour les partenariats publics privés (PPP), elle consiste à financer au moins 80 % de l'investissement initial par dette bancaire. Les 20 % restants sont financés sur fonds propres. La signature n'est pas importante en soi, puisqu'est principalement considérée la rentabilité propre du projet.

Ma première conviction forte est qu'il faut maintenir la subvention pour permettre les finances de projets sans recours à long terme. J'y reviendrai en détail ultérieurement, me limitant à annoncer les sujets que j'envisage d'aborder.

Ma deuxième conviction, c'est que la politique énergétique, eu égard au type d'actifs concernés, nécessite une vision de long terme. L'ennemi est donc le court-termisme. La visibilité requise va bien au-delà et du cours de Bourse et d'une mandature. Il est important pour tous les acteurs, quels qu'ils soient, qu'un cadre légal et réglementaire adapté donne une visibilité à long terme sur les actifs en question. Dans le cas des énergies renouvelables, ces actifs sont de vingt ou trente ans pour le solaire ou l'éolien, probablement de cinquante ans pour l'hydraulique et de plus de soixante ans pour le nucléaire. On a donc besoin d'une visibilité très longue sur les coûts et les possibilités de les amortir.

Il faut donc une politique claire et de long terme. Je me permettrai de citer un exemple concernant l'éolien offshore et les choix faits à l'époque, lesquels expliquent, au moins pour partie, les prix négociés et obtenus par la France dans les premiers appels d'offres.

Ma troisième conviction porte sur une suggestion pratique et concrète dont la prise en compte, notamment par votre commission, introduirait, par un léger changement législatif rapide à mettre en œuvre, un profond changement dans le paysage du financement et du développement des énergies renouvelables. Il vise à accorder aux entreprises françaises la possibilité d'acheter de l'énergie verte directement aux producteurs tout en continuant à faire bénéficier leurs parcs du complément de rémunération, par le biais d'une question technique sur la garantie d'origine sur lequel je reviendrai. La loi ne le permet pas aujourd'hui, contrairement aux autres pays d'Europe, et cela pourrait être aisément corrigé.

J'en reviens au financement de projets sans recours. Cette méthode de financement classique que l'on retrouve dans d'autres secteurs économiques a pour objectif de préserver les ressources du bilan de l'acteur et, pour la banque, en auditant le projet, de s'assurer de son remboursement par les revenus exclusivement générés par le projet. L'actionnaire ne peut donc être appelé en garantie. L'intégralité des énergies renouvelables est aujourd'hui financée sur ce modèle, en France et ailleurs. Ce financement ne peut être réalisé que si le banquier a une visibilité à long terme. Au départ, la France avait fait le choix d'un tarif qui a permis le financement des différentes capacités existant en France aujourd'hui. On connaissait le prix. À partir du moment où on avait une vision sur la technologie et sur le gisement disponible, le banquier pouvait être relativement confortable sur les revenus qui seraient générés et sur la capacité de l'emprunteur à le rembourser.

Cette première technique permet de s'assurer de l'équilibre économique intrinsèque, donc de préserver les fonds propres. Elle n'est pas utilisée exclusivement par les petits acteurs qui n'auraient pas le bilan. EDF, Total, Engie financent l'intégralité des développements d'énergie renouvelable en financements de projets et absolument pas sur le bilan.

Toutefois cette technique n'est compatible avec l'envie de prêter du banquier qu'en présence d'une visibilité à long terme. Quel que soit le niveau de la subvention, et c'est à l'État de l'adapter en fonction du coût, il revient à l'État de lisser les fluctuations du marché et de garantir un revenu moyen suffisant pour s'assurer que les banques commerciales soient en position de prêter. Si tel n'est pas le cas on est comme dans la situation du nucléaire où les développements de capacité se font sur le bilan de l'investisseur, donc, le cas échéant, sur son actionnaire, puisque les montants et les durées de ces projets ne sont pas compatibles avec la mise en place de financements projets sans recours.

La grande différence, c'est que les capacités supplémentaires d'énergie renouvelable sont développées dans le monde avec de l'argent privé. C'est possible à partir du moment où l'État assure un lissage de la volatilité du prix de l'énergie. Je me suis permis de conserver mon téléphone portable à porter de main afin d'appeler votre attention sur la réalité de cette volatilité grâce à l'excellente application conçue par RTE, éCO2mix. Cette application, disponible pour tous, publie en live l'intégralité de la production et de la consommation française, des exports, vers où, du prix de marché en France et du prix de marché à l'étranger. Regardons, par exemple, la courbe du prix spot, aujourd'hui, à 14 heures. Ce matin, après avoir commencé à 34 euros le mégawattheure (MWh), vers 11 heures il est monté à 50 euros. Au début de notre réunion, il était d'environ 32 euros, il est monté à 35 euros et, au moment où je vous parle, il est d'environ 36 euros. Si le CAC 40 avait des fluctuations de 40 % toutes les cinq minutes, grandes seraient les difficultés des entreprises à lever des fonds ! Dieu merci, il n'en est pas ainsi. Il s'agit du marché spot, les prix des énergies renouvelables sont sur le marché de gros où, certes, la volatilité est moindre mais elle est moyennée. Il n'en reste pas moins que c'est extrêmement représentatif de la situation.

Quand le prix du marché de gros est à 50 euros, on peut penser que c'est formidable et que les énergies renouvelables n'ont plus besoin de subvention puisqu'on n'est pas très loin des prix ressortant aujourd'hui des appels d'offres. Cependant, l'année dernière, le prix du marché de gros était à 35 euros. Qu'en sera-t-il l'année prochaine, le mois prochain et le mois suivant ? Le banquier n'est là que pour faire son travail de prêteur et prendre un risque sur un projet qu'il a analysé. Le rôle de la subvention est de lisser cette volatilité. C'est la seule manière de lever des fonds privés. C'est pourquoi la subvention est requise.

En outre, suivant le type de génération, son niveau peut-être plus ou moins adapté. Au début, en France, la subvention pour le solaire était de 540 euros le MWh. Aujourd'hui, des appels d'offres ressortent à 50 euros. Le prix a considérablement baissé et le soutien a eu l'effet escompté. Grâce à l'investissement mondial, les volumes ont divisé par dix les prix du solaire.

Le soutien est indispensable pour lisser la volatilité. C'est mon premier message en tant qu'expert qui fait du financement et qui travaille tous les jours avec les banquiers.

À ce titre, je me permettrai de faire une suggestion à la commission. Il serait opportun d'entendre les grandes banques françaises dominantes sur le marché mondial du financement de projet sans recours, qu'il s'agisse de BNP Paribas, Société générale ou Calyon. Elles vous fourniront des chiffres très parlants et sur l'activité en France et sur l'activité ailleurs, puisqu'elles sont leaders dans le monde entier. En tant qu'experte juridique, c'est pour moi le juge arbitre. Est-ce qu'on a l'argent pour construire ces projets ? Est-ce que le banquier est prêt à le prêter ? Il serait intéressant que vous entendiez les banquiers à cet égard.

Le deuxième point que je souhaite évoquer concerne la vision. Aujourd'hui le secteur de l'énergie a besoin d'une vision à long terme. C'est vrai pour la défense, c'est vrai pour l'éducation, mais cela l'est aussi pour l'énergie. La vision court-termiste est très destructrice de valeur. Il me semble qu'en France, on a fait des choix de soutien qui n'ont pas été entièrement suivis et mis en œuvre avec les moyens requis et on n'a pas obtenu le résultat que l'on était en droit d'attendre. Cela alimente beaucoup le lobby anti-éolien parce que, dans certains secteurs, les résultats peuvent être décevants, notamment pour l' offshore, notamment au regard de l'appel d'offres de 2012.

Je rappelle aussi que l'appel d'offres de 2004, dans lequel onze projets étaient soumis et un seul a été retenu, n'a pas donné lieu à construction. J'étais conseil des banques à l'époque. Le tarif était de 103 euros le MWh hors coûts publics, hors taxes, hors loyer. Puisqu'à l'époque, il n'y avait pas les mécanismes existant actuellement, on ne savait pas quel serait le niveau du loyer sur le domaine public maritime ni les impôts applicables à ce type de projet. On était donc, all in all, à environ 120 euros le MWh. Ce projet n'a pas pu voir le jour parce qu'à l'époque, le montant était insuffisant.

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