La séance est ouverte à quatorze heures quarante.
Nous accueillons maître Anne Lapierre pour notre première audition de cet après-midi.
Maître, vous êtes membre du comité exécutif de Norton Rose Fulbright. Vous êtes coresponsable de la pratique énergie mondiale de ce cabinet, associée au bureau de Paris et coresponsable du bureau de Casablanca.
Vous êtes une experte du marché de l'énergie. C'est à ce titre que votre nom a été proposé pour une audition. Vous avez participé à de nombreuses opérations de développement de projet de construction, de financement, d'acquisition et de transfert dans le domaine des énergies renouvelables, et dans les secteurs gaziers et pétroliers.
La transition énergétique est, comme son nom l'indique, le passage d'un état de choses à un autre. Votre expérience en France et à l'étranger vous permet d'avoir un regard comparatif qui nous intéresse.
Quelles sont les spécificités du marché de l'énergie français par rapport aux autres marchés ? Quels enseignements en tirer pour la transition énergétique en France ?
Existe-t-il différents types de transition énergétique ou bien s'y engage-t-on pour les mêmes raisons, en utilisant les mêmes moyens pour aboutir au même bouquet énergétique ?
La transition énergétique allie le recours à la subvention publique et le recours au crédit financier. Quels critères sont retenus par les établissements de crédit pour apporter leur financement aux différents types de projet ? S'agit-il nécessairement d'un cofinancement ?
Puisque vous avez une vision de long terme sur les énergies renouvelables, faut-il arrêter de subventionner certaines énergies dont on nous dit, d'un côté, qu'elles sont matures et compétitives et, de l'autre côté, qu'arrêter aujourd'hui la perfusion poserait un problème ? Est-ce franco-français ou est-ce que certains gouvernements étrangers ont fait des choix différents ?
Je vous propose de débuter par un exposé liminaire d'une quinzaine de minutes, puis nous vous interrogerons.
S'agissant d'une commission d'enquête, il me revient, conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, de vous demander de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Veuillez lever la main droite et dire « Je le jure ».
(Maître Anne Lapierre prête serment.)
Monsieur le président, madame la rapporteure, je suis une avocate spécialisée dans le secteur de l'énergie, avec deux casquettes.
J'exerce en France, au Maroc et en Afrique subsaharienne une activité propre d'accompagnement de développement et de financement de projets énergétiques. Le développement consiste en l'assistance à la sécurité du foncier, des autorisations, à négocier des contrats de construction. Le financement consiste ensuite à trouver les moyens pour construire ces actifs et à s'assurer qu'ils soient opérés pendant plusieurs dizaines d'années.
J'ai également le plaisir d'avoir un rôle de management de la pratique énergie mondialement. Le cabinet Norton Rose Fulbright, fortement spécialisé dans le secteur de l'énergie, compte 56 bureaux dans le monde. Pour la pratique énergie elle-même, il compte environ mille avocats spécialisés dans le monde. Cela me donne, je crois, une vision assez bonne des pratiques à l'étranger. Nous y reviendrons, si vous le souhaitez.
S'agissant du marché français, je me présente devant vous animée de trois convictions.
La première, et cela correspond à l'objet même de votre commission d'enquête, c'est que la subvention est nécessaire - je le dis en tant qu'expert chargé du financement de projets. Elle est nécessaire, parce que dans le secteur de l'énergie, les prix sont extrêmement volatils, et la méthode actuellement retenue pour financer ce développement est celle du « financement de projet sans recours ». Elle n'est pas spécifique aux énergies renouvelables. Très bordée et proche de ce qui a été mis en œuvre pour les partenariats publics privés (PPP), elle consiste à financer au moins 80 % de l'investissement initial par dette bancaire. Les 20 % restants sont financés sur fonds propres. La signature n'est pas importante en soi, puisqu'est principalement considérée la rentabilité propre du projet.
Ma première conviction forte est qu'il faut maintenir la subvention pour permettre les finances de projets sans recours à long terme. J'y reviendrai en détail ultérieurement, me limitant à annoncer les sujets que j'envisage d'aborder.
Ma deuxième conviction, c'est que la politique énergétique, eu égard au type d'actifs concernés, nécessite une vision de long terme. L'ennemi est donc le court-termisme. La visibilité requise va bien au-delà et du cours de Bourse et d'une mandature. Il est important pour tous les acteurs, quels qu'ils soient, qu'un cadre légal et réglementaire adapté donne une visibilité à long terme sur les actifs en question. Dans le cas des énergies renouvelables, ces actifs sont de vingt ou trente ans pour le solaire ou l'éolien, probablement de cinquante ans pour l'hydraulique et de plus de soixante ans pour le nucléaire. On a donc besoin d'une visibilité très longue sur les coûts et les possibilités de les amortir.
Il faut donc une politique claire et de long terme. Je me permettrai de citer un exemple concernant l'éolien offshore et les choix faits à l'époque, lesquels expliquent, au moins pour partie, les prix négociés et obtenus par la France dans les premiers appels d'offres.
Ma troisième conviction porte sur une suggestion pratique et concrète dont la prise en compte, notamment par votre commission, introduirait, par un léger changement législatif rapide à mettre en œuvre, un profond changement dans le paysage du financement et du développement des énergies renouvelables. Il vise à accorder aux entreprises françaises la possibilité d'acheter de l'énergie verte directement aux producteurs tout en continuant à faire bénéficier leurs parcs du complément de rémunération, par le biais d'une question technique sur la garantie d'origine sur lequel je reviendrai. La loi ne le permet pas aujourd'hui, contrairement aux autres pays d'Europe, et cela pourrait être aisément corrigé.
J'en reviens au financement de projets sans recours. Cette méthode de financement classique que l'on retrouve dans d'autres secteurs économiques a pour objectif de préserver les ressources du bilan de l'acteur et, pour la banque, en auditant le projet, de s'assurer de son remboursement par les revenus exclusivement générés par le projet. L'actionnaire ne peut donc être appelé en garantie. L'intégralité des énergies renouvelables est aujourd'hui financée sur ce modèle, en France et ailleurs. Ce financement ne peut être réalisé que si le banquier a une visibilité à long terme. Au départ, la France avait fait le choix d'un tarif qui a permis le financement des différentes capacités existant en France aujourd'hui. On connaissait le prix. À partir du moment où on avait une vision sur la technologie et sur le gisement disponible, le banquier pouvait être relativement confortable sur les revenus qui seraient générés et sur la capacité de l'emprunteur à le rembourser.
Cette première technique permet de s'assurer de l'équilibre économique intrinsèque, donc de préserver les fonds propres. Elle n'est pas utilisée exclusivement par les petits acteurs qui n'auraient pas le bilan. EDF, Total, Engie financent l'intégralité des développements d'énergie renouvelable en financements de projets et absolument pas sur le bilan.
Toutefois cette technique n'est compatible avec l'envie de prêter du banquier qu'en présence d'une visibilité à long terme. Quel que soit le niveau de la subvention, et c'est à l'État de l'adapter en fonction du coût, il revient à l'État de lisser les fluctuations du marché et de garantir un revenu moyen suffisant pour s'assurer que les banques commerciales soient en position de prêter. Si tel n'est pas le cas on est comme dans la situation du nucléaire où les développements de capacité se font sur le bilan de l'investisseur, donc, le cas échéant, sur son actionnaire, puisque les montants et les durées de ces projets ne sont pas compatibles avec la mise en place de financements projets sans recours.
La grande différence, c'est que les capacités supplémentaires d'énergie renouvelable sont développées dans le monde avec de l'argent privé. C'est possible à partir du moment où l'État assure un lissage de la volatilité du prix de l'énergie. Je me suis permis de conserver mon téléphone portable à porter de main afin d'appeler votre attention sur la réalité de cette volatilité grâce à l'excellente application conçue par RTE, éCO2mix. Cette application, disponible pour tous, publie en live l'intégralité de la production et de la consommation française, des exports, vers où, du prix de marché en France et du prix de marché à l'étranger. Regardons, par exemple, la courbe du prix spot, aujourd'hui, à 14 heures. Ce matin, après avoir commencé à 34 euros le mégawattheure (MWh), vers 11 heures il est monté à 50 euros. Au début de notre réunion, il était d'environ 32 euros, il est monté à 35 euros et, au moment où je vous parle, il est d'environ 36 euros. Si le CAC 40 avait des fluctuations de 40 % toutes les cinq minutes, grandes seraient les difficultés des entreprises à lever des fonds ! Dieu merci, il n'en est pas ainsi. Il s'agit du marché spot, les prix des énergies renouvelables sont sur le marché de gros où, certes, la volatilité est moindre mais elle est moyennée. Il n'en reste pas moins que c'est extrêmement représentatif de la situation.
Quand le prix du marché de gros est à 50 euros, on peut penser que c'est formidable et que les énergies renouvelables n'ont plus besoin de subvention puisqu'on n'est pas très loin des prix ressortant aujourd'hui des appels d'offres. Cependant, l'année dernière, le prix du marché de gros était à 35 euros. Qu'en sera-t-il l'année prochaine, le mois prochain et le mois suivant ? Le banquier n'est là que pour faire son travail de prêteur et prendre un risque sur un projet qu'il a analysé. Le rôle de la subvention est de lisser cette volatilité. C'est la seule manière de lever des fonds privés. C'est pourquoi la subvention est requise.
En outre, suivant le type de génération, son niveau peut-être plus ou moins adapté. Au début, en France, la subvention pour le solaire était de 540 euros le MWh. Aujourd'hui, des appels d'offres ressortent à 50 euros. Le prix a considérablement baissé et le soutien a eu l'effet escompté. Grâce à l'investissement mondial, les volumes ont divisé par dix les prix du solaire.
Le soutien est indispensable pour lisser la volatilité. C'est mon premier message en tant qu'expert qui fait du financement et qui travaille tous les jours avec les banquiers.
À ce titre, je me permettrai de faire une suggestion à la commission. Il serait opportun d'entendre les grandes banques françaises dominantes sur le marché mondial du financement de projet sans recours, qu'il s'agisse de BNP Paribas, Société générale ou Calyon. Elles vous fourniront des chiffres très parlants et sur l'activité en France et sur l'activité ailleurs, puisqu'elles sont leaders dans le monde entier. En tant qu'experte juridique, c'est pour moi le juge arbitre. Est-ce qu'on a l'argent pour construire ces projets ? Est-ce que le banquier est prêt à le prêter ? Il serait intéressant que vous entendiez les banquiers à cet égard.
Le deuxième point que je souhaite évoquer concerne la vision. Aujourd'hui le secteur de l'énergie a besoin d'une vision à long terme. C'est vrai pour la défense, c'est vrai pour l'éducation, mais cela l'est aussi pour l'énergie. La vision court-termiste est très destructrice de valeur. Il me semble qu'en France, on a fait des choix de soutien qui n'ont pas été entièrement suivis et mis en œuvre avec les moyens requis et on n'a pas obtenu le résultat que l'on était en droit d'attendre. Cela alimente beaucoup le lobby anti-éolien parce que, dans certains secteurs, les résultats peuvent être décevants, notamment pour l' offshore, notamment au regard de l'appel d'offres de 2012.
Je rappelle aussi que l'appel d'offres de 2004, dans lequel onze projets étaient soumis et un seul a été retenu, n'a pas donné lieu à construction. J'étais conseil des banques à l'époque. Le tarif était de 103 euros le MWh hors coûts publics, hors taxes, hors loyer. Puisqu'à l'époque, il n'y avait pas les mécanismes existant actuellement, on ne savait pas quel serait le niveau du loyer sur le domaine public maritime ni les impôts applicables à ce type de projet. On était donc, all in all, à environ 120 euros le MWh. Ce projet n'a pas pu voir le jour parce qu'à l'époque, le montant était insuffisant.
. Le montant du tarif aidé accordé à l'époque.
Les appels d'offres 2011-2012 donnent lieu à une renégociation des prix. Quand on regarde les appels d'offres qui sortent aujourd'hui en offshore, on est en droit de se demander pourquoi le France payait un tarif aussi élevé pour ces premiers appels d'offres. Le gouvernement s'en est d'ailleurs ému et a entamé avec les opérateurs du secteur une renégociation qui a abouti.
Quelques éléments factuels qu'il est bon de rappeler.
Pour avoir le prix le plus bas, il faut faire concourir les candidats exclusivement sur le critère du prix. Quand on regarde les appels d'offres 2011-2012, sur les cinq zones d'origine qui avaient été accordées, on constate que le prix représente 40 % des critères retenus. Par conséquent, pour 60 %, l'État français a fait le choix, bien entendu légitime, de solliciter des candidats et d'accompagner le développement d'une filière, autant que le prix, puisque 40 % portaient sur la création d'emplois et d'usines nouvelles en France et 20 % sur le volet environnemental. En comparant les projets qui sortent en Europe du Nord avec les projets qui sortent en France, il faut garder en tête que pour 60 %, en France le prix annoncé ne couvre pas exclusivement le prix du kilowattheure (KWh) et du projet, mais un accompagnement plus global qui avait été sollicité à l'époque par le gouvernement.
Autre élément, le temps coûte, pour deux raisons. Parce que les autorisations ont des temps limités, dix ans s'étant écoulés, il faut redemander des autorisations. L'industrie a considérablement évolué également. L'appel d'offres de 2004 avait abouti à l'installation de machines de 5 mégawatts (MW), comme pour les premiers appels d'offres. Aujourd'hui l'industrie a beaucoup évolué, les machines sont très différentes et les autorisations qui avaient été accordées à l'époque ne leur correspondent plus. Le temps a un coût puisque, si on reste dans le même schéma, la machine qui va être installée sera sinon obsolète, du moins pas aussi performante qu'elle pourrait l'être à investissement égal.
Il me paraît important que le cadre légal et réglementaire soit adapté, qu'il y ait une visibilité à long terme et des engagements fermes, quelle que soit la politique choisie. Je ne milite pas pour le renouvelable ou pour le nucléaire, mais pour ce dernier, ce sera encore plus important. S'il est décidé d'y aller, il faudra trouver des solutions de long terme pour rassurer ne serait-ce que l'État, puisque la poche sera sans doute beaucoup plus profonde, même en cas de dépassement. On peut le voir pour Flamanville et pour les trois réacteurs en cours de construction. On constate le triplement ou le quadruplement des coûts de construction des EPR de nouvelle génération en Chine, en France ou en Finlande, et on a dix ans de retard. On verra si le volume induit une amélioration, s'il est décidé de lancer un programme complémentaire.
La question de la visibilité est fondamentale. Même sur le temps court des énergies renouvelables, « court », c'est vingt ou trente ans. Il est très compliqué, et pour les opérateurs et pour les financiers, de s'engager si des objectifs et des mesures de mise en œuvre ne sont pas clairement fixés. Sans mesures de mise en œuvre et sans moyens, l'objectif n'est pas de nature à satisfaire un investisseur et encore moins un banquier. Il importe d'avoir à l'esprit la visibilité. Ces dix dernières années, le secteur des renouvelables a vécu dans une instabilité chronique qui n'a certainement pas aidé à obtenir d'aussi bons résultats qu'on l'aurait pu. Par exemple, l'intégralité des arrêtés tarifaires de 2001, 2006, 2008, 2010, a été attaquée devant les tribunaux, et un certain nombre de dispositions ne sont pas mises en place.
Enfin, le point qui peut être modifié sans délai pour améliorer le cadre légal et réglementaire concerne la garantie d'origine. Comme le complément de rémunération a été mis en place en remplacement du tarif, manière dont la subvention aujourd'hui s'exerce, le législateur a prévu, à tort me semble-t-il, que le complément de rémunération entraîne le transfert de la garantie d'origine au bénéfice de l'État. Il a annoncé des enchères qui n'ont encore jamais eu lieu, mais je crois comprendre qu'elles seraient prévues pour la rentrée. En conséquence, les entreprises françaises qui ont des programmes d'achat, d'investissement et de consommation d'énergie verte importants et déclarés s'approvisionnent à l'étranger puisque, comme la garantie d'origine suit la subvention et non pas le KWh, une entreprise qui achèterait de l'énergie verte à un parc qui, par ailleurs, bénéficie de compléments de rémunération, ne pourrait pas acter qu'elle consomme de l'énergie verte, puisque la garantie d'origine est partie avec la subvention, de sorte que dans le registre des garanties d'origine, le KWh consommé n'est plus vert.
Donc, aujourd'hui, l'intégralité des grandes entreprises françaises – Aéroports de Paris (ADP), La Poste, Danone, Nestlé, Chanel… -, grosses consommatrices d'énergie, s'est clairement positionnée pour acheter de l'énergie verte directement à des producteurs d'énergie, principalement auprès des pays nordiques. Je tiens à dire que la Commission européenne a reconnu la validité d'un complément de rémunération, que c'est une garantie d'origine, au bénéfice soit du producteur, soit de l'acheteur du KWh vert, et que le France et l'Allemagne sont les deux seuls pays en Europe où cela n'est pas possible. Le « paquet énergie-climat » qui est sur la table de la Commission européenne prévoit que c'est possible, et il est expliqué pourquoi c'est possible dans le texte qui est sur la table depuis plusieurs années. Je pense qu'il serait bien que la France s'ajuste rapidement pour ne pas être le dernier pays en Europe, derrière l'Allemagne, à permettre ce type de mécanisme. Les Hollandais bénéficient aujourd'hui d'un parc offshore sans subvention, pour des raisons très particulières liées à ce parc. Dans la mesure où il existe un autre parc à proximité, les coûts de maintenance et de raccordement sont beaucoup plus faibles. Les Pays-Bas ont fait preuve d'un engagement sans faille, puisque le parc voisin a été construit en 2005. Depuis, le soutien est sans faille, qui est rendu possible par la présence d'un acteur de long terme qui achète et récupère la garantie. Ils ont pu le faire sans subvention. Orsted, l'opérateur, a indiqué que c'était en raison de ces conditions particulières, mais pour les autres parcs offshore en Europe, les off-takers sont des entreprises privées qui récupèrent la garantie alors que la subvention est versée aux producteurs.
Pouvez-vous revenir sur la possibilité pour une entreprise française d'acheter directement au producteur ?
. Techniquement, il n'y a pas d'impossibilité. Une société peut se sourcer où elle veut et acheter du KWh à un parc éolien ou à un parc solaire. En raison de la volatilité à laquelle je faisais référence, sans complément de rémunération, aucune entreprise n'ira, d'autant qu'on parle d'un positionnement à l'achat sur quinze ans ou sur vingt ans. Cela s'appelle le « corporate PPA » et cela existe partout dans le monde sauf en France et en Allemagne. La subvention est requise pour permettre le lissage et s'assurer que le prix moyen auquel s'engage l'entreprise est acceptable. S'il y a une prise de risque de la part de l'entreprise, il y a une visibilité sur les coûts et un pari fait sur le prix de l'énergie à long terme. Chez nous, ce n'est pas fait, ou seulement à la marge, sur des tout petits volumes, dans le Sud-Est de la France, sur des parcs solaires profitables hors complément de rémunération en raison de l'importance de l'ensoleillement. Mais cela ne peut absolument pas permettre au marché français de se développer conformément aux objectifs que nous avons souscrits. Si l'on veut aider le développement, les opérateurs doivent avoir un acquéreur qui s'engage à un prix fixe à long terme. Le complément de rémunération a mis les acteurs sur le marché. Il lisse et assure un filet qui permet aux banquiers de s'engager. Mais en pratique, en raison de la volatilité, les agrégateurs – un parc de 12 MW ne peut aller seul sur le marché et il contracte avec un agrégateur qui vend et achète des volumes sur le marché – ne sont pas capables de s'engager au-delà de trois ans. Tous les contrats d'agrégation actuels sont des contrats de trois, voire quatre ans. Les agrégateurs sont de grands acteurs. C'est Agregio, l'agrégateur d'EDF, c'est Uniper. Ils ont un bilan et sont capables d'aller sur le marché, mais ils ne prennent pas de risque au-delà de trois ans, faute de visibilité sur le prix du marché.
Nous serions donc plus confortables vis-à-vis du banquier si on pouvait lui dire, par exemple : j'ai le complément de rémunération pour cette quotité-là et La Poste va m'acheter pendant vingt ans mon électricité à tel prix du KWh. J'obtiendrais une baisse importante du coût de financement, parce que je donnerais de la visibilité sur les revenus. La Poste le fera seulement si elle peut dire qu'elle remplit ses obligations RSE et qu'elle achète de l'énergie verte. Pour démontrer qu'on achète et qu'on consomme de l'énergie verte, il faut présenter des garanties d'origine. Pour chaque MWh d'éolien ou de solaire produit, est émise une garantie d'origine. C'est un produit qui se « trade ». On enregistre toute la production verte dans le registre. On sait combien de KWh ou de MWh verts la France a produit. Cela sert aussi aux obligations de reporting de la France au regard de ses objectifs européens, pour savoir où en est notre pourcentage de production renouvelable dans le bouquet global par rapport aux engagements que nous avons souscrits. Cette garantie permet de déterminer si le KWh est vert ou gris. Dès qu'il est dans le tuyau, on ne peut connaître la source d'un électron. Un électron vert est rigoureusement identique à un électron carboné. Pour justifier du caractère vertueux de sa consommation, il faut être capable de démontrer qu'on est propriétaire des garanties d'origine en quantités correspondantes. Cela est contrôlé par un registre. La problématique, c'est que la subvention, donc le complément de rémunération, emporte automatiquement le transfert de la garantie d'origine à l'État. Donc la garantie d'origine devient attachée à la subvention et non au KWh.
. Pour chaque MWh produit par le parc éolien ou solaire, un certificat de garantie d'origine est émis. La question est de savoir à qui il appartient. En cas de complément de rémunération, la loi dit, d'où la nécessité d'une modification législative, que l'État est propriétaire de ce certificat de garantie d'origine émis par le parc éolien ou solaire, parce que ce parc est déclaré comme bénéficiant du complément de rémunération. L'État n'achète par des KWh, il donne un complément de rémunération en soutien. Le producteur doit vendre sa production sur le marché, ce qu'il fait par le biais d'un agrégateur. Sauf qu'à ce moment-là, il n'a plus la garantie d'origine. Il n'en est pas titulaire puisqu'elle a été émise directement au nom de l'État. Par conséquent, en réalité, le producteur éolien ne vend pas de l'énergie verte, techniquement au regard de nos obligations de reporting, notamment au regard des obligations de responsabilité sociétale des entreprises (RSE). Elles ne peuvent pas l'enregistrer dans leurs propres comptes.
L'énergie est produite verte, mais parce que l'État est propriétaire de la garantie d'origine, le producteur ne peut pas faire valoir que c'est une énergie verte parce qu'ils n'ont pas le bon associé ?
. Exactement. Ce n'est pas attaché aux KWh.
. Le KWh est donc passé d'énergie verte à énergie grise uniquement parce que le certificat qui va avec a été perdu, lequel reste aux mains de l'État, qui ne le valorise pas ?
. Les opérateurs se sont plaints de cette situation, puisque cela n'a jamais été valorisé. Avant, cela s'appelait certificat vert, maintenant cela s'appelle garantie d'origine, mais c'est la même chose. Depuis 2000, cela n'a jamais été valorisé par l'État, ou plutôt par EDF, à l'époque propriétaire de tous les certificats verts émis dans le cadre du prix d'achat, puisqu'ils payaient non seulement un KWh mais aussi un tarif avec une subvention. Tout est transféré, à savoir le KWh et les « droits attachés ».
C'est aujourd'hui un marché distinct. Une grosse majorité des garanties d'origine vertes qui circulent ou qui sont attribuées à de la consommation verte en France sont des garanties d'origine qui ont été achetées sur les marchés et produites par les barrages hydrauliques des pays nordiques, parce qu'on a décorrélé le KWh de la garantie. Ce n'est pas forcément un mal, sauf que la France est le seul pays où, si on bénéficie d'une subvention, on ne peut pas conserver sa garantie d'origine ou l'attribuer directement à son acheteur. Ce serait l'idéal car les producteurs éoliens n'ont pas besoin d'être propriétaires de la garantie d'origine. On pourrait les faire remettre directement au consommateur, donc à La Poste, par exemple.
Mais aujourd'hui, ce n'est pas possible. Le renouvelable est sur le marché, conformément à la loi. Ce marché sait trouver des acheteurs de KWh gris à trois ans et, tous les trois ans, il faut de nouveau trouver une solution de sortie sans prix garanti. Ce serait beaucoup mieux si l'on avait une vision financière à long terme par un prix garanti pour des entreprises qui achèteraient au long cours, à un prix fixe indexé et pourraient justifier ce qu'elles consomment. C'est très important pour les opérateurs français. Aujourd'hui, l'opérateur français qui veut agir en conformité avec la responsabilité sociale des entreprises est dans une démarche beaucoup plus verte que ne le demande la loi. Il veut pouvoir dire qu'il consomme la production du parc éolien qui est à côté de son usine. Or il ne peut pas le faire aujourd'hui. Pour remplir ses obligations, il achète des garanties d'origine sur les marchés ou directement des certificats de KWh verts fournis par des gens qui ne vendent que de l'électricité verte mais qui, sauf pour un ou deux d'entre eux, les plus petits, se sourcent de cette façon sur les marchés de garanties d'origine.
Il y a un petit sujet qui me paraît facile à régler. Aujourd'hui, dans mon cabinet, nous faisons des contrats « corporate PPA » de long terme avec de la subvention en Angleterre, dans les pays nordiques, en Espagne, au Portugal et aux Pays-Bas, mais je ne peux pas en faire chez moi. La semaine dernière, j'ai eu le plaisir d'animer au Sénat une formation sur les « corporate PPA » à laquelle participaient 200 grands acheteurs français de la grande distribution très consommatrice d'électricité, comme Auchan, Métro, Picard – les grands producteurs d'acier ne sont pas les seuls gros consommateurs d'énergie L'intégralité de ces entreprises souhaite savoir comment acheter de l'énergie verte directement auprès des opérateurs, notamment à des unités de production proches de leur lieu d'implantation. C'est important non seulement économiquement mais aussi dans le cadre de leur démarche très valorisée par leurs propres employés. Cela contribue à l'engagement de la population locale, mais aussi des salariés du groupe qui sont fiers de savoir qu'ils consomment du KWh de telle ou telle unité de production voisine.
Aujourd'hui, les entreprises sont-elles obligées de justifier qu'elles achètent un pourcentage d'énergie verte ?
. Pas du tout ! C'est un choix.
. Tout à fait ! Vous êtes au fait de l'initiative RE100 regroupant environ 150 entreprises qui se sont engagées à consommer 100 % d'énergie verte. Tel est l'objectif.
Il suffirait, par un biais législatif, de permettre qu'une énergie verte soit bien valorisée comme étant verte.
. La direction générale de l'énergie et du climat (DGEC) était réticente à ce sujet parce qu'à l'origine, elle craignait que ce soit perçu comme une double rémunération : complément de rémunération, plus garantie d'origine valorisée sur le marché. Ce n'était pas du tout la demande des opérateurs. À l'époque, ils avaient exprimé le besoin de la garantie d'origine pour permettre à leurs clients d'acheter leur énergie. Et s'il y avait eu une valorisation de cette garantie d'origine, on aurait pu imaginer un mécanisme de versement des profits éventuellement réalisés au titre de la contribution au service public de l'électricité (CSPE) afin d'en minorer le montant. Cette crainte a justifié la position d'origine. La situation actuelle résulte uniquement du schéma voté et construit puisque, entre-temps, comme je l'indiquais au début, la Commission européenne, dans le paquet énergie-climat qui est sur la table, a clairement précisé qu'elle considérerait que la garantie d'origine n'était pas une subvention complémentaire à une subvention existante et qu'elle créerait une rente indue si elle était laissée au bénéfice du producteur, en plus de l'aide qu'elle aurait par ailleurs validée dans le cadre des procédures européennes.
. Les deux sont complètement différentes. La valeur énergie et la valeur de ce bon vert. Les deux ont des vies économiques séparées ?
. Oui !
L'un a une valeur de « médaille verte » et, de l'autre côté, c'est de l'énergie. Les deux ne sont pas liées. L'énergie verte et la « médaille verte » vivent chacun dans son coin leur vie économique.
. Elles le peuvent ou elles ne le peuvent pas. Je vous parle de la valeur de marché. Il y a aujourd'hui un marché des garanties d'origine. Ce n'est pas énorme mais cela suit le modèle de l'offre et de la demande. La garantie d'origine a bien une valeur et on peut légitimement penser qu'elle en aura de plus en plus. Aujourd'hui, elle ne vaut pas grand-chose. Comme nous sommes dans des schémas d'investissement à quinze ou vingt ans, on pouvait peut-être craindre que dans dix ans, cela vaudrait tellement cher que ce serait indu. L'objectif des opérateurs et des entreprises françaises n'est pas de s'approprier une valeur, s'il devait y en avoir une, mais de vendre et acheter de l'énergie verte. Des mécanismes comme celui que je proposais peuvent être utilisés. On avait demandé à EDF de s'occuper de l'obligation d'achat, ce qu'il a fait pendant dix ans. Il était rémunéré pour le coût de gestion de cette obligation d'achat et le reste était payé par la contribution au service public de l'électricité (CSPE). On peut imaginer de nommer un opérateur pour se faire, lequel serait indemnisé pour son travail sur le marché et reverserait 100 % du reste, sans profit, à la CSPE.
Cela a une valeur, parce que l'objectif des acteurs et des entreprises est de pouvoir dire qu'ils achètent de l'énergie verte. Cette valeur est sans doute représentée dans le prix de long terme que l'acheteur est prêt à payer, qui n'est pas le prix de marché. C'est pourquoi la rémunération est nécessaire. Cela dépend aussi de votre vision du prix de marché sur vingt ans.
. Comme on ne peut pas flécher l'énergie parce qu'on consomme juste un volume, on va demander aux producteurs d'énergie nouvelle de générer un équivalent vert, et on achètera la plus-value équivalent vert à part.
. Les acteurs n'achètent pas forcément l'électricité à l'étranger, ils achètent surtout les garanties d'origine. Si je m'engage à consommer 30 % d'énergie verte, soit j'achète à des opérateurs étrangers de l'énergie et des garanties d'origine à hauteur de 30 % de ma consommation, soit j'achète à mon fournisseur habituel 100 % de ma consommation et 30 % de garanties d'origine sur le marché, ce qui a un coût.
. Dans ces conditions, l'étranger ne vous vend pas de l'électricité mais uniquement la garantie d'origine ?
. Il peut faire les deux, mais il peut ne vendre que de la garantie d'origine. C'est ainsi que s'approvisionne la majorité de ceux qui vendent de l'énergie verte aujourd'hui, à commencer par les grands opérateurs.
Vous me faites peur. Imaginons que je veuille acheter du jambon de qualité produit à Bayonne. Des gens disent qu'ils achètent du jambon à Bayonne, mais comme on refuse de leur dire qu'il est de Bayonne, ils demandent à des producteurs de jambon d'Aoste de leur vendre la marque Aoste. Je peux donc consommer du jambon de Bayonne sans savoir qu'il vient d'Aoste puisqu'il a le label de qualité. Il y a donc des gens qui vendent du jambon d'Aoste et qui, à côté, vendent leur marque d'Aoste.
. Rassurez-vous, il n'y a que du jambon de Bayonne. Cela s'appelle de l'électron. Il n'y a qu'un type d'électricité. Dès lors, comment connaître la source ?
Comment puis-je vendre une garantie d'origine sur une électricité que je n'ai pas vendue ?
. Si, vous l'avez vendue !
. Si je suis un producteur italien d'énergie verte et si un Français souhaite m'acheter des garanties d'origine sans que je lui ai vendu d'électricité, je peux lui vendre des garanties d'origine qui reflètent le fait qu'il a acheté de l'électricité verte à un opérateur français. Qu'est-ce que je lui vends ? Cette électricité ne vient pas de chez moi.
. C'est pourquoi je trouverais tout à fait légitime que les entreprises françaises puissent acheter leur électron accompagné de sa garantie d'origine auprès du parc éolien ou solaire implanté à côté de chez eux. Dès lors, tout serait du jambon de Bayonne !
Il n'y a qu'une seule qualité de jambon-électron, mais cela s'apparenterait plutôt à l'idée du bien-être animal. Certains diront qu'ils valorisent à part un type d'électricité. Certains vont vendre de l'énergie verte sur le marché de l'énergie grise sans le valoriser et garder à part ce qui était attaché à leur énergie verte pour le valoriser peut-être à des coûts plus intéressants.
. Ou peut-être pas !
Ils ont donc intérêt à vendre leur énergie sur le marché de l'énergie grise quand celui-ci est plus intéressant et de garder les bons verts pour les vendre sur ce marché-là quand il est plus intéressant, plutôt que de garder les deux corrélés.
. C'est vrai, mais c'est le genre de pari que vous pouvez prendre quand vous n'avez plus de banquier et que vous avez amorti votre projet à 100 %. Vous pouvez alors faire des arbitrages sur le marché spot.
C'est le système mis en place au niveau européen, comme tous les certificats.
. S'ils ont intérêt à le vendre à part, ils vont perdre la garantie verte sur une partie. Il n'y a pas plus de bons verts que d'énergie verte produite. Les deux volumes sont…
. …Identiques !
Cela veut dire qu'ils vont vendre de l'énergie réellement verte comme si elle était grise en abandonnant cette plus-value pour la garder de l'autre côté.
. En production renouvelable à plus de 70 %, les pays du Nord ont donc un excédent et produisent plus de garanties qu'ils n'ont d'acquéreurs.
. Tout à fait !
. On produit de l'électricité « verte » pour un objectif environnemental – il faudrait d'ailleurs débattre de ce qu'on entend par « vert » - et on s'aperçoit que des acteurs ont réussi à mettre en place un commerce dérivé des titres d'origine du produit, un marché dérivé du bon vert.
. Pas les acteurs ! La Commission européenne et les États membres ont mis en place un marché qui fonctionne ainsi. Je voudrais juste que les acteurs français puissent acheter de l'électron vert à côté de chez eux.
. On l'a perdu !
. Vous avez expliqué qu'il y avait, d'un côté, des bons, et, d'un autre côté, la production verte. Vous avez dit qu'EDF ou l'État – c'était un peu flou - a la garantie d'origine. Or EDF a imposé une obligation d'achat.
. L'obligation d'achat était propriété d'EDF, mais depuis le dispositif du complément de rémunération, elle est propriété de l'État.
. Où vont aujourd'hui ces bons de garantie d'origine ? Est-ce qu'EDF récupère, du fait de l'organisation du système électrique, des garanties d'origine des énergies renouvelables ?
. Non. En tout cas, elles n'ont jamais été valorisées.
. Ce n'est pas la question que je vous ai posée. Est-ce qu'EDF est propriétaire des garanties d'origine du fait de l'organisation du système électrique ?
. Oui, à l'époque. Pour tous les contrats en cours avec tarif d'achat, donc les vieux contrats.
. L'État.
. Je vous invite à leur poser la question. Tout ce que je peux vous dire en tant qu'expert qui travaille avec les différents opérateurs, c'est que je n'ai pas vu de mécanisme de mise en vente ou de valorisation.
. Si on considère que ces garanties d'origine ont une valeur marchande, ce que vous semblez pointer, dans la mesure où EDF est propriétaire d'une partie des garanties d'origine, et pour cause, puisque le législateur l'a obligé à racheter l'électricité verte, si on lui enlevait cette garantie qui a une valeur, qu'il pourrait revendre sur un marché, ce qu'il fait peut-être – on ne lui a pas posé la question – on opère un transfert de valeur. Cela revient à obliger EDF à racheter l'électricité verte et à lui dire : le seul gain que vous auriez pu obtenir en rachetant une garantie d'origine, vous ne l'aurez plus. Jusqu'à présent, aucun des opérateurs que nous avons auditionnés, qu'il s'agisse d'opérateurs d'énergie verte ou EDF, ne nous a mentionné ce sujet. Si on modifie la loi sur la partie ancienne, EDF est perdant.
. Non. Le perdant pourrait être, le cas échéant, l'État, puisque les contrats en cours sous obligation d'achat se poursuivent et emportent l'acquisition du KWh. Ces contrats ne concernent pas mon propos. Mon propos touche l'intégralité des capacités additionnelles que nous souhaiterions voir sortir de terre dans le cadre des objectifs. Ce sont donc nécessairement des parcs en complément de rémunération. Ce sont des parcs dont la garantie d'origine va à l'État. Cela ne remet pas en cause le stock sur lequel est assis EDF et qu'il vend peut-être à ses clients.
. Vous dites que vous ne visez pas le système qui existait avant, dans lequel EDF rachetait à prix garanti, mais le système nouveau d'appel d'offres mis en place à partir de 2016-2017, qui concerne donc l'État.
. Oui !
. Néanmoins, le problème demeure. L'État, qui est désargenté, pourrait très bien décider de revendre ces garanties d'origine.
. C'est ce qu'il a l'intention de faire. En tout cas, c'est ce qu'il a annoncé.
. Au début des Caractères, La Bruyère écrit : « Je rends au public ce qu'il m'a prêté. ». L'État qui subventionne allègrement un certain type d'électricité pourrait abaisser son coût en disant : « Je vous ai subventionné, vous, éolien, mais la garantie d'origine étant à moi, je vais la revendre afin d'alléger le coût. » Il y aura donc bien un transfert de valeur du public vers le privé.
. Cela dépend du montage du système. On pourrait trouver un mécanisme dans lequel la valeur serait reversée à la CSPE.
. Il s'agirait de limiter le coût de subvention. L'acheteur consommateur de cette énergie verte ne cherche pas à trouver une position marché favorable sur la garantie d'origine mais à dire qu'il consomme du KWh vert. Il n'est pas en quête de la valeur de la garantie, il est en quête de sa labellisation. On peut donc tout à fait imaginer que l'opérateur consommateur ait l'obligation de vendre et de verser le produit de cette vente aux fins de réduire la subvention. Il y a deux éléments : la labellisation du KWh et la valeur qu'on peut y attacher ou pas.
. Vous dites qu'on pourrait rattacher la garantie d'origine, le label vert au KWh. L'acheteur aurait son label. En revanche, quand il le vendrait, il serait obligé de rétrocéder à l'État le produit de cette vente.
. On pourrait imaginer qu'un organisme, qui pourrait d'ailleurs être EDF, se charge, comme dans le cadre des enchères, de collecter, de céder et de remettre au pot de la CSPE l'intégralité des produits à partir du moment où, dans le registre, l'entreprise sera nommée comme étant la consommatrice du KWh vert concerné.
. Ce serait moins complexe si on n'avait pas bâti un marché financier dérivé de l'électricité. Autant je trouve très bien l'idée de produire de l'énergie verte, autant je m'étonne qu'on puisse en faire commerce sur un marché dérivé. Cela me fait penser au dispositif des certificats d'économies d'énergie (CEE).
. Je ne suis pas compétente pour vous répondre. Je fais du financement de projets sans recours. Je ne suis pas très au fait des CEE.
. Du prix spot et du prix tout court !
. Elle est identique. En théorie, elle a vocation à se réduire par l'augmentation du foisonnement. Le prix de l'électricité est très corrélé à la saisonnalité, à la température et à l'équilibre offre-demande. Cela fait partie de l'ADN de ce type de marché.
. Quand il n'y avait pas d'énergie renouvelable, le coût de production et le marché de la demande étaient stables. Grâce à des séries statistiques, on arrivait à peu près à prévoir les pics de demande. En revanche, je considérais intuitivement que plus il y a d'énergies intermittentes et plus la volatilité devrait s'accroître, puisqu'au moment où il n'y a plus de vent, le prix augmente. Vous dites que non, grâce au foisonnement. Cet argument est avancé par ceux qui considèrent que l'intermittence, ce n'est pas si grave, mais le problème avec un marché spot, c'est qu'on est toujours à la marge. Cela nous fait une belle jambe de savoir que statistiquement, le prix sur l'année est de 45 euros le MW si le 22 février, à 22 heures, le prix est monté à 90 euros et si, le 23 octobre, il est descendu à 20 euros. Nous sommes vraiment sur la marge, ce qui désorganise les capacités et oblige à réveiller des centrales endormies. C'est là où se trouve le coût caché de l'organisation. Si vous dites que le foisonnement devrait réduire la volatilité mais qu'on ne le constate pas, je peux en déduire que l'argument est en termes statistiques et en théorie mais pas en pratique.
. Dans une vision moyennée et lissée, c'est absolument vrai, mais une gestion du réseau à la seconde près est nécessaire, car l'intermittence est réelle. La volatilité est sans nul doute due à la production, mais surtout et avant tout à la demande. L'entreprise Réseau de transport d'électricité (RTE) a un rôle central d'ajustement à jouer. Comme vous, j'entends tout et n'importe quoi sur le sujet. Les anti-éoliens disent qu'il faut mettre une centrale à gaz derrière chaque éolienne. Je n'en sais rien, je suis avocate. Je lis le seul acteur qui me paraît crédible, à savoir RTE, qui dit comment il voit l'intégration des renouvelables dans son réseau et les surcoûts. C'est à celui qui va porter les coûts liés à cette volatilité et à l'intégration des actifs qu'il faut demander quel est le problème, si problème il y a. Tout devient smart : smart grid, smart meter, on est dans une importante transition du « pack » énergétique, une transition digitale et de distribution de l'énergie avec beaucoup moins de centralisation. À ma grande surprise, je lis dans un rapport publié hier par RTE avec l'Association nationale pour le développement du véhicule électrique (AVERE), que la prévision de 20 % à 40 % de voitures électriques en France à l'horizon 2035 ne lui pose aucun problème de réseau.
. Oui, puisqu'il y a trois ans, on pouvait lire, pas nécessairement de leur part, que la croissance du véhicule électrique allait engendrer des coûts d'équilibrage de réseau si élevés qu'on serait incapable de les intégrer.
. Je vous pose la question parce que vous avez dit que, compte tenu de la volatilité, l'État doit lisser le marché pour permettre aux banques de prêter.
. Oui !
. Savoir si le développement de certaines énergies intermittentes peut accroître la volatilité n'est pas seulement un sujet théorique. Pour le solaire, on peut prévoir l'alternance de la nuit et du jour, tandis que pour l'éolien, le vent étant compliqué à prévoir, on évoque le foisonnement. Mais plus on développe le potentiel éolien, plus il y a de volatilité, plus on doit lisser le marché et plus les États doivent s'engager pour la compenser, ce qui risque de finir par poser un problème de financement public. La limite pourrait ne pas être technique mais en termes de risques pour les finances publiques. C'est pourquoi je voudrais connaître votre point de vue, vous qui n'êtes ni productrice ni responsable des finances publiques.
. Cela dit, il faut prendre mes réponses avec réserve sur ce sujet, puisque je ne suis pas une spécialiste des finances publiques. Je crois ce que disent la Cour des comptes et RTE sur les coûts d'ajustement. L'intermittence a sans doute un coût. A-t-elle le coût réel des capacités installées ? Clairement pas. Est-ce qu'il y a du foisonnement ? Oui. D'ailleurs, je ne comprends même pas qu'on se demande si le foisonnement est théorique ou pas. La question est de savoir jusqu'à quel point il fonctionne. RTE équilibre son réseau en permanence, chaque seconde, tous les jours et toutes les nuits que dieu fait. Il suffit de regarder la manière dont il le fait. Il utilise ce qu'il a. Effectivement, de temps à autre, il déclenche un groupe d'urgence, mais surtout il utilise les interconnexions. On est en Europe sur une plaque électrique qui, par le smart grid, est voué à se développer. Donc, on voit bien que le coût de l'intermittence n'est peut-être pas neutre, mais sans doute pas non plus aussi important que certains le disent de par l'existence du foisonnement.
Dans l'industrie dans laquelle je travaille depuis vingt ans, je suis frappée de constater à quel point cela a changé. La France a mis en place un système de soutien du solaire à 540 euros le MWh. Aujourd'hui le prix est dix fois inférieur. Ce n'était pas en 1912 mais il y a dix ans. Aujourd'hui on met en place du stockage, de l'hydrogène. On n'a pas de solution économique aujourd'hui, en tout cas en France.
Je ferai un aparté. Il est intéressant de garder à l'esprit la spécificité de la France, Avant que je commence à travailler, nous en étions 80 % de nucléaire et nous en sommes aujourd'hui à environ 70 % et 15 % d'hydraulique, le reste en renouvelable et autres. Dans le reste du monde, le nucléaire représente environ 18 % de la production, le complément étant fourni par du charbon, du fioul, du renouvelable, etc. Vous m'avez demandé si, à bouquet énergétique différent, la même solution donnerait le même résultat. La réponse est « non ». Il suffit de regarder la France et l'Allemagne, qui a beaucoup de nucléaire, beaucoup de charbon. On ne peut pas toujours mettre en place les mêmes solutions. Il est d'ailleurs intéressant de regarder la manière dont on s'entraide en permanence. Nous leur vendons du KW nucléaire et nous leur achetons du KW charbon. Il faut garder à l'esprit qu'en dehors de l'Europe et des pays de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), la subvention n'existe pas. Dans le reste du monde, les énergies renouvelables sont toutes, depuis bien longtemps, à parité réseau.
Je suis cogérante du bureau de Casablanca. Aujourd'hui, la production solaire au Maroc est six fois moins chère que la production charbon et trois fois moins chère que la production thermique. Des programmes solaires à concentration avec stockage y sont développés. Il y a aujourd'hui huit heures de stockage. Dans le solaire à concentration, il y a un liquide caloporteur, huile ou sel fondu, que l'on chauffe. Quand il fait nuit, à l'heure de pointe au Maroc, on a créé de l'énergie avec du soleil.
. L'objectif 2020 de capacité installée renouvelable est de 42 % et l'objectif 2030 de 53 %.
. Non. Mais une bonne partie. Le Maroc a du solaire douze heures par jour et huit heures de stockage. Pour un projet situé à Ouarzazate, Il y a suffisamment de soleil pour alimenter en même temps le réseau et le stockage. On s'oriente vers des solutions qui ne sont pas adaptées pour la France en raison de son niveau d'ensoleillement. Toutefois le marché de l'énergie n'est pas un marché français mais un marché mondial. Par exemple, Orsted, premier opérateur mondial d'éolien offshore, était partenaire d'EDF dans les appels d'offres 1 et 2 mais est parti, car le projet français était trop compliqué et trop cher et parce que leurs capitaux propres étaient sans doute mieux investis ailleurs. Ils sont d'ailleurs en train de sortir le premier parc éolien offshore aux États-Unis.
La compétition d'équipements, de capitaux et de financements est mondiale. Il faut faire attention à ce qu'on fait de ce point de vue. Le défaut d'attractivité conduit les opérateurs à investir ailleurs. D'ailleurs, Total et Engie sont dans une transition très forte et dans des investissements très élevés.
. C'est un peu contradictoire, puisque vous disiez que chaque pays a son mix énergétique. Comme nous sommes singuliers, devons-nous suivre notre propre chemin de transition énergétique, ce qui supposerait de ne pas copier l'Allemagne, voire nous demander si au plan européen il serait intéressant d'avoir des mix énergétiques différents ? Imaginons que tout le monde fasse de l'éolien à 40 %, que se passerait-il le jour où il y aurait une panne de vent en Europe.
. Cela n'arriverait pas car il y a des façades maritimes différentes.
. Statistiquement, la Bourse monte et baisse, ce qui, à 99,99 %, ne pose pas de problème Dans le secteur électrique, d'une part, compte tenu des interconnexions, un problème peut se communiquer à toute l'Europe, et, d'autre part, que se passe-t-il les trente secondes ou la minute où il n'y a pas d'offre face à la demande, pas de rapidité suffisante et où l'on risque un black-out total ? Les conséquences économiques sont énormes. Dans votre argumentaire, vous semblez plaider pour que chaque pays ait sa voie tout en disant que si nous ne faisons pas comme les autres nous risquons de voir les capitaux s'investir ailleurs.
. Je pense qu'il ne faut pas faire comme les autres. Chacun doit suivre sa voie. Dans tous les pays émergents, les renouvelables sont très profitables en raison des expositions au dollar qu'induisent le pétrole, le fioul et le gaz. Je partage votre avis : le mix devrait être européen, mais c'est une question d'indépendance nationale. Le choix est très différent suivant la situation. Quelque 1,3 milliard de personnes dans le monde n'ont pas accès à l'électricité. Dans de nombre de pays, l'intermittence n'est pas un sujet. Le sujet est d'avoir un peu d'électricité de temps en temps. Les grands pays ne font pas de nucléaire, car construire des réseaux à leur taille serait trop long, trop lourd, trop cher. La réponse est très différente selon les pays. En revanche, si on a besoin en France d'un opérateur agissant sur d'autres marchés et si nous ne sommes pas assez attractifs, il ne viendra pas chez nous.
Cela dit, quoi que l'on pense de l'éolien, il relève d'une vision à long terme et le nucléaire d'une vision à encore plus long terme. Je ne suis pas sûre que notre débat soit toujours adapté, parce que le développement d'une centrale nucléaire prend dix ans et sa construction dix ans, soit la durée de vie d'un parc éolien ou solaire.
En outre, il y a dix ans, on installait des machines d'un mégawatt. Aujourd'hui, on constate un accroissement de la production, quelles que soient les énergies, et un développement mondial du stockage. Au regard de ce que j'ai vécu ces dix dernières années, il ne me semble pas déraisonnable de penser que d'ici dix ans, on trouvera d'autres solutions à des coûts acceptables. Je m'interroge donc sur l'opportunité de m'engager dans une technologie qui, aussi fiable soit-elle, et elle l'est, m'emmène à soixante ans dans vingt ans, donc à quatre-vingts ans. Est-ce que, d'ici quatre-vingts ans, on n'aura pas trouvé d'autre solution ? Je suis sûre que si. Je suis convaincue que la grande révolution de demain, c'est l'hydrogène. Ce ne sera pas économiquement rentable tout de suite, il faudra créer de grandes flottes. Le contribuable français n'a peut-être pas besoin de s'engager sur quatre-vingts ans.
. Dans le domaine énergétique, je peux comprendre que l'on ait des convictions et que l'on avance des prévisions statistiques, mais n'oubliez pas qu'il y a dix ans, lorsqu'on faisait des projections au sujet du pétrole, on affirmait qu'en 2020, les États-Unis seraient importateurs nets d'énergie fossile. Aujourd'hui ils sont exportateurs de gaz de schiste dans le monde entier.
. En 2020, ils seront le plus gros exportateur mondial, devant l'Arabie saoudite.
. Il faut donc modérer le propos. Si j'avais du pétrole, j'aurais pu envisager de le vendre aux États-Unis dix ans de plus, date à laquelle je pensais qu'ils seraient importateurs nets.
En matière de technologie, je partage l'idée qu'à un moment donné, on saura faire du stockage, la question est de savoir quand. Quand on voit à quel rythme une batterie de téléphone portable peut se décharger rapidement, on mesure la complexité de réaliser du stockage à l'échelle d'une ville. Mais cette incertitude pèse sur nombre d'autres domaines, qu'il s'agisse de la fusion nucléaire dont on nous dit qu'elle est pour quarante ou soixante ans, de l'hydrogène, dont on nous dit qu'elle est la révolution à venir et qu'on ne doit pas s'engager dans les véhicules électriques parce qu'on ne pourra pas financer deux types d'infrastructures, du gaz - on nous dit que l'hydrogène c'est bien, mais il est une solution immédiate – ou des biocarburants, dont on nous dit que d'ici cinq à dix ans, grâce aux algues, on produira des biocarburants verts. À un moment donné, on se doit d'établir une stratégie qui, à défaut d'être réversible, soit suffisamment flexible pour encaisser les chocs de technologie, avec le risque inverse – songeons à la jurisprudence Minitel – lié au fait de mettre tous ses œufs dans le même panier. Si, en 2019, persuadé que le stockage électrique sera opérationnel d'ici dix ans, j'arrête la recherche en matière de nucléaire, je prends le risque de rencontrer dans dix ans un problème de tuilage.
Toutefois, j'ai relevé que vous avez dit que le nucléaire était financé sur fonds propres parce que trop coûteux, contrairement aux énergies renouvelables, pour lesquelles on a recours à de l'endettement privé. La question étant aussi celle du subventionnement, j'en profiterai pour vous poser deux questions en même temps.
L'un de nos problèmes, c'est qu'on commence à attendre les limites de l'acceptabilité politique du financement de la transition énergétique. On prélève 7 à 8 milliards d'euros par an, et je doute que l'on puisse dire aux Français qu'on va prélever le double sur leur dépense en matière d'automobile parce qu'on ne sait pas s'il vaut mieux investir sur les éoliennes ou sur l'hydrogène. Il va falloir faire des choix. L'une des questions est de savoir si, considérant, comme vous le dites, que l'éolien ou le solaire sont très compétitifs dans d'autres pays, il faut arrêter de les financer pour faire porter l'effort ailleurs, avec le risque de tuer une industrie naissante. Pensez-vous qu'il est temps de mettre un terme à ce système de financement ? Vous avez plutôt plaidé pour la stabilité. Je comprends bien l'intérêt de la volatilité, mais au plan économique, avez-vous des éléments de comparaison ?
Deuxièmement, la direction générale de l'énergie et du climat (DGEC) nous a dit : n'y pensez pas, car au train où vont les choses, d'ici quelques années, le nucléaire devra émarger lui aussi à ces mécanismes d'aide via le marché, ce qui semble contredire votre argument selon lequel le nucléaire est à part et est financé sur fonds public. Je pense que le nucléaire n'est pas une activité comme les autres et que, dans le secteur privé, vous ne trouverez aucun assureur, aucune banque qui accepte d'investir pour cinquante ans dans un projet présentant un danger important même si les risques sont maîtrisés. Comment voyez-vous les choses ?
. J'avais commencé à répondre à la première question. Le financement de projets ne se fait que sur des actifs autofinancés offrant une visibilité sur le retour et non sur des actifs de marché. Un certain nombre d'acteurs avec de gros bilans pourraient prendre ce risque. Aujourd'hui, personne ne peut se permettre cela, personne ne le fait, ni en France ni ailleurs. Dans les pays où il n'y a pas de subvention, il y a des contrats d'achat à long terme. C'est toujours la même question. Dans les pays en voie de développement, les financements sont opérés par des banques non commerciales, ce qui ne permet pas de puiser dans la même poche de cash privée, importante au niveau mondial. Ils sont réalisés par des banques de développement, tels qu'OPIC-ASC, les Américains, l'Agence française de développement (AFD), Proparco, la Banque européenne d'investissement (BEI). Dès qu'il y a du risque dans les endroits dépourvus des systèmes de sécurité que nous connaissons aujourd'hui, comme les réseaux distants, il n'y a pas de financement de projet sans recours. Il est fait sur le même modèle mais par des banques publiques, qui investissent de l'argent public.
. En Europe, la mise en œuvre est spécifique à chaque pays membre mais dans le cadre de la même législation, et le financement est réalisé par les mêmes banques.
. Bien sûr ! Au Royaume-Uni, existe le Contract for Difference (CfD). À ma connaissance, aucun des pays n'est au prix de marché.
. On nous a dit ce matin que la Grande-Bretagne avait cessé ses aides à l'éolien terrestre.
. Je l'ignore. Ce n'est pas mon marché personnel. Je suis en charge de la practice. J'ai une grosse équipe à Londres qui s'occupe de cela et je suis surprise de ce que j'entends. Il est possible que ce soit prévu dans le temps.
. Deux facteurs de stabilité interviennent dans le processus : pour celui qui produit l'électricité, il y a le prix pour lequel l'État investit et il y a le fait d'avoir un acheteur. Dès lors que c'est compétitif et mature et qu'il y a des pays où les tarifs sont plus bas, pourquoi l'État ne sponsoriserait-il pas quelque chose de moins coûteux ? Il pourrait dire à La Poste d'acheter de l'électricité produite par tel champ éolien, et avoir ainsi un client à un prix garanti sans engager les finances publiques.
. ADP et la SNCF se positionnent aussi.
. Mais on ne sait plus si ADP est public ou privé. On n'a pas forcément les mêmes réponses dans cette équipe, mais j'espère que le peuple va trancher.
A-t-on besoin d'avoir « ceinture et bretelles » ? En vous écoutant, j'ai le sentiment que vous réclamez deux systèmes d'assurance : par la différence de prix portée par l'État et par la longévité de l'achat.
. Oui !
. Ne pourrait-on se contenter de la ceinture ? L'État ne garantirait plus rien, sachant qu'en revanche, on aiderait de l'autre côté.
. C'est l'objectif ultime. Mais aujourd'hui, aucun opérateur ne va acheter pour la totalité du prix et sans complément de rémunération.
. Ce que je ne comprends pas, puisqu'on me dit que les prix baissent et que la filière est mature. Il peut y avoir une variabilité.
. Ce n'est pas un problème !
. Mais une variabilité, c'est tantôt haut et tantôt bas. Il y a des moments où l'on y perd et d'autres où on y gagne.
. C'est une position d'opérateur, pas une position de banquier. Le banquier a besoin d'un cash-flow permettant de s'assurer du remboursement de la dette à des échéances précises. Des opérateurs privés seraient-ils prêts à prendre ce risque ? Sans aucun doute. Mais le problème est de savoir comment financer. C'est ultra-capitalistique !
. En ce cas, j'ai une question encore plus dure. Pourquoi a-t-on laissé le secteur privé s'emparer de ce domaine ? Si c'est vraiment fortement capitalistique, si l'État doit garantir, pourquoi, de la même manière qu'un EDF fait du nucléaire, ces projets, à partir d'un certain niveau, ne seraient-ils pas montés uniquement par des opérateurs publics ? Compte tenu de la variabilité et de l'incertitude liées à ce secteur et de la timidité des banques privées, pourquoi n'est-ce pas public ? Si l'État doit venir en nounou pendant de longues années, cela ne relève pas uniquement de l'initiative privée !
. L'État n'a ni les moyens ni la compétence de le faire. Le développement de ce genre de projet demande du temps, de l'intégration dans les territoires. De plus, je ne suis pas sûre que l'État ait vocation à être producteur d'électricité…
. …en concurrence avec EDF.
Je pense que l'État n'a pas les moyens et que nous avons d'autres besoins. C'est tellement vrai que même sur les actifs publics comme les hôpitaux, les écoles, les frégates, l'État fait financer, par le mécanisme du partenariat public-privé (PPP), ses propres infrastructures stratégiques par les banquiers privés en financement de projets sans recours. Cela dégage toute cette trésorerie du budget de l'État.
. … Une garantie !
. …un coût in fine, parce que les PPP, c'est compliqué.
Je voudrais maintenant vous poser une question sur le modèle capitalistique des entreprises de l'éolien. Ce matin, lors d'une audition, nous avons parlé de l'entreprise RES, que je connais bien, puisqu'elle est dans mon département. Grâce à un modèle de chiffre d'affaires garanti par des moyens divers et variés, son capital initial de 10 millions d'euros a été valorisé à 245 millions d'euros et elle a pu créer une seconde entreprise de 45 millions d'euros, les 200 millions d'euros restants n'ayant pas été placés dans l'entreprise fille ou cousine, mais à l'étranger. Beaucoup d'opérateurs privés qui, à partir de capitaux de base encore plus faibles – quelques milliers d'euros – parviennent à bénéficier largement d'un système d'aides publiques, une partie du gain ainsi obtenu partant dans des paradis fiscaux voire dans des circuits plus douteux. La personne auditionnée citait l'Italie où la mafia avait investi le marché.
Vous qui êtes dans une position stratégique, qu'avez-vous à dire sur ce modèle de structuration ? Vous paraît-il choquant que le modèle de l'éolien français permette une rentabilité égale à 220 % du capital social et un rendement aux actionnaires supérieur à 8 % ? Pensez-vous qu'il existe deux types d'entreprises dans l'éolien et que ce n'est qu'une partie de l'écosystème ? Pensez-vous qu'une partie de cet écosystème aurait des liens ou des financements douteux ?
. Je n'imagine pas que l'objet de cette commission d'enquête soit de « balancer ».
. Plus sérieusement, je crois que c'est une ligne d'activité qui génère un certain nombre de fantasmes. Elle génère des profits mais aussi des pertes.
Il y a plusieurs types d'opérateurs. Il y a d'abord les gens qui font du développement. C'est le cas de l'entreprise RES, à l'origine un bureau d'études qui a été acheté par le groupe McAlpine. Le développement est assuré en France et ailleurs dans le monde par de toutes petites structures ancrées dans le territoire. Les grosses sont handicapées pour faire ce type de démarche. C'est la raison pour laquelle, comme ils ont d'importants besoins de croissance, Total, Engie et d'autres achètent énormément sur le marché des développeurs afin de récupérer le « pipe-line » en cours de développement. Au départ, je le répète, c'est beaucoup d'approche de territoire, d'intégration. Des acteurs comme Valorem y sont très attachés. Ces gens n'ont absolument pas les moyens financiers de construire ce qu'ils ont développé. En général, ils le vendent à quelqu'un ayant les moyens et la stature financière nécessaires pour rencontrer un banquier.
Il y a ensuite les très gros, qui ont du mal à faire du développement et qui rachètent beaucoup de « pipe-lines » et qui sont de grands portefeuilles. On trouve parmi eux beaucoup d' utilities et des spécialistes du secteur et qui ont bien grandi. On trouve beaucoup d'étrangers, ce qui génère une sorte de racisme économique qui me stupéfie. Le président Giscard d'Estaing a parlé, devant l'institut Montaigne, du « lobby germano-danois ». Ces deux pays qui ont soutenu depuis le début les énergies renouvelables et permis l'émergence d'une filière sont aujourd'hui dominants dans le monde des équipementiers.
Il y a donc plusieurs types de gens, qui gagnent leur vie différemment : soit, ils développent pour leur compte, construisent et exploitent, soit, ils développent et vendent.
Par ailleurs, les fonds investis ne le sont pas par le capital social. Je ne connais pas le statut de RES, à l'heure actuelle, mais il se trouve qu'en France, nous avons une autre spécificité que le nucléaire, assez handicapante, qui est le statut des industries électriques et gazières, lié à la contribution à la retraite des fonctionnaires de cette industrie. Si vous avez le code NAF – nomenclature d'activité française – dans votre création d'entreprise de production d'électricité, ce qui est le cas de l'intégralité des sociétés qui portent de l'éolien et du solaire, vous n'enregistrez pas vos salariés dans cette structure, parce que les coûts sont largement anti-compétitifs. C'est pourquoi tous les salariés figurent dans la société mère, qui est généralement la société de développement régie par la convention collective Syntec, qui contribue normalement aux différents organismes. Les maisons mères n'ont donc pas besoin d'être ultra capitalisées, puisque ce sont des sociétés de développement.
Ensuite, faire un financement de projet sans recours, c'est assurer l'investissement à 100 % dans la structure et le repaiement exclusivement par les produits de l'actif. On dira, par exemple, que l'actif vaut 30 millions d'euros, je mets toutes les autorisations dans une structure toute neuve que je crée, je mets un peu de capital. En général, les fonds propres sont apportés en comptes-courants d'associés et pas en capital. On a cette espèce de petit vase clos qu'est la société de projet, qui est généralement une filiale à 100 %. Mais comme il n'y a pas de recours, elle est isolée. Toute la valeur est dans la structure contrôlée par le banquier, puisque, dans la documentation de financement, il a un droit de regard sur l'intégralité des documents de projet. On ne peut rien toucher, il contrôle les flux sur les différents comptes bancaires pour s'assurer que sa dette est garantie. Dans ce type de structuration avec une société holding et en dessous, un tas de sociétés « filles », qui sont des sociétés de projets portant des actifs, soit en développement, soit en production, la valeur réside évidemment dans l'équipe qui a eu la compétence de le faire, mais la valeur économique de l'actif se trouve dans la société de projet, capitalisée ou pas. Du point de vue du droit des affaires et du droit français des sociétés, les fonds propres sont soit du capital, soit des comptes-courants d'associés. Ce sont généralement des comptes-courants d'associés, beaucoup plus flexibles par rapport aux besoins. Souvent la banque dit : « Je veux bien mettre 80 % si vous mettez 20 % en même temps que moi ». Si je tire 10 millions d'euros sur la dette bancaire, j'alimente le compte d'actionnaire sans être obligé de mettre 100 % des fonds propres au début de la construction. Je vais injecter l'argent de l'actionnaire parallèlement à l'argent de la banque. C'est beaucoup plus souple que de faire des augmentations de capital, qui requièrent, en droit des sociétés, un certain formalisme.
Par conséquent, pour moi, la capitalisation n'est pas un critère. La question est plutôt de savoir combien de personnes ont travaillé pendant combien d'années pour développer ce qui a été vendu. Quelle marge a été faite et est-elle légitime ? Elle est légitime car obtenue dans le cadre d'un marché, sous réserve de ce que vous indiquiez. Il est vrai qu'il a été dit que la mafia avait développé et financé des énergies renouvelables dans le sud de l'Italie pour faire du blanchiment. Il n'y avait pas d'équilibre économique dans les projets, mais cela permettait de blanchir de l'argent issu d'autres activités.
Pour le reste, notamment pour RES qui est un acteur extrêmement respectable, je n'ai pas été confrontée à des sujets de cette nature. L'argent a été gagné légalement et les profits réalisés légalement. La question est de savoir si l'importance du soutien justifie que le gouvernement ou le citoyen le jugent excessif. On connaît le coût de l'équipement à un moment donné. Le coût du KWh dépend du nombre d'heures pendant lesquelles cet équipement fonctionne. À investissement égal, on a beaucoup plus de marge sur un parc à 10 000 heures que sur un parc à 2 200 heures. Les questions de l'implantation et du raccordement sont des questions-clés. En Allemagne, on a récemment pris le parti de pondérer l'aide en fonction de la nature du site, les sites moyennement ventés étant plus soutenus que les sites plus ventés, afin d'assurer une meilleure répartition du développement sur le territoire et d'éviter toute rente indue. Il y a ainsi adéquation entre la subvention et les capex, en corrélation entre le nombre d'heures et les coûts. L'exercice avait d'ailleurs été demandé par les opérateurs, ce qui n'est pas encore le cas en France. Un parc un peu ancien implanté dans une zone ultra-ventée en France est sans doute très profitable. Un parc qui s'est pris dix ans de recours, 300 000 euros de raccordement et implanté dans une région moins ventée n'a sans doute guère plus de 5 % de return.
. Vous avez dit qu'en France 60 % du prix ne couvre pas le projet lui-même mais les obligations annexes.
. Ce commentaire concerne exclusivement l'éolien offshore dans les appels d'offres 1 et 2, pour expliquer pourquoi aujourd'hui le prix en France est très différent du prix constaté ailleurs. D'une part, le temps est passé – huit ans – et, d'autre part, à l'époque, le cahier des charges imposait aux opérateurs de construire des usines en France.
. Quels sont les freins qui existent en France et qui n'existent pas à l'étranger, qui rendent l'implantation de projets en France plus compliquée qu'ailleurs ?
. Dieu merci, cela s'est beaucoup réduit et le cadre s'est beaucoup amélioré, même si on ne le constate pas encore dans les faits. En France, il y a déjà une problématique fiscale. Avec les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), ce qui était avant la taxe professionnelle est réparti entre le département, la région, l'EPCI et la commune. La commune d'accueil ou l'EPCI est donc loin de percevoir 100 % des taxes payées par le parc. En outre, la ressource fiscale est redistribuée entre les communes membres de l'EPCI en fonction du nombre d'habitants. Par définition, les parcs éoliens sont implantés dans des communes ayant peu d'habitants pour éviter les nuisances proches des habitations. Il existe donc un frein fiscal extrêmement handicapant. Quand vous avez un développement à faire, il n'est pas facile d'expliquer au maire pressenti pour porter le projet que l'argent partira chez le voisin qui ne verra pas l'éolienne.
À cela s'ajoute l'absence de vision à long terme assumée par le gouvernement. On vit dans une incertitude telle qu'il est très difficile de mettre en œuvre des mécanismes de volume, de développement, de construction.
J'ai parlé de la garantie d'origine. Il faut reconnaître que beaucoup a été fait, notamment la suppression du premier degré de juridiction dans l'éolien. Comme je l'ai indiqué, les projets offshore font l'objet de 100 % de recours et les projets onshore, 70 %. En moyenne, n'importe quelle activité économique assujettie à des autorisations de l'État fait l'objet de 20 % à 30 % de recours, et 95 % de ces 100 % et 70 % sont tranchés en faveur des développeurs. Il y a une opposition ferme et le temps coûte de l'argent. Le fait qu'en France, il faille sept à dix ans pour développer un parc, contre trois à cinq ans dans les autres pays d'Europe, est un vrai frein. Je salue l'amélioration administrative mais je pense qu'on peut encore faire mieux.
. Actuellement, on prévoit principalement des contrats sur vingt ans basés sur le critère du prix. Ne faudrait-il pas envisager une durée différente et assortir les profits générés d'une obligation de réinvestissement dans le secteur de l'énergie ou dans la recherche et développement ? Cela pourrait être une manière de développer à vision à long terme. Je partage votre point de vue : vingt ans, dans l'énergie, c'est très court.
. Ce serait une bonne chose mais comment cela serait-il financé ? La réponse est financière. Si j'ai un emprunt à dix ans pour financer le même actif, contre un emprunt à quinze ans, il faudra que le prix affiché soit beaucoup plus élevé afin que le banquier soit sécurisé pour le remboursement dans la période. À partir du moment où l'on envisage des solutions autres dans la durée, par exemple vingt ans, on peut être suivi par les banquiers. Mais si on a des obligations d'investissement à qui reviennent-elles ? À l'emprunteur ? À l'actionnaire ? Comment ce dernier est-il sécurisé ou rémunéré pour ses obligations ? À partir du moment où personne ne veut s'engager, on met tout dans la société de projet. On met les éléments en termes de subvention, en termes de KWh, on fait rembourser le banquier, on essaie de faire sa marge et c'est bouclé comme ça. Si on veut le faire différemment, il va falloir investir et on ne sera plus dans le financement d'un projet sans recours et un special purpose vehicle (SPV), on sera avec des engagements d'actionnaires portés dans le temps qui devront être financés. C'est en cela qu'il faut une vision stratégique.
Si je prends l'exemple du Maroc et du plan solaire pour la Méditerranée – 2 gigawattheures (GWh) de solaire -, ils ont imposé un centre de recherche-développement et ils font des appels d'offres sur toutes les technologies : solaire à concentration parabolique, solaire à concentration tour. Ce dernier, correspondant à l'appel d'offres n° 3 est le plus cher, mais il y a un centre de recherche-développement sur site où toutes les technologies sont présentes. Ils ont accepté de payer un premium dans le prix du KWh pour le faire et être libres de leurs choix pour les vingt ans à venir. C'est un choix qui a un coût, mais un coût nécessairement public. En tout cas, c'est ainsi financé au Maroc.
Après, la question est celle de la répartition du risque. Si l'État souhaite avoir recours au financement privé, ce qui permet de démultiplier ce qu'on fait, il doit y avoir une répartition juste des responsabilités et des rôles. Sans vision sur ce point, il ne se passe pas grand-chose, et la seule façon de faire avancer les choses, c'est le financement public. Mais le levier n'est pas du tout le même. Et quand on regarde les besoins en trillions pour le secteur de l'énergie dans le monde, et je rappelle que nous sommes en compétition avec d'autres pour les investissements, il est impératif d'avoir recours à la finance commerciale, ce qui passe nécessairement par un partage des rôles et des risques entre le privé et le public, donc par une vision à long terme. Faute de quoi il n'y a pas d'accès à cette manne privée. Quelle est la vision et quel est le rôle de chacun ? Si ce n'est pas défini, la seule solution, c'est le financement par une société contrôlée par l'État.
La séance est levée seize heures vingt-cinq.
Membres présents ou excusés
Commission d'enquête sur l'impact économique, industriel et environnemental des énergies renouvelables, sur la transparence des financements et sur l'acceptabilité sociale des politiques de transition énergétique
Réunion du jeudi 16 mai 2019 à 14 h 30
Présents. - M. Julien Aubert, Mme Marjolaine Meynier-Millefert, M. Vincent Thiébaut
Excusés. - M. Vincent Descoeur, M. Didier Quentin