Intervention de Anne Lapierre

Réunion du jeudi 16 mai 2019 à 14h30
Commission d'enquête sur l'impact économique, industriel et environnemental des énergies renouvelables, sur la transparence des financements et sur l'acceptabilité sociale des politiques de transition énergétique

Anne Lapierre, avocate associée au bureau de Paris du cabinet Norton Rose Fulbright :

. Plus sérieusement, je crois que c'est une ligne d'activité qui génère un certain nombre de fantasmes. Elle génère des profits mais aussi des pertes.

Il y a plusieurs types d'opérateurs. Il y a d'abord les gens qui font du développement. C'est le cas de l'entreprise RES, à l'origine un bureau d'études qui a été acheté par le groupe McAlpine. Le développement est assuré en France et ailleurs dans le monde par de toutes petites structures ancrées dans le territoire. Les grosses sont handicapées pour faire ce type de démarche. C'est la raison pour laquelle, comme ils ont d'importants besoins de croissance, Total, Engie et d'autres achètent énormément sur le marché des développeurs afin de récupérer le « pipe-line » en cours de développement. Au départ, je le répète, c'est beaucoup d'approche de territoire, d'intégration. Des acteurs comme Valorem y sont très attachés. Ces gens n'ont absolument pas les moyens financiers de construire ce qu'ils ont développé. En général, ils le vendent à quelqu'un ayant les moyens et la stature financière nécessaires pour rencontrer un banquier.

Il y a ensuite les très gros, qui ont du mal à faire du développement et qui rachètent beaucoup de « pipe-lines » et qui sont de grands portefeuilles. On trouve parmi eux beaucoup d' utilities et des spécialistes du secteur et qui ont bien grandi. On trouve beaucoup d'étrangers, ce qui génère une sorte de racisme économique qui me stupéfie. Le président Giscard d'Estaing a parlé, devant l'institut Montaigne, du « lobby germano-danois ». Ces deux pays qui ont soutenu depuis le début les énergies renouvelables et permis l'émergence d'une filière sont aujourd'hui dominants dans le monde des équipementiers.

Il y a donc plusieurs types de gens, qui gagnent leur vie différemment : soit, ils développent pour leur compte, construisent et exploitent, soit, ils développent et vendent.

Par ailleurs, les fonds investis ne le sont pas par le capital social. Je ne connais pas le statut de RES, à l'heure actuelle, mais il se trouve qu'en France, nous avons une autre spécificité que le nucléaire, assez handicapante, qui est le statut des industries électriques et gazières, lié à la contribution à la retraite des fonctionnaires de cette industrie. Si vous avez le code NAF – nomenclature d'activité française – dans votre création d'entreprise de production d'électricité, ce qui est le cas de l'intégralité des sociétés qui portent de l'éolien et du solaire, vous n'enregistrez pas vos salariés dans cette structure, parce que les coûts sont largement anti-compétitifs. C'est pourquoi tous les salariés figurent dans la société mère, qui est généralement la société de développement régie par la convention collective Syntec, qui contribue normalement aux différents organismes. Les maisons mères n'ont donc pas besoin d'être ultra capitalisées, puisque ce sont des sociétés de développement.

Ensuite, faire un financement de projet sans recours, c'est assurer l'investissement à 100 % dans la structure et le repaiement exclusivement par les produits de l'actif. On dira, par exemple, que l'actif vaut 30 millions d'euros, je mets toutes les autorisations dans une structure toute neuve que je crée, je mets un peu de capital. En général, les fonds propres sont apportés en comptes-courants d'associés et pas en capital. On a cette espèce de petit vase clos qu'est la société de projet, qui est généralement une filiale à 100 %. Mais comme il n'y a pas de recours, elle est isolée. Toute la valeur est dans la structure contrôlée par le banquier, puisque, dans la documentation de financement, il a un droit de regard sur l'intégralité des documents de projet. On ne peut rien toucher, il contrôle les flux sur les différents comptes bancaires pour s'assurer que sa dette est garantie. Dans ce type de structuration avec une société holding et en dessous, un tas de sociétés « filles », qui sont des sociétés de projets portant des actifs, soit en développement, soit en production, la valeur réside évidemment dans l'équipe qui a eu la compétence de le faire, mais la valeur économique de l'actif se trouve dans la société de projet, capitalisée ou pas. Du point de vue du droit des affaires et du droit français des sociétés, les fonds propres sont soit du capital, soit des comptes-courants d'associés. Ce sont généralement des comptes-courants d'associés, beaucoup plus flexibles par rapport aux besoins. Souvent la banque dit : « Je veux bien mettre 80 % si vous mettez 20 % en même temps que moi ». Si je tire 10 millions d'euros sur la dette bancaire, j'alimente le compte d'actionnaire sans être obligé de mettre 100 % des fonds propres au début de la construction. Je vais injecter l'argent de l'actionnaire parallèlement à l'argent de la banque. C'est beaucoup plus souple que de faire des augmentations de capital, qui requièrent, en droit des sociétés, un certain formalisme.

Par conséquent, pour moi, la capitalisation n'est pas un critère. La question est plutôt de savoir combien de personnes ont travaillé pendant combien d'années pour développer ce qui a été vendu. Quelle marge a été faite et est-elle légitime ? Elle est légitime car obtenue dans le cadre d'un marché, sous réserve de ce que vous indiquiez. Il est vrai qu'il a été dit que la mafia avait développé et financé des énergies renouvelables dans le sud de l'Italie pour faire du blanchiment. Il n'y avait pas d'équilibre économique dans les projets, mais cela permettait de blanchir de l'argent issu d'autres activités.

Pour le reste, notamment pour RES qui est un acteur extrêmement respectable, je n'ai pas été confrontée à des sujets de cette nature. L'argent a été gagné légalement et les profits réalisés légalement. La question est de savoir si l'importance du soutien justifie que le gouvernement ou le citoyen le jugent excessif. On connaît le coût de l'équipement à un moment donné. Le coût du KWh dépend du nombre d'heures pendant lesquelles cet équipement fonctionne. À investissement égal, on a beaucoup plus de marge sur un parc à 10 000 heures que sur un parc à 2 200 heures. Les questions de l'implantation et du raccordement sont des questions-clés. En Allemagne, on a récemment pris le parti de pondérer l'aide en fonction de la nature du site, les sites moyennement ventés étant plus soutenus que les sites plus ventés, afin d'assurer une meilleure répartition du développement sur le territoire et d'éviter toute rente indue. Il y a ainsi adéquation entre la subvention et les capex, en corrélation entre le nombre d'heures et les coûts. L'exercice avait d'ailleurs été demandé par les opérateurs, ce qui n'est pas encore le cas en France. Un parc un peu ancien implanté dans une zone ultra-ventée en France est sans doute très profitable. Un parc qui s'est pris dix ans de recours, 300 000 euros de raccordement et implanté dans une région moins ventée n'a sans doute guère plus de 5 % de return.

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