Intervention de Anne Lapierre

Réunion du jeudi 16 mai 2019 à 14h30
Commission d'enquête sur l'impact économique, industriel et environnemental des énergies renouvelables, sur la transparence des financements et sur l'acceptabilité sociale des politiques de transition énergétique

Anne Lapierre, avocate associée au bureau de Paris du cabinet Norton Rose Fulbright :

. Le montant du tarif aidé accordé à l'époque.

Les appels d'offres 2011-2012 donnent lieu à une renégociation des prix. Quand on regarde les appels d'offres qui sortent aujourd'hui en offshore, on est en droit de se demander pourquoi le France payait un tarif aussi élevé pour ces premiers appels d'offres. Le gouvernement s'en est d'ailleurs ému et a entamé avec les opérateurs du secteur une renégociation qui a abouti.

Quelques éléments factuels qu'il est bon de rappeler.

Pour avoir le prix le plus bas, il faut faire concourir les candidats exclusivement sur le critère du prix. Quand on regarde les appels d'offres 2011-2012, sur les cinq zones d'origine qui avaient été accordées, on constate que le prix représente 40 % des critères retenus. Par conséquent, pour 60 %, l'État français a fait le choix, bien entendu légitime, de solliciter des candidats et d'accompagner le développement d'une filière, autant que le prix, puisque 40 % portaient sur la création d'emplois et d'usines nouvelles en France et 20 % sur le volet environnemental. En comparant les projets qui sortent en Europe du Nord avec les projets qui sortent en France, il faut garder en tête que pour 60 %, en France le prix annoncé ne couvre pas exclusivement le prix du kilowattheure (KWh) et du projet, mais un accompagnement plus global qui avait été sollicité à l'époque par le gouvernement.

Autre élément, le temps coûte, pour deux raisons. Parce que les autorisations ont des temps limités, dix ans s'étant écoulés, il faut redemander des autorisations. L'industrie a considérablement évolué également. L'appel d'offres de 2004 avait abouti à l'installation de machines de 5 mégawatts (MW), comme pour les premiers appels d'offres. Aujourd'hui l'industrie a beaucoup évolué, les machines sont très différentes et les autorisations qui avaient été accordées à l'époque ne leur correspondent plus. Le temps a un coût puisque, si on reste dans le même schéma, la machine qui va être installée sera sinon obsolète, du moins pas aussi performante qu'elle pourrait l'être à investissement égal.

Il me paraît important que le cadre légal et réglementaire soit adapté, qu'il y ait une visibilité à long terme et des engagements fermes, quelle que soit la politique choisie. Je ne milite pas pour le renouvelable ou pour le nucléaire, mais pour ce dernier, ce sera encore plus important. S'il est décidé d'y aller, il faudra trouver des solutions de long terme pour rassurer ne serait-ce que l'État, puisque la poche sera sans doute beaucoup plus profonde, même en cas de dépassement. On peut le voir pour Flamanville et pour les trois réacteurs en cours de construction. On constate le triplement ou le quadruplement des coûts de construction des EPR de nouvelle génération en Chine, en France ou en Finlande, et on a dix ans de retard. On verra si le volume induit une amélioration, s'il est décidé de lancer un programme complémentaire.

La question de la visibilité est fondamentale. Même sur le temps court des énergies renouvelables, « court », c'est vingt ou trente ans. Il est très compliqué, et pour les opérateurs et pour les financiers, de s'engager si des objectifs et des mesures de mise en œuvre ne sont pas clairement fixés. Sans mesures de mise en œuvre et sans moyens, l'objectif n'est pas de nature à satisfaire un investisseur et encore moins un banquier. Il importe d'avoir à l'esprit la visibilité. Ces dix dernières années, le secteur des renouvelables a vécu dans une instabilité chronique qui n'a certainement pas aidé à obtenir d'aussi bons résultats qu'on l'aurait pu. Par exemple, l'intégralité des arrêtés tarifaires de 2001, 2006, 2008, 2010, a été attaquée devant les tribunaux, et un certain nombre de dispositions ne sont pas mises en place.

Enfin, le point qui peut être modifié sans délai pour améliorer le cadre légal et réglementaire concerne la garantie d'origine. Comme le complément de rémunération a été mis en place en remplacement du tarif, manière dont la subvention aujourd'hui s'exerce, le législateur a prévu, à tort me semble-t-il, que le complément de rémunération entraîne le transfert de la garantie d'origine au bénéfice de l'État. Il a annoncé des enchères qui n'ont encore jamais eu lieu, mais je crois comprendre qu'elles seraient prévues pour la rentrée. En conséquence, les entreprises françaises qui ont des programmes d'achat, d'investissement et de consommation d'énergie verte importants et déclarés s'approvisionnent à l'étranger puisque, comme la garantie d'origine suit la subvention et non pas le KWh, une entreprise qui achèterait de l'énergie verte à un parc qui, par ailleurs, bénéficie de compléments de rémunération, ne pourrait pas acter qu'elle consomme de l'énergie verte, puisque la garantie d'origine est partie avec la subvention, de sorte que dans le registre des garanties d'origine, le KWh consommé n'est plus vert.

Donc, aujourd'hui, l'intégralité des grandes entreprises françaises – Aéroports de Paris (ADP), La Poste, Danone, Nestlé, Chanel… -, grosses consommatrices d'énergie, s'est clairement positionnée pour acheter de l'énergie verte directement à des producteurs d'énergie, principalement auprès des pays nordiques. Je tiens à dire que la Commission européenne a reconnu la validité d'un complément de rémunération, que c'est une garantie d'origine, au bénéfice soit du producteur, soit de l'acheteur du KWh vert, et que le France et l'Allemagne sont les deux seuls pays en Europe où cela n'est pas possible. Le « paquet énergie-climat » qui est sur la table de la Commission européenne prévoit que c'est possible, et il est expliqué pourquoi c'est possible dans le texte qui est sur la table depuis plusieurs années. Je pense qu'il serait bien que la France s'ajuste rapidement pour ne pas être le dernier pays en Europe, derrière l'Allemagne, à permettre ce type de mécanisme. Les Hollandais bénéficient aujourd'hui d'un parc offshore sans subvention, pour des raisons très particulières liées à ce parc. Dans la mesure où il existe un autre parc à proximité, les coûts de maintenance et de raccordement sont beaucoup plus faibles. Les Pays-Bas ont fait preuve d'un engagement sans faille, puisque le parc voisin a été construit en 2005. Depuis, le soutien est sans faille, qui est rendu possible par la présence d'un acteur de long terme qui achète et récupère la garantie. Ils ont pu le faire sans subvention. Orsted, l'opérateur, a indiqué que c'était en raison de ces conditions particulières, mais pour les autres parcs offshore en Europe, les off-takers sont des entreprises privées qui récupèrent la garantie alors que la subvention est versée aux producteurs.

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