Intervention de Gilles Vermot Desroches

Réunion du mardi 28 mai 2019 à 17h00
Commission d'enquête sur l'impact économique, industriel et environnemental des énergies renouvelables, sur la transparence des financements et sur l'acceptabilité sociale des politiques de transition énergétique

Gilles Vermot Desroches, directeur du développement durable de Schneider Electric :

. Bonjour à tous. Je remercie M. le président, Mme la rapporteure et toutes les équipes ici présentes pour cet accueil et pour nous écouter dans le cadre de cette commission d'enquête. Monsieur le président, vous avez fait une présentation assez précise de ce que pouvait être Schneider Electric, me permettant d'aborder plus rapidement le sujet. Je rajouterai quelques mots pour confirmer la réalité de l'entreprise.

Schneider Electric, comme son nom l'indique peu, est une entreprise française qui opère aujourd'hui dans tous les pays du monde. Elle réalise un chiffre d'affaires d'environ 25 milliards et compte 144 000 collaborateurs. Elle est présente en France, son pays historique, avec environ 1,7 milliard de chiffre d'affaires l'an dernier et plus de 16 000 collaborateurs répartis dans 28 sites industriels, 27 sites tertiaires, 3 centres de logistique, 28 agences commerciales et de nombreux points de vente des produits Schneider Electric (près de 1 500). C'est le pays cœur et clé de Schneider Electric. On peut dire qu'il n'y a pas un manager de cette entreprise dans le monde qui ne connaît pas Grenoble, le lieu historique en tout cas d'une composante de Schneider Electric, qui est Merlin Gerin, mais aussi, bien évidemment, le Nord Isère où se situe notre centre de logistique mondial (le second se trouvant d'ailleurs en Normandie), deuxième site où Schneider Electric est très présent, nos centres de recherche étant situés à la fois dans la région grenobloise, à Carros, en Normandie et à Angoulême.

Hors France, plus de 2 000 ingénieurs français contribuent à ses actions de R&D. C'est de là qu'une bonne partie de ses projets sont mis en œuvre, ce qui fait qu'elle est aujourd'hui le leader mondial plus ou moins incontesté du management de l'énergie et donc de l'ambition de faire fonctionner ensemble, pour accélérer, la transition énergétique et le digital.

J'ajoute que les deux dernières acquisitions de Schneider Electric, Invensys et Aveva, donnent à cette entreprise, dans un cadre assez connexe à notre propos mais qui n'en est pas au cœur, qui est l'industrie du futur, la capacité d'accompagner l'ensemble des acteurs industriels mondiaux dans cette démarche indispensable d'intelligence artificielle et de nouveau modèle, y compris de consommation énergétique puisque l'industrie du futur est bien sûr positionnée sur le sujet.

Par rapport à la question posée ici quant à savoir s'il fallait faire un propos liminaire, Schneider Electric s'inscrit dans une logique assez complexe qui associe énergies renouvelables, efficacité énergétique et intelligence et digital. L'enjeu des énergies renouvelables n'est jamais aussi bien compris que lorsqu'il est lié à la question de l'efficacité énergétique active ou réputée intelligente pour amener à une évolution des comportements, qui seront probablement un peu différents demain de ce qu'ils étaient hier. Je vous donnerai deux exemples d'une démarche qui quitte des technologies où Schneider Electric a l'habitude de prendre la parole pour parler des comportements. On aura beau faire toutes les évolutions technologiques que l'on veut, si les comportements n'évoluent pas, on ne pourra pas avancer comme on le souhaite.

Si on s'éloigne un instant de la question énergétique, il me semble que le comportement au niveau mondial nous fait passer d'un XXe siècle linéaire à un XXIe siècle circulaire et que la question des réseaux énergétiques se pose dans ce cadre. Qu'est-ce que j'entends par passer d'un XXe siècle linéaire à un XXIe siècle circulaire avec l'intervention du digital au milieu de cette démarche ? Au siècle passé, tout était pensé de manière assez linéaire dans la vie : j'apprenais, je travaillais et j'en profitais. J'habitais à un endroit, j'allais travailler ailleurs et je prenais mes vacances ailleurs. Il y avait un producteur d'alimentation par exemple, un transporteur ou un distributeur, je consommais, il y avait des déchets et cela s'arrêtait là ; c'était vrai aussi pour les produits blancs. Sur l'ensemble des démarches que je viens d'expliquer, on est dans une démarche bien plus circulaire où on apprend, on travaille et on profite à chaque moment de la vie, ce que de nombreux dispositifs permettent de faire aujourd'hui. On aime co-worker à l'endroit où on habite et y vivre des activités de loisirs, ce qui fait que dans le monde entier, beaucoup de démarches de réappropriation des rives, des berges du fleuve qui traverse les grandes villes sont à l'œuvre. En outre, concernant la nourriture, on voit aujourd'hui beaucoup d'actions pour manger plus local et être attentif à un certain nombre d'aspects liés.

Est-ce que cette question pénètre le champ de la question énergétique au niveau mondial ? Est-ce que ce comportement très différent de tous les acteurs, qui veulent être à la fois le consommateur et l'acteur-consommateur, avoir un avis sur leur manière de consommer et pourquoi pas participer même à la production, est un sujet qui arrive sur les enjeux énergétiques ? Probablement oui et probablement après les autres sujets. De manière générale, le comportement de l'ensemble des consommateurs sur beaucoup de sujets, qui n'a pas encore touché profondément la question de l'énergie, est en train de la toucher, davantage dans d'autres pays qu'en France pour des raisons qui ne sont pas tout à fait liées à cette évolution des comportements mais parce que l'électricité en France est d'un niveau, d'une qualité et d'un prix assez différents de tout ce qui se passe ailleurs dans les pays matures et encore plus dans les pays non matures. Dans les autres pays, probablement que le cumul de cette évolution des comportements ainsi que la nécessité, dans cette indépendance, d'assurer un accès à l'énergie d'une meilleure qualité, pousse par exemple, particulièrement dans les pays nord-américains mais aussi en Europe et surtout dans le Nord européen comme dans les pays où on manque d'électricité, à promouvoir des solutions de minigrids, solutions qui deviennent technologiquement matures. De grands acteurs tels que l'aéroport de New York sont en train de se munir de leurs propres minigrids pour être indépendants sur leur production énergétique. La situation de la France peut être considérée comme étant profondément différente, ce pourquoi ces technologiques qui s'implantent partout dans le monde n'ont pas à s'implanter dans ce pays. Reste à considérer, en particulier pour les champions industriels européens et particulièrement français, la nécessité d'être présents dans le monde entier dans ces solutions nouvelles qui attirent leurs clients et pour lesquelles nous avons une certaine expertise et un leadership reconnu, et la manière dont on peut réunir en France la qualité qui est la nôtre, en particulier sur l'électricité distribuée, et néanmoins rester à la pointe du progrès et des évolutions tels que le monde les connaît dans la consommation énergétique.

Je voudrais rajouter un autre point pour illustrer cette démarche. Au moment où nous parlons, 300 machines se connectent sur Internet toutes les secondes. Internet connecte aujourd'hui un peu plus de machines ou de solutions que de personnes. Nous savons qu'Internet connecte 5 à 6 milliards de personnes. À l'échelle de 2050, 50 milliards de machines se connecteront directement sur Internet pour converser avec l'homme et pour converser entre elles. L'émergence plus soutenue des énergies renouvelables n'a probablement de sens que parce que la prévisibilité de la production des énergies renouvelables en amont s'améliore profondément et qu'en aval, la capacité de consommer pour un certain nombre de consommations au moment où l'énergie renouvelable le permet est un grand facteur de réduction des émissions de carbone et d'adaptation du réseau dans un dialogue entre l'offre et la demande qui n'a jamais existé précédemment. La distribution électrique du XXe siècle est une distribution linéaire. On produit quelque part et si possible, le plus loin possible des grandes villes et des lieux de consommation, on transfère, on distribue et il y a un consommateur final, pour revenir à la définition que je présentais tout à l'heure. Comme sur tous les autres actes de consommation, l'électricité de demain (le numérique va le permettre) rentre dans un mode plus circulaire où chacun est amené à être dans un dialogue entre l'offre et la demande, avec des systèmes que nous mettons en œuvre et qui permettent de faire des choix entre le réseau, la batterie et l'énergie renouvelable produite pour consommer moins et mieux.

La question du prix est importante ; elle n'est pas tout à fait essentielle en tout cas pour un certain nombre d'acteurs dans le monde qui décident d'auto-consommer pour avoir une certaine indépendance sur le sujet et une compréhension pour ne pas être uniquement l'acteur final, quitte à, au moment de l'investissement, n'être pas tout à fait dans une logique dont le seul critère est financier.

J'ajouterai un deuxième point que l'on observe dans les installations mises en œuvre, qui montre cette évolution sociologique des consciences et des comportements lorsqu'on parle d'autoconsommation. Schneider Electric a très longtemps été un très grand promoteur de l'efficacité énergétique active et exclusivement cela, expliquant que le meilleur rendement pour celui qui veut réduire sa consommation énergétique consiste à installer ce type de solution (ce qui est toujours vrai), car la rentabilité au regard du coût (moins de 15 € le m²) et de l'efficacité est la plus grande. Force est de constater que pour un habitant, une famille ou, dans certains lieux, des quartiers (d'où l'importance de pouvoir expérimenter cette démarche), un producteur agricole ou, de manière plus vaste, celui qui met une partie de sa contribution et de sa réflexion dans la production, dans l'autoconsommation, gagne une intelligence et un intérêt à la démarche qui lui font, bien plus que n'importe qui d'autre, s'intéresser à la démarche d'efficacité énergétique. Un éventuel surcoût dans l'installation d'autoconsommation sera très rapidement gagné car celui qui auto-consomme a une intelligence de la consommation et une capacité à se prêter au jeu qui va lui apporter, en termes d'efficacité énergétique et de choix de consommation, une compréhension de ce qui chez lui, lorsqu'il s'agit d'un résident ou dans son bâtiment, etc., consomme et à quel moment et comment mieux organiser sa vie et ses consommations, ce qui lui permettra d'avoir un intérêt sur le sujet.

Schneider Electric participe à de nombreux grands programmes européens liés à la réduction de la précarité énergétique, en particulier avec les acteurs français dans le cadre de Rénovons mais aussi avec Ashoka pour repérer en Europe les meilleurs acteurs qui contribuent à réduire la précarité énergétique chez 10 % des ménages français et européens. On pourrait considérer que parce que, comme le dit Schneider Electric, « Life is on », la vie est meilleure quand on est connecté à de l'électricité, etc., les gens vont utiliser ces solutions non pas pour réduire la consommation énergétique mais pour consommer autrement.

Ce qui est certain et que l'on peut prouver aujourd'hui, c'est que les personnes en précarité énergétique sont très heureuses des 100, 200 ou 300 € de réduction dont elles bénéficient en faisant de l'efficacité énergétique. Lorsqu'un pays tel que la Grande-Bretagne, voisine de la France, installe un plan de déploiement de solutions d'autoconsommation pour 1,5 million de foyers aux fins de réduire la consommation énergétique des personnes, d'une part par la production directe qu'elle va utiliser et d'autre part en raison de l'intelligence que cela lui donne sur sa consommation, nous voyons là une solution que nous pouvons dès à présent, puisqu'elle est expérimentée dans un pays voisin, mieux comprendre et évaluer pour apporter des solutions un peu différentes.

Pour nous, la réflexion pour l'avenir sur les énergies renouvelables ou l'énergie de manière générale ne peut pas être saucissonnée avec d'un côté une réflexion sur l'efficacité énergétique, d'un autre côté une réflexion sur l'intelligence de la consommation et d'un troisième côté les énergies renouvelables et leur pertinence dans le réseau énergétique.

1) C'est en prenant les trois ensemble que l'on peut arriver à une évolution du système énergétique cohérente avec l'évolution des comportements de nos concitoyens au regard de toutes les autres consommations.

2) Lorsqu'une installation individuelle de panneaux photovoltaïques pour l'autoconsommation est faite directement et s'accompagne d'efficacité énergétique, cela permet l'efficience d'une part de la réduction de la consommation énergétique et d'autre part des coûts dont nous avons parlé.

3) En observant nos voisins et pas seulement les Anglais, dont j'ai cité l'exemple, on pourrait même considérer que ce type de solution permet de rentrer sur un sujet précis et complexe qui est la précarité énergétique. Les personnes en précarité énergétique habitent dans deux cadres très différents. Dans le cas de celles qui vivent dans des lieux isolés, des habitats de banlieue lointaine ou souvent mal construits, on peut considérer que l'usage photovoltaïque pour accompagner leur consommation est assez simple à installer. Pour les habitants des centres-villes, les questions sont probablement un peu différentes mais l'usage des toits sur ce sujet n'est pas nul.

4) Quand on est une entreprise technologique, on est attentif à poser la discussion sur les solutions qui existent en 2019. Dans cette réflexion, rien ne nous empêche, pour rester agile à la fois dans notre analyse et dans notre vision, d'accélérer les innovations et les prix. Il y a dix ans, le kilowattheure photovoltaïque était dix fois plus cher qu'aujourd'hui. On assiste désormais à un certain plateau du prix des installations photovoltaïques et avec ce plateau dans le monde, y compris en France (la ferme de Cestas près de Bordeaux permet de le dire), on arrive à des prix de parité qui permettent d'installer une réflexion sur ce sujet.

5) L'ensemble de ces installations dans des expérimentations que Schneider est en train de mener par exemple dans des systèmes scolaires et dans les Pays de la Loire, témoigne d'une dimension éducative qui permet de répondre aux questions indispensables en sachant que ces questions ne se posent pas uniquement dans le cadre d'une évolution technologique.

Il y a dix ans, le Smartphone et les applications dont on parle aujourd'hui n'existaient pas et le renouvelable était dix fois plus cher. Poser une réflexion aujourd'hui sur le sujet permet d'avoir une image du stade auquel nous sommes rendus ; il ne faut cependant pas oublier le film qui fera que, dans dix ans, les évolutions technologiques et de prix seront telles qu'il faut se laisser la possibilité d'aller plus loin et de faire en sorte que la France ne soit pas intégralement isolée dans le concert de la technologie internationale et des acteurs industriels qui permettent d'installer partout dans le monde des nouvelles solutions liées aux comportements évolutifs des personnes, qui prennent probablement mieux et plus en compte l'ensemble des questions liées au changement climatique et à la biodiversité et la mobilisation des jeunes de cette dernière année partout dans le monde, susceptibles d'apporter des comportements nouveaux assez rapidement dans toutes les familles en France et ailleurs.

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