. Merci Monsieur le président pour cette introduction, Madame la rapporteure, Mesdames et Messieurs les députés.
Je suis très heureux de cette opportunité qui m'est offerte de présenter aujourd'hui devant votre commission d'enquête ma vision de l'impact des opportunités économiques, sociales et environnementales des énergies renouvelables. Comme vous le verrez, cette vision s'appuie sur notre présence globale dans les métiers de l'énergie, toutes sources de production confondues, presque partout dans le monde. À la suite de cet exposé, je serai bien sûr honoré de répondre à vos questions, notamment celles que vous avez soulevées, Monsieur le président.
Je suis présent-directeur général de GE énergies renouvelables, division mondiale du groupe General Electric pour les énergies renouvelables, dont le siège est implanté en France à Boulogne-Billancourt. C'est en cette qualité que je m'exprime devant vous aujourd'hui. J'ai mené une carrière de cadre dirigeant dans l'industrie depuis 1998 et comme vous le savez peut-être, j'ai dirigé ce même secteur des énergies renouvelables au sein du groupe Alstom et j'ai rejoint mon poste actuel lorsque les activités énergie d'Alstom ont été acquises par General Electric en 2015.
Cette division mène une activité centrale pour le groupe General Electric. Elle représente aujourd'hui environ 40 000 employés partout dans le monde et 15 milliards de dollars de chiffre d'affaires, dont seulement quelques centaines de millions de dollars sont générées en France. Je vais plutôt essayer de vous faire partager mon éclairage global des marchés et la façon dont je vois les tendances mondiales s'appliquer ou ne pas s'appliquer au marché français. Je reviendrai également sur les enjeux et les freins auxquels nous sommes confrontés en France.
Nous avons en France des activités dans l'éolien terrestre, l'éolien maritime, l'hydroélectricité et les réseaux et nous employons en France dans les énergies renouvelables plus de 3 500 personnes chez General Electric. L'ensemble des employés de General Electric en France se monte à 16 000 personnes, une partie significative des emplois de General Electric.
Cette forte présence, notre croissance dans le secteur des énergies renouvelables et l'ampleur des activités témoignent d'une réalité, qui est que le marché des énergies renouvelables dans le monde est un marché d'avenir, aujourd'hui en plein essor, où sont actifs de très grands groupes industriels comme nous, Siemens, Vestas et d'autres. Ces groupes disposent de fortes capacités d'innovation et d'exécution et d'un bilan solide.
Au-delà de l'impératif climatique, nous croyons au renouvelable chez GE et nous y investissons partout dans le monde car nous pensons que ce secteur est porteur de formidables opportunités économiques en termes d'innovation, de développement de l'outil industriel et des compétences, d'exportation et d'emploi.
Partout dans le monde, la volatilité du coût des énergies fossiles et l'impératif de protection de l'environnement et de réduction des émissions de gaz à effet de serre imposent une révision des stratégies énergétiques. La dynamique est là ; l'essor des énergies renouvelables est une réalité comme le confirment les chiffres. En 2018, 330 milliards de dollars ont été investis à travers le monde en faveur des technologies de production d'énergie renouvelable et à l'échelle mondiale, on observe depuis quelques années que plus de 60 % des nouvelles capacités de production installées chaque année concernent les énergies renouvelables de l'éolien et du solaire. La barre de 50 % des nouvelles capacités a été dépassée il y a deux ou trois ans et on s'attend à ce que le taux de 60 % continue à augmenter.
Au niveau européen, le constat est similaire : les énergies renouvelables progressent fortement. Elles représentaient 17,5 % de la consommation finale d'énergie de l'Union européenne en 2017. Leur part a plus que doublé depuis 2004 et l'objectif de l'Union européenne est de monter cette part à 27 %, avec des objectifs propres à chacun des États membres. 11 États membres en Europe ont déjà atteint ou dépassé leurs objectifs, notamment en Scandinavie.
Au niveau français, le marché des énergies renouvelables dispose également de nombreux atouts et représente une réelle opportunité de croissance. La France a de grands atouts géographiques et naturels, avec la plus grande façade maritime, la plus grande ressource en vent offshore, le deuxième plus grand potentiel éolien terrestre en Europe, le cinquième potentiel solaire et le plus gros potentiel hydroélectrique. Nous avons également des compétences technologiques indéniables qui permettent de nous positionner à l'exportation.
Toutefois, et je crois que les deux ne sont pas incompatibles, la France reste aussi un pays historiquement nucléaire avec une part de l'énergie nucléaire dans le mix français stabilisée à un niveau élevé, à peu près de l'ordre de 70 %. La France est le deuxième marché d'Europe en termes de puissance installée de parcs éoliens terrestres, avec plus de 14 GW de puissance mais l'éolien ne représente en France que 5 % de la consommation totale d'énergie, beaucoup moins que dans les autres pays européens. L'absence de filière industrielle éolienne terrestre en France à proprement parler est inquiétante. Les emplois créés en Europe dans l'éolien l'ont été principalement en Allemagne et en Espagne.
L'évolution notable des dernières années sur laquelle j'aimerais insister, c'est que ce potentiel d'énergies renouvelables est une réalité renforcée par un critère économique fondamental, qui est maintenant la compétitivité manifeste des énergies renouvelables comparées aux énergies fossiles du fait de la baisse spectaculaire des coûts de production notamment solaires et éoliens qu'on connaît depuis cinq ans. Du point de vue des coûts, l'énergie renouvelable dans la plupart des pays du monde est devenue une énergie comme les autres. Lorsqu'on regarde des grands pays comme les États-Unis, le Brésil et plusieurs grands pays européens, il est aujourd'hui économiquement rationnel de construire une nouvelle capacité de production d'énergie renouvelable par rapport à de nouvelles capacités de production d'énergie thermique. C'est moins cher en termes de coût de l'électricité produite et construire de nouvelles capacités de production d'énergie renouvelable, par exemple aux États-Unis, coûtera progressivement moins cher que faire tourner des centrales à charbon existantes. Je vous donnerai quelques éléments économiques sur ce sujet.
La transition écologique, qui était il y a dix ans un choix dicté par des contraintes sociétales et supporté par des financements publics, devient de plus en plus un choix de raison économique. Les énergies renouvelables sont compétitives par elles-mêmes et dépendent de moins en moins des soutiens publics. On redécouvre qu'on ne paie pas le soleil ou le vent. Cette tendance est supportée par un dernier facteur : de plus en plus, nos clients ne vont pas être des électriciens. EDF, Iberdrola et E.ON vont être les acheteurs directs d'électricité dans beaucoup de pays où le schéma réglementaire leur permet de contracter directement avec nous. Nos grands clients dans le monde d'aujourd'hui sont des entités comme Google Facebook et Amazon, qui achètent directement de l'électricité, ne veulent pas la payer plus cher que l'énergie thermique mais n'achèteront que de l'électricité renouvelable. Pour vous donner un ordre de grandeur que je trouve un peu frappant, la consommation d'électricité de Google dans le monde pour ses activités et ses data centers correspond à la consommation d'un pays comme la Hongrie. Ce sont maintenant des acteurs majeurs sur nos marchés, avec une désintermédiation en cours.
Pour donner quelques ordres de grandeur, le coût du kilowattheure des éoliennes a baissé de 40 % depuis 2010. En Europe, le coût de l'éolien terrestre est compris entre 45 et 65 €/MWh. L'éolien en mer est toujours un peu plus cher, en moyenne entre 60 et 87 €/MWh, mais gagne en compétitivité. On a vu en Allemagne et en Hollande des projets d'éolien en mer attribués par mise aux enchères sans subventions, donc au prix du marché, et on s'attend aussi dans quelques semaines, avant la publication du prix de l'appel d'offres en France pour le projet de Dunkerque, à des niveaux extrêmement bas.
L'énergie éolienne et l'énergie solaire sont devenues compétitives en Europe. Elles représentent 50 à 60 ou 70 €/MWh, comparées au coût de centrales à gaz en cycle combiné autour de 50 €/MWh, et au coût beaucoup plus cher du charbon. On est maintenant sur ce qu'on appelle la parité réseau pour les énergies renouvelables et la décision d'investir dans de nouveaux projets est une décision rationnelle économiquement. Il y a dix ans, nous y sommes arrivés grâce aux soutiens publics ; désormais, nous y arrivons par des investissements accrus dans la technologie et, pour le dire simplement, par le fait que les turbines fabriquées sont plus fiables, plus grandes et plus performantes. Les cycles d'innovation sont accélérés.
Nous produisons aujourd'hui une turbine pour l'éolien en mer qu'on appelle Haliade-X de 12 MW, par rapport aux turbines d'il y a 6 ou 7 ans à 6 MW. Sur une taille de champ donné, cela donne non seulement des facteurs de charge de capacité à produire plus d'énergie mais permet aussi d'implanter moins de turbines et donc d'économiser sur les coûts de câblage, d'installation et de fondation.
Aujourd'hui en éolien terrestre dans les pays où les contraintes de permis et d'occupation de terrain sont relativement flexibles, les éoliennes dépassent 5 MW alors que la taille moyenne des éoliennes qu'on installait il y a 5 ans est de 2 MW. Les acteurs de l'industrie ont réalisé des investissements majeurs dans la technologie, des effets d'échelle se sont créés, des dispositifs de mise aux enchères sont apparus dans beaucoup de pays où les différentes sources d'énergie renouvelables se font concurrence entre elles. Tout cela a tiré les coûts à la baisse pour arriver à la situation que nous connaissons aujourd'hui et que je viens de décrire et on s'attend à ce que le coût de l'énergie renouvelable continue à baisser année après année. Comme je le dis souvent, quand cela fait cent ans qu'on investit dans les technologies des turbines à gaz, cela ne fait que dix ans qu'on investit réellement dans les technologies de production d'énergie renouvelable, et il reste beaucoup à faire.
Cela nous amène à être une partie de plus en plus importante du mix énergétique. Dans un certain nombre de pays d'Europe, les énergies renouvelables peuvent désormais constituer 15 à 30 % de la production en énergie, ce qui est tout à fait gérable par les opérateurs de réseaux. Ce qui pourra être fait à 50 ou 70 % posera d'autres défis mais à 15, 20, 30 ou 35 % d'énergies renouvelables dans le mix, les pays et les opérateurs de réseaux savent gérer et quand on regarde devant nous, on va continuer à travailler pour baisser le coût de production des énergies renouvelables et un nouvel enjeu qui devient crucial est de savoir comment accommoder des niveaux croissants d'énergie renouvelable intermittente dans le mix et comment arriver à intégrer dans nos solutions des solutions de stockage ou à faire travailler de l'éolien, du solaire et de l'hydroélectricité ensemble pour construire des solutions qui permettront non seulement de donner du renouvelable intermittent pas cher mais aussi du renouvelable 24 heures sur 24 pas cher.
Cet horizon, qui est un peu le graal de l'industrie, n'est pas déraisonnable à 5 ou 10 ans. Nous croyons que les énergies renouvelables font partie d'un mix énergétique et que les énergies fossiles (gaz et nucléaire) ne vont pas disparaître demain. Ce mix va évoluer vers de plus en plus d'énergies renouvelables moins chères, et c'est pour participer à cet essor du marché que nous avons fait de cette division énergies renouvelables une division de premier plan, avec un portefeuille assez large. Nos activités mondiales dans l'hydroélectricité, dans l'éolien en mer et dans les réseaux (anciennement Alstom Grid) sont basées en France. Dans le cadre de ces activités, nous participons notamment à créer une filière industrielle dans l'éolien offshore. Nos deux usines de production de nacelles et de pales pour l'éolien offshore sont basées sur le territoire français (une usine de nacelles à Saint-Nazaire, un centre de recherche à Nantes et une usine de pales à Cherbourg, que nous avons ouverte il y a un an, qui comptait 100 personnes il y a trois mois et pour laquelle nous sommes en train d'en recruter 150 supplémentaires). Nous avons des projets sur le point de débuter, notamment celui avec EDF, une filière industrielle en construction dans l'éolien offshore et des emplois historiques dans l'hydroélectricité et dans les activités de réseau.
Nous croyons à ce potentiel. Quand on observe le marché français, il reste un peu étonnant dans la dynamique européenne car le potentiel français dans les énergies renouvelables en termes de production d'électricité et de création d'emplois reste largement inexploité. J'ai avec moi un document que nous pourrons partager, qui compare l'éolien en France et en Allemagne et montre qu'alors que la France a des conditions de vent bien meilleures que le marché allemand, la taille de la base installée française dans l'éolien terrestre est 4 fois inférieure à celle de la base installée allemande, que le coût de l'éolien terrestre en France est 20 % supérieur au coût de l'éolien terrestre en Allemagne et que le nombre d'emplois dans l'éolien en France correspond à 10 % du nombre d'emplois en Allemagne. Ce paradoxe français un peu perturbant s'explique principalement par le fait d'une part d'une prégnance du nucléaire dans le mix énergétique en France, qui reste peu cher et non émetteur de CO2, d'où une urgence de développer dans les énergies renouvelables moins importante qu'en Allemagne lorsque celle-ci a décidé de sortir du nucléaire et a dû développer massivement des sources d'énergie propres pour limiter le recours aux centrales fossiles.
Une deuxième contrainte qui obère le développement en France mais, à l'inverse, rend le coût de l'énergie renouvelable plus important en France, réside dans les freins juridiques, politiques et administratifs. Développer un projet éolien en France prend deux fois plus de temps que dans d'autres pays d'Europe ou du monde. Nous menons des projets éoliens dans plus de 50 pays. Le processus d'approbation des projets est très long et quand ces projets sont approuvés, ils sont très souvent ou presque tout le temps attaqués par voie de retour. En outre, les contraintes physiques de développement des projets font que les éoliennes sont plus petites en France que dans les autres pays du monde ; la taille moyenne d'un rotor d'éolienne en France est plus de 10 % inférieure à la taille moyenne d'un rotor en Allemagne et avec des rotors plus petits, l'électricité coûte plus cher puisqu'on capture moins de vent. Cette longueur d'aboutissement des projets conduit à les concrétiser bien après le moment où ils ont été lancés, donc avec des technologies qui sont progressivement devenues dépassées voire obsolètes car on ne peut pas changer la technologie avec laquelle on a demandé l'autorisation.
Ce retard empêche le marché de bénéficier de la baisse des coûts permise par les nouvelles technologies. Ce retard s'appuie sur un débat public en France et de temps en temps sur une violence de propos contre l'éolien aussi bien terrestre que maritime. Tout cela ne permet pas à la France d'être, dans l'éolien, la terre d'investissement et d'innovation qu'elle pourrait être.
Le meilleur exemple reste l'éolien en mer. J'ai rejoint Alstom fin 2011. Nous avons gagné en tant qu'Alstom 3 projets avec EDF début 2012 dont aucun n'a encore vu le jour, ce qui veut dire que probablement, même dans les scénarios les plus optimistes, si ces projets sont bientôt approuvés par le Conseil d'État, les premiers parcs seront mis en opération en 2022. Je ne suis pas là pour vous dire si l'éolien en mer est une bonne idée ou non mais il est de plus en plus compétitif et opère sans subvention en Allemagne, dans des conditions de vent globalement comparables et si c'est une bonne idée, il faudra arriver à faire les projets en moins de dix ans car le temps bureaucratique administratif n'est pas compatible avec le temps de développement des technologies et avec le temps industriel. Nous avons lancé une filière industrielle, nous la faisons travailler vers l'exportation, nous aimerions la faire travailler sur des marchés français mais comme vous l'avez signalé, Monsieur le président, nous avons dû renoncer à deux de nos trois projets avec EDF car nous ne pouvons pas à Saint-Nazaire faire à la fois des turbines de 6 MW pour des projets remportés en 2012 et des turbines de 12 MW pour des projets que nous sommes en train de gagner aujourd'hui. Nous avons dû faire des choix douloureux.
Je crois qu'il y a une sorte d'ambiguïté en France entre une volonté de faire plus d'énergies renouvelables et des dispositifs réglementaires qui ne permettent pas d'avancer aussi vite qu'on le devrait et qu'on le fait dans d'autres pays.
Pour revenir sur ces sujets d'emplois, c'est pour cela qu'aujourd'hui l'éolien et le solaire en France font un peu partie des promesses non tenues. L'éolien en France continue à augmenter (plus de 18 % entre 2015 et 2017). 2 630 emplois ont été créés dans l'éolien en France au cours des dernières années. La filière crée 4 emplois par jour. On compte malgré tout en Allemagne 160 000 emplois directs et indirects, contre seulement 17 000 en France dans l'éolien. En ce qui concerne la filière à construire dans l'éolien offshore par nous et par d'autres, pour ce qui concerne General Electric, notre ambition dans l'éolien offshore, quand les projets EDF auront démarré et que nous aurons notre turbine de 12 MW pour les marchés européens et américains, est de créer plus de 1 500 emplois entre Saint-Nazaire et Cherbourg. À chaque emploi direct que nous créons sont typiquement associés deux à trois emplois indirects.
L'éolien offshore représente un formidable potentiel pour revitaliser des bassins d'emploi dans des zones portuaires qui étaient sinistrées il y a quelques années. Étant donné qu'on ne sait pas créer une filière d'exportation sans un marché domestique solide, il faut arriver à ce que les projets en France suivent dans des délais compatibles avec nos délais. C'est ainsi que nous pourrons continuer à développer des énergies renouvelables. Le problème du coût de ces énergies est largement dépassé. Si on faisait en France des projets avec la rapidité avec laquelle on l'a fait dans d'autres pays et avec les technologies d'aujourd'hui, on les ferait dans des mêmes conditions de coût qui seraient parfaitement compétitives avec le coût de l'énergie fossile. Pour capturer ce potentiel, il reste à assurer un cadre juridique stable qui favorise des investissements et un processus de développement des parcs plus rapide et flexible qui permette de bénéficier des techniques d'aujourd'hui et pas de celles d'hier. Je vous remercie. J'ai essayé de faire court et je suis ravi de répondre à vos questions.