Intervention de Jean-Pierre Riou

Réunion du jeudi 6 juin 2019 à 14h00
Commission d'enquête sur l'impact économique, industriel et environnemental des énergies renouvelables, sur la transparence des financements et sur l'acceptabilité sociale des politiques de transition énergétique

Jean-Pierre Riou, chroniqueur indépendant sur les questions d'énergie :

Monsieur le président, je rappellerai quelques points forts relatifs à l'électricité en France, puis je proposerai un récapitulatif visuel de l'évolution de la production française depuis 1991.

Depuis 1991, les différentes filières représentent une part très réduite de production carbonée, compte tenu du peu de productions thermiques. Depuis un quart de siècle, donc, la production est décarbonée à plus de 90 %. On dit rarement que la France a été le premier exportateur mondial d'électricité, vingt-trois années sur vingt-huit, depuis 1990. On ignore généralement que l'usine d'enrichissement Georges-Besse II, dont la mise en service s'est étalée de 2011 à 2013, qui consomme cinquante fois moins, ce qui change la donne en matière de CO2 et en termes de puissance installée, a permis l'économie des trois réacteurs nucléaires qui étaient affectés à l'alimentation de la précédente usine Georges-Besse I. Cela n'apparaît nulle part, dans la mesure où les comparaisons sont établies en consommations corrigées.

L'électricité fournit le quart de l'énergie finale consommée en France, avec, en 2018, quelque 37 millions de tonnes équivalent pétrole, sur un total de 154.

La production d'énergie en France est donc très pauvre en CO2. La production d'énergie, dont le raffinage, représente 11 % du CO2 émis. En matière de production d'électricité, on peut dire que la France est un modèle mondial en matière climatique.

Le financement de la stratégie bas carbone investit la plus grosse part du financement public dans les énergies renouvelables électriques avec, semble-t-il, l'objectif de tondre un œuf, puisqu'il n'y a pratiquement pas d'émissions. Cet investissement représente donc, comme la Cour des comptes l'a rappelé, 121 milliards d'euros au titre de l'engagement déjà passé jusqu'à fin 2017. Ce sont donc 121 milliards d'euros qu'il faudra rembourser jusqu'à l'échéance des contrats, en 2046, et qui ont été investis sans succès pour tenter de décarboner le seul secteur qui l'était déjà !

J'appellerai l'attention sur l'impact du développement des énergies renouvelables sur la puissance installée en prenant l'exemple du parc électrique allemand depuis 2002. Solaire et éolien ont été nettement augmentés pendant que les filières conventionnelles restaient parfaitement stables. Or les moyens conventionnels sont programmables quand les moyens renouvelables sont intermittents. Pour dimensionner un parc de production d'électricité, il est besoin d'une production garantie par des moyens programmables au moment des pics de consommation. Pendant les pics de consommation, les moyens intermittents ne garantissent pratiquement rien.

Ce rien est mis en évidence par le suivi du taux de couverture de consommation par la production éolienne en France. Un graphique reprenant les chiffres du dernier mois publié par Réseau de transport d'électricité (RTE) montre que, si les productions sont importantes, le service garanti reste à 0,2 % pour le mois de mars. Depuis 2012, plus on installe d'éoliennes et moins il se passe de choses sur ce plan. Quand il n'y a pas de vent, il n'y a pas de courant. J'ai parlé de l'éolien parce que nous savons que le soleil est couché lors des pics de consommation hivernaux qui interviennent vers 19 heures. Quand la consommation n'en est que de la moitié ou des deux tiers de la moyenne, on n'a pas besoin des éoliennes. Au moment où l'on aurait besoin d'une production supplémentaire, le service garanti est inexistant. Cette absence de production garantie interdit aux énergies renouvelables électriques de remplacer une puissance pilotable installée. Elles remplacent des productions mais pas une puissance pilotable.

L'énergie éolienne fait preuve d'une intermittence aléatoire. Les derniers chiffres de RTE, ceux du mois de mars, montrent que le facteur de charge, c'est-à-dire la puissance disponible par rapport à la puissance installée, atteint le niveau record de 90 %, mais il est décorrélé des besoins. Ce record est inutile puisque puisqu'il n'est pas atteint au moment où l'on en a besoin. Le 22 mars, la production était de 110 mégawattheures, c'est-à-dire inférieure à 1 % de la puissance installée. Cette période sans vent peut durer un certain temps. Au mois de mars, l'une d'entre elles a duré cinq jours. Il suffit que cela se produise une fois dans l'année pour mettre à mal la distribution, et on ne peut pas compter sur les voisins. On note aussi plusieurs effondrements de production qui imposent des mesures coûteuses d'équilibrage du réseau. Chaque fois qu'une production s'effondre, il est difficile de compenser par d'autres moyens.

Cette production non corrélée aux besoins de consommation doit être refoulée. Le réseau de distribution Enedis indique pour l'année 2018 la puissance éolienne qui a été injectée pendant toute l'année. Les échanges d'Enedis avec RTE montrent le refoulement de la production qui a été injectée sur le réseau de distribution, réseau sur lequel 95 % des éoliennes sont connectées. La comparaison des deux courbes révèle une ressemblance absolue, montrant que cela n'a rien d'une énergie locale. Plus des deux tiers sont refoulés vers le réseau de transport RTE. Ce refoulement s'opère également sur le plan d'un pays. Au Danemark, toute la production supérieure à 2 500 MWh est exportée et le pays importe de l'électricité quand la production est inférieure. Il lui est facile d'avoir des énergies intermittentes dans la mesure où il compte sur ses voisins, alors que la France ne le peut pas. Redimensionner un réseau électrique qui n'était pas conçu pour cela entraîne des coûts considérables.

Dans son rapport au Président de la République sur les investissements nécessaires pour l'intégration des énergies renouvelables dans le réseau européen, publié en 2014 et intitulé « Énergie, l'Europe en réseau », Michel Dervevet cite l'exemple d'un poste de transformation allemand dimensionné en 2009 pour alimenter le consommateur. La production photovoltaïque estivale ayant été de plus en plus importante, il a fallu redimensionner cet équipement en fonction des pics de production estivale pour refouler la production et non plus pour alimenter le consommateur, ce qui a entraîné des coûts considérables. L'Allemagne n'arrive pas à transporter son électricité de l'Allemagne du Nord où sont implantées toutes les éoliennes, notamment sur la mer du Nord, vers le sud, où elle est principalement consommée. Dès lors, elle s'impose sur le réseau de ses voisins, car on ne peut pas empêcher les électrons de passer, et l'électricité allemande passe par la Belgique, les Pays-Bas, l'ouest de la France, la Tchéquie, la Pologne. Elle traverse aussi la Suisse pour aller de l'Allemagne du Nord à l'Allemagne du Sud. Ces flux non nominés et non prévus qui s'imposent sur les réseaux de chaque pays fragilisent les réseaux et perturbent l'approvisionnement. Tous ces pays sont donc en train de s'équiper de transformateurs-déphaseurs pour se prémunir contre ces flux indésirables.

J'évoquerai brièvement le parc nucléaire. Nous savons que le nucléaire n'émet pas de CO2. Il y en a toujours pour fabriquer les barrages et les éoliennes, mais le cycle complet du nucléaire est particulièrement décarboné, notamment grâce à l'usine Georges-Besse II, dont j'ai déjà parlé, qui consomme très peu. L'enrichissement de l'uranium s'effectue avec une énergie presque entièrement décarbonée. Selon une étude du cabinet Poisson, le nucléaire français rejette 5,45 grammes de CO2 par kWh sur le cycle complet. C'est un atout compétitif déterminant face à l'inéluctable envolée du prix du CO2. C'est un atout par rapport à nos voisins, car le prix du CO2 qui était très bas jusqu'à présent est en train de s'envoler. On peut prévoir qu'il va monter assez haut, notamment à cause de la révision du cadre législatif du système d'échange de quotas d'émission de l'Union européenne, au début de 2018, pour préparer la quatrième période qui commence en 2021. Dès maintenant les Allemands commencent à s'inquiéter parce que le carbone va coûter cher.

On commence à savoir - cela se disait peu auparavant - que la production nucléaire est très flexible et capable de suivre la consommation. Un autre graphique réalisé à partir des données de RTE met en parallèle la courbe de consommation et la courbe de production nucléaire pour l'année 2016. La maintenance peut être effectuée au moment où on a le moins besoin d'énergie. Même sur des cycles les plus courts, le nucléaire suit au plus près les besoins de la consommation. La plupart des réacteurs du parc français sont capables de varier de 80 % de puissance, en plus ou en moins, en moins de trente minutes et d'être mis à l'arrêt sur demande du gestionnaire de production. Cela s'est produit à plusieurs reprises, notamment à cause de records éoliens.

Un graphique montre, pour tous les moyens de production non subventionnés, c'est-à-dire les moyens programmables, la corrélation entre le prix du mégawattheure et la production éolienne en Allemagne pour l'année 2018 : plus il y a de vent et plus le prix du mégawattheure descend. À partir de 24 gigawatts de puissance, les prix deviennent négatifs. On voit des prix à – 76 euros le mégawattheure, ce qui dissuade l'investissement dans toutes les productions électriques non subventionnées.

Le parc nucléaire français est supposé être vieillissant. Âgée de quarante ans, notre doyenne de Fessenheim est dans la force de l'âge. C'est une des centrales les plus sûres du parc électrique français. Aux États-Unis, 87 des 98 licences ont déjà été renouvelées pour vingt ans. Aux États-Unis, il est explicitement précisé dans la réglementation que les licences sont limitées à quarante ans pour raison économique antitrust et non de vétusté.

Un autre graphique, sur les conséquences prévisibles à court terme, a été réalisé à partir de captures d'écran extraites d'une analyse de l'institut franco-allemand d'observation des énergies renouvelables Agora energy 22 et de l'institut du développement durable et des relations internationales (IDDRI). Il montre que le coût marginal du nucléaire est plus faible que celui du charbon, ce qui sera encore plus vrai après l'augmentation du prix du CO2. Le rapport franco-allemand constate que si des capacités nucléaires sont retirées du mix français, la compétitivité des centrales à charbon maintenues dans le système en Allemagne sera améliorée. De fait, les énergies renouvelables à un niveau élevé imposeront aux énergies programmables d'opérer plus fréquemment en suivi de charge. En France, le développement visé des énergies renouvelables et le réinvestissement dans le parc nucléaire au-delà de 50 gigawattheures (GWh) comportent un risque important de coûts échoués dans le secteur électrique. Autrement dit, le développement des énergies renouvelables entraînera des risques de coûts élevés parce que le parc d'exploitation deviendra bien moins rentable. Qu'on le veuille ou non, le développement des énergies renouvelables électriques intermittentes devrait contraindre à la fermeture de réacteurs opérationnels sans pour autant offrir d'alternative.

Notre politique énergétique doit-elle être influencée par l'Allemagne ou par l'Office franco-allemand pour la transition énergétique, qui tient ses bureaux au ministère de la Transition écologique et solidaire ? Dans une question écrite, la sénatrice Anne-Catherine Loisier s'est étonnée de la représentation des entreprises du secteur éolien au sein de cet office et de l'intérêt allemand de développer les énergies renouvelables en France.

Jusqu'à quand devrons-nous subventionner une technologie plus que centenaire ? La première éolienne électrique date de 1887. Ne fallait-il pas apprendre à stocker l'électricité avant d'encourager la concurrence des productions intermittentes ? Si on sait stocker l'électricité, cela peut être une bonne idée, mais tant qu'on ne sait pas le faire, c'est différent. À qui profite la perte de compétitivité du nucléaire liée à l'injection d'intermittence ?

Le temps me manque pour évoquer les problèmes liés au patrimoine.

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