Intervention de Frédéric Bouvier

Réunion du mardi 11 juin 2019 à 18h45
Commission d'enquête sur l'impact économique, industriel et environnemental des énergies renouvelables, sur la transparence des financements et sur l'acceptabilité sociale des politiques de transition énergétique

Frédéric Bouvier, porte-parole du collectif « Agir pour le développement durable et économique : la préservation de nos territoires ruraux ! » :

Le collectif dont je suis le porte-parole agit en faveur du développement économique durable du sud-ouest de l'Indre-et-Loire, plus précisément du Chinonais, et refuse la fatalité de la relégation de la ruralité. Nous y vivons, travaillons, investissons et créons des emplois non délocalisables. Notre association a été créée à l'initiative d'un groupe d'entrepreneurs dans les secteurs de l'agriculture biologique, des hautes technologies, du tourisme et des services innovants aux entreprises. Nous avons décidé de fédérer nos initiatives et nos projets pour créer une véritable dynamique de territoire. À ce titre, nous entendons nous approprier pleinement les thématiques énergétiques, étant entendu que la démarche territoriale doit être inclusive. On ne saurait en effet conduire de politique énergétique territoriale sans que les citoyens et les collectivités locales n'en soient aux commandes. Nous estimons que les bénéfices de cette politique énergétique doivent être localisés sur le territoire. En outre, la lutte contre le changement climatique, qui est indispensable, doit être menée dans le respect de la biodiversité.

Telles sont les lignes directrices qui ont conduit les entrepreneurs du territoire que nous sommes à unir nos forces autour de plusieurs projets, en particulier dans le domaine de la transition énergétique. Nous agissons notamment dans le cadre des plans climat-air-énergie territoriaux (PCAET) que déploient les intercommunalités.

Permettez-moi de vous apporter un témoignage plus spécifique sur un sujet qui nous tient à cœur : pas de transition énergétique sans territorialisation et réappropriation par les acteurs que sont les citoyens et les collectivités locales. Sur le terrain, c'est un sujet difficile, surtout dans le domaine éolien. La transition énergétique ne s'y limite naturellement pas, mais c'est ce sujet qui cristallise toutes les tensions et les préoccupations. Les citoyens et les collectivités font face à un lobby puissant qui porte un nom : l'éolien financier. Il trouve dans le sud de l'Indre-et-Loire un terrain de jeux privilégié, en particulier dans le Chinonais.

Je commencerai par définir les caractéristiques de l'éolien financier avant de définir des pistes d'action positive. Les acteurs de l'éolien financier obéissent à un unique modèle économique consistant à revendre au plus vite les parcs éoliens à des fonds financiers. L'objectif vise à construire un projet, à le raccorder au réseau puis, aussitôt, à réaliser une plus-value en sortant le risque du bilan de la société. Tout est donc fait pour vendre le projet à des fonds financiers parfois français mais plus souvent internationaux, notamment anglo-saxons – ces fonds étant les véhicules d'investissement des fonds de pension. Selon ce modèle économique, l'éolien financier conserve toutefois les contrats de services de maintenance, qui assurent des revenus récurrents et sans risques.

Dans le Chinonais, le projet le plus avancé est conduit par un leader allemand du commerce de matières premières agricoles, de matériaux de construction et de produits énergétiques qui est assez présent en France. Il a revendu la totalité des cinq parcs éoliens qu'il a construits et raccordés au réseau. Le dernier exemple en date est le parc éolien de 10,2 mégawatts construit à Saint-Pierre-de-Juillers. Il a été raccordé au réseau en octobre 2017 ; la société en question a d'ailleurs publié un communiqué dans la presse quotidienne régionale pour se réjouir de contribuer à la transition énergétique du territoire. Un peu plus d'un an plus tard, un autre communiqué était diffusé, cette fois-ci à l'intention des actionnaires et des marchés financiers, pour annoncer la bonne nouvelle : le projet était revendu à un fonds d'investissement privé basé en Irlande. Dans son rapport annuel, la même société indique très clairement avoir revendu en 2018 plus de 450 mégawatts de centrales électriques d'énergies renouvelables dans le monde et, dès le deuxième semestre 2019, elle entend bien parvenir à vendre les différents projets de construction de centrales solaires et éoliennes qui figurent dans son portefeuille.

Deuxième caractéristique de l'éolien financier : la pratique du shopping des projets éoliens. Les collectivités locales sont démarchées comme on ferait ses courses. En l'occurrence, sur notre territoire, il s'agit de petits villages qui sont sollicités individuellement, sans que les villages voisins et les intercommunalités n'en soient informés. L'éolien financier dresse la cartographie du mitage des zones sans contraintes réglementaires : il peut s'agir de bois, de marais, d'étangs – peu importe ; l'essentiel est d'élaborer un diaporama standard pour démarcher au mieux les maires voire les propriétaires des parcelles eux-mêmes, pour faire valoir l'intérêt financier possible de tel ou tel projet, soit en termes de fiscalité soit grâce au gain lié à la location d'un terrain. Au cours des dix-huit derniers mois, pas une seule commune de notre territoire n'a échappé à ces démarches. Chacune d'entre elles n'a pris conscience que tardivement du fait que les communes voisines étaient elles aussi démarchées. Si tous les villages avaient donné leur accord, plus d'une centaine d'éoliennes auraient été construites sur une zone de quelques dizaines de kilomètres carrés.

Autre caractéristique : l'éolien financier utilise toutes les ficelles du marketing vert mais ne fait pas d'écologie. Dans notre territoire, le projet le plus avancé passe par la destruction d'un bois de plusieurs dizaines d'hectares qui, sur le plan local, est l'un des derniers refuges de la biodiversité. Nous regrettons vivement qu'au lieu de développement une filière de biomasse, il soit envisagé d'implanter des mâts de cent cinquante mètres alors même que les experts tirent la sonnette d'alarme en raison de la destruction des écosystèmes et que le président de la République lui-même a placé la biodiversité au centre de la lutte contre le changement climatique.

Enfin, l'éolien financier fait peu de cas des dynamiques locales de développement économique qu'animent les entrepreneurs en termes d'emploi et de cohésion sociale. À titre d'exemple, la destruction du bois précité mettra un terme à l'activité du seul apiculteur professionnel en agriculture biologique dans le parc naturel régional Loire-Anjou-Touraine. Ce sont deux emplois directs et d'importantes externalités environnementales et sociales positives pour le territoire qui vont disparaître.

En somme, l'éolien financier est entre les mains des traders. Que faire ? Les acteurs locaux que nous sommes souhaitent investir positivement dans ces préoccupations énergétiques, y compris l'éolien, auquel nous n'avons aucune opposition. Avant tout, des mesures urgentes doivent être prises afin de faire le ménage en supprimant les effets d'aubaine court-termistes. Il serait par exemple possible d'interdire tout changement au capital d'une société de projets éoliens dans les cinq années qui suivent la connexion au réseau. Nous avons peu de doutes sur le fait qu'une telle mesure se traduirait par un grand ménage parmi les sociétés qui pilotent ces projets. Cela reviendrait à donner une prime à ceux qui veulent investir au bénéfice du territoire.

Ensuite, il faut privilégier le long terme et, pour ce faire, redonner la main aux acteurs locaux dans une logique de concertation, de développement et d'aménagement du territoire. Il faut territorialiser la politique énergétique : les objectifs globaux en matière d'énergies renouvelables pourraient être déclinés au niveau régional voire départemental. Ensuite, la prérogative de la mise en œuvre des choix relatifs au mix énergétique pourrait être confiée aux intercommunalités, moyennant l'obligation d'atteindre les objectifs fixés. L'État exercerait son pilotage au moyen d'incitations financières et les acteurs privés seraient systématiquement mis en concurrence en tenant compte des incidences locales. Pour mettre en œuvre cette politique, la création d'une société d'économie mixte consacrée au développement des énergies renouvelables pourrait être envisagée dans chaque région. Elle associerait les communautés de communes en lien avec leurs PCAET. Les collectivités piloteraient ainsi les projets et réinvestiraient les bénéfices d'exploitation au service du développement des territoires. Enfin, sans doute serait-il judicieux de rétablir les zones de développement éolien au niveau régional afin de planifier le développement de cette énergie pour renforcer la prévisibilité et la concertation, maximiser les bénéfices et minimiser les nuisances.

L'appropriation citoyenne des projets éoliens – et des projets d'énergies renouvelables en général – est une question concrète à laquelle il peut être répondu au moyen de deux leviers, notamment : l'obligation d'ouvrir au moins 5 % du capital d'une société de projets aux actionnaires individuels dès sa création afin d'impliquer d'emblée les citoyens, et un puissant levier fiscal, sous la forme d'un crédit d'impôt concernant l'investissement dans les PME innovantes, par exemple, ou dans le cadre du plan d'épargne en actions destiné au financement des petites et moyennes entreprises (PEA-PME).

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