Je suis très heureux d'être à vos côtés pour vous exposer la vision territoriale et la place des collectivités locales dans le monde de l'énergie. Depuis 2008, je préside le syndicat départemental d'énergie d'Indre-et-Loire et, depuis sa création en 2012, la société d'économie mixte locale Enercentre Val-de-Loire qui vise à accompagner le développement des énergies renouvelables sur le territoire. Enfin, je suis vice-président de la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR) en charge de la commission « Territoires intelligents et véhicules propres ».
La loi du 17 août 2015 précitée a instauré l'obligation pour les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) de plus de 20 000 habitants de se doter, à l'horizon 2018, d'un Plan climat-air-énergie territorial. Nous sommes tous en retard car la loi du 7 août 2015 portant sur la nouvelle organisation territoriale de la République, dite loi NOTRe, est passée par là. Elle a entraîné des regroupements ou des élargissements territoriaux. En conséquence, les intercommunalités ont souvent demandé à leur préfet de décaler la mise en œuvre de ces plans.
La communauté de communes que je préside, Chinon, Vienne et Loire, alliée à Touraine Val de Vienne – où se trouve Richelieu – va développer un PCAET à l'échelle du bassin de vie, par cohérence avec la réflexion que nous menons. En effet, pour les raisons qu'évoquait Hervé Novelli, nous ne souhaitons pas imposer aux franges du territoire voisin les problématiques que nous ne voulons pas subir sur notre propre territoire. C'est souvent ce qui se passe avec les LGV : tout le monde est d'accord pour aller de Paris à Bordeaux en deux heures, à condition que la ligne ne passe pas au bout de son jardin ! C'est le difficile équilibre entre intérêt général et intérêt personnel…
À l'échelle de nos territoires, nous avons fait le constat que le développement des éoliennes intervenait souvent de façon sauvage et anarchique : les développeurs s'emparent des schémas régionaux éoliens, détectent les poches d'aménagement et vont prospecter. Il s'agit souvent de terrains agricoles à très faible valeur ajoutée, en jachère au titre de la politique agricole commune (PAC). Les entreprises proposent alors une convention de mise à disposition du foncier, en faisant miroiter aux propriétaires un certain nombre de milliers d'euros de profits par an pendant vingt ou trente ans. C'est pourquoi les propriétaires s'engagent dans cette voie… L'élu local se retrouve alors subitement confronté à un projet sur son territoire, sans y avoir été associé en amont. Un collectif de citoyens riverains se crée, arrive dans son bureau et c'est le capharnaüm ! La réunion publique à la salle municipale ne contribue qu'à faire monter la température car le problème reste le même.
Je m'interroge sur la méthode, mais ne remets nullement en cause le besoin de transition énergétique de notre pays. Ce n'est pas parce que je suis maire de Chinon, siège d'une centrale nucléaire, que je ne suis pas sensible au développement des énergies renouvelables (EnR). Ainsi, la SEM que je préside va rééquiper le barrage hydroélectrique de Descartes sur la Creuse, aux confins de la Vienne et de l'Indre-et-Loire.
Chinon et les territoires alentours, comme tout le Val de Loire, sont classés au Patrimoine mondial de l'Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO) depuis 2000. Il existe dans ce périmètre un itinéraire « Loire à vélo ». En outre, le 8 novembre 2018, le ministre de la transition énergétique de l'époque a confirmé, suite à une question du sénateur de la Marne Yves Détraignes, que des zones d'exclusion prévues autour des périmètres UNESCO permettent par exemple de protéger ce Patrimoine mondial. Elles s'étendent à 15 kilomètres autour du périmètre. Or un développeur porte actuellement un projet d'éoliennes à 13 kilomètres de Chinon. Des mâts de mesures ont été mis en place, ils font 50 mètres de haut, soit à peine la moitié de la taille des éoliennes. Or, lorsqu'un mât de mesure est en fonctionnement, la seule chose que vous voyez de la forteresse royale, c'est son voyant rouge. Imaginez une éolienne deux fois plus grande !
Chinon a été la capitale de la France. C'est là que Jeanne d'Arc est venue reconnaître Charles VII avant de l'emmener à Reims pour le couronnement. C'était aussi la capitale continentale de l'Angleterre sous Henri II Plantagenêt. L'Angleterre s'y est installée pendant plus d'un siècle lorsque son empire s'étendait des Pyrénées à l'Écosse. Depuis, le territoire a été préservé. La forteresse royale de Chinon accueille 130 000 visiteurs par an, Azay-le-Rideau 270 000 et la ville de Chinon entre 500 000 et 700 000.
Je suis très favorable à la transition énergétique et à l'implantation d'énergies alternatives sur nos territoires, mais il faut que nous soyons en mesure de concevoir et décider de ces projets ensemble ! Le consensus local est fondamental pour qu'ils soient acceptés, et non imposés. Depuis trois mois, nous avons engagé la construction du PCAET avec les associations des territoires, les consommateurs et de nombreux autres intervenants : qu'est-ce que sera l'énergie du territoire dans vingt à cinquante ans ? Nos concitoyens sont très sensibles à ce sujet qu'ils s'approprient. La participation est forte. Nous devons co-construire ces plans afin d'éviter des recours incessants qui bloqueront tous les projets pendant vingt ans ! Rédiger un PCAET est une chose, pouvoir le mettre en œuvre selon l'échéancier déterminé conjointement en est une autre… C'est notre ambition. C'est pourquoi l'établissement public de coopération intercommunale (EPCI) et le conseil municipal que je préside, ont voté à l'unanimité en faveur du moratoire, car il nous rappelle qu'il ne faut pas mettre la charrue avant les bœufs : comment permet-on au territoire de construire son ambition énergétique et, ensuite, de la mettre en œuvre, avec des partenaires privés si nécessaire ?
Les développeurs nous vendent le financement participatif comme gage de l'acceptabilité locale d'un projet. En l'espèce, à Chinon, la Banque postale, par le biais d'une de ses filiales, plateforme de financement participatif, ambitionne d'être le porteur de ce financement. En tant que président de SEM, j'ai déjà mis en œuvre plusieurs financements participatifs – sur des projets photovoltaïques : en général, si l'on cherche entre 30 000 et 50 000 euros, lorsqu'on ouvre la plateforme et qu'on la réserve au territoire pendant deux ou trois semaines, on récolte 1 000 à 5 000 euros maximum. Ensuite, on l'ouvre au niveau national et, en deux heures, on obtient les 30 000 à 50 000 euros dont on a besoin. Pourquoi ? Car il s'agit d'opérations financières – on vous annonce un taux de rentabilité interne (TRI) à 5 % et un placement de courte durée ! En outre, vous êtes éloigné de la gêne provoquée par les équipements d'énergies alternatives que l'on va installer – pas de visibilité du champ photovoltaïque, pas de contraintes liées aux éoliennes. Vous achetez un financement artistique, indolore, et vous faites du « cash ». La loi TECV doit-elle servir à cela ou plutôt à l'appropriation des énergies renouvelables par les territoires ? Je m'interroge. En outre, qu'un opérateur national, doté d'une mission de service public, cautionne ce type d'activités m'interpelle, mais je laisserai le soin à la commission d'en tirer les enseignements.
Depuis longtemps, les collectivités locales se sont regroupées en grands syndicats départementaux. Le mien a été créé en 1937. J'en assure la présidence depuis 2008. Lorsque le tournant vers les énergies renouvelables s'est opéré, nous nous sommes vite rendu compte que les collectivités locales étaient démunies pour accompagner les projets. En effet, une petite commune dispose tout au plus d'une secrétaire de mairie à mi-temps. Elle ne peut rédiger le dossier administratif d'acceptabilité d'un champ photovoltaïque ou d'un parc éolien, puis solliciter la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL), l'Agence française pour la biodiversité (AFB), les unités départementales de l'architecture et du patrimoine (UDAP), etc. En général, ces derniers ouvrent le dossier, le regardent et le referment…
C'est pourquoi nous avons voulu créer une société d'économie mixte locale dès 2012 afin d'être porteur de projets et assistant à maîtrise d'ouvrage (AMO) des collectivités locales et, ainsi, les accompagner dans la transition énergétique. Cela permet aux projets d'aboutir en cas de consensus politique local. Nous ne sommes que l'émanation des collectivités locales et n'allons donc pas à l'encontre de leur volonté ni de celle de leur population. Peu de maires s'engagent d'ailleurs dans une action de transition énergétique si l'objectif n'est pas partagé par la population. Un élu local est toujours à portée d'engueulade ; s'il fait fausse route, il se rend rapidement compte du chemin qu'il doit reprendre. Je ne connais pas d'élus qui souhaitent à tout prix prendre des coups.