Intervention de Olivier Becquet

Réunion du jeudi 20 juin 2019 à 10h30
Commission d'enquête sur l'impact économique, industriel et environnemental des énergies renouvelables, sur la transparence des financements et sur l'acceptabilité sociale des politiques de transition énergétique

Olivier Becquet, artisan pêcheur :

Je suis gérant de la coopérative des pêcheurs du Tréport. C'est une coopérative d'artisans pêcheurs associés de 77 adhérents. Je suis aussi capitaine de pêche et j'ai commencé ma carrière en tant que pêcheur à la pêche côtière. J'ai aussi navigué dans beaucoup d'endroits dans le monde : j'ai pêché la langouste en Mauritanie, la crevette en Asie, la gambas au Mozambique ainsi que dans tout l'Atlantique nord.

En 2005, un promoteur demande à mettre des éoliennes en mer dans une ancienne zone minée, pensant que cette zone n'est pas exploitée par les pêcheurs. Nous avons au port du Tréport 45 navires, autant au port de Dieppe, et une centaine sur 30 kilomètres entre la pointe d'Ailly, à l'ouest de Dieppe, et la baie de Somme au nord du Tréport. Pourquoi trouve-t-on une centaine de navires à cet endroit et seulement une dizaine au niveau du port de Fécamp ? Devant le port de Fécamp, il y a moins d'exploitations, les fonds sont plus durs à cause de la courantologie, les sédiments sont différents et d'ailleurs on y casse du matériel. L'espace situé entre la pointe d'Ailly et la baie de Somme a été modelé au fil des millénaires, de marées montantes et descendantes. Le dépôt de sédiments et ses reliefs, la faible hauteur d'eau, la lumière, la salinité, la courantologie en font un espace riche qui attire les pêcheurs. On y trouve en effet des espèces cibles à valeur ajoutée telles que la sole, le turbot, la coquille Saint-Jacques. Au Tréport, on pêche avec des filets, des casiers, des chaluts : on utilise toutes les techniques de pêche possible pour capter toutes les espèces qui vivent dans ces espaces. Dieppe, en revanche, est plutôt un port réservé à la coquille Saint-Jacques.

Le promoteur, M. Jean-Michel Germa, de la Compagnie du Vent – qui avait rencontré des difficultés avec les éoliennes terrestres –, s'est inspiré de ce qui se passait en mer du Nord. Il a donc choisi cette zone en raison de la hauteur de fond pour tenter de faire la même chose. Mais la Manche est une mer particulière, une des plus riches au monde, qui n'a rien à voir avec la mer du Nord où il y a une faible hauteur d'eau et moins d'espèces. En tant que capitaine de pêches, nous n'avons jamais pêché sur les côtes d'Allemagne. Nous commencions seulement au niveau du Skagerrak entre le Danemark et la Norvège pour pêcher le lieu noir. Les navires se déplacent jusque chez nous car la mer est très riche. Devant Le Tréport, nous avons un gisement de limandes qui est le plus important d'Europe et nous avons des navires de pêche qui viennent de Granville et même de Saint-Guénolé pour les pêcher. Installer des éoliennes dans un espace comme celui-là est une aberration. Dès 2005, il y a quatorze ans, nous avons signalé qu'il ne fallait pas installer les éoliennes à cet endroit. À l'époque du gouvernement de monsieur Sarkozy le dossier avait été abandonné avant d'être repris lors de la présidence de M. Hollande. Le département et la région étaient alors de couleur socialiste comme le Président de la République, et Mme Ségolène Royal a donc œuvré pour développer l'éolien sans tenir compte de l'expression des pêcheurs. Or, la pêche est une activité qui ne peut vivre que grâce à la production. Les espèces qui se trouvent ici ne se trouvent pas ailleurs. Les poissons appartiennent à une espèce vivante : si on dérange un milieu, un secteur, les poissons ne vont pas forcément se reproduire dans des espaces voisins, de proximité, car ils n'auront pas la température, la salinité et le contexte nécessaires. À la demande du gouvernement de M. Hollande nous avons été obligés de faire une concertation avec le promoteur EMDT et nous avons alors changé d'interlocuteur.

La zone où devait initialement être installées les éoliennes se trouvait à l'ouest de la baie de Somme, dans l'ancienne zone minée. Ils se sont permis de déplacer la zone dans le Sud-Ouest et, ce qui était au départ la zone du Tréport est devenu la zone Dieppe-Le Tréport. Cela démontre – contrairement à ce que l'on nous a toujours dit – que l'on peut déplacer les zones. Politiques et promoteurs se renvoient les responsabilités et on n'y comprend plus rien ! Nous, notre réalité, c'est que notre métier ne nous permet pas de faire autrement que de vivre avec la mer. Et si l'on retire cette activité maritime, que fait-on de la population qui vit sur le littoral ? Le matelot a-t-il les capacités à suivre une formation ? À terre, ce n'est pas glorieux : beaucoup de gens cherchent du travail et n'en trouvent pas et de nombreuses entreprises licencient. Repartir vers d'autres activités et dans un autre secteur, ce n'est pas enthousiasmant.

La réalité, c'est que, pour un navire de 12 mètres, il faut un chiffre d'affaires de 250 000 euros annuels. Pour un navire de 16 mètres, il faut environ 700 000 euros, et pour un navire de 21 mètres, il faut 1,5 million. Nous avons 45 navires. On nous parle de compensation. Nous avons fait une concertation avec le promoteur et, à chaque réunion, nous avons précisé qu'il était impossible de faire ce parc dans cet espace-là. Nous n'avons pas souhaité monter des barricades et brûler des pneus pour nous faire entendre : on sait ce que cela donne avec les gilets jaunes : il y a toujours des dérives et cela décrédibilise la profession. Nous sommes respectueux des règles démocratiques, mais nous souhaiterions être entendus et considérés. Là, c'est complètement irrespectueux et c'est anormal. Nous avons le droit d'exister par la richesse que la mer nous apporte.

Chaque élément qui sera mis en mer sera forcément un obstacle, un écueil à la navigation. À proximité des ports, nous avons de la pêche, mais aussi des commerces et de la navigation. C'est une réelle économie. On nous dit que nous pourrons travailler dans les parcs éoliens. J'étais encore ce matin avec un promoteur qui veut nous emmener dans un parc éolien en Angleterre, mais qui m'a confirmé qu'on ne pouvait pas y chaluter. Il faudrait y travailler avec d'autres techniques de pêche. Mais si tout le monde travaille avec la même technique de pêche, on va affaiblir les marchés car dès que vous avez une espèce en trop grande quantité sur un secteur, le marché a du mal à s'équilibrer et les prix s'effondrent. Cela a été le cas avec la coquille Saint-Jacques – produit à forte valeur ajoutée dont le prix au kilo a chuté à 1,50 euro le kilo en fin de saison, alors qu'autour de Noël il est plutôt entre 3,50 et 4 euros habituellement. Cela est lié à des campagnes de déminage à répétition, au printemps et en automne, depuis huit ans, dans notre secteur, au moment de la reproduction de la sèche, du rouget barbet et du hareng.

Nous n'avons rien contre les services de l'État, et nous avons de très bonnes relations avec la préfecture maritime et la préfecture. Nous voulons cependant faire comprendre que la protection de l'environnement ne peut se faire au détriment de l'environnement maritime. Les humains se créent des besoins qui représentent un moyen de « se faire de l'argent sur le dos de tout le monde », notamment avec des factures d'électricité que nous payons et ce qui nous donne le droit de nous exprimer.

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