La réunion

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La séance est ouverte à dix heures trente.

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Pour notre seconde audition sur l'impact de l'éolien en mer, nous recevons le collectif pour un littoral sans éolienne (PULSE), représenté par MM. Olivier Becquet, artisan pêcheur en Manche, Julien Thehorel, artisan pêcheur en Bretagne, Sylvain Gallais, artisan pêcheur dans l'Atlantique, Philippe Gendreau, entrepreneur en conserverie, et maître Morvan Le Berre, avocat.

La question du conflit entre les différents usages de l'espace maritime est un aspect central de la question de l'éolien en mer puisque ce conflit peut exister même dans le cas d'un parc éloigné du rivage.

Nous allons vous donner la parole pour un exposé d'une trentaine de minutes puis nous vous poserons des questions. M. Quentin me suppléera lorsque je devrai m'absenter à divers moments. Néanmoins, avant que vous puissiez prendre la parole, conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, je vais vous demander de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Veuillez lever la main droite et dire « Je le jure ».

(MM. Gendreau, Gallais, Le Berre, Becquet et Tréhorel prêtent successivement serment.)

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Olivier Becquet, artisan pêcheur

Je suis gérant de la coopérative des pêcheurs du Tréport. C'est une coopérative d'artisans pêcheurs associés de 77 adhérents. Je suis aussi capitaine de pêche et j'ai commencé ma carrière en tant que pêcheur à la pêche côtière. J'ai aussi navigué dans beaucoup d'endroits dans le monde : j'ai pêché la langouste en Mauritanie, la crevette en Asie, la gambas au Mozambique ainsi que dans tout l'Atlantique nord.

En 2005, un promoteur demande à mettre des éoliennes en mer dans une ancienne zone minée, pensant que cette zone n'est pas exploitée par les pêcheurs. Nous avons au port du Tréport 45 navires, autant au port de Dieppe, et une centaine sur 30 kilomètres entre la pointe d'Ailly, à l'ouest de Dieppe, et la baie de Somme au nord du Tréport. Pourquoi trouve-t-on une centaine de navires à cet endroit et seulement une dizaine au niveau du port de Fécamp ? Devant le port de Fécamp, il y a moins d'exploitations, les fonds sont plus durs à cause de la courantologie, les sédiments sont différents et d'ailleurs on y casse du matériel. L'espace situé entre la pointe d'Ailly et la baie de Somme a été modelé au fil des millénaires, de marées montantes et descendantes. Le dépôt de sédiments et ses reliefs, la faible hauteur d'eau, la lumière, la salinité, la courantologie en font un espace riche qui attire les pêcheurs. On y trouve en effet des espèces cibles à valeur ajoutée telles que la sole, le turbot, la coquille Saint-Jacques. Au Tréport, on pêche avec des filets, des casiers, des chaluts : on utilise toutes les techniques de pêche possible pour capter toutes les espèces qui vivent dans ces espaces. Dieppe, en revanche, est plutôt un port réservé à la coquille Saint-Jacques.

Le promoteur, M. Jean-Michel Germa, de la Compagnie du Vent – qui avait rencontré des difficultés avec les éoliennes terrestres –, s'est inspiré de ce qui se passait en mer du Nord. Il a donc choisi cette zone en raison de la hauteur de fond pour tenter de faire la même chose. Mais la Manche est une mer particulière, une des plus riches au monde, qui n'a rien à voir avec la mer du Nord où il y a une faible hauteur d'eau et moins d'espèces. En tant que capitaine de pêches, nous n'avons jamais pêché sur les côtes d'Allemagne. Nous commencions seulement au niveau du Skagerrak entre le Danemark et la Norvège pour pêcher le lieu noir. Les navires se déplacent jusque chez nous car la mer est très riche. Devant Le Tréport, nous avons un gisement de limandes qui est le plus important d'Europe et nous avons des navires de pêche qui viennent de Granville et même de Saint-Guénolé pour les pêcher. Installer des éoliennes dans un espace comme celui-là est une aberration. Dès 2005, il y a quatorze ans, nous avons signalé qu'il ne fallait pas installer les éoliennes à cet endroit. À l'époque du gouvernement de monsieur Sarkozy le dossier avait été abandonné avant d'être repris lors de la présidence de M. Hollande. Le département et la région étaient alors de couleur socialiste comme le Président de la République, et Mme Ségolène Royal a donc œuvré pour développer l'éolien sans tenir compte de l'expression des pêcheurs. Or, la pêche est une activité qui ne peut vivre que grâce à la production. Les espèces qui se trouvent ici ne se trouvent pas ailleurs. Les poissons appartiennent à une espèce vivante : si on dérange un milieu, un secteur, les poissons ne vont pas forcément se reproduire dans des espaces voisins, de proximité, car ils n'auront pas la température, la salinité et le contexte nécessaires. À la demande du gouvernement de M. Hollande nous avons été obligés de faire une concertation avec le promoteur EMDT et nous avons alors changé d'interlocuteur.

La zone où devait initialement être installées les éoliennes se trouvait à l'ouest de la baie de Somme, dans l'ancienne zone minée. Ils se sont permis de déplacer la zone dans le Sud-Ouest et, ce qui était au départ la zone du Tréport est devenu la zone Dieppe-Le Tréport. Cela démontre – contrairement à ce que l'on nous a toujours dit – que l'on peut déplacer les zones. Politiques et promoteurs se renvoient les responsabilités et on n'y comprend plus rien ! Nous, notre réalité, c'est que notre métier ne nous permet pas de faire autrement que de vivre avec la mer. Et si l'on retire cette activité maritime, que fait-on de la population qui vit sur le littoral ? Le matelot a-t-il les capacités à suivre une formation ? À terre, ce n'est pas glorieux : beaucoup de gens cherchent du travail et n'en trouvent pas et de nombreuses entreprises licencient. Repartir vers d'autres activités et dans un autre secteur, ce n'est pas enthousiasmant.

La réalité, c'est que, pour un navire de 12 mètres, il faut un chiffre d'affaires de 250 000 euros annuels. Pour un navire de 16 mètres, il faut environ 700 000 euros, et pour un navire de 21 mètres, il faut 1,5 million. Nous avons 45 navires. On nous parle de compensation. Nous avons fait une concertation avec le promoteur et, à chaque réunion, nous avons précisé qu'il était impossible de faire ce parc dans cet espace-là. Nous n'avons pas souhaité monter des barricades et brûler des pneus pour nous faire entendre : on sait ce que cela donne avec les gilets jaunes : il y a toujours des dérives et cela décrédibilise la profession. Nous sommes respectueux des règles démocratiques, mais nous souhaiterions être entendus et considérés. Là, c'est complètement irrespectueux et c'est anormal. Nous avons le droit d'exister par la richesse que la mer nous apporte.

Chaque élément qui sera mis en mer sera forcément un obstacle, un écueil à la navigation. À proximité des ports, nous avons de la pêche, mais aussi des commerces et de la navigation. C'est une réelle économie. On nous dit que nous pourrons travailler dans les parcs éoliens. J'étais encore ce matin avec un promoteur qui veut nous emmener dans un parc éolien en Angleterre, mais qui m'a confirmé qu'on ne pouvait pas y chaluter. Il faudrait y travailler avec d'autres techniques de pêche. Mais si tout le monde travaille avec la même technique de pêche, on va affaiblir les marchés car dès que vous avez une espèce en trop grande quantité sur un secteur, le marché a du mal à s'équilibrer et les prix s'effondrent. Cela a été le cas avec la coquille Saint-Jacques – produit à forte valeur ajoutée dont le prix au kilo a chuté à 1,50 euro le kilo en fin de saison, alors qu'autour de Noël il est plutôt entre 3,50 et 4 euros habituellement. Cela est lié à des campagnes de déminage à répétition, au printemps et en automne, depuis huit ans, dans notre secteur, au moment de la reproduction de la sèche, du rouget barbet et du hareng.

Nous n'avons rien contre les services de l'État, et nous avons de très bonnes relations avec la préfecture maritime et la préfecture. Nous voulons cependant faire comprendre que la protection de l'environnement ne peut se faire au détriment de l'environnement maritime. Les humains se créent des besoins qui représentent un moyen de « se faire de l'argent sur le dos de tout le monde », notamment avec des factures d'électricité que nous payons et ce qui nous donne le droit de nous exprimer.

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J'ai prêté une oreille attentive à vos propos parce qu'on m'a confié une mission sur l'avenir de la pêche durable et responsable dans la perspective de l'installation de la future Commission européenne. Avec mon collègue Jean-Pierre Pont, député de Boulogne, nous avons ainsi conduit une série d'auditions.

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Julien Trehorel, artisan pêcheur

Je suis artisan pêcheur en baie de Saint-Brieuc et également le président de l'ADEPPA-GNB, l'Association de défense de l'environnement et de la promotion de la pêche artisanale dans le Golfe normand breton.

La baie de Saint-Brieuc est différente de celle de Dieppe – Le Tréport. On est à l'intérieur d'une cavité où 290 bateaux travaillent à l'année, et le parc éolien va être installé en pleine zone de pêche qui a un gisement important de coquilles Saint-Jacques.

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Olivier Becquet, artisan pêcheur

Nous sommes sur des secteurs où nous avons des pêcheries qui peuvent aller jusqu'à 150 bateaux dans le secteur en même temps. Ce n'est pas le petit bateau qui pêche tranquillement.

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Julien Trehorel, artisan pêcheur

Nous sommes là aujourd'hui pour vous parler du projet éolien de la baie de Saint-Brieuc. Nous n'avons pas les mêmes fonds et les exploitations de la pêche ne sont pas du tout les mêmes. Aujourd'hui, nous travaillons essentiellement sur le crustacé, le bivalves et sur le poisson. Ce parc éolien a été mis en place en plein milieu de la baie de Saint-Brieuc où 290 bateaux travaillent. Cela représente 236 licences de coquilles Saint-Jacques. La baie de Saint-Brieuc est la plus grande baie de France où se reproduisent naturellement les coquilles Saint-Jacques. Nous avons également énormément d'activités autour du bulot, des araignées et du homard.

Lorsque ce parc a été installé à cet endroit-là, ils n'ont pas pensé aux conflits d'usage. C'est de l'éolien posé. Aujourd'hui, on n'a pas de place. On ne peut pas aller ailleurs car la baie de Saint-Brieuc est entièrement exploitée, que ce soit au filet, au chalut ou au casier. Si demain ce parc éolien devait se faire en baie de Saint-Brieuc, où vais-je aller avec mon matériel ? Soit nous allons gêner nos collègues de pêche et on va assister à un appauvrissement rapide des ressources, soit nous allons remettre en question la préservation de notre ressource mise en place depuis 1960 en réévaluant les tailles de capture. Nous savons pertinemment que lors de la phase de travaux tous ces efforts vont disparaître en raison de la mortalité des juvéniles.

On se dit que tout ce travail que nous faisons depuis des années, tout ce chiffre d'affaires qu'on remet à l'eau pour pouvoir mieux l'exploiter l'année suivante va nous être enlevé comme cela, d'un claquement de doigts. On aura l'interdiction de travailler dans la zone du parc éolien – la pêche est interdite dans tous les parcs dans le monde – et la courantologie ne nous permettrait pas d'y naviguer. De plus, les crustacés fuiront la zone, avec le forage les coquillages mourront et le juvénile met plusieurs années à se mettre en place. On voit notre gestion « partir en fumée ». On voit une entreprise s'installer et nous dire : « allez, poussez-vous de là, c'est à mon tour ». Or, nous sommes là depuis bien longtemps et personne, hormis un marin, ne connaît aussi bien les fonds marins que nous.

Aujourd'hui, les études d'impact qui sont faites dans la baie de Saint-Brieuc sont complètement à côté de la plaque. Par exemple, les filets à araignées sont immergés sur une longueur de 1,5 kilomètre pendant environ trois semaines avant d'être relevés. Ces études d'impacts prennent en considération des bouts de filets de 500 mètres relevés tous les trois jours. Donc comment pouvons-nous vraiment faire un état des stocks sur les fonds marins ? C'est impossible. On retrouve des études erronées également pour les bulots. Nous ne pourrons donc pas obtenir de compensations car les études sont basées « sur du vent » et sur quelque chose qui a été mal fait.

Nous vous demandons de nous entendre et de prendre en considération notre connaissance du milieu marin, afin que nous puissions pérenniser notre métier. Un emploi en mer, ce sont quatre emplois à terre. Économiquement, pour notre petite ville, ce projet va nous coûter très cher, aussi bien dans la restauration que dans la pêche. Aujourd'hui, les gens viennent chercher chez nous l'opportunité de travailler en direct avec des pêcheurs en pêche artisanale. Je ne crois pas qu'un parc éolien fera croître l'activité touristique.

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Sylvain Gallais, artisan pêcheur

Je suis patron pêcheur au port de L'Herbaudière sur l'île de Noirmoutier. Dans la zone où j'exerce mon activité, il est prévu deux projets éoliens plantés de 80 machines pour le projet de Saint-Nazaire et 62 machines pour le projet de Noirmoutier-Yeu. Chaque éolienne devrait mesurer la hauteur de la Tour Montparnasse. Je pratique la pêche artisanale côtière durable : elle se pratique uniquement dans les 20 milles de la côte avec de petits bateaux. Je représente les pêcheurs de Noirmoutier-Yeu c'est-à-dire environ 100 bateaux et 200 marins pêcheurs.

Selon la direction interrégionale de la mer (DIRM) Nord Atlantique Manche Ouest, un emploi en mer génère trois emplois à terre. Menacer la pêche côtière dans notre région, c'est menacer environ 80 emplois locaux existants et permanents. La pêche, sur nos îles, c'est un métier qui se transmet de père en fils depuis des générations. Il n'y a pas une famille de la région qui n'ait pas de pêcheurs : c'est l'histoire de nos îles, son patrimoine, notre Notre-Dame à nous. Ce sont les ports de pêche, les petites maisons de pêcheurs, les produits frais de la pêche consommés sur place qui font venir les touristes, qui risquent de partir avec nous si ces projets voient le jour. Aujourd'hui nos zones de pêche diminuent toujours un peu plus, laissant place à l'industrialisation de la mer. Nous sommes aussi de plus en plus à partager un même espace de pêche. Nos zones de pêche se réduisent comme peau de chagrin avec la taille de nos bateaux et les quotas. Il n'est pas possible de les remplacer par des zones plus au large ou ailleurs.

Nous avons exprimé notre opposition au projet dans une motion adressée en janvier 2018 à Nicolas Hulot, au député et sénateur de Vendée ainsi qu'à tous les élus locaux. 152 travailleurs de la mer l'ont signée dont – à une exception près – tous les patrons pêcheurs de Noirmoutier. La population nous a suivis lors de l'enquête publique sur le projet Noirmoutier-Yeu. Elle a recueilli 80 % d'avis défavorables. Pourtant, jusqu'à maintenant, nous ne sommes pas entendus.

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Philippe Gendreau

Je suis le dirigeant de la société Gendreau, qui est un groupe familial. C'est un groupe de 600 salariés. Nous sommes intervenants sur la conserverie Gendreau depuis 1903 à Saint-Gilles-Croix-de-Vie, en Vendée, à une vingtaine de milles du projet éolien. Nous avons également deux sites de production à Saint-Gilles-Croix-de-Vie et un site à Boulogne-sur-Mer repris récemment. Nous sommes des vieux acteurs de la conserve de poisson, depuis 1903, depuis quatre générations, et nous employons à la conserverie Gendreau 300 salariés dont 150 travaillent uniquement la sardine. Saint-Gilles-Croix-de-Vie est l'un des tout premiers ports sardiniers français : 3 000 tonnes sont pêchées par an. Nous absorbons 70 % des apports de Saint-Gilles-Croix-de-Vie et 100 % de nos approvisionnements viennent de ce port de Saint-Gilles-Croix-de-Vie. Nous sommes donc très dépendants de cette pêche artisanale de Saint-Gilles-Croix-de-Vie qui n'est pas qu'une station balnéaire. C'est aussi un port sardinier qui a été inscrit en tant que site remarquable du goût pour la sardine en 1998 et qui est depuis 2018 inscrit au Patrimoine culturel immatériel de la France. La sardine, est un véritable emblème de la ville de Saint-Gilles-Croix-de-Vie.

La pêche à la sardine se pratique par des chalutiers pélagiques de Saint-Gilles-Croix-de-Vie. Nous sommes directement impactés par ce projet de centrale éolienne car il intervient au milieu de la zone de pêche. Ce projet va également entraîner de graves perturbations au niveau de l'écosystème marin en raison des travaux. Les marins pêcheurs de Saint-Gilles estiment qu'à peu près 30 % des apports viennent de cette zone de 100 kilomètres carrés. Pour nous cela représente la menace de perdre 30 % d'approvisionnement et une baisse de notre activité de transformation qui impacterait nos 150 salariés qui travaillent directement de la sardine. C'est un projet mortifère pour la conserverie et pour les pêcheurs de Saint-Gilles que je représente à double titre : d'une part, en tant que client et, d'autre part, en tant qu'armateur. Depuis l'an dernier, nous avons, en collaboration avec un marin pêcheur et des mareyeurs, acheté une paire de bateaux qui étaient à vendre sur le port de Saint-Gilles. On intervient à double titre, en tant que marin pêcheur par le biais de ce bateau et ensuite au titre de la conserverie pour dénoncer ce projet qui a des conséquences funestes.

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Morvan Le Berre

Je voudrais, pour finir, faire trois remarques. On a souvent présenté l'éolien en mer comme une alternative, voire comme la solution des problèmes de l'éolien terrestre, et j'espère qu'on va pouvoir établir clairement que l'éolien en mer, c'est en réalité la caricature de tous les problèmes que vous avez pu rencontrer avec l'éolien terrestre. Contrairement à un agriculteur qui peut continuer à cultiver le reste de son champ, le pêcheur lui est complètement chassé de sa zone.

Le premier point, c'est que la définition légale de l'énergie renouvelable est défaillante puisque, dans les directives relatives aux énergies renouvelables, c'est une tautologie et non une présentation de critères objectifs qui permet des comparaisons. Ce qui tient lieu de définition de l'énergie renouvelable, c'est une liste. Elle permet aux gouvernements, aux États membres, lors de leur choix d'options en matière d'énergies renouvelables, de se passer d'une véritable comparaison des énergies renouvelables entre elles. C'est ce qui s'est passé en France.

Le deuxième point, c'est qu'on a présenté l'éolien en mer comme une alternative venue après l'identification des problèmes de l'éolien terrestre. En réalité, ce n'est pas le cas. L'éolien en mer a été conçu dès 2005 en parallèle de l'éolien terrestre. Il y a eu un premier appel d'offres en 2005, qui était ouvert sur tout le littoral, et les premiers sites ont été choisis par les industriels. Cet appel d'offres a été très rapidement abandonné car il avait été constaté que les conflits d'usages étaient très sérieux, de même que les manquements et les risques en matière d'environnement. Ces conclusions, à mon sens, n'ont pas changé aujourd'hui et étaient connues dès 2005. En 2006, il y a eu une curiosité dans le parcours de l'éolien en mer : il y a eu l'introduction d'un tarif éolien maritime à 130 euros du mégawattheure (MWh). C'est donc à peu près deux fois plus que le tarif éolien terrestre et la particularité de ce tarif éolien maritime de 2006, c'est qu'il n'a servi qu'à financer des éoliennes à terre mais situé sur le domaine portuaire donc, légalement, le domaine maritime. En 2011 et 2013, il y a eu les appels d'offres que vous connaissez, qui ont conduit à la désignation des projets du Tréport, de Fécamp, de Courseulles, de Saint-Brieuc, de Saint-Nazaire et de Noirmoutier, avec un tarif annoncé – mais il y a des variations d'un site à l'autre et un manque de transparence – entre 220 et 227 euros du MWh et qui a été renégocié en 2018. Aujourd'hui, en 2019, un projet est attribué à Dunkerque, au tarif de 45 euros ou moins par MWh. Donc par rapport à l'éolien terrestre, je trouve qu'il s'agit véritablement d'une caricature, vu les variations de prix, dont aucune n'a reçu de véritable justification à ce jour. Le projet de Dunkerque a été autorisé par la Commission européenne en tant qu'aide d'État au mois de décembre, alors qu'aucun des six autres projets n'a encore été autorisé. Juridiquement, ce sont des aides d'État illégales.

Le troisième point, c'est qu'il est parfaitement connu des autorités depuis 2008 que, d'une part, la valorisation de la tonne de CO2 évitée revient à 250 euros environ pour l'éolien terrestre, et jusqu'à 490 euros pour l'éolien en mer, alors que, comme vous l'avez déjà entendu dans d'autres auditions, le bâti, les chaudières à condensation, les pompes à chaleur sont au-dessous, voire très au-dessous de 100 euros par tonne de CO2 évitée. Il était donc parfaitement clair et établi par l'autorité indépendante compétente qu'en termes de dépenses publiques, il y avait nettement mieux à faire pour réduire les émissions de CO2 dès 2008. Par ailleurs, et c'est vraiment la double peine, il était également constaté dès cette époque que l'augmentation des capacités éoliennes conduisait à devoir rouvrir des centrales à gaz – et cela a été le cas d'une dizaine d'entre elles. La plus connue est la centrale de Landivisiau, qui n'est pas encore construite, mais il y en a eu dix autres au moins – et que, par conséquent, plus la capacité éolienne augmentait dans le secteur électrique, plus le bilan environnemental allait se dégrader. C'est ce qu'a constaté le premier rapport de la stratégie nationale bas carbone rendu public l'année dernière, puisque si les émissions baissent pour l'ensemble de la France, dans le secteur énergétique, elles ont recommencé à augmenter depuis 2013.

En conclusion, et c'est une autre particularité de l'éolien en mer par rapport aux autres énergies renouvelables, il y a des choses qui ont été engagées et déjà dépensées et puis il y a ce qui reste à payer. Pour l'éolien en mer, le coût financier est encore évitable. En ce moment, alors que rien n'a commencé et que les doutes auxquels fait face l'éolien en mer en tant que choix énergétique sont majeurs, des annonces sont faites pour doubler ou tripler la capacité éolienne en mer. C'est paradoxal !

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Nous avons constitué cette commission d'enquête parce que nous avions le sentiment que certains citoyens n'étaient pas écoutés et que les projets se faisaient sans eux. Nous avons, dans un premier temps, évalué le coût budgétaire et l'équilibre économique, et nous travaillons à présent sur l'acceptabilité sociale.

Vous avez développé un argumentaire très convaincant. Premièrement, vous nous dites que l'éolien en mer est la caricature de l'éolien terrestre. Contrairement au paysan qui peut continuer à travailler, le pêcheur ne le peut plus. Cela a donc un impact sur les conserveries à terre qui sont tributaires à 100 % de la zone de pêche. Si celle-ci est réduite, votre part deviendrait congrue.

Deuxièmement, vous avez insisté sur l'impact environnemental. Les parcs éoliens représentent un risque pour la biodiversité car ils détruiraient la faune marine, et cette situation ne vous permettrait pas de poursuivre votre activité.

Troisièmement, vous avez pointé le fait que les études n'étaient pas conformes à la réalité et ne refléteraient pas l'impact réel sur l'environnement.

Enfin, pour vous tous, l'impact économique est évident et un emploi en mer fait travailler trois à quatre personnes à terre. Les conséquences pour de nombreuses communes pourraient être dramatiques.

Monsieur Gallais, vous avez dit pratiquer la pêche côtière. Si on avait fait de l'éolien flottant très loin des côtes – par opposition à l'éolien posé – cela aurait-il eu le même impact ? À quelle distance des côtes vos bateaux vont-ils pêcher ?

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Julien Trehorel, artisan pêcheur

Mon bateau mesure 12 mètres par 4 mètres, nous sommes quatre hommes d'équipage à bord, nous travaillons sous Guernesey et Jersey et on est à peu près à 80 kilomètres des côtes à cette période de l'année. L'hiver, on se rapproche des côtes, donc du parc éolien, pour se protéger du mauvais temps, parce que notre bateau ne nous permet pas d'affronter les grandes mers.

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Cela signifie-t-il que plus on s'éloigne, plus il y a des zones de pêche ?

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Julien Trehorel, artisan pêcheur

Non, parce que vous avez toujours les conflits d'usage. Les Anglais ont leur zone, les gros chalutiers de 25 mètres pêchent dans les mêmes zones et la place n'est pas si grande.

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Les zones de pêche évoluent-elles, ou sont-elles toujours au même endroit ?

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Julien Trehorel, artisan pêcheur

Sur une saison, les zones ne changent pas. Mais d'une année sur l'autre et afin de préserver notre secteur de pêche, la quantité que nous pêchons varie.

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Si l'État commençait par sanctuariser les zones de pêche après les avoir recenser en interdisant l'éolien – posé ou flottant – le long des côtes, cela vous poserait-il quand même un problème ?

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Julien Trehorel, artisan pêcheur

Je ne suis pas contre l'éolien, mais je refuse que ce soit fait au mauvais endroit. Si l'endroit est bien choisi, que la biodiversité, les enjeux économiques et sociaux sont respectés il n'y a pas de restrictions à l'éolien flottant.

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Les deux autres artisans pêcheurs des deux autres régions partagent-ils cette opinion ?

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Sylvain Gallais, artisan pêcheur

Pas spécialement, car en Atlantique on pratique la pêche côtière et on est obligé de rester dans les 20 milles de la côte. De plus, on fait de la pêche à la journée, donc on ne peut pas s'en aller plus loin. Notre but c'est de faire notre journée le plus rapidement possible, en gaspillant le moins de gasoil possible. En allant un peu plus au large, on va devoir pêcher d'autres espèces, mais il y a les quotas et on ne va pas retrouver les mêmes espèces en s'en allant plus loin. Donc, on n'aura pas le droit de se reconvertir dans autre chose et on va gêner nos voisins. Des bateaux plus gros qui font d'autres types de pêche peuvent, eux, s'en aller ailleurs pendant plusieurs jours et s'éloigner jusqu'à 200 milles de la côte. Une zone de pêche fermée, c'est embêtant pour eux aussi, mais moins que pour nous.

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Et si on faisait de l'éolien flottant à 30 milles des côtes ?

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Sylvain Gallais, artisan pêcheur

Pour la pêche côtière, ce ne serait plus impactant, mais je ne suis pas spécialement favorable à l'éolien, vu tout ce qu'on a soulevé depuis plusieurs années. C'est un problème plus large, et l'éolien même éloigné des côtes gênerait quand même nos confrères.

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Olivier Becquet, artisan pêcheur

La Manche est une mer particulière : c'est une des plus riches au monde. Il y a des mouvements de marées, des mouvements de sédiments, et elle est très riche. Les pêcheurs côtiers ne sont pas les seuls exploitants de la Manche, on croise des navires hollandais, écossais, irlandais, belges et anglais. Cette cohabitation fait que la Manche est exploitée dans presque tous les secteurs. Pour l'installation du parc éolien de Fécamp, il n'y a eu aucune résistance de la part du comité local. En revanche, Dieppe-Le Tréport est une zone où il existe une surpopulation de bateaux. Chacun a son idée sur l'éolien. On ne peut s'opposer à tout, mais en revanche nous souhaitons que les zones les plus productrices soient préservées.

Dès que l'on impacte un milieu, il y a un report d'activité. Nous avons des bateaux de 10 mètres et de 25 mètres qui sont considérés comme semi-industriels. Ces navires pêchent jusqu'en mer du Nord, dans l'ouest et en mer d'Irlande. Il faut préserver l'environnement certes, mais il faut aussi veiller à éviter la surexploitation et des problèmes internes dans la profession liés à des usages relatifs aux techniques de pêche utilisées.

Si l'hameçon est la technique de pêche la plus sélective et la plus respectueuse de l'environnement, il ne faut pas oublier que le chalut – bien que critiqué – a beaucoup évolué. Quand il est en contact avec le fond, il remet en suspension des sédiments, de la nourriture pour les petits animaux dans le respect de la chaîne alimentaire. Il faut cesser de tirer à boulets rouges sur le chalut pour implanter de l'éolien. Ce matin, je discutais avec un promoteur qui me disait que nous pourrions faire du filet et du casier. Mais le filet et le casier ne permettront pas d'amener suffisamment de volume dans les criées. Il faut garder des outils qui soient capables de travailler certaines espèces : le poisson bleu comme la sardine, le hareng, le maquereau ou le chinchard sont des espèces qu'il faut attraper avec des engins adaptés. On ne les attrape pas avec des casiers ou des filets.

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Vos arguments semblent rationnels. Toutefois les projets se font. Comment l'expliquez-vous ? S'agit-il un problème d'organisation administrative ? Parlez-vous aux gens qui ne sont pas les décideurs ? S'agit-il d'une volonté politique transpartisane que vous n'arrivez pas à l'infléchir ? Est-ce que pour vous il y a un lobby qui serait plus puissant que le vôtre ? Pensez-vous que certains de vos arguments auraient été invalidés par la justice ou par l'administration ? Quelle est votre explication ?

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Julien Trehorel, artisan pêcheur

Vous venez d'évoquer tous les problèmes que nous rencontrons au quotidien. Nous ne sommes pas entendus. Également, les consortiums continuent à imposer leur présence et achètent la faveur des gens.

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. Je vous rappelle que vous êtes sous serment et que ce dont vous faites état peut être assimilable à de la corruption active.

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Julien Trehorel, artisan pêcheur

Je n'ai peut-être pas utilisé le bon mot. Aujourd'hui les consortiums s'implantent sur l'ensemble des associations afin de se promouvoir. N'importe quelle association, comme la Fédération française de voile, peut être financée par le consortium. Le promoteur fournit aujourd'hui une somme annuelle pour payer un ingénieur scientifique qui travaille pour le comité des pêches et pour payer les études d'impact. Comment avoir confiance dans les études menées par ce promoteur qui choisit lui-même les sociétés qui vont faire des études d'impact ?

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. La Fédération éolienne, lorsque nous l'avons reçue, nous a présenté un sondage qui montre que 80 % des riverains sont favorables à l'éolien. Ne seriez-vous pas tout simplement les 20 % restants ? L'éolien en mer ne serait-il pas très populaire ? Quelle est votre perception du soutien des populations ?

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Julien Trehorel, artisan pêcheur

Les deux tiers de la population des Côtes-d'Armor sont défavorables à l'enquête publique.

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Philippe Gendreau

Les chiffres sont à peu près les mêmes chez nous et un peu plus fort sur Noirmoutier : 76 % des avis émis lors de l'enquête publique ont été négatifs et contre le projet. C'est une question qui ne concerne pas exclusivement les marins pêcheurs et les filières qui en découlent. Elle concerne tous les habitants et pas seulement les professionnels.

Depuis le début, il y a une volonté très forte de l'État de combler son retard sur l'éolien marin. Le lobby de l'éolien pousse aussi très fort et c'est vrai que les professionnels n'ont pas été écoutés et entendus : 76 % d'avis défavorables émis par la population lors de l'enquête publique n'ont pas empêché le préfet d'émettre un avis favorable. Tout est fait pour que les choses se fassent et pour minimiser les avis contraires. On nous écrit que le poisson va disparaître pendant les travaux mais qu'il reviendra après. Les avis divergents sont négligés parce qu'effectivement cela ne va pas dans le sens du vent et on déroule le tapis parce qu'il y a du retard. Donc on nous dit « taisez-vous les gars, on ne veut pas vous entendre, il faut y aller ! ». Il y a un déni d'écoute et de démocratie qui aura des conséquences très négatives.

Les comités des pêches, souvent, vont dans le sens du vent parce qu'on promet des contreparties pour les pêcheurs. Mais les pêcheurs n'ont pas envie de contreparties, ils veulent conserver leur métier et en vivre.

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Il y a un mois, nous recevions ici Jean-Louis Bal le président du Syndicat des énergies renouvelables, qui nous déclarait que le projet du Tréport est l'exemple de ce qu'il ne faut pas faire. Je crois que c'est bien l'illustration de l'aberration de ce projet. Je l'ai vécu de l'intérieur puisque j'étais à l'époque élu local au département et dans ma commune de Mers-les-Bains située face au parc. Ce projet se situe dans le périmètre du parc naturel marin situé entre les estuaires de la plaine de Picardie et de la côte d'Opale. Il s'agit d'une zone extrêmement riche en termes de biodiversité et un plan de gestion ambitieux – auquel Olivier Becquet a participé – a été mis en place pour la sauvegarder. Puis, on a nous a retiré le droit de veto pour le confier à l'Agence française pour la biodiversité (AFB) qui a validé ce parc alors que nous avions émis un avis défavorable. Cela a généré une crise de gouvernance puisque nous avons tous démissionné du parc marin à cette occasion-là.

C'est à la fois une zone riche en biodiversité dont l'État s'est contrefichu et une zone de pêche. Le parc a également un impact sur l'économie touristique puisque c'est la porte d'entrée de la baie de Somme, l'une des plus belles baies du monde, labellisée grand site de France. Ce rouleau compresseur de l'État écrase toutes les labellisations que l'État lui-même avait réussi à mettre en place et sur lesquelles on s'était mis d'accord.

Je dénonce également toute la procédure que nous avons subie depuis 2008. Un premier débat public en 2008, où tout le monde s'était accordé pour dire que le périmètre n'était pas le bon, et dès 2014 un nouvel appel à projet relancé par l'État sur le même périmètre. Si le parc est parti un peu plus vers Dieppe pour épargner une partie du parc marin, l'impact demeure extrêmement fort. L'enquête publique, où les gens se sont exprimés défavorablement, a été écrasée par le rouleau compresseur de l'État. Toutes les collectivités de la baie de Somme, le conseil départemental, le conseil régional, se sont opposés à ce parc mais peu importe, il fallait passer le rouleau compresseur et tout écraser. Quelle est la compatibilité entre cette production dite décarbonée et la restauration de la biodiversité puisque c'est une zone extrêmement riche comme le sont vraisemblablement les autres zones ?

On est parti d'un seuil à 230 euros, on est à 150 euros et on vient d'attribuer Dunkerque à 45 euros. Quel serait le coût de l'abandon de ces six projets qui de toute évidence, sont hors marché ? On est trois fois plus cher que le marché. Au moment où l'on se pose tous des questions de financement et d'équilibre de nos comptes publics, c'est une question qu'il faut porter.

Pourriez-vous, d'autre part, nous parler de l'approche des consortiums vis-à-vis de vos métiers, et nous dire comment nous sommes arrivés à des conflits d'usage comme ceux qui sont cristallisés aujourd'hui ?

Enfin, comment sortir de ces situations ? On évoque le fait qu'il faut se parler, mais quand on a parlé pendant des dizaines d'heures et que personne ne nous a jamais entendus, je ne vois pas comment on peut avancer. Rien n'a été concédé. Les marins pêcheurs du Tréport et de la zone de Dieppe sont extrêmement responsables et avaient proposé un autre site, la pointe d'Ailly, qui est une zone où il y a peu de pêche. Les deux ministres d'État en charge de ces sujets-là n'ont pas voulu nous entendre. Tout le monde s'accorde pour dire que c'est un mauvais projet, mais on continue. Ne nous étonnons donc pas d'avoir des citoyens en colère sur nos giratoires quand on procède de cette façon-là dans la gouvernance publique.

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Olivier Becquet, artisan pêcheur

Nous nous exprimons pour le collectif des artisans pêcheurs et non pour le collectif PULSE. On trouve aberrant que des consortiums se rendent dans les écoles, pour voir les enfants, sur le temps des cours, pour faire la promotion de l'éolien. Une élève nous a rapporté que les questions étaient interdites et qu'il s'agissait d'un monologue.

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Olivier Becquet, artisan pêcheur

C'est une élève de 15 ans, donc au collège.

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Dans le cadre de l'Éducation nationale, il peut arriver qu'on puisse avoir intérêt à faire venir un intervenant extérieur pour expliquer un sujet qui peut avoir du sens dans le cadre de l'école. Quand vous avez justement des enfants qui voient les parcs éoliens – et j'aurais très bien pu le faire lorsque j'étais enseignante –, on peut faire appel à des intervenants extérieurs avec les meilleures intentions du monde ? Qu'est ce qui vous permet de dire qu'il existe un « process manipulateur » ?

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Olivier Becquet, artisan pêcheur

Si cela fait partie d'un cours, il y a des exposés et un échange. Mais là, les enfants n'avaient pas le droit d'enregistrer ou de faire des photos. Lorsque j'étais élève, on ne nous parlait pas du nucléaire, et pourtant les centrales nucléaires sont là.

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Il ne vous pas échappé que des choses ont changé dans l'Éducation nationale avec le temps. Faire intervenir des intervenants extérieurs pour rendre les cours plus vivants, pour mieux éclairer les élèves, c'est quelque chose qui se produit régulièrement. Dans le cadre de l'Éducation nationale, il n'y a pas d'intervenant qui vienne dans une école sans que l'enseignant soit associé au projet et qu'il garantisse du lien de l'intervention avec un projet pédagogique. Cela ne se produit pas. Pouvez-vous nous dire de quelle école vous parlez afin que nous demandions éventuellement des comptes au chef d'établissement ? L'enseignant est maître de la manière dont il décide de faire son cours. Pour avoir été enseignante, je trouve que vos insinuations vont un peu loin. Ce n'est pas « OK Corral » à l'Éducation nationale !

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Olivier Becquet, artisan pêcheur

Je comprends tout à fait l'affection que vous avez pour l'enseignement. Moi-même, je donne des cours et je partage votre avis. Mais dans l'Éducation nationale, on ne fait pas de cours sur la pêche. La pêche, c'est aussi une activité et là, on distribue des petites éoliennes aux enfants. Il me sera aisé de vous communiquer le nom du collège car je connais le père de la jeune fille qui a rapporté les faits. Mais ce n'est pas un cas isolé.

Sur la façon de procéder des consortiums, on constate que plusieurs milliers d'euros sont distribués à l'école de voile du Tréport qui dispose d'un stand dédié aux éoliennes. C'est un peu fort de café ! Ces gens-là ont des moyens colossaux pour faire leur promotion qu'ils nous font peut-être payer avec la facture de la contribution au service public de l'électricité (CSPE).

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. Aujourd'hui, ce n'est plus financé par la CSPE mais par votre facture de carburant. Mais rassurez-vous, nous n'avons pas baissé la CSPE. L'État sait inventer de nouvelles taxes, comme la vignette, mais pas les enlever.

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Olivier Becquet, artisan pêcheur

Certains patrons pêcheurs pensaient que, grâce aux compensations, ils allaient avoir un bateau neuf. Nous avons échangé avec EDF, qui nous dit qu'il y aura – pour ceux qui pourront démontrer l'impact avéré en fonction de leur activité – une compensation de 7 500 neuros pour le navire pour la période des trois années du chantier. Pour l'équipage on ne sait pas. C'est n'importe quoi, ce n'est pas une compensation ! Les pêcheurs, eux, veulent faire leur métier.

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Philippe Gendreau

Le consortium EMYN, qui est actif sur le projet de Noirmoutier, a financé le Vendée Globe en 2016 pour une somme de 500 000 euros. La force des lobbies nous a conduits à être censurés par le journal Ouest-France. Avant une manifestation qui avait lieu en 2018 à Noirrmoutier et qui a réuni 500 personnes, nous avions souhaité faire paraître une annonce dans ce journal. C'était une lettre ouverte adressée au Président de la République et aux ministres du Gouvernement. Trois heures avant le bouclage, nous avons été censurés au motif que le texte de notre annonce était contraire aux intérêts du journal. EMYN-Engie est en effet un annonceur important pour Ouest-France, qui n'a pas souhaité faire paraître un texte allant à l'encontre de leurs intérêts.

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. Disposez-vous de la réponse écrite de Ouest-France ?

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Philippe Gendreau

Tout à fait, et mon avocat est intervenu. Nous avons donc, puisque nous avions réservé la page et que nous ne souhaitions pas la laisser blanche, convenu d'un texte édulcoré qui n'avait rien à voir avec le texte initial.

Aujourd'hui, ces projets sont essentiellement portés par des intérêts étrangers. Sur le projet de Noirmoutier – qui était au départ porté par Engie et EDPR, groupe portugais d'énergie – 30 % sont portés par Engie, 30 % par des intérêts chinois et 30 % par des intérêts japonais avec Sumitomo. Je n'ai rien contre les étrangers, j'ai 34 nationalités différentes dans mon entreprise, mais ce sont des intérêts étrangers qui organisent nos côtes. Est-ce bien prudent de laisser l'indépendance énergétique de la France entre les mains de groupes étrangers ? Que sera-t-il des engagements de démantèlement dans vingt ou vingt-cinq ans ? Croyez-vous vraiment que, dans vingt ou vingt-cinq ans, nous aurons la capacité d'imposer à des groupes chinois de démanteler correctement les projets ? Ne soyons pas naïfs.

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C'est important d'écouter les citoyens qui ont beaucoup de choses à dire sur les énergies renouvelables. Pourriez-vous nous communiquer les références afin que nous puissions vérifier les propos ? Il y a beaucoup d'émotion dans ces sujets, notamment lorsqu'une activité est menacée, et parfois on peut agir en réaction. Je comprends le sentiment que vous pouvez ressentir de mener la bataille de David contre Goliath.

Comment vous structurez-vous pour communiquer dans les territoires ? Organisez-vous des réseaux de communication inverses, sur les métiers de la pêche par exemple ? Avez-vous une méthodologie qui vous permet d'aller rencontrer les élus ? Quels sont vos process d'information ?

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Julien Trehorel, artisan pêcheur

Nous sommes un collectif et nous tentons de nous faire entendre. Nous avions rencontré le directeur de l'énergie de notre président, le 20 juin, quand il était venu au cap Fréhel. Nous n'avons pas les mêmes armes que les consortiums mais nous essayons de promotionner notre pêche en permanence et de montrer aux gens ce qu'ils n'ont pas pu lire entre les lignes. Chacun a son association, on a créé notre collectif, on monte jusqu'en Commission européenne, on va partout pour se faire entendre. On attend d'être entendus mais pour la communication, nous faisons le nécessaire.

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Savez-vous évaluer le coût de cette mobilisation pour vous ?

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Julien Trehorel, artisan pêcheur

Le coût, c'est la générosité des gens qui nous permet d'avancer et nous souhaitons rester discrets.

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Vous avez donc des gens qui cotisent pour vous permettre d'avoir une mobilisation. Quel est le budget dont dispose votre association ?

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Julien Trehorel, artisan pêcheur

Comme je vous l'ai dit, je garderai cette information secrète. Je ne divulguerai pas les chiffres de l'association.

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Je crois que vous êtes tenu de répondre dans le cadre de la commission d'enquête et nous allons vérifier avec l'administrateur.

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Julien Trehorel, artisan pêcheur

Je ne suis pas le trésorier, je ne suis que le président et c'est compliqué pour moi de répondre sur les chiffres de l'association que je n'ai pas avec moi.

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. Je propose que vous nous fassiez parvenir les chiffres. Nous ne les inclurons pas dans le rapport. Pour votre information, une entreprise éolienne que nous avons auditionnée cette semaine nous a donné son chiffre d'affaires, le montant de ses réserves et sa rentabilité.

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Julien Trehorel, artisan pêcheur

Nous vous transmettrons tous les documents.

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Ce n'est pas une question piège. C'est pour évaluer, de manière transparente, le rapport de forces dans lequel vous vous trouvez.

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Concernant l'impact sur la biodiversité, je vous conseille de reprendre le rapport qui avait été présenté devant le parc naturel marin des estuaires de la plaine picarde et la côte d'Opale concernant le projet du Tréport et qui avait motivé notre vote négatif sur l'acceptabilité. Nous avions étudié pendant plus d'un an, avec tous les techniciens et les scientifiques du parc, les conséquences de ce projet. C'est une mine d'informations qui vous démontrera que le projet n'est pas acceptable.

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Et malgré tous ces avis négatifs, le projet est allé à terme ?

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Il y a eu un tour de passe-passe des services de l'État : il y a une dizaine d'années, on nous a vendu le parc en évoquant le fait que nous aurions un droit de veto quant aux installations qui figureraient dans le périmètre du parc et qui seraient incompatibles avec le plan de gestion que nous avions eu tant de mal à mettre en place. Puis, au moment où l'ordre du jour appelait à nous prononcer sur le projet du parc des éoliennes en mer, l'Agence française de la biodiversité a repris le droit de veto. Donc au lieu d'émettre un avis conforme, nous avons émis un avis simple et l'AFB a émis un avis conforme favorable au parc. Vous imaginez bien la colère qui s'en est suivie ! Cela a conduit à la démission collective. Nous avons ensuite remis en place une gouvernance pour reprendre la main, mais nous avons perdu plusieurs acteurs.

On nous dit que la zone de pêche ne serait pas impactée et que dans trois ans on pourrait à nouveau pêcher. La vraie question c'est de savoir si cette partie du dossier a été négociée. Parce que les zones de pêche avec le Brexit, c'est problématique aujourd'hui, puisqu'une partie de la pêche s'effectue dans le périmètre des eaux anglaises. Cela va fortement impacter. Des négociations ont-elles été menées ? L'État nous dit que les zones resteront ouvertes à la pêche tandis que les professionnels nous disent qu'ils ne pourront pas aller pêcher. Si des zones sont destinées à être fermées, cela sous-entend que des choses soient actées juridiquement.

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Olivier Becquet, artisan pêcheur

Concernant notre communication, dès le démarrage du projet pour Dieppe-Le Tréport, on a créé une association qui s'appelle SOS à l'horizon, cela veut dire sans offshore à l'horizon. Cette association est composée des citoyens du Tréport et des environs, de pêcheurs, de commerçants qui cotisent à hauteur de 10 euros. On ne compte pas notre temps pour assister aux réunions du parc naturel marin et cela dès sa création. Je suis dans le comité régional des pêches de Normandie et je suis vice-président pour la question environnement. Nous sommes allés rencontrer le ministre et les députés plusieurs fois. Nous avions invité Mme Royal, puis M. Hulot à venir au Tréport mais nous ne les avons pas vus. Nous constatons qu'il existe un dialogue entre deux parties et que la troisième est absente. C'est une forme de dictature et nous ne sommes pas écoutés. La réalité n'est pas constatée. Je suis écœuré : cela fait quatorze ans qu'on se bat contre des gens qui ne veulent rien entendre. En préfecture, je fais partie du conseil maritime de façade pour la Manche du Nord. Malheureusement, personne ne vient nous voir pour discuter avec nous. Lors des Assises de la mer, au Havre, les pêcheurs n'ont pas pu s'exprimer et on n'a entendu parler que de l'éolien. Aux Assises de la mer, au Havre ! Pourtant, depuis la nuit des temps, on attrape du poisson pour le manger ! On sera toujours mieux à manger un kilo de poisson qu'un kilo de kilowatt ! Le poisson est un de nos trois besoins primaires : manger, boire et respirer. Si vous retirez un des trois, nous sommes morts ! Nous représentons un secteur économique qui permet aux gens de travailler. Les éoliennes ne peuvent pas être installées n'importe où. Il y a des navires qui ne pêchent plus la sole parce qu'il n'y en a plus. L'Europe décide des quotas de pêche et les promoteurs souhaitent développer leurs entreprises. Le port de Dieppe fait entrer des bateaux avec des éoliennes qui viennent d'Allemagne alors que nous, on essaie de défendre une filière française.

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Je suis en charge d'un rapport sur l'avenir de la pêche durable et responsable, avec mon collègue député de Boulogne, premier port de pêche français avec 36 000 tonnes de poisson. Dans ma circonscription, j'ai deux ports de pêche, La Cotinière dans l'île d'Oléron et Royan, et puis il y a aussi, dans mon département, La Rochelle. Ce serait intéressant de garder le contact avec l'un d'entre vous. Nous devons remettre ce rapport le 17 juillet prochain et l'on pourrait signaler les problèmes que vous avez évoqués et qui représentent une menace pour l'avenir de la pêche durable et responsable.

Êtes-vous allés voir d'autres parcs éoliens en mer dans d'autres pays et quelles conclusions en avez-vous tirées ?

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Olivier Becquet, artisan pêcheur

Nous avons organisé un voyage dans un parc éolien en activité bénéficiant de conditions similaires aux nôtres, avec une courantologie et des fonds marins comparables. En mars 2017, nous avons ainsi visité le parc de Thannet sur proposition de l'Institut maritime de prévention (IMP) et nous étions une dizaine de pêcheurs. Nous sommes revenus en pleurant : le port de pêche s'est vidé, il n'y a plus que du fileyeur, nous n'avons vu aucun bateau de pêche en activité. À Thannet, il y a seize marins pêcheurs qui travaillent sur cinq vedettes. Ces cinq bateaux consomment deux tonnes de gazole par jour et cela fait marcher leur petite coopérative, mais il n'y a plus de filière, plus de criée, plus de jeunes qui entrent dans ce métier. Il ne reste qu'un chalutier qui pêche à la côte des petits naissains de moules, qui sont revendus pour les bouchots. Les éoliennes qui ont été plantées dans un fond accidenté avec une granulométrie variée ont créé une dépression sur la zone de Thannet. Avec une telle turbidité, les espèces ne se reproduisent plus. Les fonds sont devenus plats.

Nous sommes également invités par EDF à visiter un parc qui se trouve à l'est de la Grande-Bretagne. Il y aurait de la pêche, mais ils ne feraient plus de chalut et seulement du casier-filet. Nous irons voir, mais nous, notre activité, c'est le chalut. On a des réunions avec l'AFB, où l'on nous répète qu'il faut arrêter le chalut. Mais les crevettes, par exemple, cela se pêche au chalut dans les estuaires.

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Philippe Gendreau

Le Conseil national de la protection de la nature (CNPN), qui dépend du ministère de l'écologie, a rendu sur le projet de Noirmoutier un avis tout à fait défavorable, qui témoigne des impacts négatifs du projet sur l'environnement et la biodiversité.

Quand on installe une éolienne, on ne voit de l'extérieur qu'un mât qui sort de l'eau. Pour chaque éolienne, c'est quatre forages pour installer des pieux, c'est 38 tonnes de béton par pieu et ce sont des embranchements pour laisser passer les câbles électriques qui vont raccorder la centrale à la terre. L'impact sur l'écosystème est considérable et c'est pourquoi le CNPN a émis un avis défavorable.

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Toute activité a un impact sur l'environnement. La question est de savoir si l'on est capable de gérer cet impact et de le contenir à un niveau acceptable. Pourriez-vous nous faire parvenir une liste de propositions formelles qui permettraient à l'éolien en mer d'être une pratique saine, compensée, et que vos revendications soient entendues ? Nous pourrions ensuite les faire expertiser.

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Olivier Becquet, artisan pêcheur

La prolifération de ces installations, c'est aussi la production de béton sur les fonds marins. Il s'agit d'impacts cumulés.

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Merci beaucoup pour cette audition. J'espère qu'elle aura permis de montrer à ceux qui nous regardent que le Parlement s'intéresse à tous les aspects des énergies renouvelables et donne la parole à tous.

La séance est levée midi vingt.

Membres présents ou excusés

Commission d'enquête sur l'impact économique, industriel et environnemental des énergies renouvelables, sur la transparence des financements et sur l'acceptabilité sociale des politiques de transition énergétique

Réunion du jeudi 20 juin 2019 à 10 h 30

Présents. - M. Julien Aubert, Mme Sophie Auconie, M. Emmanuel Maquet, Mme Marjolaine Meynier-Millefert, M. Didier Quentin, M. Vincent Thiébaut

Excusés. - M. Christophe Bouillon, Mme Véronique Louwagie