Intervention de Vincent Guichard

Réunion du jeudi 20 juin 2019 à 17h00
Commission d'enquête sur l'impact économique, industriel et environnemental des énergies renouvelables, sur la transparence des financements et sur l'acceptabilité sociale des politiques de transition énergétique

Vincent Guichard, du Grand Site de France Bibracte Mont-Beuvray :

Monsieur le président, je voudrais d'abord excuser l'absence du président de notre Réseau, M. Louis Villaret, un élu de l'Hérault.

Je suis particulièrement impliqué sur les sujets éoliens dans le Réseau des Grands Sites, qui a d'ailleurs publié sa position sur le sujet de l'éolien, en 2018. Mon intervention consistera donc à rappeler l'argumentaire de cette déclaration, laquelle insiste notamment sur le volet de l'acceptabilité sociale des énergies renouvelables (EnR).

Le Réseau des Grands Sites de France est une fédération nationale créée en 2000, qui regroupe quarante-cinq collectivités qui ont décidé de prendre en main le devenir des paysages remarquables, protégés par la loi sur les paysages – notamment par la loi de 1930 –, en s'engageant dans la politique des grands sites de France, pilotée par le ministère de la transition écologique et solidaire. La fédération, totalement apolitique, regroupe des élus de toutes les sensibilités.

Parmi les quarante-cinq sites, nous trouvons des lieux très emblématiques de notre territoire : Canigou, la Sainte-Victoire, le Cirque de Navacelles, le Puy Mary, cher à M. Descoeur, le Marais Poitevin, la Pointe du Raz, la Baie de Somme, etc. Tous ces sites représentent des composantes patrimoniales relevant, pour la majorité, du registre naturel, mais aussi, à des degrés variables, de l'action de l'homme – je pense au pont du Gard et au Bibracte que j'ai l'honneur de gérer, en Bourgogne.

L'objectif de nos quarante-cinq collectivités est de mettre en place un projet durable de territoire, qui s'appuie sur la préservation de la valeur patrimoniale de son paysage. Outre la préservation des paysages, les projets s'appuient sur deux autres piliers, que sont la qualité de l'expérience proposée aux visiteurs – lieux de tourisme de qualité – et le bien-être des habitants ; un concept particulièrement important, sur lequel je reviendrai.

La qualité de ces projets de territoire est consacrée par un label, porté par le ministère en charge de l'environnement, qui est renouvelé tous les six ans. Dix-huit membres du Réseau bénéficient de ce label à ce jour.

RGSF est aussi une communauté d'élus et de techniciens qui, en étroite relation avec les services du ministère, réfléchissent à des modalités nouvelles de gestion des territoires ruraux, avec une implication forte des habitants. Je rappellerai que l'attachement au cadre de vie est le facteur le plus important de bien-être des Français, comme le démontrent diverses enquêtes.

Par ailleurs, la politique des grands sites de France, qui est très peu normative, est une sorte de laboratoire. Il s'agit d'une demande du ministère visant à explorer de nouvelles voies de gestion des territoires, essentiellement ruraux ; nous ne limitons pas nos ambitions aux espèces protégées.

L'expérience acquise en vingt ans par les Grands Sites de France montre que, effectivement, le paysage est un levier efficace pour construire des projets durables du territoire. Et ce essentiellement pour deux raisons. D'abord, le paysage, qui est notre cadre de vie, ne laisse personne indifférent. Il est mobilisateur et créateur de lien social. Ensuite, penser l'avenir d'un paysage oblige à prendre en compte l'ensemble des activités humaines qui peuvent l'affecter. À ce titre, le paysage a la capacité de mettre en cohérence les politiques publiques à l'œuvre sur un territoire.

Nous sommes également convaincus que le levier du paysage peut être utilisé dans tout type de contexte. Dans les espaces dont la valeur patrimoniale est reconnue par une protection, comme la loi de 1930, mais aussi dans les espaces du quotidien – espaces urbains et espaces ruraux.

Aujourd'hui, les enjeux de la transition énergétique occupent une place croissante dans les préoccupations des gestionnaires des grands sites, aux côtés d'enjeux plus traditionnels comme le contrôle de l'activité touristique ou le maintien d'une agriculture respectueuse des paysages.

Les membres du Réseau sont tous engagés, à titre divers, dans des actions en faveur de la transition énergétique, telles que des expérimentations pour réduire la consommation d'énergie, notamment sur les transports ou la promotion des sources d'énergie adaptées aux ressources et aux besoins des territoires. J'ai, par exemple, installé des chaudières à bois dans mes équipements, qui sont alimentées par le bois des terrains que je gère. Et ce, tout en étant toujours respectueux du paysage. Nous tenons à votre disposition une brochure contenant quelques exemples représentatifs de nos actions.

Dans ce contexte, tous les sites du Réseau ont à traiter de projets d'installation de centrales de production d'énergie propre – éolien et photovoltaïque, essentiellement – qui sont susceptibles de porter atteinte à leur paysage. Force est de constater que le développement des sources d'énergie renouvelable, tel qu'il s'opère depuis une bonne décennie, de façon très volontariste, mais aussi descendante, place les élus et les techniciens des grands sites dans une situation paradoxale et extrêmement inconfortable.

Si notre communauté souscrit très largement, et sans doute unanimement, à l'urgence de la transition énergétique, nous sommes souvent amenés à nous défendre contre des projets imposés depuis l'extérieur, qui altéreraient la qualité des paysages. Notre position n'est pas satisfaisante.

Le Réseau a déjà dû intervenir en appui de certains de ses membres pour s'opposer à des projets éoliens, à l'évidence trop impactant sur le paysage – je pense notamment au Puy Mary, en 2014.

Nous sommes vigilants quant à ce que l'installation de nouveaux équipements énergétiques ne banalise pas les paysages ou à ce qu'un paysage, avec des éoliennes, ne se transforme pas en paysage éolien. Et ce afin de préserver ce qui fait qu'un lieu est unique, qu'il suscite l'attachement de ses habitants et l'attrait de ses visiteurs.

Nous avons vu à quel point la banalisation des paysages des zones périurbaines, au cours du dernier demi-siècle, a été source de mal-être pour leurs habitants. Nous estimons que par un déploiement non maîtrisé des énergies renouvelables, nous sommes en train de reproduire exactement le même schéma pour les espaces ruraux.

La banalisation des paysages est d'ailleurs en contradiction avec la volonté nationale, également exprimée par la loi, d'augmenter rapidement et fortement l'activité touristique, en passant de 80 à 100 millions le nombre annuel d'arrivées de touristes internationaux. Or à l'heure où les destinations traditionnelles sont saturées, cette ambition ne peut être atteinte que si nous déployons le tourisme sur de nouveaux territoires – qui doivent, de ce fait, préserver leur attractivité.

Nous constatons, partout, que l'arrivée sur un territoire de projets d'installation de grande ampleur qui n'ont pas été décidés localement, crée inévitablement des oppositions et des conflits, qui laissent des traces durables au sein des communautés. Par ailleurs, ces oppositions, et les contentieux qu'elles produisent, ralentissent et renchérissent la mise en œuvre des projets, au détriment de la transition énergétique. La situation n'est donc satisfaisante pour personne.

La multiplication des projets d'installations qui surgissent ex nihilo sur notre territoire s'explique, à l'évidence, par des règles du jeu très peu contraignantes pour les investisseurs. Si les garde-fous réglementaires contre l'implantation inopportune des installations n'ont jamais été très nombreux, ils ont été réduits très fortement ces dernières années, au motif d'une simplification administrative et d'une accélération de la transition énergétique.

La décennie 2000-2010 avait vu la mise en place de schémas éoliens régionaux (SER). Ces schémas n'étaient certes pas parfaits, puisqu'ils ont été annulés les uns après les autres par le juge administratif, mais nous avons pu constater que les industriels porteurs de projets d'énergie renouvelable se conformaient globalement aux zonages que proposaient les schémas régionaux. Ce qui démontre la pertinence d'outils programmatiques.

Par ailleurs, l'arrivée sur le marché de très grandes éoliennes change l'échelle géographique à laquelle doivent être instruits les dossiers. Des éoliennes de 200 mètres, situées à 15 kilomètres, auront bien plus d'impacts dans le paysage du lieu où je me tiens qu'une simple construction de maisons à quelques centaines de mètres.

En ce qui concerne les espaces patrimoniaux protégés, la loi a récemment mis en place une zone tampon pour les sites classés patrimoine mondial, et les directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et de logement (DREAL) commencent à réfléchir à la notion d'aire d'influence paysagère ; il convient donc de changer d'échelle. De la même façon, les enquêtes d'utilité publique devraient voir l'échelle géographique des enquêtes largement étendue pour ces très grands équipements.

Les élus des territoires ont très peu de prises sur les décisions, y compris dans les espaces de qualité paysagère reconnus comme tels, comme les parcs naturels régionaux (PNR), par exemple. Les schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (SRADDET), qui intègrent les enjeux énergétiques sont opposables aux schémas de cohérence territoriale (SCoT) et aux plans locaux d'urbanisme (PLU). Alors que ces schémas, définis à grosses mailles, ne prennent pas en compte les particularités de chaque bassin de vie, et sont définis à trop grande échelle pour s'appuyer sur une concertation approfondie au niveau local.

Dans ce contexte, les nouveaux outils que sont les plans climat-air-énergie territoriaux (PCAET), obligatoires pour la plupart de intercommunalités, laissent très peu de latitude aux élus locaux, pour définir, avec leurs concitoyens, un avenir énergétique désirable pour leur territoire.

Le Réseau souhaite, dans un tel contexte, souligner deux points. D'abord, la nécessité de définir les projets énergétiques de territoire à l'échelle des espaces patrimoniaux cohérents, et plus largement des bassins de vie, en concertation étroite avec les acteurs locaux. Ensuite, l'intérêt du paysage doit être l'outil d'intégration des politiques publiques à l'échelle locale.

Il nous paraît également nécessaire que la population locale bénéficie directement de la production d'énergie sur son territoire, le plus concrètement possible – à travers des circuits courts. Ce n'est qu'à cette condition que les projets énergétiques peuvent faire sens localement : non pas en étant surdimensionnés, mais adaptés aux consommations locales.

À cette fin, les SCoT pourraient être le bon outil, dès lors que nous n'aurions pas à leur opposer des schémas définis à une échelle supérieure qui ne soit pas satisfaisants. Il ne s'agirait pas de définir les énergies admissibles et les lieux possibles d'installation des équipements à l'échelle de vastes territoires, mais plus simplement de laisser l'intelligence collective faire son œuvre, à l'échelle géographique la plus pertinente et dans des objectifs de sobriété énergétique.

Enfin, je me permets de tirer parti de mon expérience professionnelle de représentant de commerce du patrimoine à l'échelle européenne, pour pointer l'intérêt qu'il y aurait à mener une étude comparative approfondie avec d'autres territoires européens, des solutions très différentes ayant été mises en œuvre : des exemples de sursaturation de territoires en équipements éoliens dans différentes régions allemandes ; l'exemple de la Bavière, où le photovoltaïque a été choisi ; ou encore, le choix de sanctuariser l'éolien dans une région particulière, comme l'Autriche.

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