Intervention de Julien Lacaze

Réunion du jeudi 20 juin 2019 à 17h00
Commission d'enquête sur l'impact économique, industriel et environnemental des énergies renouvelables, sur la transparence des financements et sur l'acceptabilité sociale des politiques de transition énergétique

Julien Lacaze, vice-président de l'association Sites & Monuments :

Monsieur le président, je voudrais tout d'abord vous transmettre les excuses de M. Alexandre Gady, le président de l'association, qui n'a pu se libérer.

Sites & Monuments est la plus ancienne association de protection du patrimoine, qui, de façon plus administrative, se nomme la Société pour la protection des paysages et de l'esthétique de la France (SPPEF). Elle a été fondée en 1901, dans le but de protéger les paysages, et a permis le vote, en 1906, de la première loi de protection des sites naturels. Elle est reconnue d'utilité publique depuis 1938 et est agréée au titre de la protection de l'environnement depuis 1978.

Elle dispose d'un réseau départemental et régional de délégués, qui remontent les informations, notamment en ce qui concerne les projets de parc éoliens. Aujourd'hui, elle protège tout type de patrimoine, naturel et bâti, mais également immobilier, notamment par des actions en justice, si cela est nécessaire.

Le sujet éolien s'est progressivement imposé à nous. La consultation de notre revue Sites & Monuments, qui a été numérisée, est intéressante. Le terme éolien y apparaît dans un numéro d'avril 1997, au sujet d'un projet dans la Manche. Nous indiquions, à cette époque, que « cette recherche d'énergie renouvelable satisfait notre besoin de préserver la nature ». Cependant, dans le même numéro, nous nous interrogions sur les conséquences esthétiques de l'érection de quarante éoliennes, de 40 mètres de haut, au-dessus des crêtes des Corbières. Une position nuancée, à l'origine.

En feuilletant nos publications, de 1997 à 2000, nous avons noté que les éoliennes auxquelles nous nous intéressions, pressentant qu'elles deviendront un jour un problème, mesuraient toutes 40 mètres de haut. En 2001, le premier article de fond publié dans notre revue s'intitulait « L'éolien est-il un eldorado ou n'est-il que du vent ? ». Tout est dit, dans cet article. Nous parlons des aspects positifs, des inconvénients environnementaux, énergétiques – la fameuse intermittence –, mais aussi du coût de cette énergie. La seule chose qui a changé est leur hauteur ; à cette époque elles culminaient à 70 mètres. Or, aujourd'hui, les plus imposantes mesurent près de 250 mètres et sont visibles à plus de 30 kilomètres à la ronde.

Nous devons, parce que cela est précisé dans notre objet social, porter un jugement esthétique sur ces machines. Indépendamment de leur design, qui peut être jugé comme beau, nous ne pouvons pas nier qu'elles écrasent les paysages et le patrimoine bâti, par le rapport d'échelle qu'elles instaurent. Je rappellerai qu'une maison mesure 10 mètres de haut, un moulin, 20 mètres et le clocher d'une église, ou un très bel arbre, 30 mètres ; la Tour de Montparnasse mesure 210 mètres. Or nous parlons-là d'éoliennes de 250 mètres de haut. Une hauteur monstrueuse. De fait, cet écrasement n'est pas subjectif.

Les éoliennes banalisent les campagnes. Elles créent une zone d'entre-deux, une sorte de repoussoir semi-industrialisé. Ces éoliennes font le vide, personne ne souhaite vivre dans ces zones. Elles banalisent également les paysages, puisqu'elles sont toutes identiques. Elles ont la particularité de capter, de monopoliser l'attention. Peut-être ce réflexe est-il lié à notre instinct d'ancien chasseur, mais quand elles tournent, et qui plus est clignotent, notre regard est attiré ; et comme elles produisent du bruit, notre attention est totalement focalisée.

Nous nous sommes interrogés sur le caractère réversible de l'éolienne, qui est un avantage – nous pouvons les démonter. Le problème est le coût de cet enlèvement : quelque 350 000 euros. Et quand elles sont enlevées, c'est dans le cadre d'un repowering, pour en implanter de nouvelles, moins nombreuses mais beaucoup plus hautes.

Dans l'Aude, par exemple, il est prévu que la centrale du Haut-Cabardès accueille neuf éoliennes de 210 mètres de haut, contre dix-neuf actuellement, hautes de 110 mètres. Mais les éoliennes de cette taille provoquent des turbulences, elles devront donc être plus espacées que les précédentes, de sorte, qu'elles occuperont le même espace.

Sur les cinquante-cinq contentieux que notre association gère actuellement, trente-huit concernent des projets éoliens. Nous ne disposons plus que de très peu de temps pour nous intéresser à d'autres sujets. Une situation que nous subissons.

D'autant que certains dossiers ne devraient pas parvenir jusqu'à nous. Mais il semble que de plus en plus d'éoliennes sont implantées ou doivent être implantées près de monuments historiques, parfois emblématiques, ou dans des régions reconnues pour la beauté de leurs paysages.

Un projet de quatre éoliennes est en cours à 1,7 kilomètre du château de la Bourbansais – et du parc zoologique –, proche de Saint-Malo, qui accueille chaque année 130 000 visiteurs. Un autre projet de six éoliennes de 200 mètres de haut, est lui aussi en cours, à 6 kilomètres du château d'Ancy-le-Franc, l'un des joyaux de l'architecture française, qui accueille 37 000 visiteurs par an.

Il nous semble complètement déraisonnable d'implanter quarante éoliennes de 180 mètres de haut dans l'estuaire de la Gironde, d'en implanter dans la forêt de Lanouée, deuxième massif forestier de Bretagne ou de coincer des éoliennes entre l'île d'Yeu et l'île de Noirmoutier ou dans la baie de Saint-Brieuc.

Par ailleurs, l'implantation des éoliennes tire vers le bas l'ensemble des problématiques patrimoniales. Face à ces structures de 200 mètres de haut, il est pour nous de plus en plus difficile de défendre d'autres patrimoines. Par exemple, expliquer aux gens qu'il ne faut pas jeter à la poubelle une porte, ou des volets, du XVIIIe devient totalement inaudible.

Pire encore, il nous est expliqué que, pour échapper aux éoliennes, il conviendrait de lâcher du lest sur l'isolation du bâti patrimonial : accepter des isolations par l'extérieur de bâtiments anciens, des destructions de menuiseries, la placoplâtrisation des intérieurs. Il s'agit, pour nous, d'une double-peine, puisque nous perdrions, non seulement les paysages, mais également le bâti. Nous aurions le choix, pour renforcer l'efficacité thermique du bâti ancien, entre les éoliennes ou le PVC. Or nous ne souhaitons pas avoir affaire à ce type d'alternative.

Nous sommes tenus, statutairement, de défendre les paysages, mais nous sommes favorables à des modes de production d'énergie, à la fois concentrées et efficaces. Or, l'éolien est un mode de production inefficace et diffus – et parfois décoratif.

Comment expliquer le succès de ce qui est absurde ? Nous pensons que le caractère particulièrement visible des éoliennes explique paradoxalement ce succès ; de par sa visibilité, elle est devenue l'ambassadrice des EnR ; celui qui se dit écologiste implante des éoliennes. Il est en effet plus difficile de plaider la cause des EnR avec la géothermie, qui est un trou dans le sol.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.