Intervention de Benoît Leguet

Réunion du mardi 9 juillet 2019 à 17h10
Commission d'enquête sur l'impact économique, industriel et environnemental des énergies renouvelables, sur la transparence des financements et sur l'acceptabilité sociale des politiques de transition énergétique

Benoît Leguet, directeur général de l'institut de l'économie pour le climat (I4CE) :

. Monsieur le président, merci pour votre invitation à venir nous exprimer devant votre commission d'enquête. Je n'aborderai pas tous les thèmes figurant dans le périmètre de la commission d'enquête, faute de préparation suffisante, mais nous serons heureux de répondre à toutes vos questions, dans la mesure de nos connaissances. Non seulement nous avons juré de dire toute la vérité, mais nous n'avons rien à cacher.

Le périmètre de la commission d'enquête inclut l'impact économique, industriel et environnemental des énergies renouvelables, la transparence des financements et l'acceptabilité sociale des politiques de transition énergétique. J'indiquerai toutefois en préambule que nous nous intéressons à la transition énergétique dans son ensemble. Nous regardons les énergies renouvelables et plus largement l'ensemble de l'économie. Par conséquent, s'il n'est pas certain que nous puissions répondre précisément à des questions sur les énergies renouvelables, en revanche nous avons étudié la transition énergétique dans son ensemble. Pour être plus précis, nous regardons la transition vers une économie bas carbone et résiliente au changement climatique.

Vous l'avez rappelé, Monsieur le président, nous sommes une association loi de 1901 d'intérêt général. Notre nom dit à peu près tout : nous sommes un think tank consacré à l'économie du changement climatique. Économie et finance sont dans notre prisme d'observation. Notre ambition est de contribuer à mettre l'économie et la finance au service du climat. Notre logo indique que nous relevons d'une initiative de la Caisse des dépôts et de l'Agence française de développement. Nous avons été rejoints depuis 2015 par l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME), la Banque de France, l'institut Louis Bachelier et la Caisse de dépôt et de gestion du Maroc. Ces institutions nous demandent d'examiner comment mettre l'économie et la finance au service du climat.

Pour nous intéresser au changement climatique et « faire avancer le schmilblick », nous informons le débat sur les politiques publiques liées au climat. C'est l'objet de notre présence ici, aujourd'hui. Par ailleurs, nous cherchons à accompagner les praticiens – régulateurs, superviseurs, institutions financières, entreprises – dans l'intégration concrète des enjeux climatiques. Notre prisme d'observation est plus particulièrement l'économie et la finance. Ce ne sont pas nos seuls pôles d'intérêt mais cela nous caractérise au sein de l'écosystème des think tanks français.

Le maître mot de mon propos est la transparence. Nous sommes très attachés à la transparence de notre action pour de multiples raisons. Nous fournissons des chiffres et des informations pour aider les décideurs à prendre des décisions. Nous partons du principe que des décideurs correctement informés prennent des décisions correctes. Nous cherchons à mettre en évidence les efforts publics « pro-climat », afin de montrer qu'on ne part pas de rien.

Cela permet d'évaluer l'efficacité de ces efforts publics. Pour nous, l'efficacité n'est pas un gros mot. On est en droit de se poser la question de l'efficacité à court, moyen et long terme de l'utilisation de l'argent public. Nous évaluons ainsi les besoins non satisfaits pour trouver des solutions, quand il y en a. Poser sur la table les chiffres d'investissement aujourd'hui et ce qu'il faudrait pour atteindre les objectifs de la France met en lumière ces besoins non satisfaits et souligne les dépenses publiques défavorables au climat.

Scoop : il existe des dépenses publiques défavorables au climat ! L'enjeu pour atteindre les objectifs de l'accord de Paris et même plus concrètement les objectifs que la France s'est fixés, c'est, pour le dire rapidement, de faire plus de vert, plus de bas carbone et moins de marron, c'est-à-dire moins d'intensif en carbone. Il faudra faire les deux en même temps. Si on fait plus de vert et autant de marron, on n'avancera pas beaucoup ; si on ne fait pas plus de vert et plus de marron, on reculera. Certes, il y a aussi des dépenses privées défavorables au climat, mais nous souhaitons mettre en lumière les dépenses publiques.

Il convient aussi de favoriser l'acceptabilité sociale. Vous l'avez évoqué dans votre propos liminaire, Monsieur le président. L'épisode des gilets jaunes a montré le besoin de transparence, notamment sur l'usage des revenus de la taxe carbone. Il ne suffit pas de mettre en place une taxe carbone, encore faut-il montrer à quoi elle sert.

Je ferai trois focus sur des travaux qui peuvent vous intéresser, puis nous nous prêterons au jeu des questions et réponses. Le premier travail est un panorama des investissements climat, au sens bas carbone, en France. Conduit chaque année par Hadrien Hainaut, il contribue à répondre à l'article 174 de la loi de transition énergétique pour la croissance verte. Le deuxième projet en cours de finalisation, relatif à l'utilisation des recettes liées au carbone, a été conduit par Sébastien Postic. Nous avons regardé comment les autres pays s'étaient emparés du sujet. Nous lançons un troisième projet d'observatoire « climat » des budgets publics, pour lequel Sébastien Postic est aussi à la manœuvre, visant à déterminer la couleur du budget voté chaque année par l'Assemblée. Est-elle plutôt verte ou plutôt marron ? Y a-t-il des morceaux plutôt verts ou plutôt marron ? Apporter des éléments quantitatifs et chiffrés permet d'éclairer les décisions des parlementaires.

Concernant le panorama des investissements climat en France, Hadrien Hainaut produit chaque année un diagramme visant à évaluer le montant des investissements publics et privés réalisés en faveur du climat en France ? D'un côté, il montre les différents secteurs, dont l'énergie bas carbone, le renouvelable et le nucléaire, l'efficacité énergétique, le transport, le bâtiment, l'agriculture. De l'autre côté, il détaille les sources de financement, public, privé et d'où vient l'argent, ainsi que les porteurs de projets, les intermédiaires et les différents outils financiers pour tous les projets bas carbone.

Pour vous éviter la lecture fastidieuse de ce diagramme, j'apporterai quelques éclairages. Les investissements publics et privés en faveur du climat ont représenté 41 milliards d'euros en 2017. En France, les ménages, la sphère publique, au sens large, et les entreprises ont donc investi, en formation brute de capital fixe, 41 milliards d'euros en faveur de l'énergie bas carbone. Pour suivre la stratégie nationale bas carbone, première version, il aurait fallu investir 10 à 30 milliards d'euros de plus dans le vert, c'est-à-dire peut-être investir 10 à 30 milliards d'euros en moins dans le marron. Les financements réalisés par le secteur public représentent environ 20 milliards d'euros. J'y reviendrai.

Ces 10 à 30 milliards d'euros manquants sont répartis différemment selon les secteurs. L'essentiel se trouve dans la rénovation des bâtiments. C'est dans le logement et un peu dans le tertiaire qu'on trouve l'essentiel de ce qu'il faudrait faire de plus. On décèle également un important déficit d'investissement dans les véhicules bas carbone et, dans une moindre mesure, dans les réseaux de chaleur, sur lesquels il ne faudrait pas faire grand-chose mais pour lesquels il n'y a vraiment pas grand-chose.

Dans ces 41 milliards d'euros dédiés au climat, l'intervention du secteur public est répartie entre deux grands segments : l'investissement des porteurs de projets publics – gestionnaires d'infrastructures, bailleurs sociaux, État et collectivités – et les cofinancements publics des ménages et des entreprises. On retrouve de la dette concessionnelle, des subventions et la redirection des ressources privées, essentiellement les certificats d'économies d'énergie (CEE).

Combien fait-on en faveur du bas carbone chaque année ? Facétieux, nous nous sommes interrogés aussi sur les investissements défavorables au climat. Nous avons cherché les investissements orthogonaux à l'accord de Paris et nous avons trouvé, en France, pour 2017, 70 milliards d'euros d'investissement par les ménages, les entreprises et les pouvoirs publics, essentiellement des véhicules émetteurs, de classe B, ou plus en termes d'émission de gaz à effet de serre, des chaudières au fioul. Le chiffre avait bien baissé depuis 2011 mais il est de nouveau en augmentation depuis 2014.

Pour mettre tout cela en perspective, nous avons figuré, sur une autre slide, les 41 milliards d'euros de formation brute de capital fixe d'investissements verts, les 70 milliards d'euros d'investissements défavorables au climat et le montant total des investissements en France. On trouve donc 300 milliards d'euros de formation brute de capital fixe dont on ne sait pas trop la couleur. Ils ne sont peut-être pas complètement orthogonaux à l'accord de Paris, mais ils ne sont peut-être pas complètement verts et ils comprennent peut-être des opportunités manquées, c'est-à-dire de la rénovation énergétique ou de la rénovation de bâtiment sans rénovation énergétique embarquée. Nous appelons cela « la fabrique à gilets jaunes » car avec ces investissements, on est peut-être en train de fabriquer les gilets jaunes de demain.

J'évoquerai plus rapidement le deuxième projet, relatif à l'utilisation des revenus du carbone. Voyant la tournure que prenaient les débats en France, nous avons regardé comment les autres pays avaient essayé de résoudre le problème et utilisé les revenus tirés des différents dispositifs qui mettent un prix au carbone. Nous avons constaté que ce n'était pas toujours pour financer la transition énergétique. Une fiscalité environnementale n'est pas nécessairement destinée à financer la protection de l'environnement.

En regardant ce qui se faisait dans deux douzaines de pays, nous avons trouvé quatre grandes familles d'utilisation des recettes. Le plus connu, la plus « tarte à la crème », c'est la réforme fiscale réalisée par la Suède, qui a augmenté la fiscalité sur le carbone et réduit la fiscalité sur les entreprises et sur les ménages. Une autre utilisation est le fléchage vert, dans lequel l'argent du carbone repart au carbone, ce que fait typiquement le Québec, qui a créé un fonds vert destiné à financer les infrastructures réduisant durablement les émissions de gaz à effet de serre. La troisième utilisation est le budget général. En Irlande, un accord politique a été trouvé prévoyant la mise en place d'une taxe carbone dédiée au désendettement du pays. La quatrième utilisation, ce sont les paiements directs, plutôt forfaitaires, comme ceux mis en place par le Suisse. D'un côté, on taxe et, de l'autre côté, on baisse les primes d'assurance santé obligatoire en Suisse, ce qui s'apparente à un transfert direct.

Il n'y a pas de bonne recette générale. Tout dépend du contexte national. La clé est la transparence, basée sur les retours. Nous avons regardé ce qui se passait dans vingt-cinq pays qui ont mis en place des prix du carbone. Ils l'ont fait à des niveaux différenciés, mais nous en retenons qu'il faut débattre en amont pour s'accorder sur la destination des revenus de la fiscalité du carbone, rendre des comptes, rendre visibles les contreparties et rendre concret pour le citoyen l'usage de cet argent. Nous répondrons volontiers à vos questions éventuelles sur ce point.

J'en viens au troisième projet. Nous mettons en place un observatoire climat du budget de la France, en espérant informer la décision des parlementaires. Nous avons d'abord examiné les prélèvements et nous avons trouvé vingt-quatre impôts ayant un impact sur le climat, ce qui ne veut pas dire vingt-quatre impôts pour le climat. Ils représentent 56 milliards d'euros de recettes. Nous en avons trouvé dans la taxation des énergies fossiles, dans l'électricité et dans les véhicules. Les effets de cette taxation sont généralement favorables au climat. La taxation de l'électricité est-elle bonne ou non pour le climat ? Je vous laisse disserter sur cette question. En tout cas, la taxation des énergies fossiles et sur les véhicules va dans le bon sens, notamment dans la mesure où elle vise à défavoriser les véhicules les plus lourds et les plus consommateurs d'énergie.

Nous constatons que les carburants sont beaucoup plus taxés que les véhicules. Je mets cet élément en regard de chiffres que l'ADEME pourrait vous fournir. Les dépenses de carburant représentent environ un tiers du coût total d'un véhicule. Il convient donc de réfléchir à une fiscalité intelligente qui ne soit pas une fabrique à gilets jaunes deuxième version, qui ne fasse pas des « prisonniers énergétiques », victimes de la fiscalité des carburants, après que leur décision d'investir dans une voiture a été prise.

Nous avons un travail à suivre sur les dépenses fiscales et les dépenses budgétaires. Nous vous rappelons des chiffres que vous connaissez. Les dépenses fiscales sur la fiscalité carbone représentent aujourd'hui environ 10 milliards d'euros. Il y a peut-être aussi quelque chose à faire dans ce domaine. Pour vous donner du cœur à l'ouvrage, nous aimons bien rappeler que s'agissant des dépenses fiscales, on peut certes accuser Bruxelles – c'est un peu le fait de Bruxelles même si Bruxelles c'est aussi un peu ses États membres –, mais on peut aussi agir au niveau national dès aujourd'hui, c'est-à-dire dès le projet de loi de finances.

Nous avons fait figurer quelques éléments pour alimenter votre réflexion. Si vous voulez nous suivre, nous vous invitons non seulement à nous auditionner de temps en temps, mais aussi à lire notre lettre d'information publiée sur notre fil Tweeter. Nous organisons des événements et éditons des publications de quatre à trois cents pages. En fonction du temps que vous pouvez nous accorder, nous serons toujours prêts à vous répondre.

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