Intervention de Antoine Chapon

Réunion du mardi 16 juillet 2019 à 18h45
Commission d'enquête sur l'impact économique, industriel et environnemental des énergies renouvelables, sur la transparence des financements et sur l'acceptabilité sociale des politiques de transition énergétique

Antoine Chapon :

Merci pour cette invitation à intervenir de la part de l'Office franco-allemand pour la transition énergétique, dont vous avez fait la présentation. Je me permets juste un mot sur notre fonctionnement. Nous avons effectivement été créés en 2006 par les gouvernements français et allemand et nous sommes en lien étroit avec les administrations, qui représentent 50 % de notre budget annuel et nous sommes directement hébergés auprès des ministères en charge de l'énergie. L'autre moitié de notre budget, et c'est peut-être une particularité de cette structure, provient des adhésions annuelles de près de deux cent quarante entreprises, organisations, instituts de recherche qui représentent toute la chaîne de valeur de l'énergie. À travers cette adhésion, ils ont accès à nos ressources documentaires – nous en produisons soixante par an – ainsi qu'à nos conférences – une vingtaine par an. Il est peut-être important de préciser qu'aucun de ces adhérents ne pèse plus de 1 % dans notre budget total. Et surtout, qu'en aucun cas notre mission ne consiste à se faire l'écho des intérêts de ces adhérents auprès des administrations, mais de favoriser un échange et publier une information pédagogique sur tous les aspects des politiques de la transition énergétique dans les deux pays et de profiter de leur expérience. Nous n'émettons dans nos publications ni proposition, ni recommandation auprès des gouvernements.

Ayant précisé cela, j'en viens au panorama de l'Allemagne. Pour commencer, je souhaiterais présenter la pénétration des énergies renouvelables (EnR) dans les différents secteurs de l'énergie : leur part c'est connu, est assez élevée dans le secteur de l'électricité, mais moins importante dans la chaleur et les transports. En clair, si cette part des EnR dans l'électricité est plus élevée en Allemagne, en revanche, dans la chaleur et les transports, c'est en France qu'elle est plus élevée. Au final, nous arrivons à une part assez similaire des EnR dans la consommation brute : 16,7 %, en 2018, pour l'Allemagne et 16,3 %, en 2017, pour la France.

Je me propose de concentrer le reste de mon exposé sur l'électricité. Une indication toutefois : on voit que la part des EnR n'a pas augmenté en Allemagne dans le secteur des transports. C'est aussi l'un des aspects du bilan des émissions de dioxyde de carbone (CO2) de l'Allemagne.

Pour l'électricité, on voit l'évolution du mix électrique : fin 2018, les énergies renouvelables représentaient 35 % de la production électrique du pays. C'est une année charnière car, pour la première fois, ces énergies ont égalé la part issue du charbon – 35 % aussi – dont la tendance est à la baisse : le charbon a très longtemps constitué la base du système électrique et même du système énergétique allemand : en 1990, près de 60 % étaient issus du charbon. Nous sommes donc dans une phase de baisse avec, d'une part, le marché du carbone européen qui a un impact, bien sûr, sur le développement des EnR ; d'autre part, désormais une partie régulée, avec un plan de sortie du charbon au plus tard en 2038 élaboré par une commission multipartite et qui doit maintenant entrer dans la loi.

En 2018, le nucléaire représente 12 %. Là aussi, on observe une baisse continue : le pic a été atteint en 1985, avec 40 %, mais on était déjà tombé à 28 % en 1990. Il s'agit donc d'un programme nucléaire assez court, qui a commencé – en étant déjà assez contesté – mi-1970, qui a fait ensuite l'objet de plusieurs lois de sortie, puis à nouveau de prolongations.

Les EnR, sur lesquelles le gouvernement allemand base l'essentiel de sa stratégie de décarbonation du mix électrique, sont appelées à représenter 65 % du mix électrique en 2030, et au moins 80 % en 2050. C'est une composante essentielle de la stratégie de réduction des émissions de CO2 de l'Allemagne. La baisse des émissions de CO2 spécifiques au secteur de l'électricité est de 25 % environ depuis 1990, malgré une hausse de la production d'électricité de 20 % dans le même temps. Cela signifie que le facteur de CO2 par kilowattheure (kWh) a baissé encore plus nettement. En revanche, le niveau des émissions a stagné dans d'autres secteurs comme l'industrie et les transports, ce qui explique peut-être certains regards.

En se concentrant sur les filières d'énergies renouvelables électriques spécifiques, on observe deux choses. Le gouvernement allemand mise sur deux technologies pour sa stratégie dans l'électricité. Première technologie, l'éolien : l'éolien terrestre était à près de 92 térawattheures (TWh) de production en 2018, soit 14 % du mix électrique, et l'éolien en mer commence à produire de plus en plus – 20 TWh de production environ en 2018 – et est appelé à augmenter. Seconde technologie, le photovoltaïque, qui représentait 7 % de la production, soit 45 TWh. Cette part est à peu près égale à celle de la biomasse, mais celle-ci n'est pas appelée à augmenter réellement dans le futur contrairement au photovoltaïque. Le gouvernement allemand a misé sur les technologies pour lesquelles on a observé les baisses de coûts les plus importantes. Autre observation : par rapport à la France, l'hydraulique apporte une très faible contribution en Allemagne : 3 % seulement.

Le cadre réglementaire de soutien aux énergies renouvelables figure dans la loi pour les énergies renouvelables, dite loi EEG ou EEG-Umlage (Erneuerbare Energien Gesetz-Umlage). Elle a été l'outil principal de soutien aux EnR. Pendant très longtemps, l'instrument a été le tarif d'achat fixe à guichet ouvert, tel qu'on le connaît aussi en France. Puis il y a eu des expérimentations à partir du moment où ces EnR ont représenté environ 50 gigawatts (GW), pour rapprocher ces énergies renouvelables d'une logique de marché. Ces expérimentations ont mené à l'adoption d'un mix d'instruments de compléments de rémunération et d'appels d'offres. C'est l'instrument actuel.

Le soutien aux EnR passe par le prélèvement EEG, pris directement sur le prix de l'électricité du consommateur final. L'élaboration de ce prélèvement, réalisé par les quatre gestionnaires de réseaux de transport d'électricité, est très transparente : tous les calculs sont en ligne. On observe une phase d'évolution assez importante de ce prélèvement : en 2010, il était à 0,5 centime par kW/h ; et en 2014, il a quasiment triplé. Plusieurs facteurs l'expliquent : un certain nombre de volumes photovoltaïques et de biomasse, notamment, à des tarifs d'achat assez élevés ; mais aussi des facteurs externes, notamment – ce qui a beaucoup pesé – la chute des prix de l'électricité à la Bourse ; enfin, l'allégement de ce prélèvement dont bénéficient certains industriels très énergivores, qui pèse sur la facture finale pour le consommateur. Depuis 2017, on observe plutôt une stabilisation, et même, en 2019, pour la première fois, une baisse de ce taux, à 6,41 centimes par kWh. Le coût total du soutien a ainsi été, cette année-là, de 22,6 milliards d'euros : rapporté à la consommation moyenne d'un client résidentiel, cela correspond à 90 euros par an sur la facture d'électricité.

On observe enfin, la baisse du coût de ces technologies. La forte augmentation des volumes n'a parfois pas suffi à compenser la baisse de ce coût individuel. Mais en comparant les tarifs entre l'existant et le parc des nouvelles installations en 2019, on voit par exemple que les tarifs moyens de l'éolien terrestre chutent de 88 euros pour l'ensemble du parc éolien soutenu à 55 euros pour les nouvelles installations.

Les retombées économiques sont très importantes pour comprendre la transition énergétique allemande. Les filières EnR comptent aujourd'hui 338 000 emplois, répartis entre les régions. Autre facteur important, une grande partie de ces emplois sont non délocalisables et de longue durée, c'est-à-dire dans l'opération et la maintenance ou dans la fourniture de carburant EnR. Une autre partie est liée aux installations elles-mêmes, et une dernière se consacre à l'export. Près des deux tiers de ces emplois sont des postes d'ouvriers spécialisés. Si l'on sait que l'industrie automobile, importante en Allemagne, représente 800 000 emplois, on voit que les EnR sont aussi très importants pour l'économie allemande. La rénovation thermique, c'est encore 500 000 emplois de plus.

Un mot, enfin, de l'acceptabilité : elle est très élevée. Selon un sondage, 93 % des Allemands sont favorables ou très favorables à cette politique de transition énergétique. Cela tient pour une large part au concept d'énergie citoyenne : en 2016, 42 % de la puissance installée renouvelable était entre les mains, soit de personnes privées, notamment sous la forme de coopératives citoyennes, soit d'agriculteurs ayant des installations pour le gaz. L'autoconsommation est très fréquente avec le photovoltaïque. Cette énergie citoyenne, qui décline mais reste néanmoins très forte, est importante pour comprendre la transition énergétique allemande : elle trouve aussi son origine dans ces communautés citoyennes qui se sont constituées dès les années 1990 dans les villes et les villages pour développer ce genre de projets. Le marché de l'électricité allemand est structuré de façon très différente du marché français, et il faut peut-être y voir une raison du développement des EnR.

Pour conclure, quelques ouvertures vers des perspectives et des défis. Tout d'abord, l'enjeu de la répartition géographique de cette ressource renouvelable et celui, qui lui est lié, du développement des réseaux de transport d'électricité, qui a aujourd'hui du retard. Cela pèse lourdement dans l'équilibre de cette transition énergétique. Mentionnons aussi le maintien d'une sécurité d'approvisionnement à un haut niveau, avec un marché de l'électricité et des règles qui s'adaptent pour faire place à cette part plus importante d'électricité renouvelable, et un investissement assez fort dans les réseaux intelligents. Enfin, se pose la question de l'acceptabilité et de son maintien, avec un développement de l'éolien terrestre plus difficile aujourd'hui qu'il ne l'a été par le passé et l'idée d'une orientation plus marquée demain vers le photovoltaïque et l'éolien en mer, dont on avait peut-être sous-estimé la potentielle baisse des coûts.

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