Intervention de André Merlin

Réunion du mercredi 17 juillet 2019 à 14h10
Commission d'enquête sur l'impact économique, industriel et environnemental des énergies renouvelables, sur la transparence des financements et sur l'acceptabilité sociale des politiques de transition énergétique

André Merlin, fondateur et ancien président de Réseau de transport d'électricité (RTE) :

Monsieur le président, madame la rapporteure, sachez que je suis très honoré par l'invitation qui m'a été faite de parler devant votre commission. Après avoir créé RTE en 2000 et l'avoir présidé jusqu'en 2007, j'ai été président du Conseil international des grands réseaux électriques : organisation non gouvernementale dont le siège est à Paris, elle regroupe plus de 10 000 adhérents de cent pays différents et constitue un lieu privilégié pour discuter de l'évolution des réseaux électriques. Aujourd'hui, je suis élu local et mes fonctions de maire-adjoint de ma commune de naissance dans le Cantal et de premier vice-président du syndicat départemental d'énergies me donnent l'occasion de faire de la transition énergétique sur le terrain dans une zone rurale.

Pour bien comprendre les impacts des énergies renouvelables dans le domaine de l'électricité, il faut en cerner les aspects techniques avant les aspects économiques. Il importe aussi de prendre en compte le marché de l'électricité, à la création duquel j'ai contribué en 2000 en tant que président de l'Association européenne des gestionnaires de réseaux de transport d'électricité. À moins que vous ayez des questions particulières, je précise que je n'aborderai pas les aspects industriels et environnementaux.

Un grand système électrique comme celui que nous avons en Europe est un système complexe. L'Académie nationale d'ingénierie des États-Unis est même allée jusqu'à dire qu'il constituait l'un des systèmes les plus complexes jamais créés et réalisés par l'esprit humain. Très vite, bien avant l'ouverture des marchés, on s'est d'ailleurs aperçu que pour maîtriser cette complexité, il fallait disposer d'outils d'aide à la décision.

Cette complexité tient principalement au fait que l'électricité n'est pas stockable directement. Il faut donc en permanence procéder à un équilibrage entre l'offre et la demande, qui est très variable au cours de l'année, de la semaine et de la journée. Pour que cette opération soit réalisée dans des conditions techniques acceptables du point de vue des équipements du réseau, il importe de contrôler de manière continue trois paramètres décisifs : la fréquence, avec une référence de 50 Hertz et une plage admissible située entre 49,5 Hz et 50,5 Hz, la tension et le courant. Il faut savoir que tout écart par rapport aux valeurs de référence fait courir au réseau un risque considérable, celui d'un écroulement complet du système électrique, ou black-out.

La France a connu deux black-out : en décembre 1978, tout le pays a été plongé dans l'obscurité pendant près d'une journée ; en 1987, l'obstruction par la glace des prises d'eau de la centrale de Cordemais a conduit à l'arrêt de la production d'électricité et l'instabilité de tension qui en a résulté a entraîné une coupure généralisée dans tout l'ouest de la France. Et en novembre 2006, notre pays a failli connaître un nouveau black-out à cause d'un incident survenu en Allemagne du Nord qui a eu des conséquences lourdes sur l'ensemble du réseau européen.

Pour assurer l'équilibre entre l'offre et la demande, le gestionnaire de transport peut procéder à deux types de coupures d'électricité : programmées dans le cadre de l'effacement ou immédiates et sans préavis dans le cadre de l'interruptibilité, essentielle pour éviter l'écroulement du système électrique. C'est grâce à ce dernier dispositif qu'on a échappé au black-out européen lors de l'incident de novembre 2006.

Le marché de l'électricité européen mis en place à partir des années 2000 a ajouté des degrés de complexité dans le système électrique. Premièrement, pour donner la possibilité à chaque client de choisir son fournisseur partout en Europe selon le principe de l'accès des tiers au réseau, il a fallu traduire les échanges commerciaux en flux physiques et créer une infrastructure informatique. Deuxièmement, le développement des énergies renouvelables à caractère intermittent a induit la nécessité de compenser les variations de production par d'autres moyens de production pilotables. La conclusion à laquelle on arrive assez vite, c'est que si ce type d'énergies se développe, il sera indispensable de disposer de moyens de production conventionnels, qu'il s'agisse de centrales nucléaires comme c'est le cas, pour l'essentiel, en France, de centrales au gaz comme en Espagne ou de centrales au charbon comme en Allemagne. Précisons que c'est la filière nucléaire française qui a développé cette capacité de pilotage, absente de la filière américaine à l'origine de ces centrales.

Certains estiment que le stockage permettra de faire face au caractère intermittent des énergies renouvelables. Cela ne me paraît pas crédible, ni sur le plan technique, ni sur le plan économique. Imaginer qu'en 2050 nous serons capables de satisfaire la totalité de la demande d'électricité uniquement grâce aux énergies renouvelables et au stockage est une idée qui manque de consistance, sauf rupture technologique – je laisse de côté l'hydraulique, qui est aussi une énergie renouvelable.

En outre, la substitution des moyens de production intermittents aux moyens conventionnels réduit l'inertie électro-mécanique du système, autrement dit, elle le rend moins stable. Cela me paraît important de le souligner car des événements récents l'ont montré. L'Australie du Sud a connu une succession de black-out qui ont conduit les pouvoirs publics à commander en catastrophe des turbines à combustion pour des centrales de gaz afin de stabiliser le système autour d'Adelaïde qui est faiblement interconnectée avec le reste du réseau australien. Cela a eu des conséquences politiques importantes. Des événements comparables se sont produits à Taïwan : un black-out a affecté une bonne partie du pays, notamment la capitale, Taipei. Par référendum, il a ensuite été décidé de maintenir le nucléaire dans le mix énergétique alors que la présidente de la République avait mis à son programme la mise hors-service des centrales nucléaires. Notons qu'en Europe, des pays ayant fortement développé les énergies renouvelables comme le Danemark ou le Portugal ne sont pas soumis à semblables problèmes d'instabilité car le système de transport est fortement interconnecté.

J'en viens à l'impact sur les marchés de l'électricité. Périodiquement, des prix négatifs apparaissent sur le marché spot, ce qui constitue un non-sens économique. Cela tient essentiellement au fait que l'on fait cohabiter deux systèmes qui deviennent de plus en plus incompatibles, comme j'ai eu l'occasion de le dire au commissaire européen à l'action pour le climat et l'énergie : un système ouvert à la concurrence, mis en place en 2000, d'une part, et un système administré, avec des énergies renouvelables subventionnées bénéficiant d'une obligation d'achat, d'autre part. Ce système, si j'ai bien compris ce qu'a dit le président de la Commission de régulation de l'énergie (CRE) est en train d'évoluer grâce à l'introduction de prix garantis. Cela constitue certes un progrès mais cela reste insuffisant. Pour éviter que les prix négatifs ne deviennent de plus en plus fréquents, il faudrait introduire les énergies renouvelables les plus matures dans le mécanisme du marché, plus précisément dans l'ordre de préséance économique dont Jacques Percebois a exposé devant vous les mécanismes de manière très pédagogique.

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