Intervention de Florence Lambert

Réunion du mercredi 17 juillet 2019 à 16h40
Commission d'enquête sur l'impact économique, industriel et environnemental des énergies renouvelables, sur la transparence des financements et sur l'acceptabilité sociale des politiques de transition énergétique

Florence Lambert :

Le CEA-Liten regroupe un millier de chercheurs, ce qui, en matière de visibilité, le place au troisième rang mondial derrière les États-Unis et l'Allemagne. Mais le CEA-Liten est numéro un mondial, et de loin, si l'on considère le nombre de brevets déposés par chercheur – 130 par an – et les transferts de technologie.

Nous avons une vision globale de l'énergie, qui n'oppose pas les technologies et se fonde sur une approche des modes de production décarbonée, centralisée pour le nucléaire, distribuée pour les énergies renouvelables.

Nous faisons face à trois défis. Les ruptures technologiques – passage du lithium-ion au lithium tout solide dans les batteries ; abandon, dans le photovoltaïque, des technologies conventionnelles aluminium dont l'Asie nous a inondés ; arrivée de nouveaux vecteurs comme l'hydrogène – sont l'occasion de rebattre les cartes, puisque les usines avec lesquelles nous sommes en compétition, et qui sont déjà rentables, vont devoir se refaire. La bonne nouvelle est que ces nouvelles technologies ont bien travaillé en Europe, en particulier dans les laboratoires du CEA-Liten.

On a l'habitude de dire que tout sera « commodités », mais il faut garder à l'esprit que ces nouvelles technologies ont une feuille de route très agressive, avec une hausse des rendements. Si nous nous cantonnons à les intégrer dans les systèmes, nous risquons de décrocher. Nous n'aurons alors plus accès aux plus récentes. Nous devons utiliser cette fenêtre, dans le domaine des batteries – l'« Airbus des batteries » – mais aussi du solaire photovoltaïque, et réinvestir dans les usines pour relever ce premier défi d'ordre technologique.

Le deuxième défi tient au fait que les solutions seront systémiques : les technologies de production et/ou de stockage ne se superposeront pas ou ne s'opposeront pas les unes aux autres, elles se conjugueront à différents vecteurs – électrons, hydrogène, réseau de chaleur –, à des échelles de temps et d'espace diverses. Cela signifie que les chercheurs ne doivent pas se limiter à une attitude « techno-push » ; ils doivent pouvoir démontrer rapidement ce que peut apporter une technologie. Nous élaborons dans nos laboratoires des preuves de concept – des démonstrations de faisabilité – avec les industriels pour montrer comment la technologie s'intègre, quelle sera sa valeur sur toute la chaîne et quelles seront les applications.

Le croisement avec le numérique constitue le troisième défi. Le volet numérique permettra d'orchestrer l'ensemble de ces technologies, qu'il s'agisse de capteurs, de data, de briques logicielles, d'outils d'optimisation. On imagine aussi que l'intelligence artificielle interviendra dans les réseaux d'énergie.

Le CEA-Liten privilégie cette vision intégrée de l'énergie, sans opposer les solutions, en coordonnant le nucléaire et les énergies renouvelables et en mettant l'accent sur le croisement avec les technologies numériques.

Nous avons choisi de nous concentrer sur les sujets où nous faisons la différence. Nous appliquons un modèle de recherche technologique qui consiste à se situer plutôt en aval des systèmes. Nous nous efforçons d'offrir aux industriels, sur toute la chaîne de la valeur, des plateformes technologiques où nous sommes capables d'aller jusqu'à la pré-série. Pouvoir tester des échelles technologiques ainsi que le procédé assorti permet non seulement de « dérisquer » les technologies mais aussi de travailler avec les équipementiers, un segment très important dans l'industrie. Pour faire tourner les usines, il faut de l'argent, des opérateurs, mais aussi des équipementiers, garants de la production à un coût cible. Nous faisons en sorte de rebâtir tout un tissu d'équipementiers en Europe, en commençant bien sûr par la France.

Nous travaillons plus particulièrement sur l'énergie solaire, en croisant les métiers du solaire et ceux de la micro-électronique. Nous en sommes convaincus, c'est un domaine d'avenir, où se produiront les révolutions technologiques.

Concernant l'intermittence, nous cherchons à rendre les moyens de production commandables, grâce notamment à la prévision des productibles, qui comporte une composante numérique. Nous travaillons également sur l'électronique de puissance, une filière très importante dans les énergies renouvelables puisqu'il faut des convertisseurs de capacités et de propriétés techniques différentes pour s'adapter aux nombreuses sources de production et de stockage, sur des échelles de tensions variées.

Le deuxième levier porte sur le pilotage de la consommation et des usages. Jusqu'à maintenant, on avait d'un côté les réseaux et les énergies stationnaires, de l'autre la mobilité. Ces domaines sont en train de converger, avec le stockage pour trait d'union. Nos calculs montrent que dans une hypothèse – volontariste – de 10 millions de véhicules électriques à horizon 2035, il suffirait que 10 à 15 % d'entre eux soient des vehicles to grid, pour que l'on puisse s'affranchir de batteries pour le stationnaire. La consommation doit donc être conçue comme un levier, dans une vision englobant le stationnaire et l'embarqué.

Sur le front des technologies, nous nous concentrons aujourd'hui sur trois modes de stockage, à notre sens complémentaires. Il s'agit d'abord de profiter de l'opportunité que constitue l'apparition des batteries tout solide – le CEA est ancré dans le projet « Airbus des batteries » –, tant ce composant ouvre de nouvelles perspectives en matière de stabilité et de sécurité : nous pourrons ainsi gagner entre 30 et 40 % d'autonomie. Et dans la mesure où il s'agit de procédés industriels nouveaux, le monde entier devra repartir de zéro, dans une approche greenfield, pour rebâtir des usines.

La batterie permettra beaucoup d'avancées, notamment en matière de petite mobilité, électrique ou hybride. L'hydrogène viendra en complément pour électrifier les plateformes massives destinées aux bus, camions, trains, bateaux et avions.

L'hydrogène rendra un service complémentaire aux batteries, dès lors qu'il s'agira d'applications réseaux, puisqu'il permettra un stockage inter-saisonnier. Je précise que l'hydrogène ne pourra être comparé aux batteries dans la mesure où il s'agit d'un vecteur. Il servira de passerelle entre les réseaux électriques et ceux de gaz naturel ; il pourra aussi transporter de l'énergie d'un continent à un autre.

Nous sommes aujourd'hui dans un momentum, pour reprendre les termes de l'Agence internationale de l'énergie (AIE). Les technologies sont matures, les acteurs industriels prêts à en accélérer l'industrialisation, à l'image du consortium d'équipementiers automobiles Faurecia-Michelin. Il ne s'agira pas, dans un premier temps, d'un marché de masse, mais d'un hub d'hydrogène autour duquel viendront s'installer des flottes. Je suis pour ma part convaincue qu'à terme, l'énergie hydrogène alimentera la plus grande partie de la mobilité.

Le troisième vecteur de stockage est la chaleur. Nous avons l'occasion de refaire de l'efficacité énergétique, en n'oubliant pas que la moitié de l'énergie consommée sert à produire de la chaleur. Nous disposons aujourd'hui de technologies permettant de produire de la chaleur en local, de la coupler aux réseaux, mais aussi de la stocker. Ce sont des technologies assez robustes, pas forcément high-tech, mais elles pourront se faire une place à côté du bouquet énergétique. Nous pouvons ainsi imaginer un mode où il sera possible, au-delà des électrons, de produire, de stocker et d'utiliser directement la chaleur sans avoir à la convertir.

Nous devons à la fois travailler sur les usages et sur les technologies elles-mêmes. Je suis convaincue que si nous ne maîtrisons pas ces technologies et si nous nous contentons, comme cela a été le cas dans le nucléaire, de les intégrer, en fondant tous nos développements uniquement sur l'algorithmie et le numérique, nous risquons de décrocher. Cela va très vite, et nous pourrions ne pas avoir accès aux dernières technologies.

C'est seulement une fois qu'elles seront bien acquises que nous pourrons les intégrer en les croisant avec le numérique, qui sera aussi pourvoyeur de chaîne de la valeur. Le Smart sera important, mais insuffisant si nous voulons rester une grande nation de l'énergie.

Bien que ce discours soit très franco-français, il serait illusoire de se cantonner à cette échelle. La vision européenne sera essentielle, dans la mesure où nous devons rechercher la massification. L'Europe nous permet de sceller des alliances, à l'image de l'« Airbus des batteries » et de par l'importance de son marché, de garantir la rentabilité des technologies. Dans notre combat contre les acteurs asiatiques notamment, dans la reconquête de notre leadership, nous disposons de plusieurs atouts. Mais la clé réside dans la synchronisation de tous les acteurs, qu'ils soient industriels ou R&D, en se focalisant sur des sujets prioritaires.

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