Commission d'enquête sur l'impact économique, industriel et environnemental des énergies renouvelables, sur la transparence des financements et sur l'acceptabilité sociale des politiques de transition énergétique

Réunion du mercredi 17 juillet 2019 à 16h40

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • batterie
  • chaleur
  • photovoltaïque
  • renouvelable
  • solaire
  • stockage
  • technologie
  • technologique
  • électrique

La réunion

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L'audition débute à seize heures quarante-cinq.

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Chères collègues, nous recevons Mme Florence Lambert, directrice du Laboratoire d'innovation pour les technologies des énergies nouvelles et les nanomatériaux (Liten), accompagnée de M. Jean-Pierre Vigouroux, chef du service des affaires publiques au CEA.

Dans le rapport d'activité de cet institut entièrement dédié à la transition énergétique, il est indiqué que « l'usage croissant des sources intermittentes, la raréfaction des ressources naturelles et la problématique environnementale nous placent en face de verrous technologiques et économiques. Pour les lever, au Liten, nous portons une vision globale de l'ensemble des vecteurs électrique, thermique et gaz en termes de production, de stockage et de gestion, associée au développement de technologies en rupture ».

Dans le chapitre consacré à l'efficacité énergétique, chère à notre rapporteure, il est écrit : « Gérer l'intermittence des énergies renouvelables est un cap décisif pour les mettre en œuvre dans des réseaux. Le Liten s'attache à stocker l'énergie produite par diverses sources afin de la restituer en fonction des besoins dans un délai qui peut aller de quelques heures à plusieurs mois. Il intervient dans trois domaines applicatifs : le bâtiment, avec des modèles de prédiction de performance énergétique ; l'industrie, où l'objectif est de réinjecter ou de valoriser sous d'autres formes les déperditions thermiques et la chaleur fatale de différents procédés ; les réseaux, avec des travaux de simulation et d'optimisation visant à dimensionner des moyens de stockage et à définir des stratégies de gestion. »

Notre questionnement porte donc sur les méthodes de stockage qui permettent de corriger l'intermittence des EnR électriques, si l'on raisonne en termes de réseaux et de solutions ne détériorant pas le bilan carbone de la production électrique. Quelle est leur faisabilité technologique et économique, et à quelle échéance ?

Vous aurez la parole pour un exposé liminaire de quinze minutes, puis vous répondrez aux questions que ne manqueront pas de vous poser notre rapporteure, Mme Marjolaine Meynier-Millefer, et Mme Laure de la Raudière, qui me succédera à la présidence.

Conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, je vous demande de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(Mme Florence Lambert prête serment.)

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Cette commission d'enquête ayant reçu votre serment, vous avez la parole.

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Florence Lambert

Le CEA-Liten regroupe un millier de chercheurs, ce qui, en matière de visibilité, le place au troisième rang mondial derrière les États-Unis et l'Allemagne. Mais le CEA-Liten est numéro un mondial, et de loin, si l'on considère le nombre de brevets déposés par chercheur – 130 par an – et les transferts de technologie.

Nous avons une vision globale de l'énergie, qui n'oppose pas les technologies et se fonde sur une approche des modes de production décarbonée, centralisée pour le nucléaire, distribuée pour les énergies renouvelables.

Nous faisons face à trois défis. Les ruptures technologiques – passage du lithium-ion au lithium tout solide dans les batteries ; abandon, dans le photovoltaïque, des technologies conventionnelles aluminium dont l'Asie nous a inondés ; arrivée de nouveaux vecteurs comme l'hydrogène – sont l'occasion de rebattre les cartes, puisque les usines avec lesquelles nous sommes en compétition, et qui sont déjà rentables, vont devoir se refaire. La bonne nouvelle est que ces nouvelles technologies ont bien travaillé en Europe, en particulier dans les laboratoires du CEA-Liten.

On a l'habitude de dire que tout sera « commodités », mais il faut garder à l'esprit que ces nouvelles technologies ont une feuille de route très agressive, avec une hausse des rendements. Si nous nous cantonnons à les intégrer dans les systèmes, nous risquons de décrocher. Nous n'aurons alors plus accès aux plus récentes. Nous devons utiliser cette fenêtre, dans le domaine des batteries – l'« Airbus des batteries » – mais aussi du solaire photovoltaïque, et réinvestir dans les usines pour relever ce premier défi d'ordre technologique.

Le deuxième défi tient au fait que les solutions seront systémiques : les technologies de production et/ou de stockage ne se superposeront pas ou ne s'opposeront pas les unes aux autres, elles se conjugueront à différents vecteurs – électrons, hydrogène, réseau de chaleur –, à des échelles de temps et d'espace diverses. Cela signifie que les chercheurs ne doivent pas se limiter à une attitude « techno-push » ; ils doivent pouvoir démontrer rapidement ce que peut apporter une technologie. Nous élaborons dans nos laboratoires des preuves de concept – des démonstrations de faisabilité – avec les industriels pour montrer comment la technologie s'intègre, quelle sera sa valeur sur toute la chaîne et quelles seront les applications.

Le croisement avec le numérique constitue le troisième défi. Le volet numérique permettra d'orchestrer l'ensemble de ces technologies, qu'il s'agisse de capteurs, de data, de briques logicielles, d'outils d'optimisation. On imagine aussi que l'intelligence artificielle interviendra dans les réseaux d'énergie.

Le CEA-Liten privilégie cette vision intégrée de l'énergie, sans opposer les solutions, en coordonnant le nucléaire et les énergies renouvelables et en mettant l'accent sur le croisement avec les technologies numériques.

Nous avons choisi de nous concentrer sur les sujets où nous faisons la différence. Nous appliquons un modèle de recherche technologique qui consiste à se situer plutôt en aval des systèmes. Nous nous efforçons d'offrir aux industriels, sur toute la chaîne de la valeur, des plateformes technologiques où nous sommes capables d'aller jusqu'à la pré-série. Pouvoir tester des échelles technologiques ainsi que le procédé assorti permet non seulement de « dérisquer » les technologies mais aussi de travailler avec les équipementiers, un segment très important dans l'industrie. Pour faire tourner les usines, il faut de l'argent, des opérateurs, mais aussi des équipementiers, garants de la production à un coût cible. Nous faisons en sorte de rebâtir tout un tissu d'équipementiers en Europe, en commençant bien sûr par la France.

Nous travaillons plus particulièrement sur l'énergie solaire, en croisant les métiers du solaire et ceux de la micro-électronique. Nous en sommes convaincus, c'est un domaine d'avenir, où se produiront les révolutions technologiques.

Concernant l'intermittence, nous cherchons à rendre les moyens de production commandables, grâce notamment à la prévision des productibles, qui comporte une composante numérique. Nous travaillons également sur l'électronique de puissance, une filière très importante dans les énergies renouvelables puisqu'il faut des convertisseurs de capacités et de propriétés techniques différentes pour s'adapter aux nombreuses sources de production et de stockage, sur des échelles de tensions variées.

Le deuxième levier porte sur le pilotage de la consommation et des usages. Jusqu'à maintenant, on avait d'un côté les réseaux et les énergies stationnaires, de l'autre la mobilité. Ces domaines sont en train de converger, avec le stockage pour trait d'union. Nos calculs montrent que dans une hypothèse – volontariste – de 10 millions de véhicules électriques à horizon 2035, il suffirait que 10 à 15 % d'entre eux soient des vehicles to grid, pour que l'on puisse s'affranchir de batteries pour le stationnaire. La consommation doit donc être conçue comme un levier, dans une vision englobant le stationnaire et l'embarqué.

Sur le front des technologies, nous nous concentrons aujourd'hui sur trois modes de stockage, à notre sens complémentaires. Il s'agit d'abord de profiter de l'opportunité que constitue l'apparition des batteries tout solide – le CEA est ancré dans le projet « Airbus des batteries » –, tant ce composant ouvre de nouvelles perspectives en matière de stabilité et de sécurité : nous pourrons ainsi gagner entre 30 et 40 % d'autonomie. Et dans la mesure où il s'agit de procédés industriels nouveaux, le monde entier devra repartir de zéro, dans une approche greenfield, pour rebâtir des usines.

La batterie permettra beaucoup d'avancées, notamment en matière de petite mobilité, électrique ou hybride. L'hydrogène viendra en complément pour électrifier les plateformes massives destinées aux bus, camions, trains, bateaux et avions.

L'hydrogène rendra un service complémentaire aux batteries, dès lors qu'il s'agira d'applications réseaux, puisqu'il permettra un stockage inter-saisonnier. Je précise que l'hydrogène ne pourra être comparé aux batteries dans la mesure où il s'agit d'un vecteur. Il servira de passerelle entre les réseaux électriques et ceux de gaz naturel ; il pourra aussi transporter de l'énergie d'un continent à un autre.

Nous sommes aujourd'hui dans un momentum, pour reprendre les termes de l'Agence internationale de l'énergie (AIE). Les technologies sont matures, les acteurs industriels prêts à en accélérer l'industrialisation, à l'image du consortium d'équipementiers automobiles Faurecia-Michelin. Il ne s'agira pas, dans un premier temps, d'un marché de masse, mais d'un hub d'hydrogène autour duquel viendront s'installer des flottes. Je suis pour ma part convaincue qu'à terme, l'énergie hydrogène alimentera la plus grande partie de la mobilité.

Le troisième vecteur de stockage est la chaleur. Nous avons l'occasion de refaire de l'efficacité énergétique, en n'oubliant pas que la moitié de l'énergie consommée sert à produire de la chaleur. Nous disposons aujourd'hui de technologies permettant de produire de la chaleur en local, de la coupler aux réseaux, mais aussi de la stocker. Ce sont des technologies assez robustes, pas forcément high-tech, mais elles pourront se faire une place à côté du bouquet énergétique. Nous pouvons ainsi imaginer un mode où il sera possible, au-delà des électrons, de produire, de stocker et d'utiliser directement la chaleur sans avoir à la convertir.

Nous devons à la fois travailler sur les usages et sur les technologies elles-mêmes. Je suis convaincue que si nous ne maîtrisons pas ces technologies et si nous nous contentons, comme cela a été le cas dans le nucléaire, de les intégrer, en fondant tous nos développements uniquement sur l'algorithmie et le numérique, nous risquons de décrocher. Cela va très vite, et nous pourrions ne pas avoir accès aux dernières technologies.

C'est seulement une fois qu'elles seront bien acquises que nous pourrons les intégrer en les croisant avec le numérique, qui sera aussi pourvoyeur de chaîne de la valeur. Le Smart sera important, mais insuffisant si nous voulons rester une grande nation de l'énergie.

Bien que ce discours soit très franco-français, il serait illusoire de se cantonner à cette échelle. La vision européenne sera essentielle, dans la mesure où nous devons rechercher la massification. L'Europe nous permet de sceller des alliances, à l'image de l'« Airbus des batteries » et de par l'importance de son marché, de garantir la rentabilité des technologies. Dans notre combat contre les acteurs asiatiques notamment, dans la reconquête de notre leadership, nous disposons de plusieurs atouts. Mais la clé réside dans la synchronisation de tous les acteurs, qu'ils soient industriels ou R&D, en se focalisant sur des sujets prioritaires.

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L'une des critiques récurrentes à l'égard du déploiement des EnR est que ce sont des énergies non pilotables et intermittentes, qui seront produites à des moments où on n'en aura pas besoin et que l'on ne pourra pas utiliser en cas de nécessité. Selon certains de nos interlocuteurs, il sera impossible de se passer des énergies stables et fixes, qui continueront de représenter 100 % de la capacité nécessaire à l'approvisionnement. Les EnR ne seront ainsi qu'un doublon, une deuxième source d'énergie, ingérable et coûteuse puisqu'il faudra l'absorber.

L'une des réponses à cette crainte consiste à dire qu'il est possible de rendre le réseau plus flexible et de développer des solutions de stockage. Les mêmes rétorquent que ce stockage sera hors de prix, si bien que les EnR coûteront très cher, aussi bien en matière de production que de stockage, et seront bien moins compétitives que les solutions historiques comme le nucléaire. Quel est votre avis sur cet argumentaire, qui questionne profondément notre stratégie de développement des EnR, notamment électriques ?

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Florence Lambert

L'ensemble des acteurs s'accordent à dire que l'on pourra se passer de stockage jusqu'à un pourcentage important d'énergies renouvelables. S'il est prévu de construire des gigafactory de production solaire – sur le continent européen, nous espérons – ainsi que des gigafactory de batteries, c'est que le photovoltaïque est considéré comme rentable à terme. Je pense que nous pourrons nous passer assez longtemps du stockage en agissant de manière globale sur les usages, y compris dans la mobilité.

Une des clés de la transition énergétique réside dans l'électrification des transports. Or la plupart des études montrent que le stockage à bord des véhicules est peu sollicité, dans la mesure où les parcours en France sont courts. Nous avons démontré, ce qui peut être contre-intuitif, qu'il existe une « zone de confort » des batteries lithium, située autour de 60 % de l'état de charge. C'est sur cette zone que nous pouvons travailler pour mieux gérer l'énergie, sans toutefois punir les usagers. Nous pourrons ainsi couvrir de manière plus ample la fluctuation des énergies renouvelables. C'est certainement le terrain sur lequel il faut aller, dans la mesure où la batterie du véhicule électrique est déjà une batterie qui est investie. Développer le vehicle to grid permettrait certainement des gains conséquents.

Par ailleurs, nous devons être actifs sur le front des technologies et garder la main sur les technologies associant production photovoltaïque (PV) et stockage. Au sein du CEA-Liten, nous travaillons actuellement sur des solutions compétitives puisque les prix se situent aux alentours de 100 euros le MWh. Ces technologies ayant atteint un haut niveau de maturité – elles sont sorties du domaine des laboratoires et entrent en industrialisation –, nous pensons y parvenir d'ici cinq ou dix ans. Il ne faut pas oublier que les usines asiatiques rentabilisées vont devoir se refaire, cela nous donne une fenêtre pour agir. La France, l'Europe doivent se lancer, à condition de rester compétitives. Je ne vois pas pourquoi nous n'y arriverions pas !

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En tant qu'experte, vous êtes donc certaine qu'il est possible de développer de façon stable des modes de production et de stockage d'EnR, à un prix abordable, et dans un futur très proche ?

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Le prix que vous annoncez ne me semble pourtant pas compétitif en regard des 50 ou 60 euros que coûte aujourd'hui en moyenne le MWh.

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Florence Lambert

Il s'agit là d'un prix « produit et stocké ». Il est très difficile de comparer avec les prix de l'électricité disponible sur le réseau. J'évoquais le coût attendu pour les capex d'une centrale de production, munie de tours de stockage. Le prix de l'électricité sur le réseau ne correspond qu'à une partie de l'équation. Je pense pour ma part au sous-ensemble « production + stockage ». Il est certain que dans des zones ensoleillées, vous pouvez produire de l'énergie photovoltaïque pour moins de 30 euros le MWh.

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Il s'agit donc du prix maximum que le MWh atteindrait à une période où l'on ne pourrait pas consommer de manière souple.

Pourriez-vous évoquer devant nous les possibilités de stockage qu'offrent l'hydraulique ou la géothermie profonde ?

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Florence Lambert

Nous ne travaillons pas sur ces sujets, aussi ne m'y aventurerai-je pas.

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Je me réjouis des propos que vous avez tenus, vous dont c'est le champ d'expertise. Le pessimisme de ceux qui nous expliquent ne pas croire à ces évolutions est-il dû à un manque de connaissances ?

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Florence Lambert

Peut-être vos interlocuteurs se basent-ils sur des hypothèses erronées ? La préparation du plan de déploiement de l'hydrogène pour la transition énergétique de Nicolas Hulot nous a donné l'occasion de discuter des échelles avec l'ensemble de la profession : si l'on retient un coût de base de l'électricité utilisée pour faire de l'électrolyse plus élevé ou si l'on prend en compte la décroissance très importante de la filière de production par vaporeformage, on peut conclure à une non-faisabilité du stockage par l'hydrogène par exemple.

Nous avons effectué de l'intercomparaison entre les différentes sources de stockage, batterie et hydrogène, sur des cas très concrets. Ce sont des données confidentielles que je peux vous communiquer si vous le souhaitez.

Sa neutralité autorise le CEA-Liten à contribuer à ces réflexions. On peut faire dire beaucoup de choses aux scénarios énergétiques, mais il est essentiel de les raccrocher à des feuilles de route technologiques. Nous sommes peu à pouvoir le faire, car les acteurs des réseaux eux-mêmes n'ont pas forcément accès à ces data. Le fait que nous soyons en contact avec les industriels pour le développement des filières nous permet d'établir ces inter-comparaisons.

Je suis sans doute optimiste de nature, mais c'est d'une position neutre que je m'adresse à vous. Je serais plus inquiète si l'« Airbus des batteries » n'existait pas et je craindrais de voir l'Europe balayée par la construction, en d'autres lieux, de gigafactory. Mais ces nouvelles technologies prometteuses nous donnent voix au chapitre et j'ai confiance dans la trajectoire industrielle que nous empruntons, en particulier sur les batteries.

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Vous l'avez dit, le premier point concerne la décarbonation des transports – laquelle passera par l'électrification – mais, dans le secteur du bâtiment, les choses sont un peu plus compliquées car s'agissant du chauffage, celle-ci est déjà effective - d'une manière d'ailleurs presque excessive compte tenu des pics de consommation dans le parc ancien. Une réélectrification devrait être effectuée dans le cadre des nouvelles installations, dont les normes techniques sont très performantes. La consommation de chauffage étant très réduite, l'utilisation de technologies carbonées n'y aurait pas de sens. Entre les deux, la production de chaleur demeure très carbonée.

Sauf erreur de ma part, il s'agit de réduire la consommation énergétique électrique dans le parc ancien sans conversion à d'autres sources carbonées – à travers l'isolation thermique notamment –, puis, d'opérer la bascule d'une chaleur aujourd'hui carbonée vers une chaleur qui ne l'est pas et, enfin, de faire en sorte que les sources d'énergie des bâtiments neufs soient à la fois décarbonées et très peu voire absolument pas énergivores.

En l'état, de quelles possibilités disposons-nous pour stocker le chaud et le froid ? Lorsqu'une énergie est utilisée pour être transformée en chaleur, il se produit une déperdition intermédiaire. Or, il existe bien des possibilités pour récupérer des chaleurs fatales pour se chauffer et pour transformer le chaud en froid, et inversement – je pense à d'éventuels stockages dans la glace, grâce à l'inertie. Progressivement, le bâtiment pourrait ainsi se transformer en une espèce de « résistance » ou de « pile » afin de stocker l'énergie, ce qui changerait complètement la vision que l'on peut en avoir : les bâtiments ne seraient plus perçus comme un élément énergivore du système mais comme un élément de sa modulation. Partagez-vous ce point de vue ?

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Florence Lambert

Absolument : ne convertissons pas la chaleur lorsqu'il n'y a pas à le faire ! J'ajouterais un volet « auto-production, auto-consommation » sur les électrons car c'est ainsi que nous parviendrons à traiter une partie des besoins énergétiques.

S'agissant du stockage et/ou de la valorisation, nous avons cultivé dans le passé des compétences importantes dans le domaine thermique avec le nucléaire y compris, assez massivement, à l'échelle du prototype. En mégawatts thermiques, la plateforme de Cadarache permet différentes formes de stockage de la chaleur. Une certaine robustesse est nécessaire car ces stockeurs sont, en quelque sorte, des « bidons » comparables à des ballons d'eau chaude dans lesquels on verse différents fluides. Une industrialisation ne serait pas forcément très compliquée. Parvenant à couvrir différentes échelles de temps en termes de jours et de semaines – nous ne sommes pas très sûrs sur le long cours – et dans différentes gammes de températures, nous pourrions donc imaginer certaines technologies.

À mes yeux, l'interrogation porte surtout sur la réception industrielle de ces processus laquelle, aujourd'hui, n'est pas tellement organisée ni prête à être acceptée. Néanmoins, cela se travaille en associant la chaudronnerie et le génie chimique. La boîte à outils industrielle française doit susciter un acteur industriel : les solutions existent.

Dans le domaine des réseaux de chaleur – et non celui du bâtiment - nous en sommes aujourd'hui aux preuves de concepts, aux démonstrateurs, à l'échelle du mégawatt thermique. Nous devons maintenant travailler sur la chaîne de la valeur industrielle, ce qui n'est pas si évident que cela. Une reconfiguration serait alors au rendez-vous : qui serait l'investisseur ? Celui qui construit le bâtiment, alors que le bénéficiaire en serait plutôt l'usager ? J'ai le sentiment qu'il faut mettre en place un modèle.

Les choses bougent. Tout à l'heure, j'ai évoqué le domaine du photovoltaïque. Autant les filières seront concentrées avec des Gigafactories « très haut rendement, bas coûts », autant nous travaillons – et j'y crois – sur ce que l'on appelle le « photovoltaïque everywhere », implanté notamment sur les façades. De nouveaux entrants qui arrivent dans ce domaine de l'énergie, en particulier le solaire, disent qu'en tant qu'acteurs du bâtiment, ils peuvent très bien investir tout en imaginant, ensuite, la mise en place de concessions à l'endroit des futurs habitants.

Ces deux aspects se superposent : quid du tissu industriel à travailler – même si je pense que l'association de la chaudronnerie et du génie chimique permettrait de pouvoir trouver ? Quid du modèle ? Qui finance quoi et qui sera in fine le bénéficiaire des investissements initiaux ? Des constructeurs de bâtiments ont envie de s'engager mais outre que cela reste un peu cher, quelle sera la valorisation ?

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Quelle est votre intuition sur la superposition adéquate ?

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Florence Lambert

Je pense qu'il faut multiplier les initiatives même si je m'interroge sur le financement des Tigas, les territoires d'innovation de grande ambition. Les démonstrations des différents acteurs et parties prenantes sont fondamentales mais il faut se préoccuper de leurs usages à venir : je dis souvent à mes chercheurs que s'il est bel et bon d'imaginer des technologies, elles ne fonctionneront pas sans fluidité ni convivialité. Il faudrait pouvoir soutenir des démonstrations importantes à différentes échelles car le secteur du bâtiment est complexe : habitat urbain, habitat rural, bâtiments techniques, les réponses ne seront pas les mêmes.

Nous ne nous situons pas tant dans une perspective de développement que dans la quête d'un bon modèle économique pour la suite. Il faut trouver une amorce de marché afin de solidifier le tissu industriel. C'est à mes yeux l'un des points importants.

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Pourquoi considérez-vous que l'autoproduction et l'autoconsommation sont l'une des clés à développer ?

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Florence Lambert

Je faisais référence au solaire. Des actions peuvent être menées en réseaux directs – réseaux de chaleur – mais un pan important de consommation électrique demeurera. N'en déplaise à M. Musk, et à son mur batterie, les stockages ne seront peut-être pas à l'échelle individuelle mais à celle de l'habitat collectif. Il sera néanmoins peut-être possible de lisser une partie de la consommation électrique de la sorte.

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Avons-nous suffisamment investi dans les EnR thermiques, notamment dans le solaire, qui est encore très peu développé en France mais qui présente l'intérêt de chauffer et de convertir la chaleur en froid avec la climatisation grâce à des procédés, je crois, que vous développez à l'INES, l'Institut national de l'énergie solaire ? Ceci permettrait de gérer les pointes dans les deux sens quant à la chaleur : en période hivernale – contrairement à ce que l'on pense, le solaire thermique fonctionne toute l'année – et en période estivale en effaçant les pointes à venir.

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Florence Lambert

Absolument.

Nous avons assisté à l'écroulement du tissu industriel. Grâce au ré-abondement des Fonds chaleur, il y a un frémissement mais faute d'investissements dans le passé, nous avons perdu des leaders dans ce secteur. Pour autant, la reviviscence d'une industrie ne sera pas capex intensive. C'est pourquoi je vous parlais de synchronisation. Il importe que l'industrie s'empare de cette question afin d'imaginer les nouveaux consortiums industriels à partir de ceux qui existent.

Même si, malheureusement, nous avons perdu des leaders majeurs, les Fonds chaleur suscitent donc un frémissement dans la profession. Il faut réfléchir à ce que seront les leaders de demain, à la couverture – ou non – de l'ensemble de la chaîne et aux moyens d'être encore plus efficaces. Aujourd'hui, nous avons une vraie opportunité pour le faire.

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Je suis assez d'accord.

On a appelé mon attention sur le fait que la valorisation d'un bâtiment basse consommation – BBC – équipé notamment en solaire thermique n'était pas possible en raison de contraintes réglementaires et que, dès lors, les installateurs ne font pas appel à cette norme. Avez-vous entendu parler d'un tel frein ?

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Florence Lambert

Pas personnellement mais je peux faire des recherches.

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Si vous pouvez nous éclairer, ce serait très bien. Il est en effet un peu contre-intuitif de miser sur les packs, qui ont certes l'intérêt de multiplier la capacité énergétique mais qui contiennent des liquides frigorifiques dont la durabilité n'est pas forcément évidente et, d'un autre côté, sur une solution qui semble à bien des égards adaptée, qui est robuste, qui ne demande pas une maintenance extraordinaire, dont l'utilisation est plutôt simple donc pas suffisamment « techno » pour que les gens la dérèglent en l'utilisant tout en ayant des difficultés à l'inclure dans le spectre des possibles du secteur du bâtiment.

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Florence Lambert

C'est un vrai problème. Les métiers sont cloisonnés entre technologies et bâtiment. Nous travaillons à leur rapprochement, notamment sur notre site de l'INES, auquel vous avez fait référence. J'invite d'ailleurs la commission d'enquête à nous rendre visite !

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Florence Lambert

La situation est en effet difficile. Les fronts technologiques et du bâtiment sont relativement séparés et j'entends par ailleurs beaucoup parler de contraintes réglementaires, sur lesquelles je me renseignerai.

Contrairement à ce que j'ai dit tout à l'heure, le stockage de chaleur est possible à l'échelle des saisons. Nous l'avons d'ailleurs démontré sur le site de l'INES, où un bâtiment méditerranéen est devenu quasiment autosuffisant en matière thermique.

L'intérêt principal du stockage thermique, c'est qu'entre un « bidon », d'un côté et, de l'autre, des processus chimiques, il est possible de couvrir un large spectre. Nous avons montré à l'INES que l'hydratation et la réhydratation d'un sel est possible au long cours.

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Florence Lambert

Oui. Il suffit de rajouter une chaudière.

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Je dois hélas m'en aller. Je vous remercie, de même que Mme la présidente, qui m'a autorisée à poser mes questions dès après votre intervention liminaire.

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Vous avez parlé de rupture technologique à propos du photovoltaïque et de l'hydrogène mais en existe-t-il avec les autres énergies renouvelables, en particulier dans le domaine de l'éolien, au point qu'il serait possible d'imaginer la création d'une filière industrielle en France puisque, hors l'éolien flottant, nous n'en avons pas vraiment ? Travaillez-vous également sur les ruptures technologiques qui peuvent exister dans le nucléaire ou dans la gestion des déchets que produits ce secteur ?

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Florence Lambert

Je n'interviendrai pas sur la question du nucléaire car je suis chargée de la seule partie « nouvelles technologies ».

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De nouvelles technologies sont possibles dans ce secteur.

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Florence Lambert

Je vais en effet illustrer ce point en démontrant que la réunion des deux sera intéressante et qu'elle constitue un enjeu d'avenir pour le CEA.

Nous ne travaillons pas sur le domaine de l'éolien car, sur le plan technologique, nous avons choisi de nous concentrer sur nos savoir-faire. L'histoire des technologies au CEA a connu deux greffes : autour des matériaux qui possèdent certaines propriétés de résistance en pression et en température – d'où les piles à combustibles et les batteries ; un croisement autour de la microélectronique d'où émergera le secteur solaire de demain.

Nous nous intéressons en revanche au couplage de l'électronique de puissance avec l'éolien, qui peut probablement apporter des avancées, notamment en temps de réponse, et à la façon de redémarrer certaines filières dans le domaine de l'éolien, en particulier autour des aimants, dans une logique d'analyse du cycle de vie pour tous les aspects concernant la motorisation, ce qui pourrait peut-être entraîner certaines ruptures technologiques.

En ce qui concerne le nucléaire, je suis venue à la recherche parce que j'étais passionnée par la maîtrise de l'atome, dont je pense qu'il est possible de faire bien des choses. Je suis persuadée que si nous devons travailler à obtenir de très faibles émissions de CO2, il y a beaucoup à attendre du couplage entre énergie nucléaire et énergies renouvelables du point de vue du fonctionnement et du point de vue des usages possibles en dehors des centrales nucléaires – je pense à des réseaux de chaleur. C'est d'ailleurs le sens de la présentation qu'a faite la semaine dernière Fatih Birol à l'Agence internationale de l'énergie (AIE). À partir de cette énergie non carbonée qu'est le nucléaire, j'imagine qu'il doit être possible de coupler des électrolyseurs et de produire de l'hydrogène non carbonée.

Nous n'en sommes qu'au début mais le rapprochement entre le nucléaire et les énergies renouvelables permettra d'avoir une vision systémique et non d'opposition. J'ai dit tout à l'heure que la batterie pouvait être un trait d'union entre la mobilité et le stationnaire. Selon moi, le vecteur « hydrogène » pourra se conjuguer aussi bien avec le renouvelable qu'avec le nucléaire.

N'étant pas spécialiste de cette question, je n'irai guère plus loin mais il importe à mon sens d'avoir une vision décentralisée du nucléaire à travers les small modular reactors. Le monde entier, aujourd'hui, revisite la question. Il faut être attentifs non seulement à l'alternative qu'est le nucléaire – plutôt réparti – mais à toutes les fonctionnalités dont il est possible de bénéficier. Il faut y inclure les réseaux de chaleur et la production d'hydrogène en local.

Je ne suis pas non plus une spécialiste en matière de cycles mais j'ai fait toute ma carrière dans les énergies renouvelables et je sais qu'il faut absolument s'intéresser aux analyses du cycle de vie tel que cela a été fait dans le domaine nucléaire. C'est ce que nous allons d'ailleurs entreprendre pour tout ce qui nous préoccupe : batterie, hydrogène et panneaux solaires.

Un couplage s'impose, alors que nous avons été jusqu'ici très « Techno push », même si nous avons une vision systémique qui s'étend jusqu'à l'usage. Il faut vraiment obtenir une feuille de route d'analyse du cycle de vie, des économies d'atomes, et je suis convaincue qu'à toutes nos feuilles de route agressives – plus de rendements, plus de kilowatts heure – on superposera progressivement des feuilles de route un peu moins performantes mais sur des matériaux moins critiques.

Premier ancrage : ne pas opposer des technologies et avoir une vision intégrée de cette énergie. Second ancrage : porter un regard à 360 degrés sur une technologie, y compris sur le long terme, et en matière d'approvisionnement.

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Je souhaite revenir un instant sur la question du stockage de l'énergie. Je ne sais pas si votre discours est optimiste ou réaliste mais, comme l'a dit Mme la rapporteure, il diffère de ce que nous avons entendu.

Sur quels fondements raisonnez-vous ? J'ai entendu parler d'une hypothèse de10 millions de véhicules électriques d'ici 2035.

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Florence Lambert

Elle est très volontariste.

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Florence Lambert

Très volontariste.

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Je tenais à ce que vous le reprécisiez.

Quid, faute d'atteindre un tel seuil, de votre vision de l'usage des batteries et des stockages ? Si nous ne parvenons pas à mettre en place une politique aussi volontariste compte tenu de l'enjeu financier que représentent l'aide au renouvellement des véhicules des particuliers, la transformation des lignes industrielles des constructeurs automobiles et des infrastructures de recherche partout en France – tout ce qu'implique le véhicule électrique – qu'en est-il de votre scénario sur le stockage et la complémentarité avec l'intermittence des EnR ?

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Florence Lambert

En toute hypothèse, nous ne sommes vraiment pas inquiets.

Je suis surprise d'être la première à tenir de tels propos car nos discussions avec les acteurs des réseaux ont montré que nous pouvons aller assez loin dans le déploiement des énergies renouvelables en se passant du stockage. Des besoins se feront jour en matière de flexibilité mais ils ne sont pas uniquement liés à ces dernières.

Nous avons réalisé des études à partir d'hypothèses différentes, volontaristes ou non, pour savoir quand le stockage est vraiment nécessaire, qu'il soit local et ponctuel – quelques journées, la semaine – ou saisonnier. Nous pouvons vous faire part de notre vision et partager avec vous un dossier décrivant tous ces aspects-là.

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D'aucuns assurent que pendant une période de l'année, le vent peut ne pas souffler sur toute l'Europe pendant trois ou quatre jours. En cas pic de consommation, une réduction trop importante du nucléaire, un arrêt des centrales à charbon et une utilisation à plein régime de l'hydraulique en hiver peuvent faire que la production électrique soit inférieure à la consommation. En moyenne, cela passe, bien sûr, mais quid de la gestion des pics ?

Aujourd'hui, la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) ne met pas en avant la production d'énergies renouvelables stockables sous forme de gaz ou en biomasse. Certains estiment donc qu'il existe un vrai risque compte tenu de l'effet contra-cyclique du photovoltaïque et qu'en hiver, il peut donc très bien se faire que le vent ne souffle pas pendant plusieurs jours sur toute l'Europe.

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Florence Lambert

Je suis d'accord. Je me situais dans une hypothèse de mix énergétique comprenant au moins 50 % de nucléaire. Je ne me rallie pas aux hypothèses selon quoi tout relèvera des énergies renouvelables : je n'y crois pas.

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Florence Lambert

Oui.

Ces scénarios sont toujours un peu compliqués car il est possible de faire varier les hypothèses et, ainsi, de s'amuser à se faire peur tout en passant à côté des problèmes. Nous sommes convaincus que nous avons un rôle à jouer qui consiste à positionner les bons ordres de grandeur. C'est pourquoi nous souhaitons étoffer ces aspects-là, sachant que se rattacher à une vision industrielle et technologique – que nous connaissons – apporterait un supplément de rationalité. Comme je vous le disais tout à l'heure, sommes-nous prêts à développer les batteries, où en sommes-nous avec l'hydrogène, peut-on raisonnablement positionner ces technologies à la bonne échelle de temps ?

La réponse que je vous ai donnée partait d'un mix énergétique incluant le nucléaire et je serais très inquiète s'il était question des seules énergies renouvelables. Tout le monde, je crois, en convient.

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Tout le monde, non – mais peut-être ai-je entendu tous les gens raisonnables ! – certains prônant en effet 100 % d'énergies renouvelables.

Je suis d'accord avec vous : il faut maîtriser la technologie pour maîtriser notre avenir énergétique mais aussi, d'ailleurs, numérique. En même temps, j'ai l'impression que vous tirez un peu la sonnette d'alarme, non sur l'Airbus de l'industrie des énergies, qui est enclenché, mais sur d'autres domaines dans lesquels vous réalisez des travaux très prometteurs sans que la suite industrielle soit au rendez-vous. Quels messages souhaitez-vous faire précisément passer sur les filières qui vous paraissent fondamentales pour l'avenir et sur lesquelles il faudrait développer la même démarche que pour l'Airbus de l'industrie afin de maîtriser notre avenir énergétique en Europe et, en particulier, en France ?

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Florence Lambert

Je vous remercie de cette question car là réside à mes yeux la principale inquiétude. Nous sommes un organisme d'État, un incubateur de technologies, et je ne voudrais pas que tout ceci aboutisse uniquement à des transferts en Chine – auxquels nous ne procédons pas ! – ou à créer des start-up en dehors de notre territoire, dont nous avons par ailleurs une vision élargie.

Après les batteries, en matière d'industrialisation, la priorité est celle du solaire photovoltaïque. Aujourd'hui, les conditions sont favorables mais dans le passé, « nous nous sommes fait mal » dans le déploiement du solaire et les cicatrices sont nombreuses. Je perçois donc beaucoup de frilosités, qui ont été fondées, mais c'est maintenant que nous devons accélérer. Nous avons une fenêtre d'opportunité de trois ans puisque les différents acteurs sont en train de reconquérir des positions en matière de nouvelles technologies.

Le CEA, en raison de son histoire, a pu miser sur cette technologie de croisement avec la microélectronique. Je dirige le LITEN depuis dix-sept ans et on peut donner un coup de chapeau à mes prédécesseurs : je pense que nous avons trois ans d'avance. Nous avons réussi à « dérisquer » la technologie puisque nous avons fait un pas-de-côté à travers un premier transfert « Argonne national laboratory » (ANL) tout en gardant l'entière possession de la propriété intellectuelle – sinon, nous ne l'aurions pas fait. Aujourd'hui, une usine spécifique a vu le jour, autour de 200 mégawatts, ce qui signifie que c'est « dérisqué ».

Nous disposons d'une fenêtre de deux ans pour agir. Ensuite, il sera peut-être plus difficile de gérer le coup d'avance dont nous disposons.

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Est-ce que ce sont le porteur de projet ou le financement qui font défaut ?

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Florence Lambert

Une recristallisation est en cours avec des consortiums. Le financement n'est pas un problème car une Gigafactory de cellules photovoltaïques incluant un bâtiment coûte 200 millions d'euros, ce qui correspond presque, equity aidant, à une échelle de financement privé.

Il importe de trouver les bons acteurs pour apporter des garanties – les Chinois y parviennent : lorsqu'ils décident d'une stratégie sur une filière, ils mettent en place leur stratégie d'amorçage, ils réussissent le ramp up, la montée en puissance technologique, même si c'est compliqué car une usine n'est rentable qu'après un certain temps. Il faut donc un déploiement avec des taux préférentiels – la bannière CO2 peut être utilisée dans ce contexte puisque l'électricité est bas carbone – mais la stratégie d'amorçage doit être garantie par une protection pendant quelques années.

S'agissant du photovoltaïque, nous en sommes à une étape importante. Appuyer sur le bouton, dans une usine, suppose d'avoir un gigawatt qui réponde, ce que peu d'entités peuvent faire.

S'agissant de l'hydrogène, l'échelle de temps diffère mais il ne faut pas oublier de constituer un tissu industriel. L'hydrogène, c'est un peu un couteau suisse : elle permettra de décarboner l'industrie, de compléter la mobilité là où les batteries seront impuissantes et de rendre des services aux réseaux.

Il faut maintenir cette politique des petits pas afin d'avoir une industrie au meilleur niveau. Le stockage en matière d'hydrogène sera performant, à mes yeux, au-delà de 2050. Nous aurons donc besoin d'une industrie. La Chine ne s'y trompe pas puisque, tout en étant un géant de la batterie, elle a lancé depuis un an et demi une politique très volontariste sur ce plan-là.

Au-delà des batteries, il faut être vigilants sur ces deux points.

L'audition s'achève à dix-sept heures quarante-cinq.

Membres présents ou excusés

Commission d'enquête sur l'impact économique, industriel et environnemental des énergies renouvelables, sur la transparence des financements et sur l'acceptabilité sociale des politiques de transition énergétique

Réunion du mercredi 17 juillet 2019 à 16 h 40

Présents. - M. Julien Aubert, Mme Laure de La Raudière, Mme Marjolaine Meynier-Millefert

Excusés. - Mme Sophie Auconie, Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Christophe Bouillon, Mme Jennifer De Temmerman