Intervention de Alexis Lamek

Réunion du jeudi 12 avril 2018 à 11h30
Délégation française à l'assemblée parlementaire du conseil de l'europe

Alexis Lamek, Directeur des Nations-Unies et des Organisations internationales au ministère de l'Europe et des affaires étrangères :

Madame la Présidente, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, Mesdames et Messieurs les Députés, je vous remercie de l'opportunité qui nous est donnée de dialoguer avec vous au sujet du Conseil de l'Europe, initiative particulièrement importante dans le contexte difficile que nous connaissons. Certes, ce n'est pas la seule Organisation internationale sur notre territoire, mais elle a joué un rôle important dans la construction européenne.

Vous l'avez dit, le Conseil de l'Europe est actuellement en crise, victime comme d'autres Organisations de la méfiance à l'égard du multilatéralisme exprimée par de plus en plus de pays. Les mêmes difficultés se posent dans toutes les enceintes internationales, au Conseil de sécurité des Nations Unies, particulièrement depuis le début de la crise syrienne naturellement, mais aussi dans d'autres enceintes comme l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques. Le Conseil de l'Europe est toutefois particulièrement touché puisqu'il est à la croisée de plusieurs évolutions inquiétantes au niveau international.

Première évolution préoccupante : le scepticisme à l'égard des structures supranationales, voire leur rejet, particulièrement lorsque leurs décisions ont force obligatoire. Ainsi la Cour européenne des droits de l'Homme subit-elle des attaques de plus en plus fortes et nombreuses : critiquée par des mouvements politiques qui menacent de sortir du système de la Cour, y compris au sein de certains Etats occidentaux, elle est également affaiblie par des Etats qui refusent de mettre en œuvre certaines de ses décisions. La Russie se réfère à sa loi de 2015 autorisant la Cour constitutionnelle à juger de la conformité à la Constitution russe d'une décision d'une juridiction internationale pour refuser d'exécuter l'arrêt « Ioukos ». Le cas de l'affaire « Ilgar Mammadov » et l'attitude de l'Azerbaïdjan sur ce dossier sont également significatifs. La tentation existait au sein de certains Etats membres de faire de la déclaration de Copenhague – adoptée aujourd'hui même par les 47 États membres – un moyen de limiter les capacités de contrôle des décisions des juridictions nationales par la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH). Cette menace a été écartée : le document final met en avant l'indépendance et l'autorité de la Cour.

Deuxième évolution inquiétante : le développement d'un discours relativiste dans le domaine des droits de l'Homme et des libertés fondamentales qui vise à remettre en cause l'universalité des droits. Au sein du Conseil de l'Europe, il existe des dissensions sur la conception des droits de l'Homme qu'ont les différents Etats. Il devient parfois difficile de s'accorder sur certains sujets, y compris entre Etats membres de l'Union européenne. Les thèmes relatifs aux droits des femmes, aux droits sexuels et reproductifs, aux droits des personnes LGBTI sont particulièrement sensibles.

Troisième tendance préoccupante : les tensions entre la Russie et le reste de l'Europe, qui s'expriment avec une force renouvelée depuis l'affaire de Salisbury, mais qui trouve d'abord sa source dans l'annexion illégale de la Crimée en 2014 et l'agression russe dans l'Est du pays. C'est bien sûr la plus grande difficulté à laquelle est confronté le Conseil de l'Europe aujourd'hui. Les tensions sont allées en s'accentuant depuis 2014. Surtout, vous le savez, nous sommes entrés dans une véritable crise depuis la décision de la Russie, annoncée le 30 juin 2017, de suspendre sa contribution financière au Conseil de l'Europe « jusqu'au rétablissement des droits de sa délégation parlementaire à l'APCE ».

Cette décision russe qui a, il faut le reconnaître, tout d'un chantage, a engendré une double crise pour le Conseil de l'Europe.

Tout d'abord, une crise budgétaire, puisque la décision russe a engendré un manque de 20 millions d'euros en 2017 et risque également d'amputer le budget 2018 de 32 millions d'euros si la Russie ne rétablit pas sa contribution dans les mois qui viennent. Ce volet de la crise se fait sentir d'autant plus durement que la Turquie a décidé, à la fin de l'année dernière, de revenir sur son statut de grand contributeur et donc de diminuer de 20 millions d'euros sa contribution. Si le choix turc reste conforme aux statuts, ce n'est pas le cas pour celui de la Russie. Pour l'année en cours, 20 millions d'euros d'économies ont dû être trouvés, ce qui a impacté toutes les activités du Conseil de l'Europe, de manière à peu près équivalente, même si nous avons cherché d'abord à préserver l'activité de la Cour et des organes de suivi. Le personnel de l'Organisation sera également touché. Si rien n'est fait, cette situation va s'aggraver.

Cette décision russe a également provoqué une crise politique, puisque le risque est de voir les tensions s'accroître jusqu'à la rupture. En effet, le statut du Conseil de l'Europe prévoit à son article 9 que « si un Membre n'exécute pas ses obligations financières, le Comité des Ministres peut suspendre son droit de représentation au Comité et à l'Assemblée ». Le Comité des Ministres a décidé, en novembre 1994, que l'article 9 du Statut sera appliqué à tout Etat qui n'aurait pas exécuté ses obligations financières pendant une période de deux ans.

Nous avons donc une contrainte de temps qui est forte pour trouver une solution dans les mois qui viennent. La crise politique est également renforcée par les difficultés que pose la Turquie, dans le cadre des actions mises en œuvre par le pouvoir depuis la tentative de coup d'Etat de juillet 2016. Le Conseil de l'Europe ne ménage pas ses efforts pour maintenir le dialogue avec la Turquie et l'encourager à respecter l'ensemble de ses obligations. Mais les résultats ne sont pas toujours à la hauteur des attentes. Il est à craindre que les tensions aillent en s'accroissant dans les mois et les années qui viennent, avec les nouveaux arrêts qui seront rendus par la Cour européenne des droits de l'Homme et la perspective des élections en 2019.

Enfin, les relations du Conseil de l'Europe avec l'Azerbaïdjan sont également complexes. Au-delà de l'affaire Mammadov, le pays est soupçonné d'être impliqué dans des affaires de corruption au sein de l'APCE. Il n'est pas à exclure que le rapport du groupe d'enquête, prévu en avril, entraîne une réaction virulente de Bakou. Ces affaires ayant contribué à la démission du président Agramunt ont été largement relayées par la presse.

Face à cette crise budgétaire et politique, la France doit jouer pleinement son rôle, en portant ses deux priorités pour le Conseil de l'Europe :

- en premier lieu, préserver la capacité de l'Organisation à protéger et défendre les droits de l'Homme sur le continent européen ;

- en second lieu, préserver sa nature paneuropéenne et sa fonction de plateforme de dialogue entre tous les Etats européens.

Pour pouvoir jouer ce rôle, notre pays doit conserver une influence et une place centrale dans l'Organisation. J'en viens donc au deuxième point de mon intervention, relatif à la présence et l'influence française au sein du Conseil de l'Europe.

On ne peut pas dire que l'influence de la France au Conseil de l'Europe ait été réduite au cours des dernières années. Mais nous avons conscience de la nécessité de travailler sans cesse à la maintenir et, lorsque c'est possible, à l'accroître.

La France est l'Etat de siège de l'Organisation et elle le restera. Dans ce domaine, nos objectifs sont triples : premièrement, éviter une forme de décentralisation excessive avec la multiplication de réunions de travail ou de comités en dehors du Siège ; deuxièmement, renforcer l'attractivité de la France pour le Conseil de l'Europe et les autres Organisations internationales qui s'y trouvent, en leur offrant certaines facilités ; troisièmement, encourager l'attractivité de la ville de Strasbourg même si dans ce dernier domaine l'influence du ministère de l'Europe et des affaires étrangères est marginale.

Le français est l'une des deux langues officielles du Conseil de l'Europe. Il s'agit pour nous de poursuivre un travail continu de promotion de notre langue, qui est nécessaire et pour lequel nous sommes pleinement mobilisés. Nous faisons passer régulièrement des messages à ce sujet au Secrétariat général du Conseil de l'Europe. Nous veillons et continuerons à veiller à ce que les juges à la Cour parlent français. Nous serons également attentifs à ce que les réductions budgétaires n'impactent pas la traduction et l'interprétation en langue française.

La France est aussi le premier contributeur financier à l'Organisation, avec 38,2 millions d'euros pour 2018, soit 11,5 % du budget total de l'Organisation, devant l'Allemagne avec 36,4 millions d'euros soit 11 %. Notre pays a le statut de grand contributeur. Avec le changement de statut de la Turquie qui, jusqu'à décembre 2017, était le 4èmecontributeur, et avec la suspension de sa contribution par la Russie, le poids de la France dans ce domaine se trouve encore accru.

La présence française au sein de l'Organisation est conséquente puisque le Conseil de l'Europe compte 38 % de Français dans ses effectifs, alors même que la population française représente environ 8 % de la population totale des 47 Etats membres. Certes, aux échelons les plus élevés, la place des Français diminue, mais elle reste largement supérieure à ce qui serait la part de la France proportionnelle à sa population : près de 20 % des cadres sont Français. Enfin, la France a obtenu l'année dernière la nomination de l'un de ses ressortissants au poste de Directeur général de l'administration. Je laisserai le délégué aux fonctionnaires internationaux développer ce sujet de premier plan.

La récente expérience de l'élection au poste de Commissaire aux droits de l'Homme peut certainement nous amener à nous interroger mais elle ne doit pas nécessairement être interprétée comme une perte d'influence de la France. Vous l'avez dit, les circonstances de cette élection ont été pour le moins contestables, malgré une brillante campagne menée par M. Le Borgn' avec notre soutien.

Pour toutes les raisons évoquées précédemment, et du fait de son statut international, la France a une voix qui porte au sein du Conseil de l'Europe. Elle est souvent au cœur des consultations, que ce soit par le Secrétaire général, par la Présidence en exercice du Comité des Ministres ou par les autres Etats membres.

L'influence française au Conseil de l'Europe passe aussi par vous, membres de la délégation parlementaire française, et votre capacité à influencer les débats et les textes adoptés par l'APCE. De manière générale, il importe que notre ministère travaille en bonne entente et, autant que possible, en coordination avec vous. L'exercice de ce jour y contribue.

Les échéances à venir, et en particulier la Présidence française du Comité des Ministres en 2019, seront autant d'opportunités à saisir pour renforcer l'influence française au sein de l'Organisation. Cette Présidence sera en particulier l'occasion d'avoir régulièrement une présence de haut niveau à Strasbourg.

Les autres échéances que vous avez évoquées seront également essentielles.

Tout d'abord, l'élection du Secrétaire général, en 2019, influencera fortement l'avenir de l'Organisation. Aucun candidat français à ce poste n'est pour l'heure envisagé. Notre priorité est que le futur Secrétaire général soit francophone, et qu'il ait une compétence incontestable pour occuper ce poste.

Puis, nous commençons à nous préparer à l'élection du juge français à la Cour européenne des droits de l'Homme, en 2020. L'appel à candidatures devrait être diffusé en mai 2019. Les candidatures seront transmises au groupe national français de la commission permanente d'arbitrage au début de l'été 2019 et la liste des trois candidats sera communiquée au Panel en novembre, puis à l'APCE en décembre 2019. Une réflexion visant à améliorer la qualité du processus d'ensemble, notamment en termes de transparence, au regard de l'expérience des élections de 2011, pourrait être engagée.

Je laisse maintenant la parole au Délégué aux fonctionnaires internationaux pour compléter mon propos liminaire, avant nos échanges sur les sujets que vous souhaiterez aborder.

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