Intervention de Nicolas de Bouillane de Lacoste

Réunion du mercredi 8 décembre 2021 à 17h15
Délégation française à l'assemblée parlementaire du conseil de l'europe

Nicolas de Bouillane de Lacoste, envoyé spécial pour la Biélorussie :

Madame la Présidente, merci de me donner la parole pour parler de la situation difficile de la Biélorussie, aujourd'hui. J'y ai été Ambassadeur de la République française pendant dix mois, avant de revenir de Minsk il y a un mois et demi, dans les conditions que vous avez évoquées. M. Guillaume Chesnel, rédacteur du ministère de l'Europe et des Affaires étrangères pour la Biélorussie, qui m'accompagne aujourd'hui, a été mon interlocuteur régulier depuis Paris pendant toute cette période.

Depuis que j'ai quitté le pays, j'ai été nommé envoyé spécial pour la Biélorussie par le ministre Jean-Yves le Drian. Désormais, mon rôle est celui d'intermédiaire entre les autorités françaises et les forces démocratiques biélorusses, qu'elles se trouvent à Varsovie, Vilnius ou ailleurs.

Je suis actuellement basé principalement à Vilnius, en Lituanie, mais je précise que notre ambassade à Minsk continue de fonctionner, avec à sa tête un chargé d'affaires, M. Alexandre Piquet, qui accomplit un travail remarquable dans des conditions difficiles. En dépit d'un contexte pesant au jour le jour, dans lequel l'incertitude et la fébrilité planent sans cesse, nous pouvons nous réjouir que s'ouvre, ce soir, un festival de cinéma français et que se tienne, à la mi-décembre, un grand concert de fin d'année.

Le travail auprès des organisations non gouvernementales (ONG) et des familles de prisonniers politiques, quant à lui, se poursuit. Malgré le contexte, il y a encore des personnes courageuses qui continuent d'agir sur le terrain.

Avant de répondre à vos questions, je vous présenterai successivement, de manière aussi synthétique que possible, la situation intérieure en Biélorussie aujourd'hui, les relations du pays avec la Fédération de Russie, État membre important du Conseil de l'Europe, et les relations de la Biélorussie avec l'Union européenne.

Sur le plan de la situation intérieure en Biélorussie, force est de constater que le régime a repris le contrôle du cours des événements alors que des évolutions importantes étaient probablement à portée de main il y a un an et demi.

Il y a plusieurs raisons à cela. Tout d'abord, la Fédération de Russie a envoyé le signal, dès le 27 août 2020, qu'elle interviendrait en cas de déstabilisation de la Biélorussie. Ce message a été immédiatement entendu par les forces de sécurité biélorusses, les siloviki, qui ont compris que les autorités russes ne lâcheraient par Alexandre Loukachenko alors que les premiers jours de la crise avaient été marqués par un certain flottement à cet égard.

Alors qu'il y a un an et demi, des centaines de milliers de personnes, de tous âges, manifestaient dans les rues des villes, de toutes tailles y compris en zone rurale, les manifestations ont aujourd'hui disparu. Les élites et l'administration biélorusses ne se sont pas fissurées. Les forces de sécurité se sont imposées. Dans ces conditions, la contestation se déroule essentiellement en dehors des frontières du pays.

L'économie biélorusse se maintient. Paradoxalement, en dépit des sanctions européennes sur lesquelles nous reviendrons, sa croissance est même tirée par les exportations stimulées par la demande des pays frontaliers, qui sont en phase de reprise post-Covid. Fournisseur de produits pétroliers raffinés, d'engrais, de bois, de béton, l'économie biélorusse n'est pas florissante mais ne se porte pas si mal. Néanmoins, ceci ne devrait pas forcément durer très longtemps puisque les sanctions occidentales commenceront à produire pleinement leurs effets à compter du 1er janvier 2022.

L'autre facteur qui explique le rétablissement d'Alexandre Loukachenko est qu'il a réussi à mobiliser tous ses réseaux et relais. Au pouvoir depuis vingt-sept ans, son dix-millième jour de pouvoir sans interruption ayant été commémoré avant-hier, il s'est notamment appuyé sur le mouvement pro-régime « Belaya Rus » comptant près de 200 000 membres, souvent d'anciens communistes, des retraités, des employés et des ouvriers dans les usines d'État, essentiellement, qui s'estiment redevables à son égard. Parallèlement, il a développé toute une vision « souveraine » de l'économie, hybride entre socialisme et économie de marché, qui a parlé à une partie des élites.

Le régime n'est donc pas totalement isolé. Malgré tout, autant qu'on puisse en juger puisqu'il n'y a évidemment pas de sondages d'opinion dans le pays, le rejet par la population est largement majoritaire aujourd'hui.

La répression tous azimuts a de plus fait son œuvre. Elle a été féroce et brutale, Alexandre Loukachenko voulant visiblement prendre sa revanche sur une population qu'il taxe d'ingratitude. Il n'a pas hésité à affirmer que les manifestants n'avaient rien compris, lui-même ayant bâti, selon ses dires, la Biélorussie moderne qui, de fait, lui appartiendrait. Dans une interview à la presse russe, il a d'ailleurs précisé qu'il ne quitterait jamais le pouvoir : les choses sont donc dites, claires, assumées.

Pour vous donner une idée de cette répression, je vais vous indiquer quelques chiffres. Depuis le mois d'août 2020, on dénombre quelque 35 880 arrestations, 5 000 affaires pénales en cours, probablement plus d'un millier de prisonniers politiques pour certains soumis à un travail forcé, y compris l'ancien candidat à l'élection présidentielle, M. Victor Barbaryko, un ancien banquier qui travaille dans une boulangerie industrielle pour purger sa peine, 327 chaînes sur l'application Telegram fermées pour extrémisme, toute critique du pouvoir étant assimilée à de « l'extrémisme » par la loi, 275 ONG de toutes natures, y compris celles de défense des animaux, liquidées ou en cours de liquidation, 100 médias interdits, 32 avocats qui ont perdu leur licence de travail, 31 journalistes en garde à vue ou en prison. Je rappelle, en outre, que la peine de mort est toujours en vigueur en Biélorussie et constitue une épée de Damoclès terrible, c'est d'ailleurs l'un des principaux motifs de la non-adhésion du pays au Conseil de l'Europe.

Dernière illustration de cette répression et de la mainmise du pouvoir sur la vie politique, les principaux dirigeants de la contestation ont été emprisonnés, à l'instar de M. Victor Barbaryko et de sa principale collaboratrice, Mme Maria Kolesnikova. Les autres sont partis à l'étranger, à Vilnius, Varsovie ou, pour l'un d'entre eux, à Athènes.

Le soutien de la Fédération de Russie au régime, s'il est central, ne va pas sans tensions. Les deux présidents russe et biélorusse entretiennent une relation de rivalité. Le régime biélorusse monnaie au prix fort, notamment s'agissant la tarification du gaz russe, son maintien dans la sphère d'influence de Moscou. Le prix du gaz est indéniablement, dans la région, un outil politique utilisé par la Russie et il est l'objet d'âpres marchandages.

Pour Moscou, Alexandre Loukachenko est celui qui a « rétabli l'ordre constitutionnel » et « sauvé » le pays en 2020. À ce titre, il est incontournable, au moins pour l'instant. La Fédération de Russie est cependant en position de force. Elle cherche à imposer une réforme institutionnelle à travers l'adoption d'une nouvelle Constitution, afin d'ouvrir le jeu politique et de renforcer son emprise. La Commission européenne pour la démocratie par le droit, dite Commission de Venise, pourrait peut-être, à cet égard, avoir un rôle à jouer, mais j'y reviendrai si vous le souhaitez.

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