Intervention de Nicolas de Bouillane de Lacoste

Réunion du mercredi 8 décembre 2021 à 17h15
Délégation française à l'assemblée parlementaire du conseil de l'europe

Nicolas de Bouillane de Lacoste, envoyé spécial pour la Biélorussie :

Comme je le disais, la Russie souhaite une réforme constitutionnelle qui diversifie un peu la représentation politique du peuple biélorusse. Aujourd'hui, le Parlement de Minsk ne comprend aucun représentant de l'opposition et les partis politiques n'ont aucune existence. Le seul interlocuteur de Moscou est Alexandre Loukachenko, ce qui n'est pas le plus commode pour la Russie.

Faute de médias libres en Biélorussie, la population regarde les médias russes, plus diserts même s'ils véhiculent eux-aussi une vision tronquée de la réalité. Or, le fait est que les médias russes ne sont pas les plus complaisants à l'égard d'Alexandre Loukachenko. Indirectement, par ce biais, Moscou dispose ainsi d'un autre moyen de pression sur le régime biélorusse.

Enfin, la présence stratégique de forces russes à proximité du pays et les manœuvres militaires communes, comme celles réalisées en septembre dernier, illustrent la très grande proximité sécuritaire des deux pays.

On me pose souvent la question de savoir si, trente ans après la fin de l'Union des Républiques soviétiques socialistes (URSS), la Fédération de Russie va absorber la Biélorussie pour tenter de recréer un espace géopolitique plus large sur le flanc oriental de l'Europe. Je ne pense pas que la Russie y ait un quelconque intérêt, d'autant qu'elle n'a plus d'autres alliés diplomatiques en Europe. Signe qui ne trompe pas, alors qu'il s'était refusé à reconnaître l'annexion de la Crimée pendant sept ans, Alexandre Loukachenko a dû s'y résoudre la semaine dernière. Sa marge de manœuvre s'est réduite considérablement. Dans leur discours, les Russes évoquent une histoire, une souveraineté, une patrie et des frontières communes avec la Biélorussie, dont le destin serait inextricablement lié à la Russie. Alexandre Loukachenko, lui, emploie volontiers l'image d'un toit certes commun, mais avec deux appartements séparés dans lesquels chacun reste chez soi, ce qui est sensiblement différent.

De manière plus générale, et cela m'amène aux relations entre la Biélorussie et l'Union européenne, Alexandre Loukachenko a cherché à se présenter, après l'annexion de la Crimée, comme un médiateur entre la Russie et l'Occident. C'est à Minsk, ne l'oublions pas, que se sont tenues les négociations sur la situation dans l'Est de l'Ukraine, la Biélorussie étant alors considérée comme un endroit neutre par les Ukrainiens, les Russes et les Occidentaux. Le ministre biélorusse des Affaires étrangères s'est alors fait le chantre d'une « multivectorialité » dans le domaine économique, visant à contrebalancer la dépendance du pays à l'égard de la Russie

Bien entendu, cette relation a volé en éclats le 9 août 2020, les Européens ne reconnaissant pas le résultat proclamé de l'élection présidentielle. Quelques canaux de discussion subsistent entre le ministère des Affaires étrangères biélorusse et Bruxelles, mais tous les échanges et visites ont été gelés.

L'Union européenne a adopté cinq trains de sanctions successifs, le dernier la semaine passée, tous appuyés par nos principaux partenaires (États-Unis, Canada, Royaume-Uni, Suisse, Norvège). Ces sanctions sont à la fois individuelles, à l'encontre de personnes qui se sont illustrées dans la répression, et collectives, en ce qu'elles visent aussi des entreprises et des secteurs d'activité économique complets. Leurs effets ne se feront pleinement sentir qu'à partir de l'année prochaine.

Le régime est en train de définir des contremesures. Alors qu'on imaginait qu'il continuerait de s'en prendre aux représentations diplomatiques occidentales, cinq ambassadeurs ayant déjà dû quitter Minsk, il semble que des rétorsions à l'égard des importations de produits européens seront décidées, notamment les produits laitiers, les fruits et légumes, certains produits carnés. Cela devrait pénaliser assez fortement les pays frontaliers qui commercent avec la Biélorussie, notamment la Pologne.

Ragaillardi, le régime n'hésite plus désormais à développer des actions de déstabilisation à l'extérieur de ses frontières.

Après le consternant détournement de l'avion de Ryanair, le 23 mai 2021, qui avait suscité les premières sanctions économiques, voilà que des charters entiers ont acheminé des migrants du Moyen-Orient en Biélorussie, afin de les orienter vers la frontière du pays avec la Pologne et les États baltes. Certaines images prises le 16 novembre dernier parlent d'elles-mêmes : on y voit des migrants kurdes faisant face aux gardes-frontières polonais, et, derrière les migrants, les gardes-frontières biélorusses qui les poussent à des tentatives de franchissement des barbelés installés entre les deux pays.

Depuis, les choses se sont un peu tassées mais on déplore au moins 13 morts et les rigueurs de l'hiver frappent désormais la région, avec des températures avoisinant les - 10°C / - 15°C dans les forêts, où la neige a fait son apparition.

Selon nos informations, il y a aujourd'hui encore, chaque nuit, quelques dizaines de tentatives de franchissement illégal de la frontière. Il n'y a plus de point de fixation sous l'objectif des caméras mais des petits groupes qui tentent leur chance vers la Lituanie ou la Pologne.

Face à cette situation, l'Union européenne n'est pas restée inactive. Elle a dépêché des émissaires dans les capitales de tous les pays de départ, afin de tarir les flux et organiser des retours volontaires. Actuellement, 3 100 retours de ce type ont été organisés, notamment vers l'Irak.

Comme vous l'avez indiqué, Madame la Présidente, le régime a aussi tenté de faire pression sur les représentations diplomatiques pour obtenir une forme de reconnaissance. Il a ainsi été exigé que je présente mes lettres de créance à Alexandre Loukachenko, ce que les autorités françaises ont refusé. La conséquence logique de cette situation était que je parte et qu'un chargé d'affaires prenne la tête de l'ambassade. L'opposition biélorusse est reconnaissante à la France de cette marque de fermeté.

En conclusion, que pouvons-nous faire maintenant, alors que le régime s'est attaché à recourir à l'escalade depuis un an et demi ? La surenchère à laquelle se livre Alexandre Loukachenko poursuit un but principal : se garantir du soutien de la Russie. L'Occident, quant à lui, peut et doit soutenir l'opposition démocratique. De ce point de vue, la rencontre entre le président de la République Emmanuel Macron et Mme Svetlana Tikhanovskaïa, le 29 septembre 2020 à Vilnius, s'est révélée extrêmement importante car elle était la première à ce niveau pour la candidate à l'élection présidentielle du 9 août précédent. L'événement a marqué les esprits et l'opposition biélorusse y a été sensible.

Je sais que les sanctions ne sont pas très populaires, ni ici, ni en Biélorussie. Un débat a lieu sur leur effectivité et leur efficacité. Néanmoins, l'Union européenne n'a pas d'alternative pour marquer son désaccord avec ce qui se passe en Biélorussie et, probablement, cette voie sera poursuivie à l'avenir en l'absence de tout changement ou de toute inflexion notable de sa part.

Nous devons aussi accroître notre soutien à la société civile biélorusse. Plusieurs initiatives sont prises, notamment à l'égard des prisonniers politiques : peut-être avez-vous eu connaissance, entre autres, de cette démarche d'une association qui s'appelle Libereco, consistant à faire parrainer par des parlementaires des pays de l'Union européenne, à titre individuel, un prisonnier politique en Biélorussie ? Je me dois de mentionner, à ce sujet, le cas d'une sociologue très proche de la France, Mme Tatsiana Kouzina, arrêtée fin juin à l'aéroport de Minsk alors qu'elle se rendait à un séminaire à Tbilissi. Nous ne savons pas ce qui lui est reproché. Il serait question d'une incrimination pour appel au renversement du pouvoir, ce qui serait totalement délirant. Si des membres de la délégation pouvaient parrainer Mme Tatsiana Kouzina, qui a beaucoup d'amis en France, cela serait à mon sens bienvenu.

Il importe aussi de continuer à soutenir les représentants des médias, les chercheurs et les étudiants expulsés. Nous avons en France un dispositif qui s'appelle le programme « Pause ». Mis en œuvre avec le Collège de France, ce programme d'accueil s'adresse aux scientifiques en difficulté dans leur pays. Il y a également le programme « Répit » pour les avocats, mis en œuvre par le barreau de Paris.

Enfin, chaque fois que l'on peut évoquer la situation en Biélorussie, il faut le faire. Le peuple biélorusse y est très attaché. Le dialogue, exigeant, avec le partenaire russe, compte aussi. Même s'il est difficile et ne produit pas nécessairement les résultats souhaités, la Russie accepte d'aborder le sujet avec ses interlocuteurs occidentaux, et c'est un fait nouveau. Cela permet de rappeler nos lignes rouges et notre souhait d'une issue pacifique et négociée avec l'ensemble des parties, selon un format incluant notamment les forces réfugiées à l'étranger.

Il y aura un jour une Biélorussie démocratique. Il n'y a aucune raison que ce pays reste un petit îlot autocratique, alors que la Russie a connu d'extraordinaires évolutions, sans parler de la Lituanie, de la Lettonie, de la Pologne et de l'Ukraine. Les Biélorusses voyagent et voient les conditions de vie, normales, dans ces pays proches. En 2020, le pays n'est pas passé loin d'un changement profond et la Russie sait qu'une évolution est à l'œuvre dans la société biélorusse, qui a pris de la consistance depuis trente ans. Le temps de mon séjour sur place, j'ai moi-même pu constater les étapes importantes franchies de manière accélérée par la population biélorusse.

Si la nouvelle Constitution préparée par le régime ne devrait probablement pas apporter de changement majeur capable de répondre aux aspirations populaires, les forces démocratiques travaillent également à un projet constitutionnel alternatif. Pour crédibiliser leur démarche, elles ont saisi des membres et d'anciens membres de la Commission de Venise, qui ont donné leur avis sur leur travail. Ce type de soutien, là-aussi, est capital.

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