Intervention de Annie Podeur

Réunion du mercredi 20 mai 2020 à 10h45
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Annie Podeur, présidente de la deuxième chambre de la Cour des comptes :

La demande de la commission portait sur trois axes : une présentation des enjeux économiques et environnementaux de la filière de la forêt et du bois ; sa structuration et la coordination entre ses différents acteurs ; les outils de planification mis en place et les soutiens mobilisés, notamment fiscaux. L'enquête a porté exclusivement sur la métropole, en raison des délais impartis et des spécificités de la filière en outre-mer. Plus de 140 interlocuteurs ont été interrogés et les rapporteurs se sont déplacés dans les régions Auvergne-Rhône-Alpes, Grand Est et Bourgogne-Franche-Comté.

Cette enquête s'est appuyée sur une communication de la Cour au Sénat, datée de novembre 2014. Ses principaux constats demeurent d'actualité, à commencer par la dispersion des moyens publics consacrés à la filière, ou encore son insuffisante structuration.

Les rapporteurs se sont appuyés sur un comité de référents, composé de cinq experts, réuni à deux reprises. De janvier à mars 2020 s'est tenue la phase de contradiction. La direction générale de l'énergie et du climat (DGEC) du ministère de la transition écologique et solidaire, ainsi que la direction générale de la performance économique et environnementale des entreprises (DGPE) du ministère de l'agriculture et de l'alimentation ont été entendues, ainsi que l'Office national des forêts (ONF), le Centre national de la propriété forestière (CNPF) et l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture. En ce qui concerne les acteurs privés, les rapporteurs ont entendu le président du comité stratégique de filière et les trois organismes interprofessionnels que sont France bois forêt (FBF), France bois industries entreprises (FBIE) et France bois régions (FBR).

Les difficultés rencontrées par la filière concernent l'ensemble des acteurs. Le potentiel économique est notamment insuffisamment exploité. Traditionnellement, la fonction économique de la forêt permet d'assurer ses autres rôles. Néanmoins, cet équilibre s'est progressivement rompu. La crise structurelle révèle un manque d'intégration entre l'amont et l'aval. Elle se traduit par un déficit commercial croissant, qui représente 7 milliards d'euros en 2018. Il s'agit du deuxième poste de déficit commercial de la France après les hydrocarbures. La France exporte ainsi du bois brut et importe du bois transformé.

L'amont forestier ne représente que 14 % de la valeur ajoutée de la filière. En raison de son morcellement, d'une modernisation insuffisante et du manque d'attractivité de ses métiers, il ne parvient pas à répondre aux besoins de l'industrie. Des menaces croissantes pèsent par ailleurs sur le renouvellement de la ressource forestière, en raison du réchauffement climatique et de l'excédent de gros gibier.

L'aval de la filière regroupe des secteurs industriels très divers. Le bois destiné à la construction représente un tiers de la valeur ajoutée de la filière et porte l'essentiel de son potentiel de développement. Ses limites tiennent à l'inadaptation des produits français transformés, au-delà du marché de la maison individuelle.

Le secteur de l'ameublement et celui du papier-carton souffrent également d'un déficit de compétitivité, qui représente les deux tiers du déficit commercial de la filière. Le bois énergie fait pour sa part face à la concurrence des technologies fossiles, plus compétitives. La fiscalité compense insuffisamment ce différentiel.

Les enjeux environnementaux représentent à la fois une opportunité et une contrainte. La filière est au cœur de la lutte contre le réchauffement climatique. Elle permet notamment la séquestration de carbone et des émissions moindres grâce à la substitution à des procédés moins performants.

Les préoccupations croissantes de préservation de la biodiversité imposent des prescriptions coûteuses et contraignantes à la filière. Les acteurs doivent également prendre en compte les usages récréatifs des forêts, qui entrent parfois en contradiction avec leur activité.

La gouvernance de la filière apparaît par ailleurs éclatée. Les organisations interprofessionnelles de l'amont, de l'aval et de l'échelon régional ont poursuivi des logiques différentes, voire opposées. Des progrès se sont fait jour, avec la création en 2014 du comité stratégique de filière, qui s'attache à promouvoir des projets fédérateurs, même si le niveau d'intégration demeure modeste. Une veille économique mutualisée a également été mise en place depuis le début de l'année.

L'État lui-même ne parvient pas à définir une politique coordonnée. La filière n'est ainsi la priorité d'aucun ministère. Du fait de la faiblesse du pilotage interministériel, les soutiens dont elle bénéficie manquent de stabilité et de lisibilité, malgré de nombreux outils de planification. La succession rapide des plans hypothèque le travail de suivi et d'évaluation. Par exemple, les documents de gestion durable ne concernent que la moitié des surfaces.

La filière bénéficie d'un soutien public qui atteignait plus de 1,16 milliard d'euros par an en moyenne entre 2015 et 2018. Le ministère de l'agriculture et de l'alimentation conduit la politique forestière, mais le ministère de la transition écologique et solidaire en est le premier financeur, avec 600 millions d'euros. Ces sommes sont cependant presque exclusivement consacrées au bois énergie, alors même que le bois de construction crée le plus de valeur.

Les aides pour l'amont apparaissent insuffisantes et inadaptées aux défis de la forêt, et notamment de son renouvellement. Seuls 3 % des aides fiscales sont ainsi dédiés à la gestion dynamique des forêts. Un quart des exonérations fiscales relève d'une vision patrimoniale, les trois quarts restants soutenant le bois énergie.

Les soutiens dont bénéficie l'aval relèvent de politiques industrielles qui dépassent la filière. Si différents outils spécifiques ont été développés, ils gagneraient à l'être davantage.

La structuration du secteur est impérative, mais doit être le fait des acteurs eux-mêmes, et notamment des interprofessions. La filière fonctionne mieux au niveau régional que national. Cette évolution doit être confortée, car les enjeux diffèrent souvent d'un massif à l'autre.

Les recommandations du rapport sont regroupées autour de deux axes. Le premier vise à préserver la ressource forestière et à soutenir les industries de transformation du bois. La recommandation n° 1 propose ainsi la création d'un fonds d'aide au repeuplement, qui pourrait atteindre une centaine de millions d'euros par an et serait confié à l'Agence de la transition écologique (ADEME). Il pourrait être abondé par les fonds existants, trop dispersés. La simplicité et la lisibilité des aides apparaissent comme des conditions essentielles au succès de ce fonds.

Dans cette perspective, la recommandation n° 2 prévoit la généralisation des annexes vertes. De même, la recommandation n° 6 prévoit l'extension au secteur forestier de l'expérimentation des paiements pour services environnementaux.

La recommandation n° 3 vise à évaluer l'efficacité des dépenses fiscales liées aux droits de succession et à l'impôt sur la fortune immobilière (IFI), accordées aux propriétaires forestiers. Les contrôles exercés pour s'assurer que les contreparties des exonérations sont bien respectées sont pour l'heure peu dissuasifs.

La recommandation n° 4 souligne la nécessité de mesures visant à limiter les dégâts du grand gibier en forêt. Il convient notamment de s'assurer de la bonne exécution des plans de chasse.

La recommandation n° 5 propose la mise en place d'un troisième fonds bois par la Banque publique d'investissement (Bpifrance), orienté vers le secteur de la construction.

Le second axe de recommandation vise à promouvoir une politique de filière cohérente, au plus près des territoires et à l'écoute des citoyens. Il apparaît notamment essentiel de renforcer la coopération interministérielle et de valoriser la mise en œuvre des dispositifs à l'échelon territorial. L'ONF doit également être conforté.

Enfin, la communication auprès du grand public sur la gestion durable des forêts doit être améliorée. Une étude sur l'acceptabilité des coupes de bois apparaît notamment prioritaire pour éclairer l'ampleur réelle des contestations.

La recommandation n° 7 prévoit ainsi de conditionner chaque extension de l'accord interprofessionnel sur la cotisation interprofessionnelle étendue (CIE) à une évaluation de l'efficacité des dépenses financées et de la gouvernance de FBF.

La recommandation n° 8 vise à renforcer la coordination entre les réseaux du CNPF et des chambres d'agriculture, au sein des services communs « valorisation du bois et territoire ».

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