Dès le début du confinement, j'avais proposé que le Gouvernement s'empare de cette question, notamment pour classer la pandémie en catastrophe naturelle, avant que même les questions assurantielles ne fassent l'objet de discussions. Cette proposition de loi est l'occasion de discuter d'un sujet qui fait l'actualité.
La crise sanitaire a fait apparaître des failles dans le système assurantiel, notamment dans la couverture des pertes d'exploitation des entreprises – très petites entreprises (TPE), petites et moyennes entreprises (PME), entreprises de taille intermédiaire (ETI) –, ainsi que des indépendants, qui se trouvent dépourvus face à ce type de risques.
Le contentieux ne fait que commencer : vendredi, le tribunal de commerce de Paris, saisi en référé, a condamné l'assureur AXA à indemniser les pertes d'exploitation d'un restaurateur. La compagnie a fait appel de la décision.
Cette proposition de loi vise à clarifier une situation juridique que l'on pourrait qualifier d'instable ou de floue. Outre la décision du tribunal de commerce de Paris, de nombreux représentants professionnels, notamment l'Union des métiers et des industries de l'hôtellerie (UMIH), en ont fait état. Cette instabilité tient aussi au fait que les contrats comportent une large part d'incertitude.
Ce texte a aussi une vocation plus politique, que j'assume, celle de débloquer la situation actuelle en pesant sur le monde de l'assurance pour qu'il regarde plus attentivement comment indemniser justement des milliers de TPE et de PME menacées de disparition, qui se jugent abandonnées par leurs assureurs alors qu'elles ont cotisé pendant de nombreuses années.
La France insoumise n'est pas le seul groupe à s'intéresser à cette question. Plusieurs propositions de loi, dont celle du président Woerth, ont été déposées ces dernières semaines, qui tendent à montrer que le Parlement doit se saisir de ce sujet et examiner comment régler ces questions. Quel que soit le sort que vous réserverez à ma proposition de loi, dont j'espère que la qualité et la pertinence vous convaincront, il s'agit à mes yeux d'une question essentielle et nous devons nous attacher à déboucher sur une réalisation concrète.
Pour dresser un panorama du risque de pandémie, qui a été sinon ignoré du moins sous-estimé, il faut remonter aux alertes du syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS), de la grippe H1N1 ou du syndrome respiratoire du Moyen-Orient lié à un coronavirus (MERS-COV). Le milieu de l'assurance, notamment, les a ignorés dans les deux décennies précédentes. Or les deux exemples que je viens de citer montrent qu'il s'agit bien d'un risque récurrent, qui n'a rien d'improbable, et la longueur de la période au cours de laquelle il peut survenir n'est pas à ce point démesurée qu'elle en ferait un risque inassurable, par manque de données statistiques probantes.
Rappelons que le risque de catastrophe naturelle avait été lui aussi pendant longtemps qualifié d'inassurable par les assureurs, jusqu'à ce que le dispositif assurantiel relatif aux catastrophes naturelles (CATNAT) ne soit instauré en 1982. La notion d'inassurabilité est très fluctuante : il suffit que l'on décide qu'un risque est assurable pour trouver des solutions pour l'assurer.
Les actuaires disposent de peu de données en raison du manque affligeant sinon désespérant de statistiques sur ces épidémies, également lié à la faiblesse de la recherche publique sur ces questions. Ils doivent pourtant se fonder sur des données « dures » pour parler de probabilités de retour ou de risques. Or ce volet est inexistant.
Les TPE et les PME, notamment dans l'hôtellerie, la restauration, le commerce, l'artisanat, ont été les premières victimes de ces problématiques. Or ce tissu économique fait la richesse de nos territoires et, surtout, pourvoit de nombreux emplois qui ne sont pas délocalisables.
S'agissant des dispositifs d'assurance actuels, le régime CATNAT couvre le risque de pertes d'exploitation en cas de dommages, bien qu'il y ait des discussions juridiques sur l'interprétation des textes. Ce risque fait l'objet d'une cotisation et d'une couverture optionnelles, mais seulement une PME sur deux y souscrit. En revanche, le risque « non-dommage », lié à des problèmes sanitaires ou de fermeture administrative, est très peu couvert. Et lorsqu'il l'est, la garantie est ambiguë et pose des problèmes d'interprétation.
Sur ces registres, les compagnies d'assurances sont immédiatement montées au créneau médiatique, soutenant que ces risques n'étaient pas couverts, car elles sentaient que ce flou pouvait être interprété différemment. La décision de justice de la semaine dernière montre qu'il existe bien une marge d'interprétation.
L'autre enjeu a été de savoir à combien pourraient s'élever les pertes d'exploitation. C'était à qui lançait le chiffre le plus effrayant pour conclure que le risque n'était ni assurable ni assuré… La Fédération française de l'assurance (FFA) a avancé un montant de 50 à 60 milliards d'euros de pertes d'exploitation afin de faire peur à tout le monde et de couper court à la discussion. Cette évaluation doit être rapprochée du chiffre d'affaires du secteur en France, 210 milliards, ou de ceux d'AXA (100 milliards), d'Allianz (130 milliards) ou de Generali (70 milliards).
Des études demandées par Bercy à Bpifrance sur le secteur des cafés, hôtels, restaurants et discothèques (CHRD) ont estimé que les pertes d'exploitation atteindraient 7,8 à 9 milliards selon les scénarios de reprise d'activité, alors que la FFA fait état de montants proches de 4 milliards. Là encore, les interprétations divergent.
D'autres chiffres peuvent être mentionnés : quand les assureurs prétendent que la couverture des pertes d'exploitation peut les mettre en grave difficulté financière, il est question d'une dizaine de milliards d'euros. Or les cinq plus grosses compagnies d'assurances versent chacune entre 3,5 et 4 milliards de dividendes par an, soit près de 20 milliards au total : cela aussi pourrait être de nature à affecter leur solidité financière…
Pour faire face à cette situation à laquelle nos commerçants, nos artisans, nos restaurateurs, nos hôteliers, et plus généralement les entreprises de notre pays, notamment les plus petites, sont confrontés, plusieurs solutions sont envisageables. La proposition de loi prévoit une extension de la garantie CATNAT, en précisant qu'elle pourrait s'ouvrir à des pertes d'exploitation, y compris sans dommage matériel. On pourrait aussi définir une couverture particulière d'un risque de catastrophe sanitaire et lui affecter un risque optionnel dans des contrats d'assurance ; c'est un peu le sens de l'amendement du groupe Socialistes et apparentés, sur lequel nous reviendrons. Autre option, la création d'une structure analogue au groupement d'intérêt économique de gestion de l'assurance et de la réassurance des risques attentats et actes de terrorisme (GAREAT) et l'extension de sa couverture au risque sanitaire.
Quels que soient les dispositifs retenus, vos prises de position font du moins apparaître un consensus sur les objectifs : il s'agit d'abord de limiter les dégâts économiques et sociaux subis par les PME et les TPE.
Deuxième objectif : mutualiser le risque en garantissant une solidarité véritable entre les entreprises, ce qui devrait être l'essence même du métier d'assureur. Or force est de constater une dérive : certains assureurs vendent des contrats d'assurance comme d'autres des boutons de chemise. Cela pose un problème presque philosophique, celui de savoir comment on conçoit la solidarité et le rôle de l'assurance en la matière.
Troisième objectif : offrir des garanties claires pour éviter que les contrats ne soient interprétés au bénéfice de ceux qui ont les meilleurs juristes, afin qu'ils n'aient pas à couvrir les risques.
Enfin, il faut se pencher sur les mécanismes de réassurance, qui concernent tous les risques et toutes les assurances. Le dispositif CATNAT est ainsi couvert par la Caisse centrale de réassurance (CCR), elle-même couverte en dernier recours par une garantie illimitée de l'État. Ce sont précisément ces mécanismes à plusieurs étages qui permettent de rendre assurable un risque jusqu'alors réputé inassurable.
Le dispositif proposé ici vise à élargir la notion de catastrophe naturelle aux pandémies et aux épidémies. Cela semble une voie intéressante, puisque le dispositif CATNAT existe d'ores et déjà et dispose d'un mécanisme de réassurance pertinent. Reste à définir une assiette pour financer les conséquences de ces pandémies à la hauteur du risque estimé. Il s'agit de conserver cette mécanique à deux étages, avec la CCR, opérateur institutionnel propriété de l'État, et une garantie illimitée de l'État.
Cet élargissement ne doit toutefois pas passer par un nouvel appel de cotisation qui viendrait s'ajouter à l'actuelle surprime de 12 %. Faire peser de nouvelles charges sur les assurés ne peut être la seule voie – nous pourrons en discuter. Aussi la proposition de loi prévoit-elle que l'extension de garantie soit aussi financée par une taxation des dividendes, des stock-options et des résultats exceptionnels versés aux actionnaires par les sociétés d'assurance.
Ce mécanisme outrepasse le principe de la couverture du risque par les seules primes d'assurance. Nous devons examiner sans a priori ni tabou la façon dont nous pouvons garantir ce risque inédit, collectivement, avec les compagnies d'assurances. Le dispositif se justifie par le fait que les sommes que les compagnies d'assurances versent à leurs actionnaires ne mettent pas en péril leur équilibre financier ; celles-ci doivent revenir à leur destination et au cœur du métier d'assureur, qui consiste à mutualiser un risque pour indemniser quelques-uns d'entre nous lorsque celui-ci survient et qu'il faut faire jouer la garantie. Ces sommes ne doivent pas échapper à la garantie des risques que nous avons à assurer dans le futur.