Le rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques est établi dans le cadre de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) et de la mission d'assistance au Parlement qui nous est confiée par la Constitution.
Ma présidence débute dans un contexte inédit, celui d'une crise majeure et multidimensionnelle, qui a durement touché nos concitoyens, a frappé de plein fouet notre économie et marquera durablement le paysage de nos finances publiques.
Sachez que, face à une situation extrêmement évolutive, nous avons analysé les informations disponibles au 25 juin 2020. Cette année, de manière inédite, la France ne présente pas de scénario au-delà de 2020. Nous avons donc centré nos analyses sur l'enjeu décisif de la soutenabilité de la dette publique. Ce rapport s'attache cependant à fournir des clés pour repenser à l'échelle nationale, mais également dans un cadre européen, une stratégie de finances publiques.
Ce rapport est tourné tout entier vers les conséquences de la crise majeure que nous traversons. Il est irrigué par trois questions.
Premièrement, dans quelles conditions et avec quelles marges de manœuvre financières la France a-t-elle abordé ce choc ?
À la veille de la crise, la France, du point de vue de ses finances publiques, ne se trouvait pas dans une position aussi favorable que d'autres États européens pour affronter un tel choc. Dix ans après la crise financière, le redressement de nos finances publiques était inachevé. La dépense publique a même augmenté de 2 points de PIB entre 2007 et 2019, ce qui fait que les objectifs fixés en loi de programmation des finances publiques ont été repoussés à plusieurs reprises. Le redressement structurel s'est donc ralenti : la situation des finances publiques en 2019 en témoigne.
Le constat est le suivant : la France fait partie des pays de la zone euro qui ont abordé la crise – et le choc économique – avec des niveaux de déficit et de dette plus importants que la moyenne de la zone, mais également avec des niveaux de prélèvements obligatoires et de dépenses publiques élevés.
Deuxièmement, quelle est l'ampleur de l'impact de la crise sur nos finances publiques en 2020 ? Une crise qui est avant tout sanitaire et a conduit à restreindre fortement l'activité économique durant plusieurs semaines. Une crise qui a entraîné le déclenchement, par les institutions européennes, de la clause dérogatoire du Pacte de stabilité et de croissance, ce qui a permis de suspendre temporairement l'application des règles d'encadrement des finances publiques.
En France, trois projets de loi de finances rectificative (PLFR) ont été préparés en trois mois, les prévisions ayant été considérablement modifiées : le PIB, prévu à la hausse de 1,3 %, en volume, est désormais attendu à – 11 % ; le déficit public atteindrait 250 milliards d'euros, contre une prévision initiale de 53,5 milliards d'euros ; et la dette publique s'aggraverait de 22 points de PIB. Les mesures exceptionnelles adoptées pour lutter contre l'épidémie et soutenir l'économie sont estimées à 57,5 milliards d'euros, soit 2,6 points de PIB et portées en grande partie par l'État, à hauteur de 63 %, et par les administrations de sécurité sociale. Ces dernières subissent également une importante baisse de leurs recettes, portant le déficit du régime général et du fonds de solidarité vieillesse de 5,4 à 52 milliards d'euros.
Du fait des mesures d'ampleur adoptées pour limiter les effets de la crise, les dépenses publiques progresseraient de 6,4 points en 2020, représentant un niveau inégalé de 63,6 % du PIB. D'autres mesures de soutien n'ont pas reçu à ce stade de traduction dans une loi financière.
Si la crise a déjà eu pour certains de nos concitoyens des conséquences dramatiques, l'essentiel de son coût économique a été transféré sur la dette publique. Le niveau de la dette atteindrait 120 points de PIB, soit une augmentation de 270 milliards d'euros.
Troisièmement, quelles perspectives pouvons-nous envisager pour l'avenir, notamment pour assurer la soutenabilité de notre dette publique, un enjeu essentiel ?
La Cour envisage trois scénarios. D'abord, un scénario dit de rattrapage, qui prévoit que le PIB revient à sa trajectoire d'avant-crise au bout de quelques années et que le déficit se réduit rapidement vers un niveau proche de 2 %. Ce scénario s'appuie sur l'hypothèse que la croissance potentielle ne serait pas affectée par le choc, notamment grâce aux dispositifs de soutien adoptés. Cette hypothèse nous paraît optimiste.
Ensuite, un scénario dit de perte limitée, dans lequel le PIB ne rattraperait pas intégralement le terrain perdu durant la crise, mais suivrait une tendance de croissance identique à celle d'avant‑crise. La croissance potentielle ne serait pas non plus altérée par la crise, mais le rebond du PIB serait moins marqué à court terme et les pertes ne seraient pas intégralement rattrapées. Le niveau de PIB resterait alors durablement inférieur à celui qui aurait prévalu en l'absence de crise : 2,5 années de croissance seraient perdues du fait du choc et le déficit public demeurerait supérieur à 4 points de PIB.
Enfin, un scénario dit de faiblesse persistante, le niveau et le taux de croissance du PIB diminuant de manière durable par rapport à ceux qui étaient observés avant la crise. Ce scénario s'appuie sur un rebond encore plus modéré de l'activité au sortir de la crise et sur un potentiel de croissance durablement réduit. Le déficit resterait élevé, revenant à peine sous 6 % au milieu des années 2020.
Pour chacun des trois scénarios, les trajectoires de croissance et de déficit ont un impact direct sur la trajectoire de la dette : dans le scénario de rattrapage, la dette baisserait rapidement en PIB, puis de façon plus graduelle. Le ratio de dette resterait, dix ans après la crise, supérieur à 100 points de PIB. Dans le scénario de perte limitée, ce ratio serait maintenu un peu au-dessus de 115 points de PIB à horizon 2030. Et dans le scénario de faiblesse persistante, la dette augmenterait de façon quasi continue, atteignant 140 points de PIB en 2030.
Je ne céderai pas pour autant au catastrophisme, même si la soutenabilité de la dette sera, dans les prochaines années, un enjeu décisif pour les finances publiques. Il serait imprudent de tabler seulement sur la croissance pour maîtriser notre trajectoire d'endettement ; elle nous exposerait à des difficultés majeures, à terme, en cas de remontée des taux. En outre, même si les autres États européens sont concernés, il n'en demeure pas moins qu'une dette doit, in fine, être remboursée et que réduire notre dette publique est nécessaire, à la fois pour restaurer des marges d'action et renouer avec une trajectoire plus proche de celle de nos partenaires de la zone euro.
Pour relever ce défi, la France doit désormais fixer les principes d'une stratégie de redressement des finances publiques. Celle-ci doit s'inscrire dans un cadre européen, et fait aujourd'hui l'objet de réflexions sur l'évolution du Pacte de stabilité et de croissance après la crise sanitaire.
Au niveau national, cette stratégie devra s'insérer dans un horizon pluriannuel adapté. Dans l'immédiat, la priorité va évidemment à la maîtrise de la situation sanitaire et au redémarrage de l'activité. Ensuite, il faudra s'inscrire dans un rythme soutenu mais régulier de redressement des finances publiques. Pour ce faire, je crois au sérieux, mais pas à l'austérité. Et une nouvelle loi de programmation des finances publiques constitue le vecteur le plus approprié pour porter cette stratégie à moyen terme.
Enfin, la stratégie de redressement des comptes publics aura pour piliers, non seulement la soutenabilité de la dette, mais aussi la qualité de la dépense publique. La qualité de nos services publics devra être maintenue. Si de nouvelles baisses des prélèvements obligatoires devaient être envisagées, elles devraient s'accompagner de hausses d'autres prélèvements ou de suppressions de niches. Le réexamen de la qualité de la dépense publique devra préserver l'investissement public, puissant vecteur de croissance.
Cette orientation nous permettra d'accompagner davantage la transition écologique et de renforcer notre dispositif de santé. Mais elle suppose que soient respectés deux prérequis. D'une part, que les autres dépenses publiques fassent l'objet d'un effort accru de maîtrise. D'autre part, que les décisions d'investissement soient mieux éclairées.