Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Réunion du mardi 30 juin 2020 à 17h15

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • PIB
  • prêts
  • redressement
  • scénario
  • soutenabilité
  • trajectoire

La réunion

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La commission entend MM. Pierre Moscovici, Premier président, et Christian Charpy, président de la première chambre, sur le rapport de la Cour des comptes sur la situation et les perspectives des finances publiques.

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Nous accueillons MM. Pierre Moscovici, premier président de la Cour des comptes, et Christian Charpy, président de la première chambre, sur le rapport de la Cour des comptes relatif à la situation et les perspectives des finances publiques.

Monsieur le président, vous allez nous livrer les conclusions de ce rapport, dans lequel vous présentez le redressement de nos finances publiques en 2019, ainsi qu'une première analyse du choc intervenu en 2020, avant de poser la question de la soutenabilité de notre dette.

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Pierre Moscovici, premier président de la Cour des comptes

Le rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques est établi dans le cadre de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) et de la mission d'assistance au Parlement qui nous est confiée par la Constitution.

Ma présidence débute dans un contexte inédit, celui d'une crise majeure et multidimensionnelle, qui a durement touché nos concitoyens, a frappé de plein fouet notre économie et marquera durablement le paysage de nos finances publiques.

Sachez que, face à une situation extrêmement évolutive, nous avons analysé les informations disponibles au 25 juin 2020. Cette année, de manière inédite, la France ne présente pas de scénario au-delà de 2020. Nous avons donc centré nos analyses sur l'enjeu décisif de la soutenabilité de la dette publique. Ce rapport s'attache cependant à fournir des clés pour repenser à l'échelle nationale, mais également dans un cadre européen, une stratégie de finances publiques.

Ce rapport est tourné tout entier vers les conséquences de la crise majeure que nous traversons. Il est irrigué par trois questions.

Premièrement, dans quelles conditions et avec quelles marges de manœuvre financières la France a-t-elle abordé ce choc ?

À la veille de la crise, la France, du point de vue de ses finances publiques, ne se trouvait pas dans une position aussi favorable que d'autres États européens pour affronter un tel choc. Dix ans après la crise financière, le redressement de nos finances publiques était inachevé. La dépense publique a même augmenté de 2 points de PIB entre 2007 et 2019, ce qui fait que les objectifs fixés en loi de programmation des finances publiques ont été repoussés à plusieurs reprises. Le redressement structurel s'est donc ralenti : la situation des finances publiques en 2019 en témoigne.

Le constat est le suivant : la France fait partie des pays de la zone euro qui ont abordé la crise – et le choc économique – avec des niveaux de déficit et de dette plus importants que la moyenne de la zone, mais également avec des niveaux de prélèvements obligatoires et de dépenses publiques élevés.

Deuxièmement, quelle est l'ampleur de l'impact de la crise sur nos finances publiques en 2020 ? Une crise qui est avant tout sanitaire et a conduit à restreindre fortement l'activité économique durant plusieurs semaines. Une crise qui a entraîné le déclenchement, par les institutions européennes, de la clause dérogatoire du Pacte de stabilité et de croissance, ce qui a permis de suspendre temporairement l'application des règles d'encadrement des finances publiques.

En France, trois projets de loi de finances rectificative (PLFR) ont été préparés en trois mois, les prévisions ayant été considérablement modifiées : le PIB, prévu à la hausse de 1,3 %, en volume, est désormais attendu à – 11 % ; le déficit public atteindrait 250 milliards d'euros, contre une prévision initiale de 53,5 milliards d'euros ; et la dette publique s'aggraverait de 22 points de PIB. Les mesures exceptionnelles adoptées pour lutter contre l'épidémie et soutenir l'économie sont estimées à 57,5 milliards d'euros, soit 2,6 points de PIB et portées en grande partie par l'État, à hauteur de 63 %, et par les administrations de sécurité sociale. Ces dernières subissent également une importante baisse de leurs recettes, portant le déficit du régime général et du fonds de solidarité vieillesse de 5,4 à 52 milliards d'euros.

Du fait des mesures d'ampleur adoptées pour limiter les effets de la crise, les dépenses publiques progresseraient de 6,4 points en 2020, représentant un niveau inégalé de 63,6 % du PIB. D'autres mesures de soutien n'ont pas reçu à ce stade de traduction dans une loi financière.

Si la crise a déjà eu pour certains de nos concitoyens des conséquences dramatiques, l'essentiel de son coût économique a été transféré sur la dette publique. Le niveau de la dette atteindrait 120 points de PIB, soit une augmentation de 270 milliards d'euros.

Troisièmement, quelles perspectives pouvons-nous envisager pour l'avenir, notamment pour assurer la soutenabilité de notre dette publique, un enjeu essentiel ?

La Cour envisage trois scénarios. D'abord, un scénario dit de rattrapage, qui prévoit que le PIB revient à sa trajectoire d'avant-crise au bout de quelques années et que le déficit se réduit rapidement vers un niveau proche de 2 %. Ce scénario s'appuie sur l'hypothèse que la croissance potentielle ne serait pas affectée par le choc, notamment grâce aux dispositifs de soutien adoptés. Cette hypothèse nous paraît optimiste.

Ensuite, un scénario dit de perte limitée, dans lequel le PIB ne rattraperait pas intégralement le terrain perdu durant la crise, mais suivrait une tendance de croissance identique à celle d'avant‑crise. La croissance potentielle ne serait pas non plus altérée par la crise, mais le rebond du PIB serait moins marqué à court terme et les pertes ne seraient pas intégralement rattrapées. Le niveau de PIB resterait alors durablement inférieur à celui qui aurait prévalu en l'absence de crise : 2,5 années de croissance seraient perdues du fait du choc et le déficit public demeurerait supérieur à 4 points de PIB.

Enfin, un scénario dit de faiblesse persistante, le niveau et le taux de croissance du PIB diminuant de manière durable par rapport à ceux qui étaient observés avant la crise. Ce scénario s'appuie sur un rebond encore plus modéré de l'activité au sortir de la crise et sur un potentiel de croissance durablement réduit. Le déficit resterait élevé, revenant à peine sous 6 % au milieu des années 2020.

Pour chacun des trois scénarios, les trajectoires de croissance et de déficit ont un impact direct sur la trajectoire de la dette : dans le scénario de rattrapage, la dette baisserait rapidement en PIB, puis de façon plus graduelle. Le ratio de dette resterait, dix ans après la crise, supérieur à 100 points de PIB. Dans le scénario de perte limitée, ce ratio serait maintenu un peu au-dessus de 115 points de PIB à horizon 2030. Et dans le scénario de faiblesse persistante, la dette augmenterait de façon quasi continue, atteignant 140 points de PIB en 2030.

Je ne céderai pas pour autant au catastrophisme, même si la soutenabilité de la dette sera, dans les prochaines années, un enjeu décisif pour les finances publiques. Il serait imprudent de tabler seulement sur la croissance pour maîtriser notre trajectoire d'endettement ; elle nous exposerait à des difficultés majeures, à terme, en cas de remontée des taux. En outre, même si les autres États européens sont concernés, il n'en demeure pas moins qu'une dette doit, in fine, être remboursée et que réduire notre dette publique est nécessaire, à la fois pour restaurer des marges d'action et renouer avec une trajectoire plus proche de celle de nos partenaires de la zone euro.

Pour relever ce défi, la France doit désormais fixer les principes d'une stratégie de redressement des finances publiques. Celle-ci doit s'inscrire dans un cadre européen, et fait aujourd'hui l'objet de réflexions sur l'évolution du Pacte de stabilité et de croissance après la crise sanitaire.

Au niveau national, cette stratégie devra s'insérer dans un horizon pluriannuel adapté. Dans l'immédiat, la priorité va évidemment à la maîtrise de la situation sanitaire et au redémarrage de l'activité. Ensuite, il faudra s'inscrire dans un rythme soutenu mais régulier de redressement des finances publiques. Pour ce faire, je crois au sérieux, mais pas à l'austérité. Et une nouvelle loi de programmation des finances publiques constitue le vecteur le plus approprié pour porter cette stratégie à moyen terme.

Enfin, la stratégie de redressement des comptes publics aura pour piliers, non seulement la soutenabilité de la dette, mais aussi la qualité de la dépense publique. La qualité de nos services publics devra être maintenue. Si de nouvelles baisses des prélèvements obligatoires devaient être envisagées, elles devraient s'accompagner de hausses d'autres prélèvements ou de suppressions de niches. Le réexamen de la qualité de la dépense publique devra préserver l'investissement public, puissant vecteur de croissance.

Cette orientation nous permettra d'accompagner davantage la transition écologique et de renforcer notre dispositif de santé. Mais elle suppose que soient respectés deux prérequis. D'une part, que les autres dépenses publiques fassent l'objet d'un effort accru de maîtrise. D'autre part, que les décisions d'investissement soient mieux éclairées.

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L'État a accordé sa garantie à un grand nombre de prêts aux entreprises et a entrepris des opérations de sauvetage par le biais de prises de participation.

Des économistes préconisent, pour certaines entreprises, de transformer les prêts obtenus avec la garantie de l'État en prêts participatifs. La généralisation des prêts participatifs, qui sont des prises de participation, est-elle selon la Cour de nature à faire évoluer la structure de la dette que l'État a contractée, ainsi que sa soutenabilité ?

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Pierre Moscovici, premier président de la Cour des comptes

Les garanties de l'État permettent de soutenir l'activité sans occasionner de coût immédiat sur les finances publiques. Les nouvelles garanties mises en place par l'État au profit des entreprises s'ajoutent aux garanties déjà existantes, publiées chaque année dans le compte général de l'État et qui représentaient, fin 2019, plus de onze mille milliards d'euros.

Les échéances des prêts garantis par l'État aux entreprises sont généralement d'une année et n'auront d'impact sur 2020 que si les entreprises bénéficiaires venaient à faire faillite. Cependant, d'autres garanties existantes avant la crise pourraient être mises en jeu, à l'instar des garanties à l'exportation. Mais ces garanties portent davantage sur 2021 et les années suivantes. Enfin, ces risques sont, à ce stade, non chiffrables.

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Monsieur le président, je partage à la fois votre anti-catastrophisme et votre vision selon laquelle le niveau de la dette n'est ni une solution ni un problème en soi, et que seule sa soutenabilité et ce que nous en faisons importent. C'est à ceux qui nous prêtent qu'il faut demander s'ils pourront encore, demain, nous accorder des prêts, en fonction de la trajectoire de politique publique que nous souhaitons mener.

Ne pourrions-nous pas présenter un quatrième scénario, intitulé des pertes maîtrisées, qui se situerait entre la perte limitée et le rattrapage ? N'aurions-nous pas, en effet, un intérêt à nous endetter un peu plus, pour aller plus loin que la gestion de la crise économique, à savoir vers une réponse de relance des politiques publiques ?

Je m'explique : un endettement public au service du sauvetage de notre économie, bien sûr ; un peu d'endettement public au service de la relance économique, bien évidemment ; et un peu d'endettement public complémentaire qui permettrait les investissements que nous ne savons pas faire quand nous devons réduire la dépense publique pour que, demain, elle soit mieux maîtrisée, mais surtout plus efficace. Je suis avec beaucoup d'intérêt, depuis trois ans, le sujet de la transformation de l'action publique ; or elle est passée jusqu'à maintenant, non pas par une injection d'argent frais, mais par une réduction des dépenses.

Que pensez-vous de ce quatrième scénario ? A-t-il un sens pour vous ?

Par ailleurs, pouvez-vous nous expliquer les raisons précises du solde des organismes divers d'administration centrale (ODAC) en 2020, à + 1,1 % ?

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Pierre Moscovici, premier président de la Cour des comptes

Si je ne souhaite pas faire du catastrophisme, je ne suis pas non plus indifférent : la dette publique n'est ni anodine ni indolore. Nous devons faire preuve d'intelligence collective et de vigilance à son égard. Les trois scénarios que je vous ai présentés sont stylisés ; il y en a bien d'autres. Le parcours final résultera des choix opérés par les pouvoirs publics.

La Cour estime qu'il convient d'avoir une approche ciblée, temporaire, sélective des investissements. Et pour ce faire, il convient d'assurer aussi une maîtrise accrue des dépenses publiques d'une autre nature. Nous ne préconisons pas une stratégie d'investissements tous azimuts. Nous ne sommes pas favorables à un endettement supplémentaire.

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Christian Charpy, président de la première chambre de la Cour des comptes

Le solde des ODAC résulte des flux entre l'État et les ODAC ; le solde varie donc d'une année sur l'autre. Cette année, il est en partie lié à la reprise de la dette de la SNCF.

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Depuis 2015, mais surtout à partir de 2017, les finances publiques ont entamé un rétablissement qui nous permet aujourd'hui de conserver une stabilité financière, alors que l'endettement va décoller de plus de 20 points de PIB. Trois priorités doivent être néanmoins financées : la transition écologique, l'éducation et la recherche et la cohésion sociale – qui sont également des moteurs de croissance.

Du côté des économies, nous devrons accentuer la transformation de nos administrations, notamment par la numérisation. Du côté des recettes, nous allons devoir stabiliser le niveau des prélèvements : toute baisse d'un impôt devra être compensée par un nettoyage de niches fiscales inutiles.

Enfin, comment envisagez-vous l'articulation du désendettement avec les plans de relance européens à venir ?

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Concernant la qualité de la signature française, quelles sont les raisons de cette situation et n'existe-t-il pas de limite à cette qualité ?

Par ailleurs, vous avez indiqué qu'il était nécessaire de conduire un effort de redressement structurel dans la durée et vous condamnez l'orientation prise récemment par la Caisse d'amortissement de la dette sociale (CADES). Pouvez-vous nous en dire davantage ?

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Ce rapport explique, chiffres à l'appui, qu'en 2030, nous ne serons pas revenus au niveau d'endettement antérieur à la crise sanitaire. Ne pourrions-nous pas réfléchir à un impôt exceptionnel, afin d'éviter cette dette dans le temps long ?

S'agissant des prêts garantis par l'État, ces derniers doivent-ils être analysés de la même manière que les prises de participation des entreprises en haut de bilan, qui sont des nationalisations partielles ?

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Ce rapport s'inscrit dans la lignée des précédents et la Cour nous alerte sur le redressement inachevé des comptes publics et sur l'enjeu de la soutenabilité de la dette. La crise sanitaire accentue ces difficultés récurrentes en provoquant un choc massif sur nos finances, à la fois en recette et en dépense.

La Cour estime que l'effort de redressement structurel des finances publiques ne doit pas être trop brutal. Qu'entend-elle par là ? Baisser les prestations sociales, mais pas trop ? Réduire les retraites, mais pas trop ? Diminuer les droits au chômage, mais pas trop ? Supprimer des postes de fonctionnaires, mais pas trop ? « Pas trop » ne signifie-t-il pas « austérité raisonnable » ? Pourquoi ce rapport n'est-il pas plus incitatif en proposant de réduire significativement les niches fiscales, notamment la niche Copé ?

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Je suis étonné par le titre de la première partie : un « redressement inachevé ». Alors même qu'à l'intérieur du chapitre, vous démontrez qu'il n'y a aucun redressement, puisque depuis cinq ans le déficit structurel est stable, à 2,2 points. Êtes-vous de cet avis ?

Vous comparez, page 9, les dettes publiques française et allemande, qui ne sont pas comparables, puisque vous ne tenez pas compte des primes d'émission. Les Allemands refusent cette pratique française, qui est d'émettre à des taux d'intérêt supérieurs à ceux du marché, de façon à réduire, au sens de Maastricht, la dette. Or la dette réelle comprend les primes d'émission. Voici le chiffre que nous a donné l'Agence France trésor (AFT) pour 2019 : un peu plus de 4 % du PIB. La Cour pourrait-elle nous donner les deux chiffres de la dette, avec et sans les primes d'émission ?

Dans la seconde partie, la Cour parle de « choc inédit ». Certes, mais elle nous aiderait si elle précisait que ce qui est dit n'est qu'une partie de la réalité. Que toute une série de dépenses nouvelles décidées par le Gouvernement n'est pas encore budgétée, et elle se chiffre en milliards.

Page 13, vous distinguez avec une grande prudence les mesures de soutien ; il serait intéressant que vous les compariez avec celles des autres pays, afin de situer la France dans la zone euro.

Enfin, concernant l'enjeu de la soutenabilité de la dette, plus celle-ci augmente, moins il y a de la croissance. La Cour peut-elle nous éclairer sur l'évolution du taux de croissance structurelle ?

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La Cour fait une lecture sévère de la gestion des finances publiques sur dix ans ; une gestion qui ne nous permet pas d'affronter la crise économique qui succède à la crise sanitaire. Les scénarios de perte limitée ou de faiblesse persistante sont les plus probables et ne nous permettront pas un rééquilibrage des finances publiques. Quel levier devrons-nous activer dans quelques années, quand les effets de la crise se feront toujours sentir : baisser les dépenses publiques ou augmenter les prélèvements obligatoires ?

Vous nous dites par ailleurs « qu'un effort structurel des finances publiques devra être engagé, dès que les conditions économiques le permettront » ; pouvez-vous nous en dire davantage ?

De même comment financer les actions de soutien à l'économie autrement que par la dette ?

Par ailleurs, la mise en place d'un cadre normatif de gouvernance des finances publiques, que vous appelez de vos vœux, n'empêcherait-il pas une souplesse indispensable pour s'adapter aux crises et aux soubresauts macroéconomiques. Avez-vous déjà une idée de ce cadre normatif ?

Enfin, quelles recommandations pouvez-vous formuler sur la répartition des efforts entre l'État, les organismes de sécurité sociale et les collectivités territoriales, tous fortement impactés par la crise.

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Vous évoquez pour l'avenir une politique de rigueur. De fait, je suis inquiet pour nos services publics, que nous n'avons cessé de louer ces derniers mois.

S'agissant de la soutenabilité de la dette, tous les leviers ont-ils été activés ? Vous avez précisé que la Cour n'a pas d'autre vocation que d'éclairer les choix ; celui de ne pas recourir à une contribution exceptionnelle des hauts revenus et patrimoines est-il une décision éclairée de la Cour ? En outre, la niche Copé ne devrait-elle pas, selon vous, être supprimée ?

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Les ménages ont réparti leur épargne sur différents comptes lors de la crise sanitaire. Quelles consignes, si vous étiez ministre des finances, leur donneriez-vous pour libérer cette épargne et encourager la consommation, moteur de la croissance économique ?

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La dette est comme le cholestérol : il y a la bonne et la mauvaise dette. Celle qui consiste à relancer une économie après une crise aussi grave est une bonne dette ; partagez-vous ce point de vue ?

Le PIB est, selon moi, devenu un mauvais indicateur financier. Quel est votre avis sur des indicateurs qui tiendraient compte du taux d'emploi, du patrimoine productif transmis de génération en génération, de la bonne santé, des inégalités, notamment de revenus, de l'éducation, de l'empreinte carbone, de la préservation des ressources naturelles et de la biodiversité, des externalités négatives produites par l'activité humaine… N'est-il pas temps de revoir notre vision globale et la définition de la richesse d'un pays ?

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Dans le déficit public, prévu à 250 milliards d'euros, la moitié correspond au déficit d'avant la crise sanitaire, et 133 milliards d'euros correspondent à la prévision de la baisse des recettes. Dans les scénarios que vous présentez, avez-vous imaginé un rattrapage de la baisse de recettes – pour qu'il ne reste, en fin de compte, que l'ancien déficit et la baisse des dépenses ?

Page 123 du rapport, s'agissant du prolongement de la durée de vie de la CADES, vous indiquez que l'ensemble des administrations publiques n'ont pas été traitées de la même façon et vous citez l'Union nationale interprofessionnelle pour l'emploi dans l'industrie et le commerce (UNEDIC). Le niveau de la dette de l'UNEDIC ne deviendrait-il pas un problème ?

Enfin, laissez-vous entendre que la dépendance pourrait être financée avec le déficit de la sécurité sociale et donc venir grossir la dette de la CADES ?

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Je poserai deux questions relatives aux mesures discrétionnaires adoptées par le Gouvernement pour surmonter la crise économique.

D'abord, quelle appréciation, en opportunité, faites-vous de ces différents plans de relance ?

Ensuite, serez-vous en mesure de produire, à terme, une évaluation contrefactuelle de l'impact économique du coronavirus, si de telles mesures n'avaient pas été adoptées, et ainsi renseigner les Français et la représentation nationale sur les effets économiques des LFR qui se succèdent ?

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La dette publique liée au coronavirus ne devrait pas être incluse dans le calcul du ratio dette-PIB, mais absorbée quasi intégralement par la Banque centrale européenne (BCE). Pourquoi avez-vous fait le choix de l'inclure ?

En outre, ne pourrions-nous pas utiliser un autre ratio, par exemple en remplaçant le PIB par un indicateur de bien-être ?

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Monsieur le président, vous décrivez, dans ce rapport, une aggravation hors normes d'une situation antérieure qui était déjà fortement déséquilibrée et vous préconisez un retour à l'équilibre par une trajectoire prudente.

Cette trajectoire, conformément à la volonté du Gouvernement, peut passer par la mobilisation de l'épargne pour relancer la consommation. Je fais partie de ceux qui pensent, au contraire, qu'elle devrait passer par l'investissement.

Dans la perspective d'une mobilisation de l'épargne, que pensez-vous de l'expérience réalisée en Allemagne, d'une baisse provisoire de la TVA ?

Par ailleurs, la prochaine loi de programmation des finances publiques (LPFP) sera l'occasion de fixer une orientation et de l'inscrire dans un renforcement du cadre normatif de gouvernance des finances publiques ; pouvez-vous nous en dire davantage ?

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Pierre Moscovici, premier président de la Cour des comptes

La Cour n'a pas vocation à être malveillante, surtout ne voyez aucun complot dans ses rapports. Il ne faut pas non plus lui prêter une créativité qui n'est pas dans ses gènes, elle ne peut pas répondre à toutes vos suggestions et questions.

S'agissant de l'articulation entre les plans européens de mutualisation de la dette et l'approche nationale, il est souhaitable que les responsables, réunis en Conseil européen les 17 et 18 juillet, parviennent à un accord sur un plan de relance européen. Ce serait une grande innovation si l'Europe était capable de manifester solidarité et capacité de mutualisation de sa dette. Ce qui n'exonérera pas la France de réaliser un effort soutenu sur la dette nationale.

La Cour n'est pas une agence de notation, Madame Louwagie. Mais la Cour retient que la France dispose d'une économie large, avec un grand marché et une capacité d'innovation. En outre, il est important que le lien franco-allemand, qui existe depuis fort longtemps, ne se brise pas. Enfin, la France a toujours marqué sa volonté d'appartenir à la zone euro.

C'est la raison pour laquelle, ce qui infléchirait ce jugement serait une perte de crédibilité de notre politique. D'où notre appel à suivre ce chemin de soutenabilité de la dette. La dette publique courra sur une décennie, ce qui n'est pas catastrophique, dès lors que nous sommes en capacité de la financer continuellement.

La BCE, Madame Pires Beaune, a vocation, non pas à monétiser la totalité de la dette, mais à assurer la stabilité des prix. Par ailleurs, elle en fait déjà beaucoup à travers son programme anti-pandémie, qui permet d'absorber une grande partie de la dette. Soyez en tous certains, la dette ne sera pas annulée.

Concernant la CADES, transférer la dette de la poche d'une administration publique à une autre n'en diminue pas le total ; le cantonnement a donc un côté un peu formel. Ce qui ne veut pas dire qu'il est sans effet. La dette liée à la crise a bien vocation à être remboursée, intérêts et capital, par une ressource dédiée.

Pour ce qui est du pilotage du cycle, une loi de programmation doit permettre d'obtenir une identification claire, des prévisions macroéconomiques solides et une trajectoire des finances publiques robuste.

S'agissant de la priorisation des investissements, il n'appartient pas à la Cour de dire ce qui doit être fait ou pas. Mais la Cour n'évoque pas de hausse des prélèvements. Au contraire, elle indique que si certains envisagent une baisse des prélèvements, il conviendrait de l'équilibrer par une suppression des niches ou des économies en dépenses.

Non, la Cour ne prône absolument pas l'austérité. Y en a-t-il d'ailleurs jamais eu en France ? Avec un niveau de dépenses publiques à 56 %, avant la crise, et près de 64 % du PIB, parler de redressement « pas trop brutal » me paraît une expression plutôt douce. Nous ne préconisons pas de casser la reprise ; en revanche, il convient d'envisager un redressement des finances publiques.

Concernant le redressement structurel, Monsieur de Courson, s'il n'a pas été aussi important que souhaité, incontestablement le redressement nominal s'est opéré, le solde structurel passant de – 7,2 en 2009 à – 2,1 hors CICE en 2019, ce qui a permis la sortie de la pression de déficit excessif. Même si nous ne sommes pas dans une position aussi favorable que celle de nos principaux partenaires européens.

La Cour a arrêté ses comptes le 25 juin, tout n'a donc pas été pris en compte. Certaines décisions restent à prendre ou à être chiffrées, ce que la Cour fera au fur et à mesure.

S'agissant du bon moment pour redresser nos finances publiques, des signes conjoncturels d'amélioration plus nets sont nécessaires, notamment pour le chômage. Mais cette décision appartient aux pouvoirs publics, et doit également être vue au niveau européen. Quand et comment rebranche-t-on le Pacte de stabilité de croissance ? Il doit être coordonné avec le plan de relance. Nous avons besoin à la fois de règles de finances publiques européennes et de règles adaptées à la conjoncture.

La question de l'épargne des Français a été traitée par l'avis du Haut Conseil des finances publiques (HCFP), qui souligne qu'il y a une sur-épargne de 100 milliards d'euros et que son utilisation fait partie des paramètres pouvant aider au redressement des finances publiques, mais également à la relance de l'économie.

Si la croissance est une donnée fondamentale, nous ne devons pas attendre le rattrapage des recettes, qui n'entre que dans le scénario le plus favorable.

Concernant les autres indicateurs de richesse, une loi du 13 avril 2015, dite loi Sas, en prend déjà en compte un certain nombre qui sont présentés chaque année avec le budget. Cependant, les ressources proviennent surtout des capacités à lever l'impôt et de la richesse produite, à savoir du PIB. C'est la raison pour laquelle, s'agissant de la soutenabilité, le rapport de la dette au PIB est celui qu'il conviendra d'analyser.

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Christian Charpy, président de la première chambre de la Cour des comptes

Concernant les primes d'émission, nous avons publié un chiffre dans le cadre du rapport sur l'exécution budgétaire 2019 ; le montant cumulé des primes à l'émission avait permis de réduire de 3,2 points la part de la dette dans le PIB. Cependant, nous n'avons pas le sentiment que la politique de financement de l'AFT cherche à mobiliser des primes à l'émission. En 2019, elle a reçu des primes d'émission, non pas sur des vieilles souches, mais sur des émissions de l'année en cours. Enfin, ce que nous gagnons aujourd'hui, nous le perdons demain.

Concernant les reports de cotisations ou les prêts garantis par l'État, les éventuelles pertes ne sont pas provisionnées en comptabilité nationale – contrairement à la comptabilité générale. En revanche, si nous constatons que les prêts ne sont pas massivement remboursés en 2020, nous les constaterons et ils devront être imputés au titre de l'année 2020.

Membres présents ou excusés

Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Réunion du mardi 30 juin à 17 heures 15

Présents. - Mme Émilie Bonnivard, Mme Aude Bono-Vandorme, M. Jean-Louis Bricout, M. Michel Castellani, M. Francis Chouat, M. Charles de Courson, Mme Marie-Christine Dalloz, Mme Dominique David, M. Jean-Paul Dufrègne, M. Nicolas Forissier, M. Joël Giraud, Mme Olivia Gregoire, M. Daniel Labaronne, M. Mohamed Laqhila, M. Michel Lauzzana, M. Vincent Ledoux, Mme Patricia Lemoine, M. Fabrice Le Vigoureux, Mme Véronique Louwagie, Mme Lise Magnier, M. Jean-Paul Mattei, Mme Catherine Osson, M. Xavier Paluszkiewicz, M. Hervé Pellois, Mme Christine Pires Beaune, Mme Valérie Rabault, M. Xavier Roseren, Mme Claudia Rouaux, M. Fabien Roussel, M. Laurent Saint-Martin, M. Jacques Savatier, M. Éric Woerth

Excusés. - M. Damien Abad, M. Lénaïck Adam, M. Julien Aubert, M. Fabrice Brun, M. David Habib, M. Christophe Jerretie, M. François Jolivet, M. Marc Le Fur, M. Olivier Serva

Assistaient également à la réunion. - M. Dino Cinieri, M. Pierre Cordier