Intervention de Francis Chouat

Réunion du mercredi 9 septembre 2020 à 9h30
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrancis Chouat, rapporteur pour avis :

Cette loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR) constitue le socle d'un effort historique en faveur de la recherche, inédit depuis la création du CNRS en 1939 et les efforts consentis pendant les « Trente Glorieuses ».

Elle vise à susciter un triple choc. Choc de confiance de la nation dans le progrès, la formation aux sciences et la culture scientifique ; mobilisation financière inégalée depuis des décennies ; et pour la première fois depuis des décennies, un choc d'attractivité des métiers de la recherche. À la suite de la crise sanitaire de la covid-19, et face aux nombreux autres défis que notre pays doit relever ‑ défi climatique et environnemental, cybersécurité et technologie quantique, ou encore lutte contre les obscurantismes et la défiance vis-à-vis de l'idée de progrès – nous pouvons nous accorder sur la nécessité de réarmer nos établissements, nos laboratoires et nos chercheurs, afin de leur donner les moyens de leurs ambitions.

La France a pris du retard : il ne s'agit plus aujourd'hui de le combler, mais bien de challenger l'avenir !

Cela fait bien trop longtemps ‑ au moins depuis 1982 et la loi Chevènement ‑ que les gouvernements successifs n'ont pas suffisamment investi dans ce domaine, pourtant si essentiel à notre développement et à la préservation de notre rang dans la course à la découverte à laquelle se livrent les puissances mondiales de plus en plus nombreuses. Et, lorsqu'ils l'ont fait – je pense ici à la loi de programme pour la recherche de 2006 – ils ont nourri des espoirs qu'ils n'ont pas pu honorer, suscitant une défiance qui perdure au sein de la communauté scientifique.

Je mesure donc les doutes et les craintes de certains acteurs. Je serai particulièrement vigilant à ce que la trajectoire fixée par le projet de loi, particulièrement ambitieuse et sincère avec au total plus 25 milliards d'euros supplémentaires d'ici à 2030, soit tenue. Je serai également attentif à ce que les incertitudes liées à l'évolution de notre produit intérieur brut, ainsi que les variations de l'inflation ne neutralisent pas les efforts ambitieux esquissés par ce projet de loi.

Pour autant, mesurons précisément la nature et la crédibilité des moyens engagés.

En matière de dépenses de recherche, la France est en situation de lent mais incontestable décrochage. L'effort national est ainsi redescendu à 2,2 % du PIB en 2018, loin des pays les plus en avancés en la matière : la Corée du Sud – 4,55 % –, l'Allemagne – 3,04 % –, le Japon – 3,21 % –, ou encore les États-Unis – 2,79 %. Cette diminution s'explique pour l'essentiel par la baisse de la part des dépenses publiques, passées de 0,83 % à 0,76 % du PIB entre 2014 et 2018, soit sept points de moins.

Rapporteur spécial de la mission Recherche et enseignement supérieur du projet de loi de finances et ancien maire d'Évry – qui héberge en son sein le Genopole et l'Université d'Évry-Val-d'Essonne, membre associé de l'Université Paris-Saclay –, j'estime que cette LPPR doit impérativement inverser la tendance, et je suis convaincu qu'elle le permettra.

Le choc historique en faveur de la recherche doit être appréhendé en même temps que d'autres dispositifs de financement, nationaux comme européens, qui viendront doter le monde de la recherche de moyens budgétaires historiques et sans précédent depuis 40 ans.

La trajectoire inscrite à l'article 2 du projet de loi prévoit, en euros courants, un effort de 25 milliards d'ici à 2030. Elle est progressive, ce qui signifie que la LPPR repose sur des choix de programmation budgétaire réalistes. Il n'a pas été décidé de renvoyer à plus tard les efforts budgétaires les plus importants : avec l'effort supplémentaire réalisé sur les crédits de l'Agence nationale pour la recherche (ANR) dans le cadre du plan de relance, la recherche française bénéficiera d'un milliard d'euros supplémentaires dès 2022. Cette LPPR n'est pas une loi sèche, mais constitue un des leviers pour réarmer notre recherche publique.

Afin de crédibiliser la programmation, une meilleure articulation avec les lois de finances que nous serons amenés à discuter, avec des mécanismes réguliers de révision de la trajectoire, doit être trouvée. Je propose donc un amendement à l'article 2, adapté d'une proposition du Conseil d'État, qui prévoit que le Gouvernement remette au Parlement un rapport annuel, en amont du débat d'orientation des finances publiques, expliquant les écarts éventuels à la trajectoire. Nous pourrons ainsi être informés bien avant la discussion budgétaire, pour corriger le tir en cas de besoin. Je propose également un amendement établissant une clause de revoyure, prévoyant qu'un exercice de révision de cette programmation soit effectué, quoi qu'il arrive, tous les trois ans.

Cette loi de programmation est complétée par d'autres outils : plan de relance et PIA 4, programme Horizon Europe, ou encore contrats de plan État-région. Un travail de mise en cohérence, de connaissance et d'information doit être engagé en ce sens, puisque 6,5 milliards d'euros supplémentaires seront investis dans les trois prochaines années au titre du plan de relance : 2,4 milliards d'euros, au titre du PIA 4, pour accélérer nos innovations dans l'hydrogène, la cybersécurité, ou encore la technologie quantique ; 3,1 milliards d'euros pour les financements structurels des écosystèmes et les aides aux acteurs de l'innovation – IRT (instituts de recherche technologique), ITE (instituts pour la transition énergétique), SATT (sociétés d'accélération du transfert de technologie) ; le budget d'intervention de l'ANR sera porté à plus de 900 millions d'euros dès 2021, soit 400 millions d'euros supplémentaires ; 300 millions d'euros seront consacrés à l'emploi de jeunes docteurs en entreprise, en particulier dans la recherche et développement (R&D), qui est jugée à risque dans la période qui vient ; enfin, 180 millions d'euros seront dédiés à la création de nouvelles places dans l'enseignement supérieur et 35 millions d'euros pour développer l'hybridation et les équipements numériques universitaires.

Cette loi doit contribuer à répondre à trois problèmes majeurs : les rémunérations de nos chercheurs sont trop faibles ; la sélectivité des projets de recherche déposés à l'ANR est trop forte, et les liens entre recherche publique et recherche privée sont notoirement insuffisants.

La LPPR prévoit, en premier lieu, d'importantes mesures de revalorisations salariales. Elles n'ont que trop tardé : comment justifier qu'aujourd'hui, un jeune scientifique ne puisse espérer un poste de titulaire qu'aux alentours de 33 ou 34 ans, avec un traitement qui atteint seulement 1,4 SMIC ? Cette loi de programmation doit permettre de passer à un minimum de 2 SMIC, soit une revalorisation de 30 % dès l'année prochaine. Voilà un premier engagement massif et concret pour nos chercheurs.

Renforcer l'attractivité de la recherche française, c'est aussi s'inspirer des meilleures pratiques en matière de recrutement de scientifiques. Le projet de loi prévoit d'ouvrir une nouvelle voie de recrutement de scientifiques au moyen de chaires juniors. L'objectif est de recruter de jeunes chercheurs prometteurs pour des contrats de six ans qui leur ouvriront la possibilité d'être titularisés au sein des corps de la fonction publique scientifique. Cette disposition crée beaucoup de débats ; elle sécurisera pourtant, à mon avis, le parcours professionnel des jeunes scientifiques, en garantissant un financement de l'ANR et en ouvrant la possibilité d'une intégration à l'issue du contrat. Trois cents chaires de professeurs ou de directeurs de recherche juniors seraient ainsi ouvertes chaque année, en plus des recrutements habituels.

Le rapport annexé précise que les recrutements seront augmentés sur les voies traditionnelles de titularisation afin d'éviter les effets de concurrence. Cette mesure va rendre le recrutement dans la fonction publique scientifique plus diversifié, plus attractif, et mieux adapté aux besoins des établissements.

Il nous faut aussi améliorer le financement des projets français de recherche, encore trop sélectif. Aujourd'hui, une demande de financement de projet de recherche a 16 % de chance d'être acceptée. C'est extrêmement faible : la moyenne des pays de l'OCDE est de 30 % – le double. Du fait de cette très forte sélectivité, il n'est pas possible de financer tous les dossiers qui méritent de l'être, ce qui entraîne beaucoup de frustration et de découragement.

La LPPR prévoit donc un triplement des moyens d'engagement de l'ANR d'ici 2027, qui doivent passer d'environ 500 millions d'euros à 1,5 milliard d'euros, ce qui nous rapproche des sommes consacrées par notre voisin allemand, dont l'agence de recherche distribue chaque année 2 milliards d'euros. Ces moyens supplémentaires permettront de faire remonter le taux de succès, l'objectif étant de le porter à un niveau supérieur à 25 %.

Ils doivent également permettre d'augmenter les montants moyens financés par projet, encore trop faibles. Enfin, ils contribueront à augmenter le préciput, c'est-à-dire les sommes versées aux établissements dont les chercheurs obtiennent des financements de l'ANR. De 19 %, ce préciput passerait à 40 % pour couvrir les charges générales liées aux activités de recherche.

En aval du réinvestissement dans les moyens de notre recherche publique, la loi de programmation vise également à mieux en valoriser les résultats.

La programmation budgétaire prévoit d'augmenter de 50 % le financement des conventions industrielles de formation par la recherche (CIFRE) et de plusieurs dispositifs de valorisation : chaires industrielles de l'ANR, Labcom, ou encore Instituts Carnot. Elle crée également une nouvelle « convention industrielle de mobilité en entreprise des chercheurs » afin de faciliter l'embauche à temps partiel de chercheurs et d'enseignants-chercheurs au sein des entreprises.

Par son objet même, cette loi de réarmement budgétaire en faveur de la recherche publique et partenariale ne permet pas de traiter d'autres sujets. C'est le cas du crédit impôt recherche (CIR), outil fiscal majeur – 6,2 milliards d'euros en 2020 – de soutien public à la recherche privée, en particulier dans les PME ou des dispositifs destinés à favoriser l'innovation, tel que le Fonds pour l'innovation et l'industrie.

Mais sous le contrôle du président Woerth et de notre rapporteur général Laurent Saint Martin, il ne fait nul doute qu'à l'occasion de la discussion du plan de relance et de la prochaine loi de finances, la question de l'efficience, d'une meilleure visibilité et des impacts pour le développement économique, pour l'emploi et l'attractivité de notre pays fera l'objet de débats et de propositions.

La loi PACTE a étendu la possibilité pour les chercheurs publics de passer du temps en entreprise afin de valoriser le produit de leurs recherches. La LPPR contient plusieurs dispositions qui prolongent cette logique. L'accent devrait davantage être mis sur le renforcement du suivi des doctorants, qu'il s'agisse des expériences acquises dans le secteur privé ou à l'international. Je présente un amendement en ce sens.

L'effort français doit également être envisagé au niveau européen : les négociations n'ont pas encore abouti, mais le prochain cadre budgétaire pluriannuel augmentera les moyens du programme Horizon Europe, qui finance les programmes de recherche et de développement des États membres. Plus que jamais, nous devons inscrire notre recherche dans ce contexte européen : nos chercheurs y trouvent autant d'opportunités supplémentaires pour se financer, à une échelle qui mobilise les meilleures compétences internationales. Or la France reçoit encore assez peu de financements européens au regard de son potentiel scientifique : alors que nous réalisons 17 % de la R&D européenne, seuls 11 % du total des financements alloués par la Commission nous reviennent.

Le taux de succès de nos équipes, qui est bon, ne permet pas de compenser un nombre encore trop faible de candidatures. L'augmentation du préciput versé par l'ANR permettra aux équipes de recherche de renforcer les moyens dédiés à la levée des financements européens, et le dispositif de chaire junior facilitera le recrutement de talents européens – d'autant qu'il correspond à une pratique standard de la recherche internationale.

Enfin, la mobilisation des moyens nationaux doit aller de pair avec celle des collectivités territoriales, en premier lieu des régions. Les mandats pour les contrats de plan État-région (CPER) qui seront signés cette semaine doivent renforcer le couple État-région pour aboutir à une meilleure articulation institutionnelle, mais aussi structurelle, entre le plan de relance et les CPER par exemple.

Je me réjouis de lire, dans le rapport annexé, que la stratégie du Gouvernement a pour objectif explicite de travailler aux liens entre science et société, qui sont susceptibles de créer des externalités positives pour notre pays. Songeons par exemple aux vocations que la Cité des sciences et de l'industrie a pu susciter au sein des jeunes générations, au rôle déterminant que jouent les associations dans la diffusion des savoirs scientifiques ou encore à la nécessité de lutter contre la propagation des fausses informations – voire de thèses complotistes et obscurantistes – et d'éduquer et informer le public sur la démarche scientifique de production théorique et d'application technique. Le rapport annexé est ambitieux en la matière, mais nous devons aller plus loin. Je présente plusieurs amendements en ce sens. Il est impératif que le lien entre science, innovation et progrès social soit restauré, dans tous les territoires. À ce titre, je souhaite que le travail qui a présidé à la préparation de cette LPPR en associant toutes les forces de manière centralisée et territoriale soit poursuivi. Je le dis avec d'autant plus de conviction qu'ayant moi-même été associé aux travaux préparatoires, j'ai pu mesurer l'importance que la concertation revêt et le foisonnement d'idées qu'elle permet.

Par ailleurs, je pense qu'il est absolument essentiel de s'appuyer sur la création du poste de haut-commissaire au plan, en veillant à ce que les enjeux liés à la recherche et à l'innovation soient bien pris en compte dans son périmètre d'action et de réflexion. Je propose ainsi qu'il lui revienne d'élaborer, sur la base de grands enjeux sociétaux, un cadrage stratégique qui sera ensuite décliné en différentes stratégies de recherche.

Dans un autre domaine, le rapport annexé ne me semble pas assez fourni sur la partie spatiale de la stratégie scientifique de la France. J'ai discuté avec le cabinet de la ministre sur ce point ; j'espère qu'il pourra nous apporter des précisions sur ce qui est anticipé. La formation du récent Gouvernement a néanmoins transféré la compétence spatiale au ministère de l'économie, des finances et de la relance. L'état de notre industrie spatiale dans ce contexte de crise sanitaire et économique inquiète à juste titre : le plan de relance contient d'ailleurs des investissements spécifiques dans ce secteur, de près de 500 millions d'euros.

Enfin, je propose que notre commission amende le rapport annexé afin que la recherche sur les cancers pédiatriques soit dotée de moyens et d'actions spécifiques et que le Parlement qui s'est emparé de cette grande cause soit associé à l'élaboration des actions.

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