Intervention de Pierre Moscovici

Réunion du mercredi 18 novembre 2020 à 9h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des Comptes :

Mesdames et messieurs les députés, je vous remercie de m'avoir invité à vous présenter le rapport public thématique de la Cour sur le cadre organique et la gouvernance des finances publiques. Ce rapport est le fruit d'un long et important travail, qui a mobilisé une équipe nombreuse au sein d'une formation inter-chambres. Comme vous l'avez dit, monsieur le président, il y a une forte convergence entre votre travail et notre démarche.

Plusieurs membres de la Cour sont présents à mes côtés : Christian Charpy, le président de la première chambre, Cécile Fontaine, la rapporteure générale de ce travail, ainsi que deux rapporteurs, Nicolas Carnot et Cyprien Canivenc. D'autres de nos membres sont également présents en ligne : Michèle Pappalardo, la rapporteure générale de la Cour, Emmanuel Belluteau, Lionel Vareille, Vianney Bourquard, Livia Saurin et Thierry Clappier, qui ont tous contribué au rapport, ainsi que Jean-Pierre Laboureix, le contre-rapporteur. J'en profite pour les remercier chaleureusement pour le volume et la qualité du travail fourni. Cela illustre que ce rapport est un réel investissement pour la Cour des comptes.

Ce rapport public thématique intervient près de vingt ans après l'adoption de la loi organique relative aux lois de finances, la LOLF, votée en 2001. La Cour a eu plusieurs fois l'occasion de s'exprimer sur le bilan de ce texte. Elle l'a fait en 2011 dans un rapport public dédié aux dix ans de la LOLF, mais elle le fait très régulièrement, notamment dans les travaux sur le budget de l'État, particulièrement en 2018 et 2019 dans le rapport annuel sur la situation et les perspectives des finances publiques, ou dans d'autres rapports thématiques.

Nous avions pour projet initial de publier en 2021 un rapport portant sur les 20 ans de la LOLF. Votre commission, de son côté, a décidé de reconstituer la mission d'information sur la LOLF, la MILOLF, qui a réalisé un important et très remarquable travail sur le sujet en septembre dernier et formulé 45 propositions. La Cour en a bien sûr pris connaissance avec le plus grand intérêt, tout comme de votre projet de préparer une proposition de loi organique. En conséquence, nous avons souhaité avancer et élargir les travaux sur la LOLF pour soutenir cet élan et contribuer à notre niveau au renforcement du cadre de gouvernance des finances publiques dans leur ensemble.

La crise actuelle nous a conduits à faire à nouveau évoluer nos travaux. Nous savons désormais que la crise laissera sur nos finances publiques une empreinte durable. Nous avons donc décidé d'intégrer les conséquences de la crise à nos réflexions en cours afin de publier un rapport thématique qui prenne en compte ce nouveau paysage des finances publiques.

Ce nouveau paysage, fortement et durablement dégradé, est très éloigné de tout ce que nous avions prévu ou connu. Cela ne rend pas obsolète la réflexion sur l'évolution du cadre organique et de la gouvernance des finances publiques. Bien au contraire, cela souligne son actualité et sa nécessité, puisque la crise met en évidence les limites du cadre en vigueur et renforce la nécessité à la fois d'ancrer la soutenabilité de la dette publique et d'améliorer l'efficacité des politiques publiques. Comme nous avons eu l'occasion de le souligner déjà dans notre rapport de juin dernier et comme j'ai pu le rappeler en tant que président du Haut Conseil des finances publiques, une trajectoire de redressement structurel des finances publiques devra être élaborée et engagée à travers une nouvelle loi de programmation des finances publiques dès que les conditions économiques et sanitaires le permettront. Nous sommes convaincus que cette trajectoire doit s'inscrire dans un cadre rénové.

Pour dresser le bilan de la stratégie pluriannuelle existante et contribuer à dessiner ce futur cadre, notre rapport s'est appuyé sur plusieurs de nos travaux, des enquêtes spécifiques, des auditions et des comparaisons internationales.

Il est organisé en trois parties, que je vous présenterai successivement. La première partie porte sur les modalités de pilotage et de programmation des finances publiques, qui doivent permettre d'assurer leur soutenabilité. La deuxième partie examine l'excessive fragmentation de l'architecture d'ensemble des finances publiques et formule des propositions pour y remédier. Enfin, la troisième partie se concentre sur le budget de l'État et l'efficience de ses politiques, afin d'étudier la structure émiettée de celui-ci et de proposer un nouveau cadre pour revenir à l'esprit initial de la loi organique relative aux lois de finances.

Notre rapport formule au total seize recommandations pour renforcer le cadre organique et la gouvernance de nos finances publiques, qui s'articulent avec un grand nombre de propositions déjà formulées par la Cour par le passé. Nous avons choisi de ne proposer que des orientations pouvant être mises en œuvre sans modification constitutionnelle. C'est un choix que nous assumons pleinement, car réformer le texte suprême, nous le savons, prend du temps et consomme beaucoup d'énergie, alors que la situation actuelle appelle des mesures rapides et opérationnelles. Par ailleurs et à l'exception de sa troisième partie, centrée sur l'État, le rapport porte sur l'ensemble des administrations publiques.

J'aborderai d'abord la programmation et le pilotage des finances publiques. Notre rapport souligne en préambule l'intérêt d'une vision pluriannuelle des finances publiques. La démarche de programmation à moyen terme vise à assurer la cohérence et la soutenabilité de l'action publique dans la durée. Elle est donc indispensable dans la situation actuelle, où le creusement massif du déficit et de la dette impose, dès que les conditions le permettront, un redressement graduel mais ferme.

Elle est aussi essentielle pour préparer et pour mener des réformes. Déjà, depuis plus de dix ans, l'horizon du temps long s'est progressivement imposé en France dans la gouvernance des finances publiques. La révision constitutionnelle de 2008 a créé les lois de programmation des finances publiques, au sein de l'article 34 de la Constitution. Ce dernier mentionne désormais l'existence d'« orientations pluriannuelles des finances publiques » qui doivent s'inscrire dans l'« objectif d'équilibre des comptes des administrations publiques ». Le contenu de ces lois de programmation a été précisé par la loi organique relative à la gouvernance et à la programmation des finances publiques, promulguée le 17 décembre 2012, qui a aussi créé le Haut Conseil des finances publiques.

Le cadre de programmation a donc été considérablement renforcé et structuré depuis 2008. Notre rapport montre que ce cadre, très complet sur le papier, revêt dans la pratique une portée encore trop limitée. Le bilan de dix ans de mise en œuvre de stratégie pluriannuelle est plutôt mitigé, pour ne pas dire décevant. Je veux m'en expliquer.

Depuis 2008, cinq lois de programmation des finances publiques ont été votées, mais leur mise en œuvre a été marquée par des dérapages répétés : leurs objectifs ont rarement été atteints, qu'il s'agisse de la variation du déficit structurel ou encore des objectifs de dépenses, de recettes ou de dette publiques. Par exemple, la loi de programmation des finances publiques (LPFP) 2014-2019 prévoyait que la progression en volume de la dépense publique devait être contenue à moins de 0,3 % sur la période – or elle a atteint près de 1,2 %. Concernant la dette, il est inutile d'insister sur le fait que les objectifs de stabilisation puis de réduction n'ont jamais été respectés.

Comment expliquer ce décalage entre le cadre juridique existant et sa portée effective ? Nous avons identifié deux faiblesses principales.

La première concerne l'inefficacité des forces de rappel prévues par les textes. La loi organique de 2012 a bien institué un mécanisme de correction, censé être déclenché en cas d'écart à la trajectoire. Mais il contient des flexibilités importantes, qui ne lui ont pas permis de prévenir et de corriger les écarts répétés qui ont été constatés. Dans les faits, au lieu d'adopter des mesures de correction, le choix a plutôt été de présenter une nouvelle LPFP se contentant de décaler la trajectoire de retour à l'équilibre. C'est ce qui a été fait en 2014, après que le Haut Conseil des finances publiques a déclenché le mécanisme.

La deuxième faiblesse est l'articulation défaillante entre les différents textes financiers. Elle s'explique principalement par des raisons de hiérarchie des normes – les LPFP ne peuvent pas s'imposer aux lois de finances et de financement de la sécurité sociale – et par des raisons de calendrier – les exercices pluriannuels organisés au printemps et à l'automne sont largement déconnectés. Les programmes de stabilité présentent ainsi presque systématiquement des trajectoires financières distinctes de celles de la LPFP adoptée quelques mois auparavant. La logique voudrait pourtant que la loi de programmation soit l'exercice moteur.

Cette faible portée des mécanismes actuels de pluriannualité entame considérablement la crédibilité des exercices de programmation des finances publiques, mais ce n'est malheureusement pas son unique inconvénient. Elle affaiblit aussi la pertinence de l'allocation des moyens financiers à des politiques publiques par essence pluriannuelles.

Le renforcement du cadre pluriannuel est indispensable : il doit nous permettre d'améliorer notre capacité à faire des choix et à nous y tenir, et cette capacité sera plus essentielle que jamais dans les années à venir.

Les comparaisons internationales montrent que ce renforcement est possible et mettent en évidence, chez nos principaux partenaires de la zone euro, quelques éléments clefs du succès. J'en citerai quelques-uns particulièrement éclairants.

D'abord, dans ces pays, le pilotage des finances publiques bénéficie d'un engagement fort au niveau politique. Aux Pays-Bas par exemple, l'accord de coalition au sein de la formation gouvernementale fixe les plafonds pluriannuels de dépense pour la durée de la législature. C'est aussi le cas en Finlande.

Ensuite, les cibles de dépense sont stables et couvrent un large périmètre. Toujours aux Pays-Bas, le pilotage des finances publiques est organisé autour d'un plafond global qui représente environ 85 % de la dépense des administrations publiques et qui est divisé en sous-objectifs. Le Danemark s'appuie quant à lui sur une enveloppe pluriannuelle couvrant 75 % des dépenses publiques. Même si comparaison n'est pas raison, et sans omettre bien sûr les différences qui nous séparent de ces pays, les dépenses publiques sous norme représentent en France à peine plus du tiers du total des dépenses. Nous avons donc une très grande marge de progrès.

Dans ces différents pays, il existe enfin des mécanismes de flexibilité qui permettent de respecter les enveloppes définies, même en cas d'imprévus. Concrètement, ce dispositif passe par un système de provisionnement, comme en Suède, ou par redéploiements, comme aux Pays-Bas. En France, deux de nos cinq LPFP avaient prévu des réserves de programmation, mais les sommes en jeu étaient faibles et concentrées sur le seul budget de l'État.

Pour résumer, que nous révèlent ces exemples étrangers ? Qu'élaborer et respecter une trajectoire pluriannuelle crédible en matière de finances publiques est possible à condition de respecter deux prérequis : un engagement politique affirmé et des procédures de qualité.

Sur ce second point – le premier n'étant pas de notre ressort – notre rapport fait plusieurs recommandations. Il propose tout d'abord de fixer une trajectoire financière soutenable, réaliste et transparente, avec des enveloppes de dépenses et de mesures nouvelles sur les recettes fixées en milliards d'euros, et un budget triennal glissant pour l'État.

Mais il ne faudra pas s'en tenir là. Puisque nous nous sommes inscrits dans le cadre constitutionnel actuel, nous n'avons pas recommandé d'imposer la primauté des LPFP sur les lois financières. Nous formulons dès lors plusieurs propositions. D'abord, d'obliger à la transparence : les écarts entre les lois financières annuelles et la trajectoire arrêtée en loi de programmation doivent être décomptés et expliqués chaque année. Ensuite, nous recommandons de clarifier les modalités de prise en compte des aléas, avec une provision de programmation fixée en LPFP. Nous proposons également de réaliser des revues de dépenses pour garantir l'atteinte de la trajectoire, selon un calendrier défini en loi de programmation – cela est très important. Enfin, il serait souhaitable d'établir le budget de l'État sur trois années glissantes pour qu'il s'articule mieux avec la programmation, comme la MILOLF l'a également proposé.

Parce qu'une bonne trajectoire doit être surveillée, nous formulons aussi deux recommandations en la matière. Nous proposons d'abord d'élargir le mandat du Haut Conseil des finances publiques, notamment pour lui permettre d'apprécier le réalisme des prévisions de recettes et de dépenses et d'identifier les risques d'écart à la trajectoire. J'y suis particulièrement attaché, d'abord car cela est essentiel pour nourrir le débat contradictoire, ensuite car cela est nécessaire au regard du fonctionnement des autres institutions budgétaires indépendantes en Europe, aux compétences beaucoup plus étendues. Nous proposons ensuite d'instaurer un débat annuel sur la dette publique et sur sa soutenabilité. Nous portons cette proposition depuis plusieurs années déjà et elle nous semble plus que jamais d'actualité.

La deuxième partie du rapport porte sur la nécessité de rétablir la vision globale des finances publiques. Le cadre dans lequel se déploie la dépense publique est fondamental, car il détermine à la fois les choix de l'action publique, les conditions de vote du Parlement, les modalités de contrôle et la clarté de l'information transmise, notamment aux citoyens.

Or, en France, ce cadre est morcelé et fragmenté, car il est à l'image de notre système institutionnel. Cette fragmentation tient à plusieurs éléments.

D'abord et contrairement à beaucoup d'idées reçues, le poids de l'État dans la dépense publique est plus modeste en France qu'à l'étranger. Il représente 35 % de notre dépense publique, contre 38 % en moyenne dans l'Union européenne. Au Royaume-Uni, ce poids atteint par exemple près de 80 %.

Ensuite, les recettes publiques sont réparties entre les différents niveaux d'administration publique sans cohérence d'ensemble. Prenons l'exemple de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) : elle est affectée à la fois au budget général de l'État, à un compte d'affectation spéciale, aux régions, aux départements et à l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF). L'affectation de la TVA est encore plus complexe. Quant à la sécurité sociale, elle n'est aujourd'hui plus financée qu'à 50 % par des cotisations sociales. Il en résulte une réelle confusion, qui nuit à la lisibilité de l'action publique et à la bonne compréhension de l'utilisation qui est faite de nos ressources.

Enfin, le dernier élément majeur de fragmentation des finances publiques tient à la gouvernance d'ensemble et au pilotage global – ceux-ci sont insuffisants. En théorie, la trajectoire des finances publiques devrait, au vu de notre organisation nationale, découler de l'addition des trajectoires financières de tous les secteurs d'administrations publiques ; pourtant, cette méthode ne fonctionne pas, car les textes financiers sont disparates, peu coordonnés, et les lois financières annuelles ne couvrent que les trois quarts de notre dépense publique. Il n'existe par ailleurs pas de mécanisme ou d'instance de coopération entre les différentes catégories d'administrations publiques, comme en Allemagne ou en Espagne. Une conférence nationale des finances publiques avait bien été créée en 2006, mais elle n'a été réunie que trois fois entre sa date de création et 2010.

Cette fragmentation qui caractérise nos finances publiques n'est pas une simple gêne cosmétique. Elle emporte des inconvénients majeurs, pour les finances publiques comme pour la transparence de l'action publique.

Commençons par le plan financier. Ce cadre institutionnel est si complexe qu'il affecte la capacité à lire et à comprendre les équilibres entre les recettes et les dépenses des administrations publiques. Les soldes de chaque catégorie d'administrations publiques n'ont plus qu'une signification limitée, alors même qu'ils orientent des choix décisifs.

De plus, la répartition des recettes et les décisions prises depuis plusieurs années en matière de financement de la sécurité sociale et des collectivités territoriales ont conduit à concentrer sur l'État la plus grande partie du déficit et de la dette des administrations publiques. Cette situation résulte logiquement de son rôle d'assurance collective, qui est décisif dans la crise que nous traversons, comme il l'a été en 2008. Il y a donc un risque qu'au sortir de la crise, la majeure partie de l'effort de redressement soit supportée par le budget de l'État. Un partage équitable de l'effort entre les différents niveaux d'administration publique exige de disposer d'une vision globale des finances publiques.

Le deuxième inconvénient que présente la fragmentation des finances publiques a trait à la transparence de l'action publique. Le consentement à l'impôt exige l'adhésion aux dépenses qu'il autorise, ce qui suppose que le budget soit lisible et qu'il soit possible de comprendre à quoi servent les recettes publiques. Pour pouvoir redresser nos finances publiques dans les prochaines années en faisant les bons choix, nous devrons disposer d'une information globale, fiable et compréhensible par toutes et tous.

Pour y parvenir, notre rapport formule plusieurs recommandations conçues pour pouvoir être mises en œuvre sans réformer la Constitution.

Pour associer la sécurité sociale et les collectivités locales à l'objectif de soutenabilité des finances publiques du pays, nous proposons d'abord de mettre en place une instance de concertation pérenne et de fixer en LPFP les règles de partage des impôts et de garanties de ressources entre administrations.

Nous suggérons également d'instaurer dans chaque assemblée une discussion générale, préalable à l'examen des projets de loi de finances (PLF) et des projets de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), sur les recettes publiques, leur partage et les conditions de l'équilibre des finances de l'État et de la sécurité sociale.

Nous recommandons enfin d'étendre et de clarifier les lois financières, notamment pour la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) qui devrait être élargie aux régimes de retraite complémentaire obligatoire et à l'assurance chômage.

Il serait également souhaitable de créer pour ce secteur une « loi de résultat » de la sécurité sociale, présentée au printemps comme la loi de règlement du budget de l'État, qui pourrait être examinée dans le cadre de votre nouveau printemps de l'évaluation. Ce dernier constitue un grand progrès et je comprends votre souhait de le pérenniser. La Cour sera toujours disponible pour y participer.

S'agissant des collectivités locales, l'option d'une loi de financement des collectivités, défendue par la Cour par le passé, n'a pas été retenue ici car elle aurait nécessité de réviser la Constitution. Nous proposons plutôt la création d'une nouvelle mission budgétaire qui rassemblerait l'ensemble des concours versés par l'État aux collectivités territoriales – crédits budgétaires, prélèvements sur recettes, remboursements et dégrèvements d'impôts locaux. Chacun d'entre eux pourrait conserver la forme qu'il prend aujourd'hui. L'examen de cette mission deviendrait le cadre de discussion des finances locales devant le Parlement.

J'en arrive maintenant à la troisième partie du rapport, qui se concentre sur le cadre budgétaire de l'État. Il ne s'agit pas ici de braquer le projecteur sur un secteur d'administration qui serait plus fautif que les autres, mais de s'intéresser de près au dispositif mis en place par la LOLF, un texte consacré avant tout à l'État. Nous formulons sur ce sujet un certain nombre de constats.

Le premier réside dans l'émiettement croissant du budget de l'État, qui est tout aussi préoccupant que la fragmentation des finances publiques. En effet, à l'extérieur comme à l'intérieur de ce budget, les dispositifs dérogatoires subsistent malgré la LOLF, et se multiplient même. Il s'agit ici des dépenses fiscales, des impôts et taxes affectées, des fonds sans personnalité juridique, des comptes spéciaux ou encore des budgets annexes. Tous portent atteinte aux principes budgétaires fondamentaux que sont l'unité et l'universalité. Je sais que la MILOLF partageait nos constats et avait formulé sur ce point de nombreuses recommandations.

Or, malgré le dynamisme de ces dispositifs dérogatoires, l'autorisation parlementaire reste concentrée sur les dépenses du budget général. Il s'agit de notre deuxième constat. Un double inconvénient persiste ici : budgétaire, puisque beaucoup de ces dispositifs de financement échappent aux règles de contrôle et de pilotage en place, et de transparence, puisque le pouvoir du législateur est affaibli. Les sommes en jeu sont pourtant très significatives, s'agissant par exemple des dépenses fiscales, des taxes affectées aux opérateurs ou des programmes d'investissement d'avenir, qui ont majoritairement recouru à ce type de financement.

Pour rétablir l'unité et l'universalité budgétaires, nous proposons de compléter les missions budgétaires actuelles en élargissant l'information qu'elles fournissent. Y figureraient désormais non seulement les crédits budgétaires mais également les dépenses fiscales, les prélèvements sur recettes, les taxes affectées, et plus largement l'ensemble des moyens déployés par l'État pour financer ou soutenir une politique publique. La pertinence de l'ensemble des dérogations au droit commun budgétaire devrait être examinée de façon systématique au cours d'une période de transition de trois à cinq ans avant l'entrée en vigueur définitive du nouveau dispositif. Les comptes spéciaux et budgets annexes devraient dans ce cadre faire l'objet d'une attention particulière.

Enfin, le rapport s'intéresse à l'ambition initiale de la LOLF, qui visait à favoriser l'efficience de la dépense publique. Or, la recherche de l'efficience reste beaucoup trop marginale par rapport à la préoccupation du maintien ou de l'augmentation des enveloppes budgétaires.

Je n'arrive pas à me résoudre à l'idée que nous serions le seul pays européen où la recherche de la meilleure politique au meilleur prix serait considérée comme péjorative. Quand ils font des achats, les Français recherchent chaque jour le meilleur rapport qualité-prix. Pourquoi ne feraient-ils pas la même chose en tant que contribuables, citoyens, ou usagers du service public ? Je suis persuadé que les bouleversements que nous traversons nous imposent plus que jamais de nous concentrer sur la qualité et l'efficacité de la dépense publique au moindre coût, pour que nous soyons capables de faire face aux conséquences de la crise sur notre économie et de financer les nouvelles priorités que nous nous donnons collectivement. Il ne s'agit pas de revenir ici à des dogmes d'austérité. Il s'agit d'affecter les bonnes ressources aux bonnes politiques.

Pour cela, nous formulons plusieurs propositions. Tout d'abord, nous souhaitons appliquer la démarche de performance à l'ensemble des moyens des politiques publiques, et non plus aux seuls crédits budgétaires. Ensuite, nous suggérons de conforter la vision pluriannuelle du budget, pour renforcer l'évaluation à moyen terme des politiques publiques, en accompagnant les lois de règlement d'un bilan de l'exécution sur trois ans. Enfin, nous recommandons de clarifier et de renforcer la responsabilité des gestionnaires publics pour qu'ils disposent des leviers nécessaires à leur mission, notamment en réduisant les mises en réserve générales de crédits.

Pour conclure, je retiens deux principaux messages pour résumer mon propos.

Tout d'abord, le contexte actuel de crise nous invite à définir une nouvelle stratégie de finances publiques. Cette stratégie exigera un cadre organique et une gouvernance rénovés. C'est à ce prix que le pays pourra atteindre des objectifs difficiles de redressement des finances publiques, tout en préservant au mieux les politiques publiques auxquelles les Français sont attachés et sans renoncer à de nouvelles ambitions.

Ensuite, nous n'appelons pas au grand soir mais nous suggérons une démarche très pragmatique. De la même façon que la crise de 2008 avait conduit, sous l'influence du cadre européen, à l'adoption de la loi organique de 2012, cette crise doit nous aider à franchir une nouvelle étape dans la construction de notre cadre de gouvernance. Les politiques publiques de demain appellent à davantage de projection dans le temps long, de coordination et de transparence. Sans ces éléments, nous ne pourrons pas relever des défis comme celui de la transition écologique ou du vieillissement de la population.

Il va de soi que notre rapport ne rétablira pas à lui seul nos finances publiques. Mais il fournit plusieurs clés de lecture de la situation actuelle ainsi qu'un certain nombre de pistes concrètes pour rénover notre cadre de gouvernance financière. Nous espérons qu'elles vous seront utiles ainsi qu'au Gouvernement. Nous sommes évidemment prêts à travailler avec vous sur les suites à lui donner.

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