Intervention de Pierre Moscovici

Réunion du mercredi 18 novembre 2020 à 9h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des Comptes :

Je souligne tout d'abord qu'il existe une très large convergence entre la MILOLF et le rapport de la Cour des comptes.

Deuxièmement, j'ai bien entendu les réflexions sur les délais d'envoi du rapport. La Cour l'a envoyé vendredi dernier.

Enfin, certaines questions ont été posées auxquelles je ne pourrai pas répondre. Ce rapport n'est pas un rapport sur la dette publique, le déficit ou l'évaluation de la dépense – il ne porte pas de jugement sur la situation présente. Il s'agit d'un rapport sur la gouvernance des finances publiques. Nous pensons que disposer d'un cadre stable permet de mieux maîtriser et de mieux connaître les finances publiques. Les objectifs de prévisibilité, de lisibilité et d'unité sont, il me semble, partagés par tous ceux qui ont pris la parole. N'y voyez aucun prisme idéologique. Il s'agit de permettre au citoyen de mieux choisir, d'être mieux informé et d'évoluer dans un cadre plus performant.

Commençons par la conférence nationale des finances publiques. Ce dispositif a prouvé son efficacité en Espagne et en Allemagne, où des mécanismes ont été mis en place pour assurer la convergence de tous les acteurs vers des objectifs de moyen terme d'équilibre des finances publiques. Le rapport prend l'exemple de la conférence sur le déficit en 2010 qui s'est traduit par des décisions concrètes. En 2020, plus que jamais, la soutenabilité financière relève d'une responsabilité collective. C'est pourquoi la Cour propose de convoquer une instance de concertation en amont des projets de loi de programmation des finances publiques et chaque année. Ces débats n'ont en aucun cas vocation à se substituer au rôle du Parlement. Bien au contraire, ils ont vocation à partager les constats entre l'État, les collectivités territoriales et les administrations de sécurité sociale, ce qui permettrait ensuite d'identifier les points qui nécessitent des arbitrages. La question du consensus politique a été évoquée par plusieurs d'entre vous. Une telle concertation est de nature, si ce n'est à créer du consensus, du moins à éclairer les dissensions. Enfin, créer un consensus politique ne dépend pas du système institutionnel. Cela relève d'une volonté politique. Certes, les majorités, en France, sont issues du mode de scrutin. Mais il est important que, quel que soit le système, le politique ait la volonté de s'approprier ces sujets et de porter une vision de long terme.

Je précise que l'enveloppe pluriannuelle des mesures nouvelles en recettes porterait spécifiquement sur les mesures nouvelles en recettes et non sur les recettes elles-mêmes. Les recettes, dans leur ensemble, ne sont pas précisément prévisibles. Les mesures nouvelles en revanche, elles, le sont.

Vous m'avez interrogé sur les provisions : l'objectif est de faire face aux contingences. La Suède forme d'importantes provisions : 1 % des dépenses programmées et jusqu'à 3 % à quatre ans. Le Royaume-Uni et la Finlande appliquent des dispositions comparables. La taille de la provision doit, il me semble, être croissante avec le temps.

Le Premier ministre avait proposé de faire voter des indicateurs de performance. Je pense qu'il faut, au préalable, conduire une revue de ces indicateurs car ils sont très nombreux. La Cour propose de distinguer les indicateurs stratégiques des indicateurs de gestion. Beaucoup d'efforts ont déjà été faits pour rationaliser les indicateurs de performance. Dans ce rapport, nous proposons d'étendre les dispositifs de performance à l'ensemble des moyens de financements inclus dans les nouvelles missions budgétaires.

S'agissant des finances locales, nous proposons de rassembler tous les sujets relatifs au financement des collectivités territoriales dans une nouvelle mission budgétaire consacrée aux relations avec les collectivités territoriales. Elle serait composée de programmes correspondant aux différents types de moyens dont elles bénéficient et son examen deviendrait le cadre de discussion des finances locales devant le Parlement. Nous avons pris le parti de raisonner à Constitution constante – il n'est pas interdit à d'autres de proposer une révision constitutionnelle, et il ne nous serait pas interdit de la soutenir.

Nous avons proposé que les nouvelles dépenses fiscales soient récapitulées dans les nouvelles missions budgétaires, car elles constituent des composantes à part entière des moyens consacrés par l'État aux politiques publiques. En réduisant l'impôt, l'État cherche à orienter les comportements des acteurs économiques. Les dépenses fiscales ont un coût élevé et sans cesse croissant. Chaque nouvelle dépense fiscale doit donc être mise en regard des dépenses budgétaires pour que le Parlement dispose d'une vision d'ensemble au moment de voter les crédits budgétaires.

En quoi consiste l'enveloppe pluriannuelle de mesures nouvelles en recettes ? La Cour recommande de fixer une trajectoire financière soutenable et réaliste. Nous savons que la notion de solde structurel est importante mais insuffisante. Elle est sujette à des révisions et elle est modérément lisible. Nous proposons de compléter ce critère de solde structurel par des enveloppes, en milliards d'euros, portant sur l'ensemble des administrations publiques et concernant les dépenses et les recettes. Il importe que le périmètre de cette enveloppe puisse être le plus large possible.

J'ai dit notre convergence de vues avec la MILOLF sur le programme de stabilité. Nous tenons néanmoins une posture légèrement différente. Nous pensons que chacun des trois temps forts actuels des finances publiques a sa raison d'être. Le mois d'avril est le temps de l'évaluation et de la performance : nous proposons de renforcer ce temps par une loi de résultat de la sécurité social au printemps ; le rapport de la Cour des comptes sur le budget de l'État sera en ce sens publié à la mi-avril. Le mois d'avril est également consacré au programme de stabilité. Nous approuvons l'idée qu'il fasse systématiquement l'objet d'un débat au sein du Parlement. Les mois de juin et juillet sont dédiés au cadrage des grands équilibres financiers : ils sont l'occasion de tenir le débat d'orientation des finances publiques et de faire un point sur l'exécution de l'année en cours. Enfin, les mois de septembre et octobre sont ceux de la présentation des lois financières et s'inscrivent dans la continuité avec les cadrages de l'été.

En ce qui concerne le plafonnement des taxes affectées, les nouvelles missions budgétaires devraient tenir compte des moyens que constitue l'affectation de ces taxes afin que le Parlement dispose d'une vision d'ensemble au moment du vote des crédits budgétaires.

Sur la distinction entre les dépenses de fonctionnement et d'investissement, nous avons réfléchi à la possibilité de distinguer les programmes dotés de règles spécifiques à chaque type de dépenses au sein des nouvelles missions budgétaires. La réflexion à ce sujet mérite d'être poursuivie. Je reviens sur les comparaisons avec d'autres pays européens, car la LPFP pourrait être le lien qui permettrait de forger un consensus.

En réponse à la proposition d'amortissement de la dette par une structure de type CADES, le cantonnement de la dette est un bon signal, à la condition de ne pas considérer une dette cantonnée comme annulée. Il ne s'agit pas de créer une nouvelle dette en profitant de ce cantonnement. La trajectoire de déficit et de dette de l'ensemble des administrations publiques importe. La dette est un sujet dont nous devons parler sereinement ; il n'est pas responsable d'affirmer qu'elle n'existe pas ou que nous pouvons soudainement la faire disparaître. Le débat annuel sur la dette publique est fondamental.

Nous proposons d'adapter le mandat du Haut Conseil des finances publiques aux propositions de la Cour sur les enveloppes de recettes et de dépenses ; de limiter le risque de sous-évaluation des mesures nouvelles – il s'agit de la contre-expertise des évaluations du Gouvernement ; et enfin, de mettre en place des mesures de vigilance pour évaluer les risques d'écart à la trajectoire car nous pensons que le mécanisme de correction arrive trop tard. Cela constitue trois bonnes raisons d'élargir modérément le mandat du Haut Conseil des finances publiques. Le champ de réflexion et d'action du Haut Conseil des finances publiques constitue un outil fondamental pour le Parlement, pour l'exécutif et pour le citoyen.

Comment améliorer la culture du contrôle ? Cela se fera à travers l'harmonisation des dispositifs de performance. Nous souhaitons également consolider les revues de dépenses et les articuler avec la stratégie de respect de la trajectoire financière.

Je reviens enfin sur les impôts de production évoqués par monsieur Coquerel. Le montant des impôts de production est plus élevé en France que dans d'autres pays. Les baisses souhaitées sont des baisses pérennes. Cela pose une question par rapport aux objectifs de finances publiques et alimente le débat sur la relance. Cela nécessite encore plus d'attention portée à la maîtrise de la dépense.

Enfin, je laisse M. Christian Charpy répondre aux questions sur la sécurité sociale et les cotisations sociales.

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