Intervention de éric Lombard

Réunion du mardi 28 novembre 2017 à 17h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

éric Lombard :

Merci pour ces questions très riches.

Je commencerai par vous exposer ma vision de ce que serait la réussite de la Caisse des dépôts dans cinq ans, ce qui me permettra de répondre à de nombreuses questions, notamment celles relatives à la présence de la Caisse dans les territoires. Dans le monde actuel, l'élément important pour qui exerce une activité économique est, me semble-t-il, la relation entre le bénéficiaire des services et l'entreprise, l'institution financière, qui les offre. C'est une difficulté que la nouvelle économie a résolue de manière très brillante et novatrice, mais que les acteurs plus traditionnels peinent à résoudre. Pour être concret, la Caisse des dépôts dispose des savoir-faire et des produits qui permettent de régler beaucoup des problèmes dont nous parlons – que ce soit en matière d'investissement, de financement ou de conseil, pour le dire simplement –, mais ces capacités ne sont pas connues des entités qui pourraient en bénéficier, notamment dans les territoires ruraux. Nous avons donc un problème de communication et de mise à disposition.

Il me semble que deux séries de moyens permettent de traiter ce problème. Les premiers sont ceux offerts par l'économie digitale, qui sont insuffisamment utilisés. En effet, les sites internet de la Caisse des dépôts, très bien conçus, sont cependant encore un peu trop divers. Il faudrait trouver une façon de présenter l'offre de la Caisse de sorte qu'une petite collectivité puisse connaître les services auxquels elle a accès. Parallèlement, la livraison de ces services doit être rapprochée du terrain. De fait, l'institution est actuellement trop centralisée. Les équipes techniques sont à Paris et en région parisienne et les délégations régionales sont, pour l'essentiel, dans les capitales régionales, donc très éloignées de certains départements. Nous devons donc opérer un double mouvement afin, d'une part, que les offres de la Caisse soient plus facilement mises à disposition, d'autre part, que les professionnels compétents – et ils sont nombreux à la Caisse des dépôts – se trouvent là où nous souhaiterions qu'ils soient, plus proches du terrain. Ce travail de régionalisation, voire de départementalisation, prend du temps, mais il est nécessaire.

Par ailleurs, piloter un investissement, c'est un métier ; monter un financement pour un organisme de logement social, c'est un autre métier. La personne qui est sur le terrain doit connaître suffisamment l'ensemble de ces métiers pour être un interlocuteur efficace des collectivités locales et pouvoir faire appel à l'expertise spécialisée appropriée. Il nous faut donc rapprocher le contact et les services des clients publics de la Caisse. C'est un enjeu que je qualifierai d'industriel et c'est, me semble-t-il, le grand chantier que nous avons à réaliser, le plus important et le plus complexe car il suppose un effort de formation et de mobilité. Mais si nous parvenons à améliorer la façon dont l'offre est apportée aux clients publics de la Caisse, nous aurons réussi.

Monsieur le président, ma feuille de route, c'est le projet que je vous ai présenté. Le processus de sélection décidé par le Gouvernement et le Président de la République, qui aboutit à ma présence devant vous aujourd'hui, leur a permis de choisir une personne et un projet. De la personne, je vous laisse juge. Quant au projet, je vous l'ai décrit. J'y ai travaillé pendant le mois d'août ; je l'ai présenté avec beaucoup d'énergie et de détermination au ministère des finances, au Premier ministre et au Président de la République, et il s'est enrichi de ce dialogue.

La question des conflits d'intérêts est une véritable question. J'y répondrai d'un point de vue technique et sur le fond. La Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, que le Gouvernement a saisie de ma situation, a rendu un avis très clair : le fait que j'ai été pendant quatre ans PDG de Generali France ne présente pas, ou seulement à la marge, d'inconvénients quant à mon éventuelle capacité à diriger un groupe qui est le principal actionnaire de la CNP, puisque c'est le seul domaine où les deux activités se recouvrent. Du reste, ceux qui connaissent l'assurance savent que le modèle économique et les réseaux de distribution de la CNP n'ont à peu près rien à voir avec ceux de Generali.

Mais je voudrais élargir le propos. Le fait, pour un haut fonctionnaire qui occupe une position d'autorité d'être embauché par une entreprise qu'il supervisait pose un problème que, du reste, la commission de déontologie sanctionne ou interdit systématiquement. Mais lorsqu'on est issu du monde de l'entreprise, on n'occupe pas un poste d'autorité : on exerce son activité dans le cadre d'une compétition naturelle, sans avoir d'influence sur ce que font ses concurrents. Dès lors, je ne crois pas que le fait pour un acteur du privé, comme je l'ai été pendant plusieurs années, de travailler pour un acteur public soulève, de manière générale, un problème de conformité. Ensuite, il faut examiner les cas d'espèce : dans quelle mesure le fait que j'ai été employé dans telle entreprise par le passé limitera ma capacité à faire au mieux pour développer la Caisse des dépôts ? Mon mandat, si vous le confirmez, sera d'une importance considérable pour le pays ; il sera de développer cette institution et j'y consacrerai toute mon énergie. Penser que je pourrais vouloir protéger d'anciens employeurs ne correspond pas à ce qui existe dans la vraie vie. En tout cas, la Haute Autorité a décidé que tel n'était pas le cas ; mais chacun est libre de son avis.

Après avoir souligné la nécessité de rapprocher les décisions du terrain, M. le rapporteur général a évoqué les décisions pouvant concerner plusieurs directions régionales. Des échanges que j'ai eus jusqu'à présent – en ma simple qualité de candidat, je le rappelle –, il ressort qu'il existe des coordinations permettant de traiter un sujet relatif à un massif montagneux, par exemple, et impliquant plusieurs régions. Au-delà, de telles situations ont vocation à être réglées par des solutions de management.

J'en viens aux questions plus techniques que m'a posées M. Giraud, à commencer par celles portant sur la centralisation. Sans vouloir me lancer dans un long développement macro-économique, je rappellerai que lorsqu'une banque ou une institution effectue un dépôt en banque centrale, cela lui coûte 40 centimes d'euro par an, alors qu'une ressource comme le livret A coûte 75 centimes par an. On le voit, la marge est orientée à l'envers : dès lors, on va assister à un jeu de mistigri où chacun s'efforce de transférer ses liquidités à d'autres. Même si l'économie semble repartir, il n'est pas évident de trouver 10 milliards d'euros d'investissements !

Cette situation a eu une conséquence immédiate, résultant de la possibilité dont disposaient les banques de recourir, quand elles avaient trop de cash, à une option gratuite de surcentralisation – d'abord au bénéfice des autres banques, et revenant ensuite à la Caisse des dépôts quand les banques étaient déjà saturées. Un accord de place a été conclu l'année dernière : tout le monde s'est montré raisonnable, ce qui fait qu'il n'y a pas eu de transferts trop massifs de liquidités. Compte tenu de l'aggravation de l'écart entre les taux courts, le taux de livret A et les taux longs, il a paru prudent d'éviter que des masses trop importantes de liquidités circulent. Il est effectivement inconfortable pour les banques d'avoir trop de liquidités, et un article paru hier dans Les Échos indiquait que l'inconvénient était plus important pour La Banque postale, une banque très liquide, que pour d'autres banques ne présentant pas cette particularité. C'est également un inconvénient pour la Caisse des dépôts, qui gère environ 150 milliards d'investissement si l'on se réfère à la somme du fonds d'épargne et de la section générale – certes, il s'agit par définition de sommes investies, mais si 20 milliards devaient arriver demain, cela nuirait certainement à la rentabilité de la Caisse, donc à sa capacité à verser à l'État le prélèvement sur ses bénéfices et à participer ainsi à l'effort budgétaire commun. Nous sommes ici dans un domaine très technique, où les choses s'équilibrent, et j'estime que le Parlement a été sage de voter l'amendement du Gouvernement, qui représente une disposition protectrice pour le bien commun en général et pour la Caisse en particulier.

Pour ce qui est des très petites entreprises, je rappelle que, selon l'organisation actuelle, tout ce qui se rapporte aux entreprises est suivi par Bpifrance. À ce sujet, Mme Rabault a souligné que la répartition des crédits ne correspondait pas forcément à la répartition du PIB des régions ; tout ce que je peux vous dire sur ce point actuellement, c'est que s'il existe effectivement un déséquilibre, ce n'est pas normal – bien entendu, si je suis nommé directeur général de la Caisse des dépôts, j'aurai l'honneur de prendre également la présidence de Bpifrance, et je serai alors en mesure de vous répondre plus complètement.

En tout état de cause, on constate un grand dynamisme de l'offre de crédit de Bpifrance – de mémoire, il a été question, lors du dernier conseil, d'une hausse de 19 % des crédits d'équipement par rapport à l'année dernière –, qui profite également aux petites entreprises. C'est pour que les très petites entreprises puissent également en bénéficier que cet accord a été passé avec La Poste, qui a plus facilement accès aux très petites entreprises que Bpifrance. En termes de structure, les choses me paraissent devoir bien fonctionner et, si ce n'était pas le cas, cela ne serait sans doute qu'une question de réglage de l'outil qui, lui, est bien en place.

En réponse à Mme Cariou, je précise que le montant de l'enveloppe allouée au haut débit n'était pas de 20 milliards, mais de 2 milliards, sur lesquels 350 millions ont déjà été engagés. Cela dit, vous avez raison de souligner que le retard pris – pour de multiples raisons – en matière de déploiement du très haut débit est extrêmement préoccupant, et je porterai une attention particulière à ce problème. Il en résulte une situation très dommageable pour l'information diffusée aux Français résidant dans les territoires les plus éloignés, mais aussi pour l'emploi.

Si je dois absolument parler de la CNP, une société cotée au sujet de laquelle il m'est difficile de m'exprimer, je me contenterai de dire deux choses. Premièrement, la CNP – qui est toujours, en volume, le premier assureur français de personnes, devant le Crédit Agricole Assurances – est une très belle maison qui peut se prévaloir de partenariats et de savoir-faire de grande qualité, en France et à l'étranger, notamment au Brésil et en Italie. À ma connaissance, sa situation ne suscite donc pas d'inquiétude particulière. La CNP représente la participation la plus importante de la Caisse des dépôts, et elle génère un tiers de ses résultats. Des opérations plus intéressantes – pour la collectivité, pour la CNP et pour la Caisse – pourraient-elles être menées ? J'étudierai cette question comme celles relatives à l'ensemble des participations de la Caisse. En dépit de tout ce que j'ai pu lire dans la presse, la CNP n'a aucun statut particulier et, si je suis nommé, je m'autoriserai à revisiter l'ensemble des sujets avec un oeil neuf, selon les trois critères que j'ai évoqués précédemment.

Pour ce qui est de ma mission durant les douze premiers mois, je veux commencer par me mettre au travail pour rapprocher la Caisse des territoires : c'est pour moi une priorité majeure. Je veux également travailler sur le périmètre d'intervention de la Caisse, afin qu'elle concentre ses forces là où il est nécessaire de le faire. Enfin, comme je viens de vous le dire, j'entends procéder à une revue complète du portefeuille de participations de la Caisse.

M. Coquerel, je pense avoir déjà répondu au sujet de ce que vous appelez les allers-retours entre le public et privé. Pour ce qui est du logement social, vous avez tout à fait raison. La Caisse a dans ce domaine un rôle très important à jouer pour aider le secteur à surmonter les difficultés résultant non seulement des modifications de l'environnement, mais aussi de la situation créée par les taux d'intérêt actuels. Si le taux du livret A peut être considéré comme modeste par les épargnants – même si ce placement liquide se situe au niveau de l'inflation, ce qui n'est pas si mal –, il s'agit d'une ressource assez onéreuse en termes de crédits pour ce qui est des fonds prêtés au logement social. Les fonds d'épargne ont mis en place certaines innovations, notamment les prêts de haut de bilan, qui sont des prêts subventionnés, mais je pense que nous devrons engager une réflexion avec le secteur du logement social sur de nouveaux modes de financement permettant, sur des durées longues, d'aboutir à des conditions moins onéreuses que celles produites par le recyclage du livret A. J'ai quelques idées sur ce point mais, avant d'en parler, je souhaite vérifier qu'elles sont techniquement faisables.

Le financement des universités me semble, à l'évidence, faire partie de la vocation de la Caisse des dépôts.

L'amendement dont vous parlez, et au sujet duquel des syndicats de la Caisse se sont émus, n'a pas les intentions assassines que certains lui prêtent : il ne s'agit en aucune façon de remettre en cause le statut des fonctionnaires et des personnels de droit privé de la Caisse. Il se trouve simplement qu'il y avait un vide juridique, résultant du fait que les ordonnances, telles qu'elles ont été rédigées – et approuvées définitivement aujourd'hui – proposaient un nouvel état des lieux ne prenant pas la Caisse en compte. Cette situation interdisait le dialogue social, ce qui, vous en conviendrez, était préoccupant, car le dialogue social est décisif pour la bonne marche d'une entreprise. Constatant cette situation, nous avons souhaité replacer la Caisse des dépôts dans le cadre de la nouvelle organisation sociale résultant des ordonnances – mais je vous rassure : nous avons à coeur de permettre le fonctionnement de la Caisse dans le cadre d'un dialogue très étroit avec les organisations syndicales. Il n'y a aucune arrière-pensée dans cette démarche, en particulier aucune intention de démantèlement. Comme je m'évertue à le dire, le projet que je porte à pour objet de renforcer la Caisse des dépôts, dont nous avons besoin, et non de la démanteler.

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