Merci, chers Éric Woerth et Jean René Cazeneuve, de m'accueillir, accompagné de MM. Jean-René Lecerf, président de la commission des finances de l'ADF et président du conseil départemental du Nord, et Jean-Luc Chenut, vice-président de cette commission et président du conseil départemental d'Ille-et-Vilaine.
La situation financière des départements est à nouveau fragilisée, cette fois par la crise du covid et ses conséquences économiques et sociales. Je remercie Jean-René Cazeneuve pour ses propos : les départements ont joué leur rôle, social et territorial, durant la crise, au printemps, ils le jouent maintenant, ils le joueront à l'avenir.
Cette crise tombe mal : après une longue période de fragilité budgétaire, la plupart des départements étaient parvenus à stabiliser leur situation financière, et la baisse des dotations budgétaires décidée par les gouvernements précédents était terminée.
Ce redressement était également lié à un effort de rigueur dans la gestion budgétaire des départements, souligné par la Cour des comptes, et une meilleure dynamique de nos recettes. Jusqu'à la fin de l'année 2019, la masse salariale a très faiblement augmenté, progressant de moins de 1 % par an en moyenne. Par ailleurs, en raison de l'amélioration de la situation économique et d'un changement de politique des départements en matière de revenu de solidarité active (RSA) visant à réduire le nombre de bénéficiaires de celui-ci, en favorisant leur retour à l'emploi, nous avons connu une baisse des dépenses. Cela a permis une reprise des dépenses d'investissement, qui ont progressé de 13,5 % en 2019. La hausse de l'investissement devrait cependant être réduite de moitié en 2021 pour atteindre 6,2 %, l'investissement sera principalement orienté vers le bloc communal.
Comme l'a évoqué Jean-René Cazeneuve, nous avons mis en place une mesure inédite : une péréquation horizontale volontaire. Les départements qui reçoivent les montants de droits de mutation à titre onéreux (DMTO) les plus élevés, comme certains départements touristiques ou Paris, ont accepté de donner une part de ces recettes aux départements les moins riches, les départements ruraux ou certains départements industriels qui connaissent des difficultés comme le département du Nord ou celui de la Seine-Saint-Denis. Cela représente un effort de 1,6 milliard d'euros, accepté par le Gouvernement et le Parlement dans le cadre des lois de finances pour 2020 et pour 2021.
Que se passe-t-il maintenant ? Nous constatons effectivement l'effet ciseau économique bien connu : nous allons connaître une érosion de notre épargne et la moyenne générale de la capacité de désendettement des départements devrait passer de 3,4 ans à 6,2 ans en raison d'une augmentation de nos dépenses de fonctionnement. Cette baisse spectaculaire de notre épargne est fâcheuse.
Concernant le produit des DMTO, nous nous attendions au pire, avec, au printemps, l'interruption des visites immobilières et l'absence d'actes notariés. Ce phénomène s'est répété en novembre de façon atténuée. Nous craignions alors une catastrophe, qui n'a pas eu lieu. Les recettes de DMTO de certains départements connaissent une baisse pouvant atteindre 10 % mais, pour d'autres, l'année 2020 est aussi bonne, voire meilleure, que l'année dernière ; c'est le cas de mon département de la Charente-Maritime, alors que je jugeais les prévisions de mes services optimistes. Cela signifie que l'avance votée en loi de finances rectificative sera remboursée par plusieurs départements.
Par ailleurs, nous continuons de souffrir, intellectuellement et dans notre chair politique, de la perte de la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB). Le Gouvernement ne nous laissant aucune marge sur l'augmentation des DMTO, malgré nos demandes, nous n'avons plus de levier fiscal.
L'un des changements de l'année 2021 sera l'augmentation de nos dépenses sociales. Les familles étant atteintes par la crise, l'augmentation des dépenses de protection de l'enfance pourrait atteindre environ 5 %, les dépenses de soutien à l'autonomie des personnes âgées et en situation de handicap pourraient augmenter de 2 % à 5 %, et le coût du RSA progressera d'au moins 10 %. Cette augmentation a débuté dès le premier confinement et s'est poursuivie de manière linéaire dans l'ensemble des départements. Cela est dû aux conséquences de la crise sur le chômage, à un plus grand nombre de travailleurs en fin de droits, à la fermeture des commerces et à la situation des travailleurs indépendants. Nous attendons donc une explosion du coût du RSA, alors que, dans sa générosité, l'État ne compense que la moitié de ces dépenses. Lorsque nous étions aux responsabilités, sous la présidence de Jacques Chirac, Jean-Pierre Raffarin étant Premier ministre, nous avions pour notre part fait voter la compensation intégrale du revenu minimum d'insertion (RMI) par l'État dans la loi relative aux libertés et responsabilités locales du 13 août 2004, dite « acte II de la décentralisation ». Au fil des années, cette compensation s'est effilochée.
Des mesures que nous jugeons positives quoiqu'insuffisantes ont été prises dans le cadre des lois de finances rectificatives de l'année 2020 et de la loi de finances pour 2021. Nous en remercions la commission des finances et la délégation aux collectivités territoriales. La première concerne le fonds de péréquation : l'État s'est engagé à aider les départements dans le cas où son montant n'atteindrait pas 1,6 milliard d'euros en raison des difficultés que connaîtraient les départements les plus contributeurs. C'est une bonne mesure, mais nous aurions aimé qu'un amendement permette d'exclure le département des Alpes-Maritimes du dispositif en raison des dépenses qu'il engagera dans les deux vallées victimes des inondations. Cela n'a pas été le cas, et nous le regrettons.
Le fonds de stabilisation de 200 millions d'euros, évoqué par Jean-René Cazeneuve, a été l'objet d'une mesure de dernière minute de Bercy, absolument invraisemblable, que ni vous, monsieur le président de la commission des finances, cher Éric Woerth, ni moi n'aurions osé imaginer lorsque nous étions aux responsabilités ! Étant donné que le Premier ministre accordait 200 millions d'euros au lieu de 115 millions d'euros l'an passé, Bercy en a profité pour « sucrer » les 115 millions d'euros du fonds prévus pour 2020, qui ont ainsi disparu. Nous avons cependant obtenu du Premier ministre un engagement écrit de rétablissement en gestion, au cours de l'année 2021, de ces 115 millions d'euros, subrepticement supprimés, sans aucun arbitrage de Matignon. Je vous demande, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le président de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation, d'y être très attentifs.
Quant aux mécanismes d'avances remboursables sur les DMTO, je les ai déjà évoqués, et je n'y reviens pas.
Pour résumer, les dépenses de RSA nourrissent de fortes craintes. L'enveloppe de la compensation de l'État devra être abondée au cours de l'année. Nous avions proposé un système qui nous paraissait assez vertueux, qui aurait consisté en une aide de l'État lorsque les dépenses de RSA augmentent de plus de 5 % dans un département. L'État y a répondu par une « facilité de caisse » en nous proposant un étalement sur cinq ans de ces dépenses.
Enfin, nous attendons une baisse importante, d'environ 450 millions d'euros, du produit de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE).
Un amendement scélérat – j'utilise à dessein cet adjectif un peu fort –, présenté par M. Olivier Dussopt, est intervenu. La compensation de la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) se fait grâce à une fraction de taxe sur la valeur ajoutée (TVA). Or le Gouvernement, sur le fondement d'une hypothèse de croissance de 6 % un peu exagérée à mon avis – la Banque de France retient plutôt 5 % –, pense que nous aurons plus de recettes de TVA que prévu. Il nous a donc déjà privés de un milliard d'euros de recettes de TVA de compensation... En somme, quand une compensation est bonne pour les collectivités, on la lui enlève, mais, à l'inverse, quand elle est moins bonne, on la lui laisse ! Nous avons vraiment mal vécu cet amendement de dernière minute, dont nous n'avions d'ailleurs pas été prévenus par le Gouvernement. Je remercie Jean-René Cazeneuve pour les efforts qu'il a déployés en faveur d'une clause de sauvegarde ; malheureusement, cette possibilité n'a pas été retenue.
Je souligne également un risque d'année 2021 difficile du fait de la hausse du RSA et de la baisse de certaines recettes. Nous souhaitons travailler avec les commissions de l'Assemblée nationale et du Sénat sur le retour à un véritable levier fiscal autonome.
Nous avions proposé à Édouard Philippe, qui l'avait d'abord accepté puis refusé, de permettre aux départements qui le souhaitent de modifier à la marge les taux de DMTO, dans le cadre de dispositions prises en loi de finances. Je ne crois pas du tout à l'argument de l'Union nationale des propriétaires immobilier (UNPI) et des chambres des notaires selon lequel cela déstabiliserait le marché du foncier : personne n'a renoncé à l'achat d'un appartement ou d'une maison parce que les frais de notaire sont plus importants dans l'Oise que dans le Gers, qu'en Charente-Maritime ou qu'en Ille-et-Vilaine. Cette facilité ne nous a pas été accordée, malheureusement.