Intervention de Nicolas Dufourcq

Réunion du mercredi 20 janvier 2021 à 9h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Nicolas Dufourcq, directeur général de Bpifrance :

Je vous remercie pour ces questions précises. Le ministre de l'économie, des finances et de la relance procédera à des annonces d'ici quelques semaines ; le prêt participatif sera probablement disponible au mois d'avril. Ce dispositif vise à mettre en place en France et en Europe des prêts à huit ans, qui auraient un différé de remboursement de quatre ou cinq ans, un taux d'intérêt compris entre 4 % et 5 % pour les PME, légèrement supérieur à 5 % pour les ETI. Ce dispositif pourra se diffuser ailleurs en Europe, car la direction générale de la concurrence de la Commission européenne devrait valider une forme de standard européen. Cet instrument pourra prendre deux formes : crédit ou obligation avec bon de souscription d'actions, commercialisée par l'ensemble des fonds d'investissement français. Le total est actuellement estimé à une vingtaine de milliards d'euros, dont plusieurs milliards d'euros d'obligations avec bons de souscriptions d'actions. Apporter cette catégorie de prêts participatifs à un maximum d'entreprises françaises implique une mobilisation de tous les acteurs, banques et fonds d'investissement, qui sont coutumiers des investissements en obligations convertibles et en quasi-equity dans les entreprises.

Ces prêts participatifs sont des prêts. Il ne s'agit pas de la conversion des PGE en fonds propres, mais d'un ajout à la boîte à outils française, déjà riche. En effet, Bpifrance propose depuis sa création des prêts sans garantie (PSG), qui portaient l'intitulé « prêt participatif » lors de mon arrivée en 2012. Le prêt participatif que nous évoquons ici se démarque par son très important différé de remboursement, fixé à quatre ans, qui est intéressant pour les entreprises qui ont besoin de reprendre haleine et de traverser le cycle de crise.

L'État apportant une garantie profonde et généreuse du risque sur ces prêts et les taux restant faibles, ce produit peut donc être considéré comme avantageux et générateur de rendement intéressant pour les assureurs. Ceux-ci apporteront des blocs de capitaux à un fonds géré par une équipe restreinte. Les banques et fonds d'investissement les revendront à ce fonds, qui engendrera un rendement pour les assureurs de l'ordre de 2 %, selon la documentation actuelle, soumise notamment à l'avis définitif de la Commission européenne.

Bpifrance sera appelée à apporter son concours à la commercialisation des prêts participatifs. Nos clients se verront proposer une boîte à outils comprenant les prêts sans garantie déjà existants (PSG classique, prêt vert, prêt tourisme, prêt French Fab Croissance, prêts du plan de relance), le prêt participatif, avec un différé plus important de quatre à cinq ans, puis des dispositifs de quasi-equity. Ceux-ci se composent d'obligations à bons de souscription en actions, que nous commercialisons déjà au travers du fonds de renforcement des PME, que nous avons créé en août 2020, ainsi que d'obligations convertibles plus classiques. Nous proposons ainsi un continuum qui monte vers les fonds propres purs.

S'agissant de la question des fonds propres, notre position est enrichie par la question que nous posons dans chacune de nos équipes à un panel d'investisseurs français : « Avez-vous le sentiment de faire face à un besoin critique de fonds propres ? » Le taux de réponses positives, qui dépasse largement les clients de Bpifrance, reste stable à 10 %. La raison en est à la fois technique, financière et psychologique. En effet, cette question impose d'être prêts à ouvrir son capital et à se laisser diluer. Nombre d'entrepreneurs ne le souhaitent pas, d'autant plus que la dette est accessible à des taux faibles.

Nous pensons que le prêt participatif trouvera son marché, mais nous n'estimons pas faire face à une bulle potentielle d'investissements en fonds propres, qui imposerait un changement radical du curseur de la proportion des entrepreneurs qui acceptent de se laisser diluer. Ce curseur psychologique évoluera peu.

Nous estimons par ailleurs que l'essentiel du PGE sera remboursé à la sortie de crise. Nous estimons en outre qu'environ 50 % des entreprises qui y ont souscrit le conserveront pendant six ans, car il s'agit d'un produit peu cher, assorti d'un différé de remboursement de deux ans et sans garantie. À ce jour, environ 40 % des entreprises envisagent de le conserver six ans, mais cette proportion évolue chaque semaine. À notre sens, la sinistralité finale ne sera pas très supérieure aux chiffres indicatifs que j'ai cités tout à l'heure.

Le fonds « Lac 1 » est alimenté par le fonds souverain émirati Mubadala. Cependant, comme pour tous les fonds supervisés par l'Autorité des marchés financiers (AMF), la société de gestion, en l'occurrence Bpifrance, est totalement souveraine dans le choix des investissements. Les pourvoyeurs de capitaux ne sont pas décisionnaires, ne participent pas à la gouvernance et deviennent passifs une fois qu'ils ont apporté leur engagement. « Lac 1 » est un fonds professionnel de capital investissement (FPCI) classique, comme Bpifrance en finance 400 autres au titre de son activité de fonds de fonds. La souveraineté de la société de gestion est totale. Il s'agit par ailleurs d'un fonds privé, Bpifrance y apportant un milliard d'euros, l'État et la Caisse des dépôts 500 millions d'euros chacun. « Lac 1 » est géré par la société de gestion Bpifrance, qui prend ses dispositions de manière tout à fait indépendante, y compris de l'État et de la Caisse des dépôts et consignations. Ainsi, nous avons décidé seuls de l'investissement dans Arkema, qui est un investissement souverain de Bpifrance.

Je vous remercie pour la ratification de l'ordonnance du 17 juin 2020 portant réorganisation de la Banque publique d'investissement. Pour rappel, nous avons proposé au printemps dernier de fusionner Bpifrance Financement, filiale bancaire, avec sa maison-mère Bpifrance SA, compagnie financière. Cette organisation comprenait en effet un échelon de gouvernance de trop. Lors de ma mission de préfigurateur de la BPI, en novembre 2012, j'avais proposé de rattacher directement à la banque OSEO l'activité fonds propres de la Caisse des dépôts et consignations, de la société Avenir Entreprises et du FSI. Cette solution était en effet plus simple que de créer une compagnie financière comprenant une filiale de fonds propres et une filiale bancaire. Elle n'avait toutefois pas été acceptée, car elle conduisait à une détention du capital au sommet qui ne correspondait pas au contexte politique de l'époque. Nous supprimons à présent un étage de gouvernance, ce qui nous permet de réduire le seuil de redéploiement des fonds de garantie, seuil dépendant des fonds propres de la société à laquelle ces fonds sont rattachés. Cet abaissement a permis de dégager un boni de 400 millions d'euros de dotation.

Envisagée avant la crise du Covid-19, cette fusion devait nous permettre de compenser l'absence de versements de crédits budgétaires au travers du programme 134 pour financer nos garanties, et donc de retrouver des marges de manœuvre. En raison de la crise, nous avons choisi de ne pas répartir ces 400 millions d'euros sur quatre ans, mais de les consommer en intégralité en 2020 pour le prêt « atout ». Sans cette ressource, nous n'aurions pas pu le mettre en place.

Il est très important de procéder à cette fusion. Pour ce faire, le Parlement doit désormais impérativement ratifier l'ordonnance du printemps.

Il est effectivement devenu plus difficile d'obtenir le PGE fin 2020. En effet, de nombreuses entreprises françaises l'ont obtenu avant l'été, beaucoup plus que pour ses équivalents italien, espagnol et allemand. Le PGE français est ainsi numéro un sur le podium européen des prêts sans garantie du plan de relance. Les entreprises qui recherchent un complément de PGE ont plus de difficultés à l'obtenir ; en effet, le dialogue bancaire est plus compliqué du fait de la deuxième vague épidémique et de la perspective de son rebond, voire d'une troisième vague. Le manque de visibilité est incontestable et renforcé par rapport à la situation que nous connaissions en mai ou en juin. Il est à noter que Bpifrance a attribué environ 700 millions d'euros de PGE, en plus du prêt « atout ». Nous nous sommes limités à nos clients, car il est clairement prévu que chaque banque propose ce dispositif à ses clients. Or, je n'ai pas eu de remontée de demandes de nos clients Bpifrance pour des compléments de PGE significatifs en fin d'année.

Nous sommes très heureux d'avoir pu franchir les obstacles et d'être enfin en mesure de proposer aux Français un produit de private equity démocratisé, avec un ticket d'entrée minimum de 5 000 euros. S'il ne s'agit pas d'un produit populaire, il constitue à tout le moins une rupture radicale par rapport à la pratique, les tickets minimaux du private equity étant généralement de l'ordre de 100 000 euros. Ce produit s'appuie sur un portefeuille très distribué, fort de 1 500 entreprises, dont la liste est publique. Le risque est donc très fortement réparti et diminué par rapport à un investissement direct au capital d'une ou deux PME, comme proposé dans le cadre de l'impôt sur la fortune (ISF) ou de la réduction d'impôt IR-PME. Les banques françaises commenceront fin janvier à commercialiser ce produit très attractif, moins risqué et plus rentable, qui donne la possibilité de participer de manière directe à l'économie des territoires. Certains assureurs le commercialiseront en unité de compte, ce qui est une très bonne nouvelle. Bpifrance prépare par ailleurs la deuxième version de ce produit, afin d'offrir chaque année aux Français l'occasion de participer à la création de valeur de Bpifrance.

L'excellente nouvelle du plan de relance est que pour la première fois depuis la création de la BPI, nous disposons d'un budget de garantie significatif au titre du programme 134, qui nous permet de « voir venir ». En tant que directeur de Bpifrance, c'est la première fois que je ne m'inquiète pas du financement de la garantie, qui est à mon sens un service public fondamental. Nous avons ainsi convaincu nos actionnaires, en particulier l'État, que nous devions absolument disposer d'un budget de garantie pour 2021 afin de rassurer les banques françaises face au PGE, qui peut être conservé six ans. Il s'agit d'un retour à la grande garantie française ex-Sofaris, qui permet aux banques de garantir le développement, la transmission, la création de quantité d'entreprises, notamment de petite taille.

2020 n'est pas une grande année de l'export, mais c'est une grande année de l'assurance prospection, de la couverture de change et de l'assurance pour les projets d'investissement à l'international. Au 31 décembre, l'assurance prospection s'élève à 1,2 milliard d'euros, en croissance par rapport à 2019. L'assurance-crédit progresse en nombre de contrats garantis, grâce à une forte montée en puissance auprès des PME, mais décroît en volume : Son montant total est de l'ordre 13 à 14 milliards d'euros.

S'agissant de l'impact de la fusion sur la gouvernance de Bpifrance, nous avons supprimé un conseil d'administration. Nous n'en avons plus que deux, contre précédemment un pour la maison-mère et un pour chacune de ses deux filiales. La composition du conseil d'administration de la banque évolue en intégrant davantage de représentants des entreprises, en tant qu'administrateur ou censeur. La Caisse des dépôts et l'État conservent toutefois le contrôle de ce conseil. Les représentants des salariés et du comité d'entreprise y restent en outre bien évidemment présents. Nos six représentants d'entreprises représentent le secteur bancaire, avec la directrice des ressources humaines de BPCE, la directrice financière de la Société Générale en France, mais également l'industrie, avec le directeur financier de Safran et le PDG de Paprec. Le secteur des fonds d'investissement est représenté par le directeur général d'Idinvest, les entreprises innovantes par un patron de PME de la filière nucléaire et digitale. J'ai par ailleurs créé un comité climat, composé notamment de Diane Simiu, administratrice au ministère de la transition écologique, et d'experts climats externes, en particulier le patron du fonds d'investissement R2.

Nous faisons bénéficier l'établissement de crédit des fonds propres de la holding. La fusion permet ainsi de soulager une contrainte importante, qui pesait sur la banque avant même le déclenchement de la crise du Covid-19. Nous dépassons très largement les seuils minimaux de solvabilité imposés par la Banque centrale européenne (BCE), qui a accueilli avec enthousiasme cette opération de fusion et l'a clairement soutenue. La marge de solvabilité de l'établissement de crédit s'établit ainsi à 14 % en 2020 et 13,7 % en 2021, ce qui nous positionne tout à fait correctement pour déployer avec puissance nos crédits et nos missions.

Notre grande priorité pour 2021 est la banque du climat. Nous avons ainsi annoncé en septembre avec la Banque des territoires notre ambition de déployer 40 milliards d'euros sur cinq ans, répartis pour moitié entre nos deux établissements. 2021 est une année de changement fondamental, car nous continuons de croître sur les prêts avec garantie qui financent les développeurs énergéticiens (éolien, photovoltaïque, éolien maritime, etc.). Nous commercialisons en outre à marche forcée le prêt vert du plan de relance que nous ambitionnons de déployer à hauteur d'un milliard d'euros dès 2021, pour une enveloppe totale de 1,5 milliard d'euros. Il est à noter que ce prêt est conditionné à des diagnostics de décarbonation, en particulier au diagnostic Eco-Flux que nous avons construit avec l'ADEME. Notre rôle de banque militante et de transformation des entrepreneurs est fondamental en 2021. Notre boîte à outils comprend en outre des fonds propres et quasi-fonds propres, des dispositifs d'accompagnement ainsi que la création d'une école de la transition énergétique à destination des entrepreneurs. En outre, par le biais d'actions de formation interne et de transformation, nous nous assurerons que l'ensemble de nos salariés intègre la dimension climatique dans toutes ses actions professionnelles. Nous animerons de surcroît la communauté d'entrepreneurs « éclaireurs » que nous avons constituée, que nous envoyons convaincre leurs pairs dans les territoires.

2021 sera une année de rupture, puisque Bpifrance devient un grand prêteur direct : cela représente près d'un milliard d'euros en 2020. Nous le resterons cette année, dans des proportions qui dépendront des dotations accordées par les conseils régionaux au fonds de garantie qui nous permet de distribuer ces prêts. Je pense pouvoir affirmer que nous sommes la plus grosse fintech française de financement direct 100 % digital des TPE du pays.

Nous constatons des disparités territoriales dans le déploiement du plan de relance, du fait de la politique « premier arrivé, premier servi » retenue par le Gouvernement. Certaines régions se sont mieux débrouillées et ont déposé bien plus de dossiers que les autres ; elles seront par conséquent mieux servies.

Nous n'avons reçu que peu de demandes de report de prêt, ce qui participe à notre sérénité. Comme toutes les banques, nous avons énormément travaillé en mars et en avril sur les reports d'échéances. Nous avons ainsi annoncé le 15 mars le report des échéances de tous nos clients. Nous avons repris les prélèvements en novembre et observé avec grande attention la réaction de nos clients. Cette reprise des prélèvements s'est bien déroulée. Nos clients paient et nous n'avons que très peu de cas de non-paiement. À fin 2020, le coût du risque dans les comptes de Bpifrance sera très faible. Nous n'avons pas de demande de report de prêt.

Nous avons une relation privilégiée avec les sous-préfets à la relance, particulièrement dans la verticale « Territoires d'industrie », ainsi que pour les entreprises qui n'ont pas eu de PGE et qui sollicitent des prêts du Fonds de développement économique et social (FDES). Nous sommes également en relation constante avec les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) pour l'exécution du plan de relance.

L'enveloppe d'un milliard d'euros pour le FDES a été votée dans un contexte où nous anticipions un très grand nombre de refus de PGE. Or, en pratique, ces refus ont été moindres qu'anticipé. Au total, un peu moins de 650 dossiers de FDES sont enregistrés, soit 550 dossiers pour le « petit FDES » et 90 dossiers pour le « gros FDES », contre 660 000 PGE.

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