Intervention de Benoît Coeuré

Réunion du mercredi 27 janvier 2021 à 11h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Benoît Coeuré, président du comité chargé de veilleur au suivi de la mise en œuvre et à l'évaluation des mesures de soutien financier aux entreprises confrontées à l'épidémie de covid-19 :

Je vous remercie pour votre invitation. Je viens faire état des travaux du comité et écouter vos suggestions, recommandations et besoins pour la suite des travaux du comité, qui est amené à se transformer. Sous sa forme actuelle, centrée sur les mesures d'urgence, il se réunira jusqu'au mois de juillet.

Le comité a été créé en mars 2020 par l'article 6 de la loi du 23 mars 2020 de finances rectificative pour 2020. Le président, le rapporteur général, des sénateurs, des représentants des collectivités territoriales, des organisations paritaires représentatives, de la Cour des comptes, de la direction générale des finances publiques et de la direction du trésor en sont membres. Un comité de pilotage technique a été créé afin d'informer le comité sur les aspects relatifs à l'analyse des données. Il accueille la Banque de France, le conseil d'analyse économique, l'OCDE et plusieurs experts.

Depuis le printemps 2020, le comité s'est en moyenne réuni une fois par mois. Toutes les semaines, puis tous les quinze jours, un point mis à jour sur le recours aux dispositifs est publiquement mis en ligne sur le site de France Stratégie. La phase de suivi est en cours de finalisation. Certaines données graphiques relatives au recours aux différents dispositifs seront publiées dans les jours qui viennent. Un rapport d'étape présentant les premiers éléments d'évaluation sera publié dès mars 2021, alors que le rapport final sera disponible en juillet. Ce comité a commencé à entreprendre un travail de suivi, de compréhension et de pédagogie sur les avantages, les inconvénients et les obstacles pratiques et administratifs liés à chaque mesure, avec l'intervention des administrations concernées. Il convient désormais de passer à la phase d'évaluation.

Le dispositif était centré sur quatre mesures principales de soutien aux entreprises : l'allocation versée aux employeurs au titre de l'activité partielle, le fonds de solidarité, le prêt garanti par l'État et les reports des contributions sociales. Il manque néanmoins les données complètes, qui seront transmises par Bercy et qui figureront dans le rapport final. Ces dispositifs ont constamment évolué depuis que le comité a commencé à se réunir, ce qui a permis de mieux s'adapter aux besoins économiques des entreprises. Il a néanmoins fallu expliquer les évolutions successives des dispositifs.

Une base de données unique des entreprises a été constituée, entreprise par entreprise, ce qui est, à ma connaissance, une démarche unique en Europe. Les informations relatives à l'utilisation des quatre dispositifs y sont présentées, ainsi que des informations relatives aux caractéristiques des entreprises (bilan, masse salariale, activité...). Ces données sont en train d'être complétées par des données relatives à la trajectoire économique des entreprises après la première phase de confinement en termes d'activité grâce aux données de TVA et en termes d'emploi grâce au croisement avec les données de Pôle Emploi. Elles permettront de réaliser une comparaison entre les entreprises selon qu'elles ont bénéficié ou non de ces dispositifs. Grâce au comité de pilotage, des simulations ont été réalisées par la direction du trésor, par la Banque de France ou par le conseil d'analyse économique sur l'impact de certaines mesures. Ces regards croisés se retrouveront dans le rapport d'évaluation, qui sera complété par une série d'entretiens menés avec des responsables d'entreprises, notamment de PME, afin de comprendre comment ils ont recouru aux dispositifs et les obstacles qu'ils ont rencontrés.

Les données établies sur la base des informations recueillies seront publiées dans les prochains jours. La vue d'ensemble des quatre dispositifs ne vous surprendra pas. En termes de montants globaux, le dispositif relatif au prêt garanti par l'État domine, mais il est difficile de comparer ces différents dispositifs, puisqu'on parle dans un cas d'un dispositif de prêts et dans un autre de subventions, pour le fonds de solidarité ou pour l'activité partielle. Ce n'est donc pas du tout comparable. Il est préférable d'étudier ces données de manière plus fine, secteur par secteur ou entreprise par entreprise.

Par secteur, il apparaît que le secteur du commerce représente 15 % de l'emploi total mais 23 % de l'activité partielle, et les chiffres sont comparables pour le PGE, et 16 % des reports de cotisations sociales, ainsi que du fonds de solidarité. Le secteur de l'hébergement et de la restauration représente 4 % de l'emploi total mais 25 % de l'activité partielle et 20 % du fonds de solidarité. La première conclusion, qui est positive, c'est que l'intensité du recours aux aides est proportionnée à l'intensité du choc, puisqu'il s'agit des secteurs les plus affectés par les confinements. Cette analyse est en cours d'affinement avec l'aide de la Banque de France et de l'INSEE, en construisant des mesures du choc économique secteur par secteur, à un niveau très fin. L'objectif est de déterminer si l'intensité du recours aux aides est proportionnée à l'intensité du choc qu'ont subi les entreprises. Le résultat est déjà plutôt positif.

Quand on examine les données plus finement, par entreprise, il apparaît que le montant par salarié décroît fortement avec la taille des entreprises. Autrement dit, proportionnellement et par salarié concerné, les TPE et les PME ont reçu davantage que les grandes entreprises. Cela permet de dissiper l'impression que ces dispositifs n'ont bénéficié qu'aux grandes entreprises, et pas aux petites entreprises. Au contraire, les grandes entreprises disposaient spontanément de plus de ressources pour faire face au choc et ont été moins demandeuses des différents dispositifs. Les PME ont reçu, par employé, 2,5 fois plus s'agissant de l'activité partielle que les entreprises de plus de 250 salariés, 1,3 fois plus de PGE et 20 fois plus en matière de report des cotisations sociales. Un dispositif comme le report de cotisations sociales a, en proportion, fortement bénéficié aux TPE et aux PME, et beaucoup moins aux grandes entreprises.

Par territoire, les données sont disponibles par département et par bassin d'emploi. À titre d'exemple, en avril, le recours à l'activité partielle dans le secteur du commerce a été uniforme dans les différents territoires, avec une forte proportion d'entreprises y recourant. Au fur et à mesure du déconfinement, le recours à l'activité partielle a diminué, mais de manière hétérogène selon les territoires. Le recours est resté fort en juin en Île-de-France et dans le sud de la France. La grille de lecture n'est pas uniquement territoriale. Il existe toutefois une corrélation entre les territoires et les secteurs : il y a plus d'hôtellerie-restauration dans le Sud de la France que dans le Nord par exemple. Il convient de distinguer les effets sectoriels des effets purement territoriaux, ce que nous sommes en train de faire pour le rapport final.

Le recours aux aides selon la cote de crédit de la Banque de France, qui reflète la situation financière des entreprises, a également été calculé. Il apparaît que le recours aux aides culmine pour les entreprises dont les cotes de crédit se situent aux alentours de 4 à 5, soit une note correcte selon la notation établie par la Banque de France. Ce taux de recours diminue pour les entreprises ayant de très bonnes cotes de crédit, ce qui est logique, mais il diminue aussi pour les entreprises enregistrant de très mauvaises cotes de crédit. Le taux de recours à l'activité partielle, par exemple, est inférieur à 45 % pour les entreprises ayant des cotes de 5 à 9, c'est-à-dire faibles ou compromises. Ce constat permet de nuancer le débat sur les entreprises « zombies » qui émerge aujourd'hui. Est-ce que ces dispositifs ont aidé les entreprises fondamentalement peu profitables à rester à flot alors que dans un environnement de marché normal, ces entreprises auraient dû disparaître ? Sans doute en partie, mais ce phénomène n'est pas visible sur ces chiffres. Les aides n'ont pas profité de manière démesurée à de « mauvaises » entreprises et n'ont pas été captées par ces entreprises « zombies ».

Il faut confronter ces éléments aux informations disponibles sur les procédures collectives : s'agissant des procédures collectives recensées entre janvier et décembre 2020, elles ont décroché à partir du mois de mars, en raison de la fermeture des tribunaux de commerce pendant le premier confinement. Il s'agit donc d'une raison administrative. Leur nombre aurait pu croître fortement après le déconfinement faisant suite à la première vague. Il y a une petite inflexion, un rattrapage, certes, mais on ne note pas d'explosion du nombre de procédures collectives – redressements et liquidations judiciaires. Les mesures de soutien mises en œuvre n'ont pas protégé des entreprises qui étaient destinées à une procédure collective : les chiffres relatifs aux procédures collectives engagées après l'été l'auraient montré. Le diagnostic est plutôt positif, puisqu'il n'y a pas eu d'effet d'aubaine.

Enfin, s'agissant du recours croisé à l'ensemble des dispositifs, il s'avère que seul un nombre très limité d'entreprises recourt à l'ensemble des dispositifs. De nombreuses grandes entreprises ne recourent qu'à un ou deux dispositifs. Selon l'enquête INSEE du mois de décembre, 84 % des entreprises de plus de dix salariés ont recouru à au moins un dispositif. 16 % de ces entreprises n'ont donc eu recours à aucun dispositif. Ce chiffre est plus élevé pour les TPE. Il y a un nombre significatif de l'ordre de 20 à 25 % des entreprises de moins de dix salariés qui n'ont recouru à aucun dispositif, alors que ces dispositifs sont accessibles à tous. Elles peuvent avoir été mal informées ou avoir rencontré des difficultés administratives, mais ce n'est pas ce qui nous est dit dans les entretiens ou par les fédérations professionnelles. Il semble que ces entreprises qui n'ont recouru à aucun dispositif n'en éprouvaient pas le besoin. Les chefs d'entreprise ont en effet préféré suspendre leur activité ou ne pas recourir aux dispositifs pour des raisons économiques, par exemple en ne sollicitant pas le PGE pour éviter d'accroître leur endettement et de réduire leur possibilité d'obtenir des crédits ordinaires auprès des banques. Ce graphique démontre que les effets d'aubaine sont plutôt bien contenus. Le nombre d'entreprises bénéficiant de tous les dispositifs reste assez faible.

En conclusion, je rappelle que l'analyse qui vous a été présentée est similaire à celle qui sera présentée dans le rapport d'étape de mars 2021.

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