Intervention de Benoît Coeuré

Réunion du mercredi 27 janvier 2021 à 11h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Benoît Coeuré :

Je ne vais pas répondre à toutes les questions, car certaines nécessitent un examen spécifique, en particulier les questions sectorielles. Cependant, soyez assurés que toutes vos questions feront l'objet d'un suivi. C'est mon engagement.

Je vous propose de commencer par répondre aux questions générales. Sur la méthodologie suivie par ce comité, je pense que l'existence de ce dernier a été très utile comme lieu d'échange d'informations. Les dispositifs ont parfois pu évoluer rapidement, ce qui pouvait susciter des problématiques d'information et de compréhension, mais les administrations elles‑mêmes n'étaient pas toujours informées clairement de ce qui était mis en œuvre. Ce comité a servi à faire remonter certaines questions, à échanger, à les transmettre aux administrations concernées, pour accélérer les réponses. La présence des partenaires sociaux, que ce soit les représentants du patronat ou les représentants des salariés, a permis de faire état de certaines préoccupations émanant du terrain. Ce format d'échange s'est donc avéré utile.

Par ailleurs, plusieurs comités d'évaluation de la crise ont été institués. La France peut en effet être considérée comme le pays des comités, ce qui nécessite une forte coordination, mais ces structures s'avèrent utiles pour échanger et mettre la pression sur les administrations gestionnaires. Les données présentées sont tout à fait uniques. Si le comité n'avait pas existé, chaque administration aurait constitué ses propres données en silo, les publiant ou non. Il manquerait ainsi une vision d'ensemble des dispositifs.

Ce comité sera également utile pendant la phase de relance. Concernant son évolution, vous avez voté un article en loi de finances pour 2021 aux fins de transformer ce comité en comité d'évaluation de la relance. Il s'agira de conserver le même esprit, mais la discussion sera de nature différente. De même, la méthodologie et les enjeux politiques seront différents. Les mesures d'urgence ont fait l'objet d'un consensus national, ce qui a permis au comité de travailler à l'abri de toute discussion politique. Ce sera plus difficile concernant le plan de relance, qui est un objet politique. Il faudra veiller à ce que le comité puisse remplir son rôle technique et ne soit pas un lieu de débats politiques, ce qui n'est pas son rôle.

Par ailleurs, le champ du plan de relance est différent, puisqu'on parle de mesures dans des domaines très variés. Les effets des mesures d'investissement ne seront mesurables que sur plusieurs années. Le plan de relance a pour objectifs explicites non seulement le soutien à l'activité et à l'emploi, mais aussi l'efficacité énergétique et climatique. En conséquence, la composition du comité, la méthodologie suivie et la collecte des données seront un peu différentes. Jusqu'en juillet, il conviendra de poursuivre le travail mené sur les mesures d'urgence, afin de disposer du recul suffisant pour établir le rapport final.

Le rapport n'est pas encore écrit, mais, selon les premiers éléments, l'approche retenue par le Gouvernement, qui est universelle et large, peut certes susciter des effets d'aubaine. Elle a néanmoins été très efficace pour protéger les entreprises et leurs salariés pendant ce choc et permettre un rebond rapide de l'économie après le premier confinement. On verra ce qu'il en est au terme de la deuxième vague, mais cette approche générale et universelle a globalement été efficace. Je ne pense pas qu'il y aura une critique forte de la structure des mesures mises en œuvre, qui sont globalement similaires, dans l'esprit, dans les pays européens, même si la répartition et les montants peuvent différer.

Il y a déjà eu un parangonnage au niveau européen. Un second parangonnage est prévu, couvrant les pays européens, mais aussi d'autres pays avancés. L'attention sera portée sur le volume d'aides, mais aussi sur leur nature. Les coûts fixes feront ainsi l'objet d'une attention particulière : la France a découvert la question assez tardivement alors que l'Allemagne avait pris en compte ce critère dès le début. Il conviendra cependant de faire preuve de grandes réserves méthodologiques, dans la mesure où les autres pays ne se sont pas dotés du même dispositif de suivi. Ainsi, si les chiffres annoncés et votés existent, les chiffres en matière d'exécution et de montants réellement dépensés sont limités.

La structure du dispositif français était donc globalement bonne, même s'il reste quelques lacunes sur le plan sectoriel. Le Gouvernement a cependant su être réactif et faire évoluer son dispositif pour combler ces lacunes au fur et à mesure des lois de finances rectificatives. Il n'y a toutefois pas de miracle : plus l'on recourt à des dispositifs sur mesure, plus ils deviennent complexes. Initialement, la structure des aides était très simple et aisément compréhensible, même si des questions pratiques subsistaient, comme trouver le bon guichet. Mais plusieurs dispositifs sectoriels ont progressivement été ajoutés : ils étaient nécessaires, mais cela a complexifié les aides, par exemple le fonds de solidarité. Ce dispositif, initialement uniforme, est devenu très hétérogène, selon les secteurs, mais aussi selon les zones géographiques. Cela a conduit à la constitution des listes S1 et S1 bis relatives aux secteurs affectés ou indirectement affectés par les mesures sanitaires. Cette évolution peut être compliquée à comprendre pour les entreprises et conduire à des erreurs ou à des oublis. On peut citer l'exemple des chocolateries dans les stations de ski, affectées par les mesures sanitaires. Cela illustre la difficulté de faire la différence entre les deux listes. Le suivi opéré a permis de faire remonter les problèmes et de les signaler aux administrations et au Gouvernement, et dans certains cas de faire évoluer les dispositifs.

Il reste néanmoins quelques angles morts. Le principal angle mort est lié à l'évolution même de la crise, puisqu'il tient au passage d'une problématique de liquidité à une problématique de solvabilité. Nous avons aidé beaucoup d'entreprises et leur avons permis de survivre à la crise, mais ces mesures ne permettent pas de traiter les problèmes structurels auxquels elles font face. Dans un certain nombre de cas, elles peuvent conduire à masquer une accumulation de passif (le PGE, les reports de charges sociales et fiscales et, dans certains cas, des arriérés de loyer).

En réalité, nous n'avons pas une idée claire de la situation financière des entreprises françaises. Nous connaissons les aides qu'elles ont reçues, ainsi que leur situation financière avant la crise, et nous savons bien mesurer leur activité et leur trajectoire d'emploi pendant la crise, grâce aux instruments de mesure mis en place par la DARES, la DGEFP, la direction du trésor et l'INSEE, mais nous avons peu de choses sur la situation financière réelle des entreprises. Nous connaissons mal l'ensemble de leur passif et leur situation de trésorerie. Par exemple, une grande partie du PGE (80 %) n'est pas dépensée et se retrouve dans la trésorerie des entreprises, auprès des banques. Ce constat cache une diversité très grande de situations, et c'est un chiffre qui peut masquer la situation dramatique de certaines entreprises, qui sont toujours vivantes mais qui ont accumulé des passifs importants et qui n'ont plus de trésorerie.

Nous travaillons avec la Banque de France pour dégager une image plus fine de la situation financière nette des entreprises, afin de calibrer la sortie de crise pour ces mesures. Quelle est la bonne stratégie de sortie ? Ces mesures doivent être maintenues tant que la situation sanitaire l'exige, pour permettre aux entreprises de survivre, et en dépit du coût pour les finances publiques. La situation des taux d'intérêt est telle que ce coût de court terme n'est pas un problème pour la soutenabilité des finances publiques. Cette situation peut devenir insoutenable à long terme, mais pas dans un délai de trois à six mois. Le Gouvernement ne doit pas hésiter à maintenir le « quoi qu'il en coûte » en fonction de la situation sanitaire. Ces mesures devront évoluer lors de la sortie de crise, mais pour les faire évoluer, il faut mieux connaître la situation financière réelle des entreprises, par secteur, si possible par territoire, et en savoir plus sur leur passif.

Une question a été posée sur le crédit d'impôt bailleur. Cette nouvelle mesure vise à mieux appréhender la problématique du passif des entreprises. Le crédit d'impôt bailleur a été intégré dans le champ des travaux du comité, mais nous n'avons pas encore de données chiffrées permettant d'évaluer et de suivre ce crédit. Nous évoquerons néanmoins ce point dans le rapport final.

Les questions sectorielles relatives aux secteurs du prêt-à-porter et des antiquaires ont été notées, mais je ne suis pas en mesure d'y répondre en l'état.

Un cahier graphique plus détaillé sera prochainement publié, intégrant notamment les aides accordées par taille d'entreprises en montant, et pas seulement par salarié.

Quant à l'interrogation relative à la transparence, nous avons essayé dans le cadre de ce comité de l'assurer en mettant en ligne les informations, dans le respect du secret statistique. Mais nous ne pouvons pas entrer dans un niveau de détail trop fin sans commettre de violation du secret statistique.

Concernant la question relative au suivi territorial du PGE, il y a une difficulté qui est que ce dernier est connu au niveau du groupe, et non au niveau des bassins d'emplois. Il n'est pas ventilé entre un groupe et ses filiales. Il est donc relativement difficile de donner des éléments sur la répartition territoriale du PGE, comme c'est le cas pour l'activité partielle, parce qu'on ne connaît pas les mouvements de trésorerie entre filiales et établissement principal après l'octroi du PGE.

Plusieurs questions ont été posées sur les personnes qui se situent à la marge, qu'il s'agisse de non-salariés ou de personnes évoluant dans des entreprises nouvellement créées, mais l'appareil statistique reste assez limité. Il faut croiser les informations en provenance des entreprises dont dispose le comité avec les informations portant directement sur la situation financière des salariés. Je signale à ce titre que le conseil d'analyse économique réalise un travail tout à fait remarquable à partir de l'exploitation de données issues de cartes de crédit et de comptes bancaires, communiquées par certaines banques. Des travaux sont en cours du côté des jeunes salariés, pour déterminer les catégories socioprofessionnelles qui ont le plus souffert de la crise, du point de vue des salariés, et non des entreprises.

Enfin, s'agissant du commerce électronique, les données relevant de ce secteur ne sont pas réellement accessibles au comité. Il convient de solliciter les administrations pour obtenir des éléments sur l'évolution des marges, qui est en effet une question importante afin d'objectiver la réalité de l'activité économique de ce secteur, mais aussi de tirer les leçons de la crise sur les inégalités de marge et les inégalités salariales qui en découlent entre les entreprises. Lors de son audition au Sénat américain pour devenir ministre des Finances, Madame Yellen a indiqué que le risque était que la reprise ne se fasse pas en forme d'U ou de V, mais en forme de K. Une partie de la population en profitera fortement, alors qu'une autre partie de la population est susceptible de décrocher. C'est une réalité, aussi bien pour les salariés que pour les entreprises. La crise peut créer une dynamique de concentration du pouvoir de marché et des marges, notamment au profit des entreprises bénéficiant du commerce électronique et de la dématérialisation. Ces dernières ne seront pas forcément bien taxées par l'État et pas forcément redistribuées aux salariés. La question de l'évolution des marges dans les différents secteurs est importante pour établir un diagnostic sur les inégalités à la sortie de la crise, mais nous n'avons pas forcément les instruments pour l'établir au sein de ce comité. Nous en parlons néanmoins aux administrations.

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