Intervention de Philippe Wahl

Réunion du mercredi 3 février 2021 à 9h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Philippe Wahl, président-directeur général du groupe La Poste :

Je vous remercie de cette invitation, sachant qu'il est très important pour La Poste de rendre des comptes sur son action, son équilibre et son avenir. La commission des finances me paraît l'endroit idéal pour le faire. Je diviserai mon propos en deux parties : ce qu'a été l'année 2020 ; les problèmes qu'elle a révélés ou posés.

L'année 2020 a été extraordinaire. Depuis sept ans, La Poste s'inscrit dans un système d'attrition progressive et relativement bien anticipé, quoique dramatique, des volumes du courrier. 18 milliards de lettres avaient été envoyées en 2008. Lorsque j'ai pris la présidence de La Poste en 2013, les volumes n'étaient plus que de 14 milliards. Fin 2020, ils sont de 7 milliards. Le rythme est extrêmement élevé et très difficile pour une entreprise comme la nôtre. Nous aurons, du seul fait de la baisse des volumes du courrier, perdu 4,2 milliards d'euros de chiffre d'affaires de 2013 à 2019.

D'une certaine façon, nous avons construit avant 2020 un système où la baisse du courrier était très bien anticipée. Par ailleurs, une partie de la perte de chiffre d'affaires était compensée par les hausses de prix, comprises à la fois par les clients, les postiers, les organisations syndicales, les leaders d'opinion et les élus. Avec des pertes annuelles de 600 millions d'euros de chiffre d'affaires, la hausse des tarifs nous permettait une compensation d'environ 40 % de ces pertes. Pour le reste, nous avions au sein de la branche services-courrier-colis, principalement touchée, et plus globalement dans le groupe, engagé une stratégie de diversification dans le cadre du plan stratégique « La Poste 2020 : conquérir l'avenir », qui s'est terminé le 31 décembre 2020. Le premier objectif était la diversification de La Poste pour être moins vulnérable à l'attrition voire à la disparition de l'objet lettre.

Pour citer deux résultats de ce plan stratégique, nous sommes passés de 40 % du chiffre d'affaires de l'ensemble de La Poste par les lettres traditionnelles à 17 % en 2020, ce qui constitue la preuve de notre capacité à engager une transformation, qui n'est pas achevée. Cet équilibre a été conforté début 2020, d'une part par l'opération dite Mandarine, rendue possible par la loi Pacte et ayant fait l'objet d'un soutien du conseil d'administration de La Poste et d'un soutien unanime de la commission de surveillance de la Caisse des dépôts et consignations et d'autre part par l'acquisition du numéro°1 du colis en Italie. En conséquence, cette année 2020 avait donc plutôt commencé en confortant la stratégie de diversification.

Sont ensuite venus le choc du covid et de la crise sanitaire, avec deux épisodes majeurs, à savoir les deux confinements. Lors des deux premières semaines du premier confinement et avant d'instaurer un service public minimum, les volumes avaient chuté de 60 %. L'activité économique s'étant quasiment arrêtée, les entreprises n'envoyaient plus de courrier. Sur l'ensemble de l'année, nous avons perdu 2 milliards de lettres, alors que nous en perdions normalement 600 millions. L'année 2020 a représenté trois années de chute en volume et en revenus, ce qui est catastrophique pour l'entreprise. Sa trajectoire future en ressort complètement modifiée. Alors que nous avions entamé l'année 2020 avec 9 milliards de lettres, nous partons sur une base de 7 milliards pour 2021, ce qui appauvrit le réseau des facteurs. Ce choc a été considérable et il explique qu'au premier semestre 2020, les résultats ont été négatifs avant la plus-value liée à l'apport de CNP Assurances. Il en sera de même pour l'ensemble de l'année, même si les chiffres précis, qui seront arrêtés le 25 février 2021, ne peuvent encore être annoncés.

Trois autres éléments doivent être mentionnés d'un point de vue économique et sociétal. En premier lieu, le service universel postal est devenu brutalement déficitaire de 1,5 milliard d'euros, alors qu'il avait été excédentaire jusqu'en 2018. Par définition, un service d'intérêt économique général ou un service public est déficitaire puisqu'il réalise des actions que le marché ne peut pas assumer. Le service universel postal était excédentaire, il devient lourdement déficitaire en 2020 et ce déficit va durer.

Par ailleurs, la perte engendrée par cette baisse de revenus du côté de la lettre n'est pas compensée par le colis. Concernant ce dernier, La Poste est restée extrêmement active pendant la crise, elle n'a pas perdu de parts de marché au profit de concurrents privés mais en a au contraire gagné massivement. Nous avons amélioré le chiffre d'affaires du colis, en France avec Colissimo, dont le chiffre d'affaires a progressé de 30 %, et dont le résultat d'exploitation a crû fortement, avec Chronopost, dont le chiffre d'affaires a progressé de 27 %, et avec DPD, s'adressant aux petites entreprises, dont la croissance a été de plus de 20 %. Au total, en France, alors que la chute de la lettre coûte 1 milliard d'euros, la montée du colis ne procure que 300 millions d'euros.

Enfin, pendant cette période, même si le premier et le second confinement ont été très différents, nous avons maintenu, sur un mode service minimum puis total, les missions de service public. Même si des erreurs, que j'assume, ont été commises, la distribution des prestations sociales, qui était le cœur de notre responsabilité vis-à-vis de la société et en particulier des plus fragiles, a été une réussite en avril, mai, juin, octobre, novembre et décembre. Ce n'est pas que le fait de La Poste. J'associe à ce succès l'ensemble des collectivités locales et des services de l'État, qui nous ont aidés à gérer le dispositif mis en place. Lors du second confinement, l'ouverture des écoles a permis aux postiers de venir travailler. Cette période a été franchie quasiment sans problème, avec un volume de colis inédit.

Cette année 2020 se termine donc avec plusieurs problèmes stratégiques et financiers. Le fameux service universel postal ne sera plus jamais équilibré ou excédentaire avant compensation. Le déficit atteint 1,5 milliard d'euros fin 2020. Les chiffres sont bien sûr vérifiés et validés par l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ARCEP), la Cour des comptes lors de ses contrôles périodiques, et la Commission européenne, au titre des missions de service d'intérêt économique général assumées par La Poste. Nous rencontrons donc un problème d'équilibre du service universel postal, dont le déficit a vocation à s'accroître lourdement compte tenu de la baisse continue des volumes.

Le nombre de tournées et de facteurs a été réduit mais de manière moindre que la chute des volumes, en raison de la mission de service public qui impose de préserver le réseau. En 2013, un peu plus de 64 000 tournées de facteurs étaient comptabilisées. Elles sont 20 000 de moins aujourd'hui. La tenue d'un réseau est beaucoup plus complexe lorsque le volume est moindre. Le premier sujet porte sur le déséquilibre structurel du service universel postal.

Par ailleurs, l'impact de ce déficit lourd et structurel pèse sur les autres missions de service public : aménagement du territoire ; distribution de la presse ; accessibilité bancaire. Cette dernière a fait l'objet d'une compensation croissante entre 2013 et 2020. La marginalisation d'un certain nombre de clients, le développement d'un phénomène de pauvreté et la fonction de banque refuge pour les plus fragiles de la Banque Postale ont provoqué une augmentation des coûts, que la compensation a permis de globalement absorber.

En revanche, les deux autres missions ont été sous-compensées, de façon très importante. En 2014, cette sous-compensation s'élevait à 429 millions d'euros. Elle peut s'interpréter d'un point de vue économique comme une surimposition de La Poste. Dès lors que le coût des missions de service public est déclaré et contrôlé par des instances indépendantes de La Poste, à savoir l'ARCEP et la Commission européenne, le surcoût généré par la sous-compensation constitue un problème pour le groupe. Jusqu'à fin 2017, ce problème était nuancé par le fait que le service universel postal était légèrement excédentaire. Selon une doctrine implicite, l'excédent du service universel postal compensait en partie la sous-compensation. Dès lors que celui-ci devient lourdement déficitaire, remonte à la surface le sujet de la compensation des autres missions de service public. La mission d'accessibilité bancaire est à part puisqu'elle fait l'objet d'un mécanisme de traitement particulier. Nous discutons actuellement avec le ministère de l'économie et des finances et la Commission européenne de sa prolongation. Sa légitimité ne paraît à aucun moment remise en cause compte tenu de l'état de la société et de ses comportements. La situation est différente pour les deux autres missions de service public.

En ce qui concerne la presse, un travail commandé par le Gouvernement est engagé, autour d'Emmanuel Giannesini, conseiller maître à la Cour des comptes, pour essayer de trouver une solution à la compensation de la mission de distribution de la presse, la plus lourdement déficitaire après le service universel postal. Le travail est en cours. Le but est d'être plus efficace dans la distribution de la presse, notamment dans les zones peu denses. Dans les villes, la presse fait du portage et n'a donc pas besoin de La Poste.

La mission d'aménagement du territoire a vocation à voir son déficit s'accroître dans les années à venir, en lien avec la numérisation de la société. Pour la mesurer, une différence est faite entre un réseau idéal, qui serait le réseau d'un acteur de marché cherchant à équilibrer son réseau de présence, à l'image du réseau des banques concurrentes de la Banque postale, et le réseau réel. Avec la numérisation de la société, les gens se rendent moins en agence bancaire et réalisent de plus en plus d'opérations à distance. Le réseau idéal se réduit alors que le réseau réel conserve 17 000 points. L'écart se creuse donc.

Nous rencontrons, d'une part, un problème d'équilibre du service universel postal à moyen terme, d'autre part, un problème concernant les autres missions de service public et en conséquence, un problème de contenu de ces missions. Lors des discussions avec la commission supérieure du numérique et des postes, j'ai été frappé de constater que plusieurs parlementaires envisageaient, compte tenu du besoin de relations sociales et de présence territoriale, de nouvelles missions de service public pour La Poste telles que la lutte contre l'exclusion numérique à domicile ou la prévention pour aider le bien vieillir. En plus des deux questions financières, une question porte donc sur le contenu des missions.

À ce propos, j'ai reçu une lettre du Premier Ministre m'indiquant que le Gouvernement souhaitait réfléchir à l'avenir de ces missions, principalement le service universel postal, et aux modalités de compensation de leur coût. Une personnalité devrait être nommée pour réaliser cette mission, avec pour but d'apporter de premières conclusions fin mars. La lettre du Premier Ministre indique donc clairement qu'un travail sera mené entre une personnalité désignée et le ministère de l'économie et des finances, afin d'arriver à un accord sur les missions et les modalités de financement. Il me semble que cette démarche est la bonne pour préparer l'avenir de La Poste.

Comme vous le savez, nous avons engagé un travail stratégique sur La Poste en 2030 qui se conclura en février prochain. Nous aurons à cette fin consulté près de 136 000 postiers, les associations d'élus, nos clients et des conférences citoyennes. Il en ressort une demande extrêmement forte de présence territoriale, de services de proximité humaine et la volonté que La Poste soit en état de continuer à les maintenir. Telle est notre volonté. Stratégiquement, nous voulons rester dans les territoires mais nous ne pourrons le faire sans mutualisation des efforts entre les élus, les mairies, les collectivités locales, les associations et La Poste. En effet, les tendances pour les années à venir sont la continuité de la baisse du courrier ‑ 3 milliards de lettres sont attendues en 2030, contre 18 milliards en 2008 ‑ et le recul de la fréquentation des bureaux de poste. La discussion que nous entamons est donc très importante pour La Poste, afin de prendre conscience des déficits de service public, redéfinir ses missions et lui donner un avenir, pour qu'elle soit en mesure de continuer à créer de la richesse et de se développer dans la bancassurance, la logistique, les nouveaux services de proximité et les services numériques de confiance.

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