La commission entend M. Philippe Wahl, président-directeur général du groupe La Poste.
Nous avons souhaité auditionner en ce début d'année M. Philippe Wahl, président-directeur général du groupe La Poste. Je le remercie vivement d'avoir accepté notre invitation, dans un contexte où les actualités ne manquent pas.
La question du financement des missions de service public de La Poste s'est reposée au détour de la réforme de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) proposée par le Gouvernement dans le projet de loi de finances pour 2021. Le fonds national de péréquation territoriale reçoit une dotation annuelle permettant de contribuer au financement de la présence de plus de 17 000 points de contact sur l'ensemble du territoire et d'obtenir ainsi un maillage très fin. Une partie de cette dotation disparaissait du fait de la suppression de la part régionale de la CVAE. Une solution au moins provisoire a été apportée en nouvelle lecture en majorant des crédits budgétaires pour compenser la perte de ce fonds en 2021.
Les charges que représente le service universel postal croissent année après année, sans que la hausse des tarifs postaux, d'en moyenne 5 % par an depuis 2015, suffise à les compenser. La baisse très importante des volumes du courrier est un sujet structurel pour La Poste.
La mission de service public de transport et de distribution de la presse est également déficitaire, en dépit d'une dotation budgétaire annuelle.
Beaucoup de questions se posent donc. Je vous cède la parole pour dresser un état des lieux de La Poste.
Je vous remercie de cette invitation, sachant qu'il est très important pour La Poste de rendre des comptes sur son action, son équilibre et son avenir. La commission des finances me paraît l'endroit idéal pour le faire. Je diviserai mon propos en deux parties : ce qu'a été l'année 2020 ; les problèmes qu'elle a révélés ou posés.
L'année 2020 a été extraordinaire. Depuis sept ans, La Poste s'inscrit dans un système d'attrition progressive et relativement bien anticipé, quoique dramatique, des volumes du courrier. 18 milliards de lettres avaient été envoyées en 2008. Lorsque j'ai pris la présidence de La Poste en 2013, les volumes n'étaient plus que de 14 milliards. Fin 2020, ils sont de 7 milliards. Le rythme est extrêmement élevé et très difficile pour une entreprise comme la nôtre. Nous aurons, du seul fait de la baisse des volumes du courrier, perdu 4,2 milliards d'euros de chiffre d'affaires de 2013 à 2019.
D'une certaine façon, nous avons construit avant 2020 un système où la baisse du courrier était très bien anticipée. Par ailleurs, une partie de la perte de chiffre d'affaires était compensée par les hausses de prix, comprises à la fois par les clients, les postiers, les organisations syndicales, les leaders d'opinion et les élus. Avec des pertes annuelles de 600 millions d'euros de chiffre d'affaires, la hausse des tarifs nous permettait une compensation d'environ 40 % de ces pertes. Pour le reste, nous avions au sein de la branche services-courrier-colis, principalement touchée, et plus globalement dans le groupe, engagé une stratégie de diversification dans le cadre du plan stratégique « La Poste 2020 : conquérir l'avenir », qui s'est terminé le 31 décembre 2020. Le premier objectif était la diversification de La Poste pour être moins vulnérable à l'attrition voire à la disparition de l'objet lettre.
Pour citer deux résultats de ce plan stratégique, nous sommes passés de 40 % du chiffre d'affaires de l'ensemble de La Poste par les lettres traditionnelles à 17 % en 2020, ce qui constitue la preuve de notre capacité à engager une transformation, qui n'est pas achevée. Cet équilibre a été conforté début 2020, d'une part par l'opération dite Mandarine, rendue possible par la loi Pacte et ayant fait l'objet d'un soutien du conseil d'administration de La Poste et d'un soutien unanime de la commission de surveillance de la Caisse des dépôts et consignations et d'autre part par l'acquisition du numéro°1 du colis en Italie. En conséquence, cette année 2020 avait donc plutôt commencé en confortant la stratégie de diversification.
Sont ensuite venus le choc du covid et de la crise sanitaire, avec deux épisodes majeurs, à savoir les deux confinements. Lors des deux premières semaines du premier confinement et avant d'instaurer un service public minimum, les volumes avaient chuté de 60 %. L'activité économique s'étant quasiment arrêtée, les entreprises n'envoyaient plus de courrier. Sur l'ensemble de l'année, nous avons perdu 2 milliards de lettres, alors que nous en perdions normalement 600 millions. L'année 2020 a représenté trois années de chute en volume et en revenus, ce qui est catastrophique pour l'entreprise. Sa trajectoire future en ressort complètement modifiée. Alors que nous avions entamé l'année 2020 avec 9 milliards de lettres, nous partons sur une base de 7 milliards pour 2021, ce qui appauvrit le réseau des facteurs. Ce choc a été considérable et il explique qu'au premier semestre 2020, les résultats ont été négatifs avant la plus-value liée à l'apport de CNP Assurances. Il en sera de même pour l'ensemble de l'année, même si les chiffres précis, qui seront arrêtés le 25 février 2021, ne peuvent encore être annoncés.
Trois autres éléments doivent être mentionnés d'un point de vue économique et sociétal. En premier lieu, le service universel postal est devenu brutalement déficitaire de 1,5 milliard d'euros, alors qu'il avait été excédentaire jusqu'en 2018. Par définition, un service d'intérêt économique général ou un service public est déficitaire puisqu'il réalise des actions que le marché ne peut pas assumer. Le service universel postal était excédentaire, il devient lourdement déficitaire en 2020 et ce déficit va durer.
Par ailleurs, la perte engendrée par cette baisse de revenus du côté de la lettre n'est pas compensée par le colis. Concernant ce dernier, La Poste est restée extrêmement active pendant la crise, elle n'a pas perdu de parts de marché au profit de concurrents privés mais en a au contraire gagné massivement. Nous avons amélioré le chiffre d'affaires du colis, en France avec Colissimo, dont le chiffre d'affaires a progressé de 30 %, et dont le résultat d'exploitation a crû fortement, avec Chronopost, dont le chiffre d'affaires a progressé de 27 %, et avec DPD, s'adressant aux petites entreprises, dont la croissance a été de plus de 20 %. Au total, en France, alors que la chute de la lettre coûte 1 milliard d'euros, la montée du colis ne procure que 300 millions d'euros.
Enfin, pendant cette période, même si le premier et le second confinement ont été très différents, nous avons maintenu, sur un mode service minimum puis total, les missions de service public. Même si des erreurs, que j'assume, ont été commises, la distribution des prestations sociales, qui était le cœur de notre responsabilité vis-à-vis de la société et en particulier des plus fragiles, a été une réussite en avril, mai, juin, octobre, novembre et décembre. Ce n'est pas que le fait de La Poste. J'associe à ce succès l'ensemble des collectivités locales et des services de l'État, qui nous ont aidés à gérer le dispositif mis en place. Lors du second confinement, l'ouverture des écoles a permis aux postiers de venir travailler. Cette période a été franchie quasiment sans problème, avec un volume de colis inédit.
Cette année 2020 se termine donc avec plusieurs problèmes stratégiques et financiers. Le fameux service universel postal ne sera plus jamais équilibré ou excédentaire avant compensation. Le déficit atteint 1,5 milliard d'euros fin 2020. Les chiffres sont bien sûr vérifiés et validés par l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ARCEP), la Cour des comptes lors de ses contrôles périodiques, et la Commission européenne, au titre des missions de service d'intérêt économique général assumées par La Poste. Nous rencontrons donc un problème d'équilibre du service universel postal, dont le déficit a vocation à s'accroître lourdement compte tenu de la baisse continue des volumes.
Le nombre de tournées et de facteurs a été réduit mais de manière moindre que la chute des volumes, en raison de la mission de service public qui impose de préserver le réseau. En 2013, un peu plus de 64 000 tournées de facteurs étaient comptabilisées. Elles sont 20 000 de moins aujourd'hui. La tenue d'un réseau est beaucoup plus complexe lorsque le volume est moindre. Le premier sujet porte sur le déséquilibre structurel du service universel postal.
Par ailleurs, l'impact de ce déficit lourd et structurel pèse sur les autres missions de service public : aménagement du territoire ; distribution de la presse ; accessibilité bancaire. Cette dernière a fait l'objet d'une compensation croissante entre 2013 et 2020. La marginalisation d'un certain nombre de clients, le développement d'un phénomène de pauvreté et la fonction de banque refuge pour les plus fragiles de la Banque Postale ont provoqué une augmentation des coûts, que la compensation a permis de globalement absorber.
En revanche, les deux autres missions ont été sous-compensées, de façon très importante. En 2014, cette sous-compensation s'élevait à 429 millions d'euros. Elle peut s'interpréter d'un point de vue économique comme une surimposition de La Poste. Dès lors que le coût des missions de service public est déclaré et contrôlé par des instances indépendantes de La Poste, à savoir l'ARCEP et la Commission européenne, le surcoût généré par la sous-compensation constitue un problème pour le groupe. Jusqu'à fin 2017, ce problème était nuancé par le fait que le service universel postal était légèrement excédentaire. Selon une doctrine implicite, l'excédent du service universel postal compensait en partie la sous-compensation. Dès lors que celui-ci devient lourdement déficitaire, remonte à la surface le sujet de la compensation des autres missions de service public. La mission d'accessibilité bancaire est à part puisqu'elle fait l'objet d'un mécanisme de traitement particulier. Nous discutons actuellement avec le ministère de l'économie et des finances et la Commission européenne de sa prolongation. Sa légitimité ne paraît à aucun moment remise en cause compte tenu de l'état de la société et de ses comportements. La situation est différente pour les deux autres missions de service public.
En ce qui concerne la presse, un travail commandé par le Gouvernement est engagé, autour d'Emmanuel Giannesini, conseiller maître à la Cour des comptes, pour essayer de trouver une solution à la compensation de la mission de distribution de la presse, la plus lourdement déficitaire après le service universel postal. Le travail est en cours. Le but est d'être plus efficace dans la distribution de la presse, notamment dans les zones peu denses. Dans les villes, la presse fait du portage et n'a donc pas besoin de La Poste.
La mission d'aménagement du territoire a vocation à voir son déficit s'accroître dans les années à venir, en lien avec la numérisation de la société. Pour la mesurer, une différence est faite entre un réseau idéal, qui serait le réseau d'un acteur de marché cherchant à équilibrer son réseau de présence, à l'image du réseau des banques concurrentes de la Banque postale, et le réseau réel. Avec la numérisation de la société, les gens se rendent moins en agence bancaire et réalisent de plus en plus d'opérations à distance. Le réseau idéal se réduit alors que le réseau réel conserve 17 000 points. L'écart se creuse donc.
Nous rencontrons, d'une part, un problème d'équilibre du service universel postal à moyen terme, d'autre part, un problème concernant les autres missions de service public et en conséquence, un problème de contenu de ces missions. Lors des discussions avec la commission supérieure du numérique et des postes, j'ai été frappé de constater que plusieurs parlementaires envisageaient, compte tenu du besoin de relations sociales et de présence territoriale, de nouvelles missions de service public pour La Poste telles que la lutte contre l'exclusion numérique à domicile ou la prévention pour aider le bien vieillir. En plus des deux questions financières, une question porte donc sur le contenu des missions.
À ce propos, j'ai reçu une lettre du Premier Ministre m'indiquant que le Gouvernement souhaitait réfléchir à l'avenir de ces missions, principalement le service universel postal, et aux modalités de compensation de leur coût. Une personnalité devrait être nommée pour réaliser cette mission, avec pour but d'apporter de premières conclusions fin mars. La lettre du Premier Ministre indique donc clairement qu'un travail sera mené entre une personnalité désignée et le ministère de l'économie et des finances, afin d'arriver à un accord sur les missions et les modalités de financement. Il me semble que cette démarche est la bonne pour préparer l'avenir de La Poste.
Comme vous le savez, nous avons engagé un travail stratégique sur La Poste en 2030 qui se conclura en février prochain. Nous aurons à cette fin consulté près de 136 000 postiers, les associations d'élus, nos clients et des conférences citoyennes. Il en ressort une demande extrêmement forte de présence territoriale, de services de proximité humaine et la volonté que La Poste soit en état de continuer à les maintenir. Telle est notre volonté. Stratégiquement, nous voulons rester dans les territoires mais nous ne pourrons le faire sans mutualisation des efforts entre les élus, les mairies, les collectivités locales, les associations et La Poste. En effet, les tendances pour les années à venir sont la continuité de la baisse du courrier ‑ 3 milliards de lettres sont attendues en 2030, contre 18 milliards en 2008 ‑ et le recul de la fréquentation des bureaux de poste. La discussion que nous entamons est donc très importante pour La Poste, afin de prendre conscience des déficits de service public, redéfinir ses missions et lui donner un avenir, pour qu'elle soit en mesure de continuer à créer de la richesse et de se développer dans la bancassurance, la logistique, les nouveaux services de proximité et les services numériques de confiance.
Je souhaite revenir sur les questions financières. Je comprends que les difficultés rencontrées avec le covid correspondent à une accélération de l'histoire et des modes de consommation, insupportable financièrement pour La Poste. La sous-compensation des missions par l'excédent structurel du service universel postal, devenu un déficit structurel, devient impossible. Quels sont les enjeux financiers pour les années à venir ? Vous attendez naturellement du Gouvernement la compensation des charges de service public, sachant que plusieurs types de service public existent, de la presse à l'aménagement du territoire, en passant par le service universel et l'accessibilité bancaire. Existe-t-il des pistes d'évolution que vous pourriez évoquer ?
Par ailleurs, la Cour des comptes a réalisé un rapport en 2020, proposant des pistes d'économie et de productivité. Ces propositions vous semblent-elles opportunes ? Sont-elles à l'étude ?
Enfin, quel regard portez-vous sur la restructuration capitalistique de la Banque postale ?
Nous comprenons que l'histoire s'accélère pour la transformation du groupe La Poste. Nous constatons une accumulation d'éléments nouveaux, au-delà de la crise, telles la restructuration capitalistique du groupe et ses réflexions stratégiques. Un nouveau plan stratégique sera présenté en février. Pourriez-vous nous en fournir les grandes lignes ? En 2021, le Parlement devra-t-il se prononcer sur un certain nombre de compensations dans le cadre des discussions budgétaires ? Où en sont les discussions avec le ministère à ce sujet ? L'amendement gouvernemental de dernière minute lors de l'automne budgétaire concernant le groupe La Poste n'a pas permis de débattre dans les meilleures conditions de ce sujet, pourtant majeur pour l'ensemble des concitoyens. Nous souhaitons disposer de temps à l'avenir pour examiner un tel amendement et le voter, le cas échéant, de manière plus sereine et qualitative.
Réfléchissez-vous à des éléments alternatifs en termes de modèle économique pour rééquilibrer les comptes du groupe La Poste ? Si un service public n'a pas vocation à être bénéficiaire en soi, des pistes d'évolution tarifaire pourraient être cohérentes vis-à-vis du marché et saines pour les finances du groupe.
En ce qui concerne l'aménagement du territoire, nous avons donc débattu à l'automne dernier des difficultés créées par les abattements de fiscalité locale sur la contribution économique territoriale (CET) et les taxes foncières, en lien avec la baisse des impôts de production. Les crédits proposés avaient été votés à hauteur de 66 millions d'euros. La situation est-elle réglée du point de vue des impôts de production ou de nouvelles dispositions devront-elles être votées en 2021 ?
Enfin, CNP Assurances est désormais totalement sous contrôle du groupe La Poste via La Banque postale. Pourriez-vous nous fournir votre vision stratégique de la CNP concernant la mobilisation de l'épargne de nos concitoyens et notamment de l'excédent d'épargne créé par la crise du covid-19, au travers des produits d'assurance-vie en particulier ? Comment un groupe public comme La Poste peut-il permettre, via CNP Assurances, d'orienter davantage l'épargne des Français vers de l'investissement productif, notamment dans les fonds propres des PME à travers les unités de compte ou du non-coté ?
Mon intervention est plutôt une interpellation, ayant trait à la mission de service public que La Poste doit remplir partout sur notre territoire. Cette interpellation se fait l'écho de nombreux élus locaux, qui craignent un désengagement de La Poste face à des bureaux qui ferment, des services qui disparaissent ou des horaires d'ouverture qui se réduisent au fur et à mesure des semaines. Dans de nombreux territoires, fussent-ils ruraux ou en quartiers prioritaires de la ville, La Poste joue un rôle social et sociétal absolument majeur. Elle participe à maintenir, pour beaucoup, un lien fondamental avec la société, sans compter son impact sur le tissu économique et l'attractivité.
Je suis élue de Roubaix et Wattrelos, deux villes du nord de la France, où les populations, durement éprouvées depuis des années, voient s'additionner les crises sociales, économiques et sociétales. Ces quartiers, qui ont plus que besoin de services publics, voient disparaître les uns après les autres les bureaux de poste, alors que ce sont souvent les seuls endroits où ils peuvent retirer leur courrier ou faire leurs opérations en banque.
La Poste remplit l'une des missions de service public de proximité les plus représentatives de ce que doit être notre ambition pour les territoires. J'ai conscience de l'existence d'une politique de ressources humaines d'entreprise mais je souhaite attirer votre attention sur l'impérieuse nécessité de ne pas aggraver, dans les quartiers et territoires déjà éprouvés, les difficultés des habitants pour qui La Poste est encore un repère. Menez-vous des politiques spécifiques dans les zones rurales et les quartiers prioritaires de la ville ? Si oui, lesquelles ? À défaut, est-ce une réflexion que vous envisagez ?
Le service public minimum, dans certains territoires, a été très mal géré, notamment dans les territoires de montagne et les petites communes rurales. À une époque, 50 % de nos requêtes concernaient la distribution du courrier ou l'accès à des retraits d'argent pour les personnes âgées. Il est essentiel que vous l'entendiez.
Par ailleurs, vous avez évoqué la croissance de Colissimo, Chronopost et DPD. L'ensemble de ces augmentations représentent 300 millions d'euros au total. Cela tend à montrer qu'il ne s'agissait pas d'un revenu très conséquent par le passé. Quelle est la marge de progression que vous imaginez ?
Vous parlez par ailleurs de la nécessité de compenser la perte du courrier. Vous avez cité le nombre de tournées supprimées. À quoi correspondent-elles en nombre de facteurs ?
Quel est l'état des négociations relatives à la compensation de la mission de distribution de la presse ?
Enfin, en ce qui concerne les aides de l'État pendant la crise, de quels dispositifs La Poste a-t-elle bénéficié ? À quelle hauteur ?
Je vous remercie d'être présent, transparent et d'entendre les critiques, concernant notamment la présence de La Poste dans les milieux ruraux, même si en Corrèze, la présence reste assez forte, avec la proposition de nouveaux services, pour lesquels nous sommes souvent pilotes, avec le comité local de La Poste et les représentants nationaux.
L'accélération de la transformation de La Poste s'est faite de façon rapide mais elle s'inscrit dans l'évolution normale de la baisse du courrier.
Ma première interrogation concerne les mesures votées en loi de finances. La première vient compenser l'effet de la baisse des impôts de production pour le fonds postal de péréquation territoriale. La mesure prise sera-t-elle pérenne ? Les négociations avec le Gouvernement sont-elles terminées ? La seconde mesure porte sur l'abattement de taxe foncière sur les immeubles de Poste Immo mis à disposition de La Poste. Un décret est attendu sur ce point. A-t-il été publié ?
Par ailleurs, il est beaucoup question d'aménagement du territoire. Je souhaite connaître vos relations avec France Services et la manière dont vous coordonnez cette politique publique.
Dans le cadre de la consultation sur vos missions, vos clients ont-ils été écoutés ? Des éléments d'aménagement du territoire et de financement ont-ils été évoqués dans ces consultations ?
Enfin, le Brexit a-t-il un impact sur le groupe La Poste, sur la partie banque ou distribution du courrier ?
Ma première question porte sur les inquiétudes de la ruralité. Vous annoncez un déficit structurel qui va perdurer, ce qui peut paraître normal compte tenu de vos missions de service public. Vous avez évoqué une étude sur les missions, les services et les modes de compensation. Nous savons que les négociations porteront ensuite sur des économies de coûts. Or à chaque fois, nous avons l'impression que la ruralité est la première victime de ces économies, alors que le besoin de proximité est grand. Que pouvez-vous nous dire pour rassurer la ruralité par rapport aux réformes et aux modifications de missions annoncées ?
Par ailleurs, au moment du premier confinement, la ruralité a connu des problèmes d'accès et de fermeture de bureaux. Êtes-vous prêts à un nouveau confinement ?
Enfin, vous étiez partie prenante des maisons de services au public (MSAP). Que changent-elles par rapport à vos objectifs ? Comment articulez-vous votre activité avec les maisons France Services ?
Je m'interroge sur la fin du service aux associations caritatives, qui était un tarif adapté appliqué par La Poste depuis 1975, permettant aux associations caritatives d'envoyer des colis dans les pays en développement, selon une liste agréée par le ministère de l'économie et des finances. Dans les territoires, ces associations sont extrêmement dynamiques, elles mènent beaucoup d'actions et mobilisent l'argent de nos concitoyens afin d'envoyer des produits de première nécessité à ces pays. Pour à peu près une centaine d'associations en France, la somme représente environ 550 000 euros. Le Gouvernement m'a indiqué que les discussions à ce sujet étaient en cours avec La Poste. Cette mission n'était pas à l'origine une mission de service public de La Poste, elle n'est pas compensée par l'État, mais beaucoup d'associations sont dans l'attente. Vous avez passé des consignes pour que les associations puissent toujours bénéficier d'une écoute au niveau local mais elles n'ont toujours pas de solution, alors que le projet de loi de programmation relatif au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales s'apprête à être discuté.
Vous évoquez la baisse structurelle du courrier. Je note en parallèle une augmentation structurelle d'autres activités, telles que le colis. En outre, nous pouvons considérer que les chiffres 2020 sont exceptionnels, en lien avec la crise du covid. En 2019, le bénéfice s'élevait à 822 millions d'euros. En 2017, le chiffre d'affaires courrier-colis de La Poste croissait de + 1,3 %.
Vous expliquez avoir adapté la voilure par rapport au changement structurel de La Poste. Or 500 bureaux par an ont fermé. Sur les 17 000 points de contact, seule la moitié est de plein exercice. 20 000 tournées en moins sont comptabilisées et les conditions de travail des agents ont fait l'actualité en 2018 et 2019. J'aimerais avoir votre point de vue sur la sous‑traitance, qui me semble être le principal problème. Celle-ci aspire une partie des activités bénéficiaires et permet de contourner le droit des agents.
Par ailleurs, en mars 2020, la Caisse des dépôts et consignations a pris le contrôle de La Poste. Elle fixe des objectifs de profit par rapport à des investissements. Elle semble notamment avoir pour objectif de multiplier par deux les bénéfices de La Poste d'ici à 2030. Pouvez-vous me confirmer cette information ? Si tel est le cas, n'est-ce pas contraire aux activités de service public ?
Enfin, le représentant légal du syndicat majoritaire dans les Hauts-de-Seine, Sud PPT, peut continuer, grâce aux décisions prises, à exercer son travail de syndicaliste dans La Poste. En revanche, vous refusez sa réintégration en tant que facteur. Ne croyez-vous pas, après toutes ces années de tension, que le temps de l'apaisement est venu, en permettant à Gaël Quirante d'être réintégré ?
Beaucoup d'éléments ont déjà été abordés. Je tiens néanmoins à revenir sur les missions de service universel postal, d'accessibilité, d'aménagement et de développement du territoire que La Poste doit rendre. Si le réseau postal est toujours en augmentation, c'est grâce à la croissance des points de contact gérés en partenariat et non grâce aux bureaux en propre, qui sont en régression.
La commission supérieure du numérique et des postes remarque que cette stabilité cache des disparités entre les périmètres. Si l'évolution du réseau poursuit sa transformation, le nombre de transformations est désormais plus important dans le réseau accessible que dans le réseau complémentaire. Ces transformations concernent différentes formes de partenariat, agences postales ou relais commerçants.
En ce qui concerne la mission d'aménagement du territoire, vous avez avancé des chiffres pour 2020, complètement différents de ceux passés. La Poste peut-elle toujours assurer cette mission malgré le contexte économique ? Quel est le contenu des discussions actuelles avec les autorités gouvernementales pour trouver des solutions ?
Le rythme des fermetures de bureaux va-t-il s'accélérer avec le covid ? Allez-vous prendre prétexte de cette situation, notamment en milieu rural, pour accélérer le mouvement ?
Enfin, vous avez expliqué que l'augmentation du prix du timbre était une nécessité, qu'elle couvrait 40 % du coût de la baisse du courrier et que les Français l'avaient compris. Je n'ai pas cette impression en discutant avec les gens. Ceux-ci ont plutôt le sentiment d'une énième augmentation du prix du timbre, en sus des autres augmentations qui pèsent sur eux. Comment communiquez-vous sur cette question auprès des Français ?
Les chiffres que vous venez de nous annoncer sont vertigineux entre 2013 et 2020 concernant le courrier. Je suis actuellement en difficulté avec deux bureaux de poste dans ma circonscription. Cette tendance est nationale, avec de nombreuses restrictions d'horaires, perturbant l'accès pour nos concitoyens. Pour moi, La Poste fait partie du paysage des services publics, comme une gare ou une mairie. Vous avez affirmé vouloir rester sur les territoires. Quelle est votre philosophie par rapport au développement de La Poste sur nos territoires ? Comment conserver cette dimension de service public, notamment le maillage territorial ? Je vous demanderai d'examiner, dans le Médoc, les deux bureaux de poste de Margaux et Ludon Médoc.
Ma seconde question porte sur le contrat signé avec Amazon, qui ne semble pas très bénéfique pour La Poste. Quelles ont été ses modalités de négociation ?
En ce qui concerne la mesure économique et financière des enjeux pour le service universel postal, le chiffre en 2020 a été extraordinaire, mais pour l'année 2021, nous pensons que nous ne serons pas très loin d'un milliard d'euros de perte. Avec la baisse des volumes du courrier, la situation aura ensuite tendance à s'aggraver.
En matière d'aménagement du territoire, vous avez voté fin décembre 2020 dans le cadre de la loi de finances un apport budgétaire de 66 millions d'euros pour 2021. Nous en aurons toujours besoin l'année prochaine, sachant qu'en dépit de cet apport, la mission d'aménagement reste sous-compensée. Ces 66 millions d'euros remplacent ceux que nous nous apprêtions à voir disparaître avec la réforme de la CVAE, mais la mission d'aménagement du territoire restera déficitaire, à hauteur d'un peu plus de 60 millions d'euros. La mission de distribution de la presse était déficitaire de quasiment 200 millions d'euros en 2019 et 2020.
Les montants sont considérables mais ils ne sont pas étonnants, compte tenu du fait que nous assumons des missions de service public massives, qui concernent tout le territoire. En examinant d'autres activités relevant du service public, pour les trains express régionaux (TER), la compensation est supérieure à 3,5 millions d'euros. Pour les industries électriques et gazières, cette compensation est supérieure à 9 milliards d'euros.
Les sommes sont considérables mais elles doivent être mises en regard de la lourdeur, de la complexité et du volume des missions assurées.
Les pistes d'évolution constitueront tout l'enjeu du travail avec le Gouvernement, qui se poursuivra devant le législateur. Elles ne sont pas très nombreuses. La première piste porte sur la définition de la mission elle-même et des contraintes fixées. Par exemple, avons-nous toujours besoin d'une lettre prioritaire « timbre rouge » ? Les Français en écrivaient 45 par an en 2010. Ils en ont écrit 5 en 2020. La première piste vise donc à revoir les obligations qui sont les nôtres. La seconde est relative à nos efforts d'entreprise : réduction des coûts, amélioration des services et digitalisation de certains de ces services.
En ce qui concerne la mission d'aménagement du territoire, nous tenons à rester sur les territoires. Vous n'êtes pas face à une entreprise de service public qui souhaite en sortir. Nous voulons néanmoins trouver un moyen d'y rester de manière économiquement équilibrée, en partenariat avec les associations d'élus, le tissu associatif, le législateur et le Gouvernement. Nous ne prévoyons pas d'accélération des fermetures dans le rural, sans pour autant les stopper toutes. Nous devons en discuter. En vertu du contrat de présence postale territoriale signé avec l'État et l'association des maires de France, dans les zones rurales d'aménagement du territoire et les quartiers de la politique de la ville, le maire possède un droit de veto. Dans ces territoires, nous ne pouvons pas fermer un bureau de poste et le transformer en agence postale communale ou en relais poste commerçant sans l'accord du maire.
Nous sommes néanmoins face à une situation qu'en tant qu'élus, vous connaissez. Les gens tiennent absolument à leur bureau de poste mais la fréquentation continue à diminuer. La clé de l'ouverture d'un bureau de poste est pourtant sa fréquentation. Je vous citerai l'exemple d'une des régions françaises les plus rurales. 60 % des points de contact sont fréquentés par moins de 10 personnes par jour. En 2030, les habitudes évolueront encore davantage. La première solution est la fréquentation, d'où la nécessité de travailler main dans la main avec les élus et de rapprocher, dès que possible, les structures d'accueil des mairies et celles de La Poste.
En ce qui concerne France Services, La Poste avait en 2015 créé 500 MSAP. 190 d'entre elles ont été labellisées France Services. Elles sont très utiles. Celles qui ne sont pas labellisées doivent être regroupées, dans le rural, avec des lieux des collectivités locales. En général, les agences postales et communales, une fois la phase de transformation achevée, sont plébiscitées par les clients et les élus. De très nombreux maires en sont très satisfaits car ces agences aident à l'ouverture de la mairie elle-même. En effet, La Poste apporte un concours financier mensuel et participe au financement d'une partie du salaire de l'employé municipal. France Services est une réussite. Nous nous y inscrivons et espérons développer ces espaces dans la période à venir.
Les 66 millions d'euros compensant les effets de la réduction des impôts de production devront être reconduits en 2022. J'espère qu'à cette occasion, vous comblerez la non-compensation des 60 millions restants tels qu'ils apparaissent dans les chiffres de l'ARCEP. Aucune raison ne justifie qu'une mission de service public, dès lors qu'elle est validée et vérifiée par une autorité indépendante, ne soit pas compensée à 100 %.
Concernant l'abattement de taxe foncière des immeubles de Poste Immo, le décret n'est pas encore paru et est promis au deuxième semestre. J'espère comme vous qu'il sera pris.
La Poste veut donc rester dans les territoires et s'organise pour y rester. Nous devons en discuter avec les élus ruraux et les élus des quartiers prioritaires de la ville, en gardant en tête que la fréquentation est la clé. Nous cherchons dans ces missions de service public un rééquilibrage, sans notion de profit.
La question des autres pistes d'équilibrage a été posée, notamment la compensation entre le courrier et le colis. Pour mémoire, nous perdons avec les lettres en 2020 1 milliard d'euros et en gagnons 300 millions d'euros avec le colis. Colissimo représente 2,7 milliards d'euros de chiffre d'affaires, Chronopost près de 2 milliards d'euros et DPD bientôt 1 milliard, soit près de 6 milliards d'euros au total. Reste que le courrier traditionnel pèse beaucoup plus. Malgré le dynamisme et l'explosion des volumes ayant permis de soutenir des emplois et des plateformes commerciales, ce que nous procure le colis ne compense pas ce que nous perdons du côté de la lettre.
En ce qui concerne le contrat avec Amazon, qui est notre premier client et que nous apprécions beaucoup, je suis soumis au secret commercial. Je ne peux qualifier la qualité de la négociation. J'ai confiance dans le patron de Colissimo qui l'a négocié. Je pense qu'il s'agit d'un bon contrat à la fois pour La Poste et Amazon. Celui-ci se terminera en 2021 et nous allons le renégocier, je l'espère, pour les années à venir. Ce contrat avait deux caractéristiques. D'une part, pour la première fois, Amazon acceptait un engagement sur plusieurs années. D'autre part, il y a mis des conditions de qualité, que nous avons dépassées. Si le même type de contrat se prolonge, nous serons satisfaits. Amazon est l'une des entreprises les plus puissantes au monde, raison pour laquelle je pense qu'il s'agit d'un bon contrat.
S'agissant de la sous-traitance, la situation est extrêmement claire. Certaines des filiales de La Poste ne pourraient pas fonctionner sans sous-traitance. La cohabitation dans une structure de salariés du groupe et de sous-traitants est une façon de tenir la concurrence. Tel est le cas de Chronopost ou DPD. Si les conditions sociales des facteurs étaient transposées sur tous les salariés de Chronopost, cette société disparaîtrait. Nous avons besoin de la sous-traitance dans certains segments de marché, eu égard à la pression sur les prix et les marges exercée par les concurrents.
Colissimo, qui distribuait 363 millions de colis en 2019, en a distribué 472 millions en 2020. Par ailleurs, parmi les plus de 100 millions de colis supplémentaires distribués par Colissimo en 2020, 80 millions sont allés aux facteurs, entre 10 et 11 millions à la sous-traitance et le reste à l'international. Dès que possible, nous privilégions les postiers. J'en veux pour preuve qu'à mon arrivée à la présidence de La Poste, les facteurs ne distribuaient aucun Chronopost. En 2020, ils en ont distribué 25 millions, dans le cadre de synergies. Chaque fois que nous pouvons nourrir nos usines à colis et nos réseaux de distribution, nous le faisons.
À propos de l'aménagement du territoire, la moitié des bureaux sont gérés en propre par La Poste et l'autre moitié en partenariat. Nous allons continuer à évoluer, avec deux critères simples : le dialogue avec les élus ; la recherche avec le maire, ses habitants et le tissu économique d'une fréquentation permettant de tenir le bureau de poste. Nous cherchons évidemment à l'expliquer. Nous ne pouvons pas conserver de bureau de poste si personne n'y vient. Nous commettons aussi nos propres erreurs, que j'assume. Parfois, des bureaux sont exceptionnellement fermés sans que nous le sachions. Pour cette raison, nous travaillons à une meilleure information préalable des élus et à la mise à disposition d'une application Internet fournissant les horaires exacts, en temps réel, d'ouverture des bureaux de poste.
La consultation à laquelle nous nous sommes livrés a été très large, avec 132 000 postiers, des centaines de clients et d'élus. Des députés et des sénateurs ont également été associés à ce travail. Quelles sont les principales possibilités d'équilibrer le modèle de La Poste ? En ce qui concerne les missions de service public, l'équilibre viendra de la redéfinition des missions et de la compensation. Ces missions doivent être compensées, comme toute mission de service public. La compensation est prévue par le traité de Rome. La Commission européenne doit d'ailleurs vérifier que la mission n'est pas surcompensée, ce qui n'est bien sûr pas le cas. Le colis est une piste, qui ne suffit pas en France, mais le développement du colis à l'international, avec GeoPost, a été un grand succès. Cette société est passée de 4,3 milliards d'euros de chiffre d'affaires en 2013 à 11 milliards l'année dernière. Si elle nous fournit des résultats, elle ne règle pas le problème plus général de l'activité et de l'emploi en France.
En ce qui concerne le Brexit, nous avons prévu des provisions. Nous anticipons une baisse du chiffre d'affaires. Les deux premières semaines de l'année ont été très difficiles, compte tenu de la mise en place des services douaniers britanniques. À ce stade, la croissance se ralentit mais les flux continuent. Je n'attends pas de choc majeur pour l'instant.
Une question a porté sur la baisse du nombre des facteurs, qui a été proportionnelle à la baisse du nombre de tournées. La Poste, qui gérait 18 milliards d'objets en 2008, n'en gère plus que 7 milliards. Dans ce contexte, le nombre de salariés ne peut rester identique. Notre responsabilité est de trouver, compte tenu de la puissance de la présence humaine, de la solidarité, de la capacité de dialogue et de relation des facteurs, de nouveaux métiers leur permettant de rester sur le territoire. Il s'agit de notre grande priorité.
Nous ne sommes pas au terme des discussions concernant la compensation de la presse. Je peux évoquer l'orientation du Gouvernement en la matière. Aujourd'hui, La Poste fait payer à la presse un prix de distribution très inférieur à son coût. Les éditeurs de presse payent un prix ne couvrant qu'un tiers de notre coût dans le cas des quotidiens et trois quarts de notre coût pour les magazines. La Poste est donc financée pour compenser le fait qu'elle perd de l'argent sur chaque exemplaire de journal distribué. La philosophie vers laquelle nous nous orientons est d'envoyer cet argent aux éditeurs pour permettre à La Poste de leur facturer la réalité du coût. Charge ensuite aux éditeurs de réaliser un arbitrage entre le recours à La Poste et le portage par leurs propres forces. La négociation n'est toutefois pas encore achevée.
Par ailleurs, la maison-mère La Poste n'a pas demandé le chômage partiel à l'État. En tant que premier employeur français, nous avons estimé responsable de supporter notre charge. En outre, pendant les sept semaines où les facteurs n'ont pas travaillé à temps plein – trois semaines à 60 % et quatre semaines à 80 % –, nous avons maintenu leur salaire à 100 %. Nous avons donc fait des efforts considérables pendant cette période, que les salariés ont compris.
En ce qui concerne l'évolution du capital de La Poste, elle a eu lieu le 4 mars 2020 à travers l'opération Mandarine, visant au rapprochement de La Banque Postale et CNP Assurances et au-dessus, de La Poste et de la Caisse des dépôts et consignations. Aucune privatisation de La Poste n'a été entreprise ; le groupe ne contient aucun atome de droits sociaux privés, sachant que la Caisse des dépôts et consignations est publique. Cette dernière ne nous a jamais demandé de doubler le résultat net dans les dix années à venir. Depuis qu'elle est notre premier actionnaire, elle agit de manière avisée, comme l'État, et nous demande de gagner de l'argent, ce qui est tout à fait normal. Aucun changement n'est observé de ce point de vue. La Caisse des dépôts a néanmoins rappelé, par la voix de son directeur général Éric Lombard, qu'il n'était pas de sa responsabilité de financer les missions de service public et de les compenser. Plus globalement, il ne faut pas que, dans le cadre de ses activités concurrentielles, La Poste soit obligée de payer un « super-impôt » pour financer la partie déficitaire des missions de service public. Ce principe me semble néanmoins bien compris.
Je souhaite également, en tant que président-directeur général, que notre entreprise gagne de l'argent, ce qui lui permet de verser les salaires sans crise sociale, de distribuer un intéressement et des dividendes. Il est à noter qu'au vu de la perte opérationnelle de La Poste en 2020, les deux actionnaires, la Caisse des dépôts et l'État, ne percevront pas de dividendes au titre de l'année 2020.
S'agissant des associations caritatives, les discussions se poursuivent. Cette mission nous fait perdre beaucoup d'argent. Si elle relève du service public, il faut l'y intégrer. Nous ne cherchons pas à gagner de l'argent au détriment des petites associations mais à couvrir nos coûts.
Le cas particulier d'un syndicaliste ne faisant plus partie des effectifs de La Poste a été évoqué. En effet, celui-ci a fait l'objet la semaine dernière d'une décision négative de la part du tribunal administratif de Cergy-Pontoise, qui a refusé sa réintégration. Le juge a estimé que les faits dont ce syndicaliste s'était rendu responsable excédaient, même en cas de crise sociale, le comportement d'un syndicaliste. Celui-ci a fait l'objet de sanctions pénales définitives. Il a été licencié et ne sera donc pas réintégré. Enfin, le syndicat évoqué, majoritaire dans les Hauts-de-Seine, est devenu, à la suite des élections ayant rassemblé plus de 100 000 postiers, le quatrième syndicat de La Poste, avec, dans l'ordre devant lui, la Confédération française démocratique du travail (CFDT), la Confédération générale du travail (CGT) et Force ouvrière (FO). Ce syndicaliste peut faire appel s'il le souhaite.
Enfin, nous sommes devenus l'actionnaire principal de CNP Assurances. Cette société est consciente qu'elle doit faire évoluer son modèle. Nous allons chercher à développer les partenariats. Nous sommes très satisfaits de cette évolution, déjà positive pour La Banque postale et pour le groupe.
Je souhaite revenir sur la mission de service public. Le plan présenté avant le covid pour l'horizon 2030 visait à faire évoluer les missions de La Poste autour du numérique, à la fois sur l'inclusion et sur l'identité. Vous vouliez également rajouter les services de proximité des facteurs, à l'instar des maisons France Services labellisées. L'idée était que les facteurs aillent à domicile pour aider les citoyens, assurant en quelque sorte la fonction de maison France Services itinérante avec les facteurs. La circulaire de juillet 2019 incluait 250 facteurs dédiés à cette mission. Il s'agissait d'une action essentielle et vitale dans la ruralité. Le projet a été arrêté avec le covid même si son ambition demeure : pourquoi ne pas le relancer dès à présent et commencer à former les facteurs ?
Vous nous expliquez que La Poste fera face à un déficit structurel d'un milliard d'euros par an dans les années à venir. Quelles sont les grandes mesures susceptibles de redresser la situation et de dégager des excédents ? Quid de la concentration des centres de tri ? Ne faudrait-il pas prendre des mesures sociales, en particulier un plan de retraite anticipée ?
Par ailleurs, les bénéfices de La Banque postale et de CNP doivent-ils être utilisés pour combler le déficit de La Poste ?
Enfin, s'agissant du secteur colis, quelle est la part du e-commerce et en particulier d'Amazon ? Envisagez-vous de la limiter si elle devenait excessive ?
Vous avez évoqué la fréquentation pour justifier la fermeture des bureaux de poste en milieu rural. La fréquentation baisse effectivement dans les territoires mais les élus locaux nous opposent à raison qu'il s'agit de services d'utilité sociale. Il me semble donc qu'à l'indicateur de baisse de la fréquentation pourrait être adjoint un indicateur d'utilité sociale, extrêmement utile pour mettre un terme à des débats sans fin.
Par ailleurs, j'aimerais vous interroger sur la mission d'accessibilité bancaire, qui permet à chacun d'ouvrir un livret A. Il s'agit d'un outil très pertinent pour permettre aux « invisibles » d'avoir accès à des comptes bancaires. Toutefois, ce dispositif a tendance à être parfois contourné. Des ménages non éligibles à cette mission ouvrent ainsi des livrets A, ce qui renchérit son coût. Que pourriez-vous proposer pour mieux cibler les publics ?
Mes questions porteront principalement sur les ressources humaines et la santé au travail. Dans le Nord, nous avons été interpellés par les maires, les agents, les représentants du personnel et les habitants au sujet de la distribution du courrier, de la qualité de service, de la présence des bureaux de poste mais aussi des réorganisations au sein de La Poste. Plus spécifiquement, avec le plan transformation et évolution numérique du groupe, de nouveaux outils numériques ont été mis en place dans les centres de tri, les casiers numériques appelés environnement de travail des facteurs (ETF), qui ont remplacé les casiers muraux afin d'optimiser la préparation des tournées des facteurs. Ces outils numériques, censés augmenter la productivité des postiers, n'ont apparemment pas répondu à leurs objectifs pour l'heure. En effet, les casiers sont limités à 600 plis alors que les tournées de facteurs représentent 1 000 à 1 500 plis. Cette situation a généré des retards de distribution massifs, de l'ordre de trois à quatre semaines en août dans ma circonscription et a été extrêmement compliquée à vivre pour certains citoyens, dans l'attente de documents importants. Une formation a été dispensée quinze jours avant la mise en place de ce nouveau système. Ne croyez-vous pas qu'elle était insuffisante ? Avez-vous tiré des leçons, après les retours terrain, sur la mise en place de ce système numérique ?
En matière de santé au travail, les équipements scooters-trois roues sont satisfaisants en termes d'efficacité et de rapidité. La médecine du travail trouve qu'ils sont mieux que les vélos électriques utilisés par les facteurs mais sur le terrain, un certain nombre de retours négatifs font état d'atteintes aux cervicales, de problématiques d'amortisseur, etc. Comment faire rencontrer ces retours terrain et l'avis de la médecine du travail en interne ? Par ailleurs, le Gouvernement pousse à l'activité physique, au minimum trente minutes par jour. Ne trouvez-vous pas regrettable qu'à l'heure de l'essor du vélo, La Poste, qui était connue pour ses tournées à vélo, n'en soit plus équipée ?
Enfin, le Gouvernement, très engagé sur « un jeune, une solution », met en avant l'apprentissage. La Poste a eu beaucoup d'apprentis. Dans ma circonscription, des apprentis ont fini leur formation, ils ont été reconnus par leurs pairs comme aptes à prendre un poste mais ils n'ont pas été confortés dans leur contrat. La Poste leur a préféré des intérimaires.
Nous assistons à une accélération de l'histoire, avec une transformation des métiers de La Poste et une évolution dans ses engagements en faveur de la transition écologique et numérique et du développement du service universel postal. J'aimerais vous interroger, eu égard à votre stratégie, sur vos engagements en faveur de la « silver économie », de la santé, de la logistique urbaine et de la responsabilité sociétale des entreprises (RSE). En outre, quel est l'engagement de La Banque postale dans le plan de relance, sachant qu'elle est un financeur de premier plan des équipements publics locaux ?
Pourriez-vous nous fournir quelques éléments chiffrés à propos de la nouvelle solution numérique déployée dans le cadre du confinement « Ma ville, mon shopping » ? Quel a été l'accueil des communes par rapport à cette solution ? Au sujet du déploiement à l'international, CNP vient de signer un contrat important au Brésil. Pourriez-vous nous fournir quelques perspectives ? Enfin, possédez-vous des objectifs en termes d'entreprise à mission ? Comment vous positionnez-vous par rapport à ces nouveaux sujets dans le cadre de la stratégie de La Banque postale ?
Nous essayons en effet de mettre en place ce service à domicile. Je suis très favorable à inclure dans le travail des facteurs cette mission de proximité mais cela dépend également du Gouvernement et du législateur. Nous pensons réellement, notamment pour le rural profond et les personnes à mobilité réduite, que les facteurs peuvent apporter un bureau de poste à domicile ou France Services à domicile. Je rappelle que le facteur est habilité à déposer du cash chez les gens, pour La Banque postale ou d'autres banques, à travers le service « Allo facteur ». Si, en tant que législateur, vous nous ouvrez de nouvelles possibilités en termes de services numériques, ce sera très positif pour La Poste et les territoires.
Le service universel est déficitaire d'un milliard d'euros et ce déficit a vocation à s'aggraver. Des déficits de service public ne peuvent pas être rééquilibrés par notre seul effort. Nous pouvons réduire les coûts ou calibrer différemment l'offre de service public mais une compensation sera quoi qu'il en soit nécessaire. Les industries gazières et électriques reçoivent 9 milliards d'euros de compensation pour la péréquation du branchement électrique. Les TER reçoivent plus de 4 milliards d'euros. La Poste n'équilibra pas toute seule, même par des mesures sociales, ses coûts de service public, sachant que ses missions sont menées dans des conditions dérogatoires aux activités de marché. Nous prendrons notre part de l'effort comme nous l'avons toujours fait. Nous proposons des mesures de retraite anticipée et les effectifs de La Poste ont considérablement baissé au cours des dernières années, sans aucun licenciement et dans une acceptation sociale et sociétale satisfaisante.
Les bénéfices de La Banque postale et de CNP Assurances n'ont pas vocation à combler les déficits résiduels des missions de service public. À défaut, ces activités concurrentielles seront condamnées. La Banque postale est face à cinq grandes banques françaises. Si, en plus de l'impôt sur les sociétés qu'elle paye, La Banque Postale est obligée de mettre des centaines de millions d'euros dans la compensation des missions de service public, elle ne pourra pas survivre et se développer. J'espère que les deux auront, par leur rentabilité, à la fois suffisamment de fonds propres et les moyens de se développer. C'est l'une des raisons de l'opération que nous avons réalisée. Les fonds propres durs de La Banque Postale sont légèrement inférieurs à 19 % aujourd'hui en France, ce qui en fait la banque la mieux capitalisée du pays.
Par ailleurs, le colis est porté par le e-commerce mais il ne compense pas les pertes sur la lettre. Nous cherchons à piloter de très près la part d'Amazon dans l'ensemble du chiffre d'affaires ; celle-ci est inférieure à 10 %. Nous sommes toutefois très satisfaits qu'Amazon nous fasse confiance en tant que leader du marché.
Sur la question de l'utilité sociale, je suis prêt à en discuter mais je crains, tout autant que sur la question de la fréquentation, des débats sans fin à propos de sa définition et sa mesure.
En ce qui concerne le livret A, il reste le support de la mission d'accessibilité bancaire pour le million d'« invisibles », dont le nombre a tendance à se renforcer. Les tentatives de contournement sont très faibles. Nous devrons toutefois travailler avec le Gouvernement, le législateur et la Commission européenne pour faire évoluer et moderniser le vecteur livret A.
En outre, nous faisons très attention à la réception et la maîtrise des nouveaux outils que nous mettons en place. Nous avons doté dix ans plus tôt les facteurs d'un outil aidant à la numérisation de leur travail, le smartphone Facteo. Il nous a fallu du temps pour l'installer. Il en sera de même pour les casiers électroniques ETF. Nous passons du temps à former et à expliquer mais tout changement de méthode de travail est difficile, surtout lorsqu'il concerne 70 000 personnes.
À propos de la santé au travail, les accidents du travail ont baissé de manière très sensible depuis cinq ans. Nous sommes passés de 9 000 à 6 000 accidents du travail dans la branche services-courrier-colis. L'effort a été considérable. En ce qui concerne le trois-roues, il prend un peu plus de temps à l'usage mais nous avons toujours 27 000 vélos électriques. Nous sommes massivement favorables au vélo. Nous faisons appel aux trois-roues pour les colis les plus lourds.
Enfin, La Poste est l'une des premières entreprises à accueillir des apprentis. Pour 2021, nous avons décidé de reconduire les chiffres de 2020, avec 4 600 apprentis. En ce qui concerne l'intégration, nous donnons la priorité aux postiers dont le travail a été modifié par ailleurs, conformément à notre modèle social. Nous souhaitons rester une grande entreprise d'accueil des apprentis mais nous ne pouvons pas les intégrer systématiquement.
La « silver économie » est devenue un secteur réalisant un peu plus de 200 millions d'euros de chiffre d'affaires aujourd'hui. Nous sommes rentrés dans la santé par le biais des services. Nous sommes reconnus, à la fois par le ministère de la santé et les autres acteurs, comme extrêmement légitimes. Les facteurs ont cette puissance de relation et cette intelligence du contact qui fait que nous continuerons à nous développer dans ce secteur.
En ce qui concerne la logistique urbaine, nous avons signé 19 accords sur les 22 métropoles. Nous avons pris contact avec les nouvelles équipes municipales. Je rencontrerai ce vendredi le maire de Toulouse pour développer le projet de logistique urbaine. Nous essayons d'opter pour la décarbonation totale des marchandises.
En matière de RSE, La Poste est l'entreprise la mieux notée au monde, tous secteurs confondus, par l'agence de notation Vigeo Eiris. Ce n'est pas très étonnant compte tenu de nos missions de service public, qui signifient que nous sommes engagés dans la société. Nous possédons un modèle social de discussion très étendu. En matière d'engagement environnemental, nous détenons la première flotte de véhicules électriques d'Europe à quatre roues.
S'agissant de la place de La Banque postale dans le plan de relance, nous avons conclu des prêts garantis par l'État (PGE), nous avons été en 2020 la première banque de financement des projets locaux. Plus une commune est petite, plus elle fait appel à La Banque postale.
« Ma ville, mon shopping » est une nouvelle offre aidant les commerçants à se digitaliser. Nous sommes persuadés que tous les commerçants peuvent se mettre sur Internet et en partie digitaliser leur offre. La solution que nous avons créée a la spécificité de faire appel aux collectivités locales, pour les aider à dynamiser leurs commerces de centre-ville. Presque 3 000 communes ont déjà signé, ainsi que des milliers de commerçants. Nous souhaitons continuer à nous développer et sommes très fiers de ce que nous faisons.
En ce qui concerne le déploiement à l'international, l'accord signé par CNP Assurances au Brésil est la prolongation d'un accord signé vingt ans plus tôt. Nous nous sommes projetés avec le partenaire brésilien jusqu'en 2041.
En conclusion, La Poste, La Banque postale et CNP Assurances seront des entreprises à mission au sens de la loi Pacte. Le statut d'entreprise publique nous donne la responsabilité d'être des entreprises à mission. Nous le faisons dans le groupe dès que nous le pouvons.
Information relative à la commission
– La commission a désigné Mme Christine Pires Beaune rapporteure sur la proposition de loi visant à réformer la fiscalité des droits de succession et de donation : protéger les classes moyennes et populaires, et mieux redistribuer les richesses (n° 3409 rect.).