Intervention de Philippe Wahl

Réunion du mercredi 3 février 2021 à 9h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Philippe Wahl, président-directeur général du groupe La Poste :

En ce qui concerne la mesure économique et financière des enjeux pour le service universel postal, le chiffre en 2020 a été extraordinaire, mais pour l'année 2021, nous pensons que nous ne serons pas très loin d'un milliard d'euros de perte. Avec la baisse des volumes du courrier, la situation aura ensuite tendance à s'aggraver.

En matière d'aménagement du territoire, vous avez voté fin décembre 2020 dans le cadre de la loi de finances un apport budgétaire de 66 millions d'euros pour 2021. Nous en aurons toujours besoin l'année prochaine, sachant qu'en dépit de cet apport, la mission d'aménagement reste sous-compensée. Ces 66 millions d'euros remplacent ceux que nous nous apprêtions à voir disparaître avec la réforme de la CVAE, mais la mission d'aménagement du territoire restera déficitaire, à hauteur d'un peu plus de 60 millions d'euros. La mission de distribution de la presse était déficitaire de quasiment 200 millions d'euros en 2019 et 2020.

Les montants sont considérables mais ils ne sont pas étonnants, compte tenu du fait que nous assumons des missions de service public massives, qui concernent tout le territoire. En examinant d'autres activités relevant du service public, pour les trains express régionaux (TER), la compensation est supérieure à 3,5 millions d'euros. Pour les industries électriques et gazières, cette compensation est supérieure à 9 milliards d'euros.

Les sommes sont considérables mais elles doivent être mises en regard de la lourdeur, de la complexité et du volume des missions assurées.

Les pistes d'évolution constitueront tout l'enjeu du travail avec le Gouvernement, qui se poursuivra devant le législateur. Elles ne sont pas très nombreuses. La première piste porte sur la définition de la mission elle-même et des contraintes fixées. Par exemple, avons-nous toujours besoin d'une lettre prioritaire « timbre rouge » ? Les Français en écrivaient 45 par an en 2010. Ils en ont écrit 5 en 2020. La première piste vise donc à revoir les obligations qui sont les nôtres. La seconde est relative à nos efforts d'entreprise : réduction des coûts, amélioration des services et digitalisation de certains de ces services.

En ce qui concerne la mission d'aménagement du territoire, nous tenons à rester sur les territoires. Vous n'êtes pas face à une entreprise de service public qui souhaite en sortir. Nous voulons néanmoins trouver un moyen d'y rester de manière économiquement équilibrée, en partenariat avec les associations d'élus, le tissu associatif, le législateur et le Gouvernement. Nous ne prévoyons pas d'accélération des fermetures dans le rural, sans pour autant les stopper toutes. Nous devons en discuter. En vertu du contrat de présence postale territoriale signé avec l'État et l'association des maires de France, dans les zones rurales d'aménagement du territoire et les quartiers de la politique de la ville, le maire possède un droit de veto. Dans ces territoires, nous ne pouvons pas fermer un bureau de poste et le transformer en agence postale communale ou en relais poste commerçant sans l'accord du maire.

Nous sommes néanmoins face à une situation qu'en tant qu'élus, vous connaissez. Les gens tiennent absolument à leur bureau de poste mais la fréquentation continue à diminuer. La clé de l'ouverture d'un bureau de poste est pourtant sa fréquentation. Je vous citerai l'exemple d'une des régions françaises les plus rurales. 60 % des points de contact sont fréquentés par moins de 10 personnes par jour. En 2030, les habitudes évolueront encore davantage. La première solution est la fréquentation, d'où la nécessité de travailler main dans la main avec les élus et de rapprocher, dès que possible, les structures d'accueil des mairies et celles de La Poste.

En ce qui concerne France Services, La Poste avait en 2015 créé 500 MSAP. 190 d'entre elles ont été labellisées France Services. Elles sont très utiles. Celles qui ne sont pas labellisées doivent être regroupées, dans le rural, avec des lieux des collectivités locales. En général, les agences postales et communales, une fois la phase de transformation achevée, sont plébiscitées par les clients et les élus. De très nombreux maires en sont très satisfaits car ces agences aident à l'ouverture de la mairie elle-même. En effet, La Poste apporte un concours financier mensuel et participe au financement d'une partie du salaire de l'employé municipal. France Services est une réussite. Nous nous y inscrivons et espérons développer ces espaces dans la période à venir.

Les 66 millions d'euros compensant les effets de la réduction des impôts de production devront être reconduits en 2022. J'espère qu'à cette occasion, vous comblerez la non-compensation des 60 millions restants tels qu'ils apparaissent dans les chiffres de l'ARCEP. Aucune raison ne justifie qu'une mission de service public, dès lors qu'elle est validée et vérifiée par une autorité indépendante, ne soit pas compensée à 100 %.

Concernant l'abattement de taxe foncière des immeubles de Poste Immo, le décret n'est pas encore paru et est promis au deuxième semestre. J'espère comme vous qu'il sera pris.

La Poste veut donc rester dans les territoires et s'organise pour y rester. Nous devons en discuter avec les élus ruraux et les élus des quartiers prioritaires de la ville, en gardant en tête que la fréquentation est la clé. Nous cherchons dans ces missions de service public un rééquilibrage, sans notion de profit.

La question des autres pistes d'équilibrage a été posée, notamment la compensation entre le courrier et le colis. Pour mémoire, nous perdons avec les lettres en 2020 1 milliard d'euros et en gagnons 300 millions d'euros avec le colis. Colissimo représente 2,7 milliards d'euros de chiffre d'affaires, Chronopost près de 2 milliards d'euros et DPD bientôt 1 milliard, soit près de 6 milliards d'euros au total. Reste que le courrier traditionnel pèse beaucoup plus. Malgré le dynamisme et l'explosion des volumes ayant permis de soutenir des emplois et des plateformes commerciales, ce que nous procure le colis ne compense pas ce que nous perdons du côté de la lettre.

En ce qui concerne le contrat avec Amazon, qui est notre premier client et que nous apprécions beaucoup, je suis soumis au secret commercial. Je ne peux qualifier la qualité de la négociation. J'ai confiance dans le patron de Colissimo qui l'a négocié. Je pense qu'il s'agit d'un bon contrat à la fois pour La Poste et Amazon. Celui-ci se terminera en 2021 et nous allons le renégocier, je l'espère, pour les années à venir. Ce contrat avait deux caractéristiques. D'une part, pour la première fois, Amazon acceptait un engagement sur plusieurs années. D'autre part, il y a mis des conditions de qualité, que nous avons dépassées. Si le même type de contrat se prolonge, nous serons satisfaits. Amazon est l'une des entreprises les plus puissantes au monde, raison pour laquelle je pense qu'il s'agit d'un bon contrat.

S'agissant de la sous-traitance, la situation est extrêmement claire. Certaines des filiales de La Poste ne pourraient pas fonctionner sans sous-traitance. La cohabitation dans une structure de salariés du groupe et de sous-traitants est une façon de tenir la concurrence. Tel est le cas de Chronopost ou DPD. Si les conditions sociales des facteurs étaient transposées sur tous les salariés de Chronopost, cette société disparaîtrait. Nous avons besoin de la sous-traitance dans certains segments de marché, eu égard à la pression sur les prix et les marges exercée par les concurrents.

Colissimo, qui distribuait 363 millions de colis en 2019, en a distribué 472 millions en 2020. Par ailleurs, parmi les plus de 100 millions de colis supplémentaires distribués par Colissimo en 2020, 80 millions sont allés aux facteurs, entre 10 et 11 millions à la sous-traitance et le reste à l'international. Dès que possible, nous privilégions les postiers. J'en veux pour preuve qu'à mon arrivée à la présidence de La Poste, les facteurs ne distribuaient aucun Chronopost. En 2020, ils en ont distribué 25 millions, dans le cadre de synergies. Chaque fois que nous pouvons nourrir nos usines à colis et nos réseaux de distribution, nous le faisons.

À propos de l'aménagement du territoire, la moitié des bureaux sont gérés en propre par La Poste et l'autre moitié en partenariat. Nous allons continuer à évoluer, avec deux critères simples : le dialogue avec les élus ; la recherche avec le maire, ses habitants et le tissu économique d'une fréquentation permettant de tenir le bureau de poste. Nous cherchons évidemment à l'expliquer. Nous ne pouvons pas conserver de bureau de poste si personne n'y vient. Nous commettons aussi nos propres erreurs, que j'assume. Parfois, des bureaux sont exceptionnellement fermés sans que nous le sachions. Pour cette raison, nous travaillons à une meilleure information préalable des élus et à la mise à disposition d'une application Internet fournissant les horaires exacts, en temps réel, d'ouverture des bureaux de poste.

La consultation à laquelle nous nous sommes livrés a été très large, avec 132 000 postiers, des centaines de clients et d'élus. Des députés et des sénateurs ont également été associés à ce travail. Quelles sont les principales possibilités d'équilibrer le modèle de La Poste ? En ce qui concerne les missions de service public, l'équilibre viendra de la redéfinition des missions et de la compensation. Ces missions doivent être compensées, comme toute mission de service public. La compensation est prévue par le traité de Rome. La Commission européenne doit d'ailleurs vérifier que la mission n'est pas surcompensée, ce qui n'est bien sûr pas le cas. Le colis est une piste, qui ne suffit pas en France, mais le développement du colis à l'international, avec GeoPost, a été un grand succès. Cette société est passée de 4,3 milliards d'euros de chiffre d'affaires en 2013 à 11 milliards l'année dernière. Si elle nous fournit des résultats, elle ne règle pas le problème plus général de l'activité et de l'emploi en France.

En ce qui concerne le Brexit, nous avons prévu des provisions. Nous anticipons une baisse du chiffre d'affaires. Les deux premières semaines de l'année ont été très difficiles, compte tenu de la mise en place des services douaniers britanniques. À ce stade, la croissance se ralentit mais les flux continuent. Je n'attends pas de choc majeur pour l'instant.

Une question a porté sur la baisse du nombre des facteurs, qui a été proportionnelle à la baisse du nombre de tournées. La Poste, qui gérait 18 milliards d'objets en 2008, n'en gère plus que 7 milliards. Dans ce contexte, le nombre de salariés ne peut rester identique. Notre responsabilité est de trouver, compte tenu de la puissance de la présence humaine, de la solidarité, de la capacité de dialogue et de relation des facteurs, de nouveaux métiers leur permettant de rester sur le territoire. Il s'agit de notre grande priorité.

Nous ne sommes pas au terme des discussions concernant la compensation de la presse. Je peux évoquer l'orientation du Gouvernement en la matière. Aujourd'hui, La Poste fait payer à la presse un prix de distribution très inférieur à son coût. Les éditeurs de presse payent un prix ne couvrant qu'un tiers de notre coût dans le cas des quotidiens et trois quarts de notre coût pour les magazines. La Poste est donc financée pour compenser le fait qu'elle perd de l'argent sur chaque exemplaire de journal distribué. La philosophie vers laquelle nous nous orientons est d'envoyer cet argent aux éditeurs pour permettre à La Poste de leur facturer la réalité du coût. Charge ensuite aux éditeurs de réaliser un arbitrage entre le recours à La Poste et le portage par leurs propres forces. La négociation n'est toutefois pas encore achevée.

Par ailleurs, la maison-mère La Poste n'a pas demandé le chômage partiel à l'État. En tant que premier employeur français, nous avons estimé responsable de supporter notre charge. En outre, pendant les sept semaines où les facteurs n'ont pas travaillé à temps plein – trois semaines à 60 % et quatre semaines à 80 % –, nous avons maintenu leur salaire à 100 %. Nous avons donc fait des efforts considérables pendant cette période, que les salariés ont compris.

En ce qui concerne l'évolution du capital de La Poste, elle a eu lieu le 4 mars 2020 à travers l'opération Mandarine, visant au rapprochement de La Banque Postale et CNP Assurances et au-dessus, de La Poste et de la Caisse des dépôts et consignations. Aucune privatisation de La Poste n'a été entreprise ; le groupe ne contient aucun atome de droits sociaux privés, sachant que la Caisse des dépôts et consignations est publique. Cette dernière ne nous a jamais demandé de doubler le résultat net dans les dix années à venir. Depuis qu'elle est notre premier actionnaire, elle agit de manière avisée, comme l'État, et nous demande de gagner de l'argent, ce qui est tout à fait normal. Aucun changement n'est observé de ce point de vue. La Caisse des dépôts a néanmoins rappelé, par la voix de son directeur général Éric Lombard, qu'il n'était pas de sa responsabilité de financer les missions de service public et de les compenser. Plus globalement, il ne faut pas que, dans le cadre de ses activités concurrentielles, La Poste soit obligée de payer un « super-impôt » pour financer la partie déficitaire des missions de service public. Ce principe me semble néanmoins bien compris.

Je souhaite également, en tant que président-directeur général, que notre entreprise gagne de l'argent, ce qui lui permet de verser les salaires sans crise sociale, de distribuer un intéressement et des dividendes. Il est à noter qu'au vu de la perte opérationnelle de La Poste en 2020, les deux actionnaires, la Caisse des dépôts et l'État, ne percevront pas de dividendes au titre de l'année 2020.

S'agissant des associations caritatives, les discussions se poursuivent. Cette mission nous fait perdre beaucoup d'argent. Si elle relève du service public, il faut l'y intégrer. Nous ne cherchons pas à gagner de l'argent au détriment des petites associations mais à couvrir nos coûts.

Le cas particulier d'un syndicaliste ne faisant plus partie des effectifs de La Poste a été évoqué. En effet, celui-ci a fait l'objet la semaine dernière d'une décision négative de la part du tribunal administratif de Cergy-Pontoise, qui a refusé sa réintégration. Le juge a estimé que les faits dont ce syndicaliste s'était rendu responsable excédaient, même en cas de crise sociale, le comportement d'un syndicaliste. Celui-ci a fait l'objet de sanctions pénales définitives. Il a été licencié et ne sera donc pas réintégré. Enfin, le syndicat évoqué, majoritaire dans les Hauts-de-Seine, est devenu, à la suite des élections ayant rassemblé plus de 100 000 postiers, le quatrième syndicat de La Poste, avec, dans l'ordre devant lui, la Confédération française démocratique du travail (CFDT), la Confédération générale du travail (CGT) et Force ouvrière (FO). Ce syndicaliste peut faire appel s'il le souhaite.

Enfin, nous sommes devenus l'actionnaire principal de CNP Assurances. Cette société est consciente qu'elle doit faire évoluer son modèle. Nous allons chercher à développer les partenariats. Nous sommes très satisfaits de cette évolution, déjà positive pour La Banque postale et pour le groupe.

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