Intervention de Olivier Dussopt

Réunion du mercredi 10 février 2021 à 15h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Olivier Dussopt, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics :

Monsieur le président, monsieur le rapporteur général, mesdames et messieurs les députés, tout au long du processus de négociation, le négociateur a respecté le mandat que nous lui avions confié ; il a conservé une position équilibrée, qui consistait à la fois à respecter le choix démocratique exprimé par les Britanniques et à veiller à ne pas mettre en danger l'Union européenne ni à réduire ses principes. Le Brexit étant une décision du Royaume-Uni, il ne pouvait se traduire par un affaiblissement du projet européen.

En février 2020, dès la formalisation du Brexit, nous avons pu définir un accord de retrait temporaire concernant différents sujets. D'abord, nous avons veillé à la protection des droits des ressortissants européens vivant au Royaume-Uni et des Britanniques vivant dans l'Union européenne, afin que ces citoyens ne soient pas les otages d'une recherche d'accord. Ensuite, nous avons défini les obligations budgétaires pesant sur le Royaume-Uni, pour ne pas mettre en danger le fonctionnement de l'Union européenne. Des précautions ont été prises sur les indications géographiques existantes et sur le règlement à court terme de la situation des entreprises qui préparaient leur sortie du marché intérieur. Enfin, cet accord prévoyait une période de transition, entre février 2020 et le 31 décembre 2020, afin de permettre tant aux particuliers qu'aux entreprises de se préparer aux conséquences du retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne et de donner du temps aux négociateurs britanniques et européens pour se mettre d'accord sur la relation future.

Le négociateur en chef a mené la négociation dans le respect de nos principes et nous sommes arrivés, le 24 décembre, à un accord qui nous permet de défendre nos intérêts et d'éviter les effets perturbateurs d'une fin désordonnée de la période de transition.

Nous avons été particulièrement vigilants sur plusieurs points.

Sur la question de la concurrence équitable, d'abord, qui a été un point d'achoppement majeur en fin de négociation. Il me semble que l'équilibre atteint est le bon. Nous n'avons jamais exigé du Royaume-Uni qu'il renonce à sa capacité de légiférer mais nous sommes restés extrêmement fermes sur la protection du marché intérieur, puisqu'il n'est pas question d'ouvrir notre marché sans la garantie que nos entreprises ne seront pas exposées à une concurrence qui pourrait être déloyale.

Ensuite, la conclusion d'un partenariat commercial qui prévoit une absence de droits de douane est une bonne nouvelle, tant pour l'Union européenne que pour la France. Le Royaume-Uni est un partenaire commercial majeur, il est même le premier excédent commercial de la France, avec plus de 12 milliards d'euros. Le commerce intra-branche, notamment dans les secteurs de l'aéronautique, de l'aérospatiale, de l'automobile, de la chimie et de la pharmacie, témoigne de cette interdépendance en matière commerciale entre la France et la Grande-Bretagne. Par ailleurs, le Royaume-Uni réalise près de la moitié de ses importations et de ses exportations avec l'Union européenne.

Pour autant, les enjeux commerciaux de cette négociation ne se résument pas à des chiffres. Le Royaume-Uni n'est pas simplement un partenaire économique pour l'Union européenne, c'est aussi un concurrent, qui ne peut pas être comparé au Japon, au Canada ou au Chili, du fait de sa proximité et de sa relation économique avec l'Union européenne, qui se caractérise par un très haut degré d'intégration des chaînes de valeur. Cette intégration des économies justifie l'ambition européenne en matière de concurrence équitable, car aucun accord commercial avec l'un de nos partenaires, aussi important soit-il, ne doit nous conduire à affaiblir le marché intérieur et sa compétitivité relative, qui sont les biens communs de toutes les entreprises européennes. Au nom de ces principes, nous avons veillé à la fois à un encadrement rigoureux des aides d'État, et au maintien de normes environnementales, sociales et climatiques équivalentes entre le Royaume-Uni et l'Union européenne, avec un principe de non-régression.

S'agissant des règles d'origine, qui déterminent quelles marchandises britanniques sont exemptées de droits de douane à l'entrée du marché européen, nos exigences ont été transposées dans l'accord, ce qui nous prémunit de voir la Grande-Bretagne se transformer en plateforme de réexportation aux portes de l'Union européenne.

Enfin, la pêche a été un point majeur des négociations jusqu'au 24 décembre. Nous avions affirmé très tôt et de manière constante que le pêcheur français ne pouvait pas être la variable d'ajustement d'un accord entre l'Union européenne et le Royaume-Uni. Les pêcheurs européens peuvent donc continuer à pêcher dans les eaux britanniques, alors que le Royaume-Uni voulait initialement les en exclure. Finalement, ce sont 75 % de la valeur des pêcheries européennes qui seront préservés ; les pêcheries historiques dans les zones côtières seront également préservées. La France, comme les autres États membres, contribuera à la réduction progressive des quotas de poissons, à hauteur de 25 % en valeur – 15 % la première année –, qui étaient pêchés par l'Union européenne dans les eaux du Royaume-Uni. Au-delà de 2025, les quotas ne pourront plus être remis en cause et l'évolution du volume des captures dépendra essentiellement de projections scientifiques. Par ailleurs, des mesures compensatoires sont prévues en cas de remise en cause de l'accès de l'Union européenne aux eaux britanniques, qui permettent de garantir durablement la qualité de cet accord.

Nous avions anticipé le pire en la matière. J'avais eu l'occasion, avec Clément Beaune, de rencontrer à plusieurs reprises les pêcheurs, notamment à Calais et à Boulogne-sur-Mer, pour préciser les dispositifs d'aide que nous avions prévus, au cas où nous n'aurions pas trouvé d'accord satisfaisant pour toutes les parties. Ils ne seront évidemment pas mobilisés mais nous allons continuer à accompagner les pêcheurs qui subiraient des pertes de tonnages ou des difficultés en matière douanière et de transit.

Si l'accord nous paraît équilibré, il ne faut cependant pas sous-estimer ce qui s'est passé le 1er janvier, à zéro heure. Le Royaume-Uni est désormais formellement un État tiers en droit et dans les faits, ce qui a des conséquences, encore difficiles à mesurer, pour les citoyens et les entreprises. Si les citoyens qui résident depuis plus de cinq ans dans l'Union européenne ou au Royaume-Uni sont éligibles à un statut de résident permanent, nous devons prendre conscience que la libre circulation des personnes est bien terminée ; la frontière extérieure de l'Union européenne est rétablie au milieu de la Manche.

En outre, le Royaume-Uni a fait un certain nombre de choix lors de la négociation qui ont des conséquences très concrètes sur les Français et les entreprises concernées. Les travailleurs de l'Union européenne, qui ne bénéficient plus de la liberté de circulation, sont désormais soumis aux règles de l'immigration britannique. Les règles migratoires britanniques sont beaucoup plus strictes qu'en 2020, un certain nombre de dispositions ayant été votées par le Parlement britannique. Par ailleurs, je rappelle que le Royaume-Uni n'a pas souhaité continuer à participer au programme Erasmus, alors même que l'Union était prête à lui en proposer le bénéfice.

Pour ce qui concerne les échanges économiques, le Royaume-Uni n'a pas souhaité rester au sein du marché intérieur ou de l'union douanière. Les conséquences de ce choix sont majeures pour les entreprises françaises – et européennes – que nous avons accompagnées pendant de nombreux mois pour les aider à franchir sereinement le 1er janvier 2021. Les conséquences sont aussi importantes pour les administrations, et leur travail de préparation doit être salué.

Nous avons recréé une frontière. C'est un événement inédit, d'autant plus qu'il s'agit d'un des points de passage les plus actifs de notre territoire. Cette frontière est exceptionnelle à plusieurs égards : par la proximité du territoire britannique, la diversité des modes de son franchissement et le volume du trafic, en provenance ou à destination du Royaume-Uni, qui s'élève à 30 millions de voyageurs et 5 millions de poids lourds par an. Dans les Hauts-de-France, il faut ajouter à cela une fréquence importante des rotations avec, par exemple, une circulation dans le tunnel toutes les trois minutes et cinquante rotations de ferries par jour dans le port de Calais – les temps de traversée pouvant varier de trente-cinq minutes à deux heures.

Nous devons également garder en mémoire que les installations portuaires, comme le site du tunnel sous la Manche, ont été conçues à une période où la Grande-Bretagne appartenait au marché intérieur et à l'Union européenne. En conséquence, elles n'ont pas été conçues pour traiter des flux tiers à l'Union européenne mais, au contraire, aménagées pour une libre circulation des personnes et des biens. Il a donc fallu anticiper et faire preuve d'imagination, mais aussi investir. Je souhaite saluer tout particulièrement la direction générale des douanes et des droits indirects (DGDDI) pour son rôle moteur à l'égard des acteurs économiques et des gestionnaires du lien transmanche, ainsi que pour son rôle de coordination des autres administrations.

Où en sommes-nous dans la mise en œuvre du Brexit et combien ce dernier nous a-t-il coûté ?

S'agissant des contrôles douaniers, nous avons inventé un système, la frontière intelligente, qui permet de ne pas engorger les installations existantes. Elle a pour principe de n'arrêter que les moyens de transport qui contiennent des marchandises devant faire l'objet de formalités douanières supplémentaires ou d'un contrôle douanier. Cette solution innovante est fondée sur trois principes : d'abord, l'anticipation des formalités douanières par les opérateurs avant le chargement du moyen de transport ; ensuite, l'identification des moyens de transport grâce aux plaques d'immatriculation ; enfin, l'automatisation de la gestion et de l'orientation des flux, qui permet l'aiguillage des moyens de transport en file verte ou, lorsqu'un contrôle douanier ou sanitaire est requis, en file orange.

La douane a également renforcé son système d'information pour faire face à une charge de dédouanement supplémentaire, de l'ordre de 8 à 10 % en volume. Nous avons donc prévu un renforcement des forces de la douane, avec 700 douaniers supplémentaires, dont 600 ont déjà été recrutés, formés et affectés. Les multiples reports de l'échéance du Brexit nous ont amenés à procéder à des manœuvres un peu complexes en matière de ressources humaines, puisque les reports intervenaient alors que les agents étaient déjà en place. Parmi les 600 agents recrutés, 277 ont été affectés à la région Hauts-de-France, où quatre services et deux bureaux ouverts 24 heures sur 24 ont été créés, pour gérer le port de Calais, l'Eurotunnel et les ferries à Dunkerque.

La police aux frontières (PAF) a également renforcé ses effectifs, à hauteur de 177 équivalents temps plein (ETP), auxquels s'ajoutent 84 réservistes, pour gérer les contrôles supplémentaires effectués depuis le 1er janvier.

Pour renforcer les contrôles sanitaires et phytosanitaires, 466 ETP supplémentaires ont été déployés à la frontière. Cet effort a permis l'ouverture renforcée du centre de contrôle vétérinaire de Boulogne-sur-Mer, 24 heures sur 24. Pour démontrer l'engagement de l'État dans la protection de la filière de transformation des produits de la mer, le choix a été fait d'orienter sur le service d'inspection vétérinaire et phytosanitaire (SIVEP) de Boulogne-sur-Mer la totalité des arrivages de produits de la mer, quel que soit le port de débarquement.

Au total, ce sont plus 1 300 ETP qui ont été créés, dans un contexte budgétaire que je ne rappellerai pas. Il a par ailleurs fallu adapter les infrastructures, notamment sur la façade de la Manche et la mer du Nord. Les travaux des collectivités, des opérateurs et de l'État ont permis de dimensionner les aménagements nécessaires en matière de parkings, de circulation et de bâtiments.

Les différents gestionnaires d'infrastructures ont également adapté leur organisation et leurs processus de travail ainsi que leur informatique pour s'interfacer avec le système d'information du Brexit. Pour ce faire, ils ont procédé à des embauches, notamment d'agents de liaison, pour la gestion des camions au contrôle. Pour l'État, cette adaptation des infrastructures nécessite un investissement de plus de 60 millions d'euros, qui sera engagé d'ici à 2022. L'État soutiendra l'ensemble des gestionnaires, notamment Eurotunnel et le port régional de Boulogne-Calais. Entre les embauches et les frais d'aménagement des infrastructures, le coût de la préparation du Brexit pour l'État s'élève à 200 millions d'euros. À cette somme s'ajoutera le soutien à la filière pêche, dont le montant évoluera avec la mise en œuvre des différents accords.

En parallèle, nous avons porté à Bruxelles le projet d'un fonds européen de soutien au Brexit, qui viendra en partie compenser ce coût et aider les entreprises à franchir le cap. Les modalités de répartition de ce fonds, doté de 5,370 milliards d'euros, sont en cours de négociation.

La préparation du Brexit a constitué un chantier majeur de communication et d'information des entreprises et des particuliers, en France, en Europe et au Royaume-Uni. Ce chantier a été complexe durant les trois années qu'a duré la préparation du Brexit, puisqu'il a été marqué par différents reports et la conclusion d'un accord en toute dernière minute. Certains, notamment au Royaume-Uni, ont vu à tort, dans cet accord, une disparition des formalités dues au franchissement de la frontière, ce qui n'est pas le cas. Nos efforts en matière de communication n'ont pas concerné que les douanes. Les enjeux réglementaires et fiscaux sont un autre aspect majeur des conséquences du Brexit sur les entreprises. La création d'un site spécifique, brexit.gouv.fr, un outil d'autodiagnostic mis à la disposition des entreprises, a permis à ces dernières de se préparer au mieux.

L'administration fiscale a reçu plus de questions au cours du mois de janvier 2021 qu'au cours de l'ensemble de l'année 2020 concernant les conséquences fiscales du Brexit, dont certaines n'ont pas été totalement anticipées. Je pense notamment au fait que les propriétaires d'un plan d'épargne en actions (PEA) en France contenant des actions de sociétés britanniques disposent de quelques mois pour les céder, celles-ci ne pouvant plus faire partie d'un PEA tel qu'il est commercialisé sur le marché bancaire français.

Aujourd'hui, en termes de flux et de gestion de la frontière, un premier constat s'impose, qui est plutôt positif : la congestion généralisée qui était crainte par certains n'a pas eu lieu. Les flux sont proches de la normale, avec plus de 90 % du trafic habituel et plus de 33 000 camions par semaine à l'importation. L'organisation fonctionne. Le processus de frontière intelligente fonctionne aussi, tout comme le système informatique dédié, même s'il doit faire l'objet d'améliorations ponctuelles et que nous avons dû l'adapter au premier système d'information mis en place par les Britanniques. Le dimensionnement des infrastructures, d'après le court retour d'expérience que nous en avons, semble adapté à la nature du trafic, même si celui-ci croît encore et que nous n'excluons pas la nécessité de devoir l'adapter et l'aménager.

Quelques constats sont moins positifs. D'abord, les opérateurs de dédouanement ne sont pas suffisamment nombreux ; ensuite, les entreprises ne sont pas toutes préparées ; enfin, il y a une asymétrie du degré de préparation entre la France, que nous considérons comme bon, voire très bon, et le Royaume-Uni. Des dysfonctionnements sont à noter dans les dispositifs mis en place par le Royaume-Uni, notamment en qui concerne le transit ; ils ont occasionné des arrêts répétés à la frontière. Notons également le manque de bureaux de douane et le manque de personnels douaniers britanniques pour les questions liées à la pêche et au débarquement en Écosse, aujourd'hui impossible. Je rappelle que de nombreuses entreprises françaises pêchaient en mer du Nord, mais débarquaient leurs poissons en Écosse ; ils étaient ensuite transportés par la route vers le sud de l'Angleterre, d'où ils traversaient la Manche. Un important travail technique reste à réaliser. Il est effectué chaque jour par la douane, en lien avec les différents services de leurs homologues britanniques, mais aussi avec les services du ministère de l'agriculture en France.

Nous travaillerons, dans les semaines à venir, sur trois axes.

D'abord, il convient d'accentuer l'effort d'information et d'accompagnement des entreprises. Les pôles d'action régionaux de la douane restent mobilisés pour accompagner les entreprises, en lien avec les organisations professionnelles. Il faut, ensuite, développer l'attractivité de nos territoires, notamment la région Hauts-de-France, pour faire face à un certain nombre d'outils qui peuvent être mis en place par le Royaume-Uni, notamment sur la question des ports francs. Enfin, nous devons améliorer, au jour le jour, le processus de passage à la frontière.

Le Royaume-Uni n'a pas encore déployé sa réglementation douanière à l'importation ; il ne le fera que le 1er juillet. Je songe notamment à l'introduction de droits de douane sur les produits qui ne seraient pas d'origine communautaire, ou encore aux formalités non tarifaires qu'ils appliqueront pour l'accès des marchandises et des personnes au territoire britannique. Cela nécessitera pour nos services, comme pour les entreprises et les particuliers, une nouvelle période d'adaptation que nous essayons d'anticiper au mieux, sachant que d'ici au 1er avril, les informations dont nous disposons pour nous adapter sont extrêmement parcellaires. Cela nécessitera un travail intense au cours du deuxième trimestre.

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